M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Dérian, pour explication de vote.
M. Jean Dérian. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne voteront pas la proposition de loi présentée par M. Vinçon et rapportée par M. Jean-Paul Delevoye.
Cette proposition vise à autoriser les élus des communes comptant 3 500 habitants au plus à conclure avec leur collectivité des baux ruraux.
Il s'agit en fait d'ouvrir une nouvelle brèche dans le principe du délit d'ingérence, brèche déjà entrouverte par l'article 432-12 du nouveau code pénal. Cet article atténuait la sévérité, que nous jugions pourtant nécessaire, de l'article 175 de l'ancien code pénal, qui ne prévoyait qu'une dérogation en matière d'ingérence.
Pour résumer, l'article 432-12 du nouveau code pénal autorisait notamment le transfert de biens ou la fourniture de services, dans la limite de 100 000 francs par an, l'acquisition d'une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier une habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la commune pour son propre logement ainsi que l'acquisition d'un bien communal en vue d'une activité professionnelle, et ce dans certaines conditions.
Le 23 avril 1992, lors du débat sur le nouveau code pénal, M. Charles Lederman, alors sénateur du Val-de-Marne et juriste dont la qualité était largement reconnue sur ces travées, indiquait que les dispositions « du texte qui nous est proposé peuvent laisser craindre qu'il ne soit porté atteinte à l'indépendance de la fonction élective. Certes, nous comprenons parfaitement les problèmes de logement que peuvent rencontrer les maires ou les élus des petites communes. Néanmoins, il nous semble exclu que les convenances personnelles interviennent dans la gestion des communes. Il nous apparaît très important de le souligner à l'heure où la lutte contre la corruption figure parmi les premiers objectifs du Gouvernement ».
Cette attitude, qui peut paraître stricte, nous semble devoir être maintenue tant la lutte contre la corruption, contre la confusion des intérêts privés et de l'intérêt général est, selon nous, toujours d'actualité.
Nous sommes, bien entendu, soucieux des problèmes particuliers qui peuvent apparaître ici et là. Toutefois, comme le débat l'a montré, ces problèmes sont extrêmement limités et peuvent être résolus dans le cadre de la législation actuelle.
Ces quelques cas ne justifieraient donc pas, à notre sens, une remise en cause nouvelle du principe d'interdiction de l'ingérence, et ce d'autant plus que la location, objet de la présente proposition de loi, revêt un caractère de longue durée pouvant créer, durant de nombreuses années, une confusion entre l'intérêt de l'élu et celui de la commune, alors que l'acquisition autorisée par l'article 432-12 du nouveau code pénal revêt, elle, un caractère ponctuel. Comme certains l'ont souligné, la location donnera lieu à une multiplication des situations d'ingérence car il s'agit d'une procédure moins lourde que celle de l'acquisition.
Nous ne voterons donc pas cette proposition de loi, car nous n'estimons pas acceptable, sur le plan des principes démocratiques, à une époque où la politique est parfois vivement critiquée, qu'un élu puisse être soupçonné de tirer un profit personnel de sa position élective.
Notre vote a pour objectif de préserver l'élu ainsi que son indépendance et d'éviter, au nom de la résolution de quelques cas, je le répète, rares, de jeter une nouvelle fois le soupçon sur ces hommes et sur ces femmes qui, dans leur immense majorité, sont dévoués à leurs administrés, à leur ville, à leur village. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Bergé-Lavigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. J'ai déclaré, voilà quelques instants, que nous ne pouvions pas adopter cette proposition de loi, mais je profite de cette explication de vote pour tenter de répondre en partie aux propos tenus par M. le rapporteur.
Monsieur le rapporteur, je ne soupçonne personne ; ce n'est pas dans mes habitudes. Nous débattons d'un sujet sensible, dans une période sensible, et je n'ai porté d'accusation à l'encontre de personne. Au contraire, je me suis efforcé de mettre en garde contre des tentations ou des tentatives de prise illégale d'intérêts. Je n'accepte donc pas les accusations que vous avez portées à mon encontre.
Vous parlez de mépris du Parlement. Mais si chaque fois que nous exprimons une divergence profonde lors d'un débat parlementaire nous méprisons le Parlement, alors, mes chers collègues, nous le faisons tous ! S'il est un lieu où, précisément, doivent s'exprimer nos convictions souvent divergentes, c'est bien le Parlement à moins, monsieur le rapporteur, que vous n'ayez une conception particulière de cette institution où se formulerait la pensée unique, l'idée unique. Je ne partage pas cette conception.
