ENTRÉE ET SÉJOUR DES ÉTRANGERS
EN FRANCE ET DROIT D'ASILE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 188, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à
l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile. [Rapport n°
224 (1997-1998) et avis n° 221 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le projet de loi RESEDA, relatif à l'entrée et au séjour des
étrangers en France et au droit d'asile, adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale, est aujourd'hui soumis à votre examen.
Il nous permettra d'approfondir le dialogue sur l'idée que nous nous faisons,
les uns et les autres, de la France tant il est vrai que, si l'immigration est
souvent la source d'un débat passionné, c'est probablement parce qu'elle touche
à l'idée que chacun de nous se fait de notre identité nationale.
Je souhaite pourtant que ce soit l'occasion, un instant de raison, de
réfléchir sereinement à ce qui pourrait fonder durablement la politique de
notre pays en cette matière.
Tel est le souhait du Gouvernement, qui est d'ailleurs renforcé dans sa
conviction par l'avis émis par le Haut Conseil à l'intégration, présidé par Mme
Simone Veil, qui, dès le 3 octobre dernier, s'était « félicité de l'approche
équilibrée et concrète adoptée par le projet de loi qui place le respect de
l'individu et de sa famille au centre de ses préoccupations et cherche à lutter
contre les procédures administratives inutiles ou excessivement rigides,
notamment en matière de regroupement familial, et cela sans perdre de vue la
nécessité de lutter contre l'immigration irrégulière. »
Je l'ai souligné à plusieurs reprises, il s'agit de sortir l'immigration du
débat piégé qui fait rage depuis une quinzaine d'années, depuis qu'une extrême
droite ressurgie de l'abîme occupe de nouveau une certaine place sur
l'échiquier politique.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très Bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Il est urgent d'en finir avec les amalgames et
les surenchères, qui d'ailleurs dissimulent souvent, je le crois, un consensus
implicite entre la droite et la gauche républicaines sur un certain nombre de
principes. Je ne veux pas dire qu'il n'y ait pas place pour un débat légitime,
mais enfin aucun groupe politique, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, ne
s'oppose à la maîtrise des flux migratoires !
Qui ne souhaite le rayonnement international de la France et ne reconnaît la
nécessité de son ouverture au monde ?
Qui refuse que les étrangers durablement établis sur notre sol voient leur
situation stabilisée ?
Quelqu'un, enfin, préconise-t-il de priver les étrangers des garanties de
l'Etat de droit, qui s'appuient sur notre conception commune de la République
?
Le Gouvernement a donc voulu définir une politique généreuse mais ferme dans