Nous vivons en démocratie, et le Parlement est justement, je le répète, le lieu privilégié de la confrontation d'idées. Permettez-moi, à mon tour, de vous dire que vos paroles ont sans doute dépassé votre pensée, puisque je vous sais profondément respectueux à la fois du Parlement et des idées des uns et des autres.
Il faut bien évidemment rendre hommage au travail des maires - nous le faisons tous régulièrement - mais prenons le cas des agriculteurs. Je m'interroge : est-on agriculteur avant d'être maire ou maire avant d'être agriculteur ? Si un agriculteur devient maire dans l'espoir de tirer profit d'une situation élective. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Cela me paraît dangereux. Pour ce qui me concerne, je ne peux pas concevoir les choses ainsi. Vous mettez le doigt dans un engrenage dont vous ne mesurez pas aujourd'hui les conséquences à terme.
Il est toujours question, dans ces cas-là, d'intention louable. Vous entendez aujourd'hui remédier à la situation actuelle, mais qu'en sera-t-il demain et après-demain ? Vous l'ignorez.
Monsieur le rapporteur, il est vrai que le monde rural souffre de certains problèmes. Vous les connaissez, tout comme nous, mais, au nom de la crise économique et des mesures qui doivent être prises, il ne faut pas tout mélanger.
Nous examinons un texte qui a trait à la moralisation de la vie publique. Il faut s'en tenir à la disposition qui a été prévue, lors du débat sur le code pénal, à propos de la prise illégale d'intérêts car elle préserve les élus. Le texte que vous soutenez met le doigt dans un engrenage qui peut être un jour fatal non seulement aux intéressés et aux maires concernés, mais également à l'ensemble de la démocratie.
M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, je ne peux pas rester silencieux après les propos qui viennent d'être tenus. Cette proposition de loi tend à répondre à une question qui se pose aujourd'hui concrètement dans de nombreuses communes de notre pays.
Je ne pensais franchement pas, en déposant ce texte, remettre en cause la démocratie ni mettre le doigt dans un engrenage qui aboutirait aux grandes affaires que nous connaissons.
J'ai voulu me placer au plan local. Je ne suis pas le seul dans cet hémicycle à connaître la situation dans nos départements ruraux. Il ne s'agit pas de grandes affaires ni de grandes exploitations. Dans les plus petites communes de France, la plupart des exploitants qui exploitent des terres communales se retrouvent normalement, légitimement au conseil municipal. Faut-il pour autant qu'ils cessent d'être exploitant agricole et d'exploiter des terres qui risquent alors de devenir des friches ou de ne plus être entretenues ?
Je comprends bien les grands principes qui ont été évoqués par mes collègues et auxquels je souscris. Mais n'exagérons pas.
J'ai cité un exemple qui peut apparaître, aux yeux de certains, caricatural. Dans une petite commune de vingt-six habitants, trois exploitants agricoles exploitent des terres appartenant à la commune. Ce ne sont ni des truands ni des tricheurs ; ils entretiennent le patrimoine de la commune, exercent une activité économique et veulent se dévouer à la cause commune. Il n'y a là rien de coupable.
Il est vrai qu'il faut mettre des garde-fous. Je tiens, à cet égard, à rendre hommage au travail accompli par la commission des lois, par la commission qui a été créée par l'AMF et par le groupe de travail, auquel j'ai d'ailleurs participé au début, qui a été constitué à la Chancellerie sur ce thème.
Il s'agit de répondre à un problème concret qui soulève des difficultés dans mon département comme dans d'autres. Des élus ont dû démissionner depuis 1995 ; d'autres sont aujourd'hui menacés d'être mis en examen. Il faut mettre un terme à cette situation inconfortable qui ne répond pas pleinement aux exigences de la démocratie locale, du devenir économique et du développement de nos plus petites communes.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai suivi le débat avec beaucoup d'intérêt comme je l'avais d'ailleurs fait en commission des lois voilà quelque temps. Un argument sur lequel a insisté M. le rapporteur retient l'attention : il s'agit du renouvellement du bail. Sur ce point, peut être pourrions-nous le suivre. Il n'est pas normal, en effet, qu'un exploitant, au motif qu'il devient maire, ne puisse plus continuer de louer les terres qu'il exploitait.
A entendre votre dernière intervention, monsieur le rapporteur, chacun pourrait croire que tel est l'objet de la proposition de loi que nous examinons. Mais ce n'est pas cela du tout ! Elle va beaucoup plus loin. Vous proposez qu'une personne qui est maire puisse se voir consentir des avantages dont il sera toujours à craindre qu'elle ne les doive à sa qualité de maire. Or aucun élu ne doit pouvoir être soupçonné. C'est la raison pour laquelle, comme l'a parfaitement dit Guy Allouche, nous ne pouvons pas vous suivre et nous voterons contre ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 74:

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 218
Contre 97

Le Sénat a adopté.

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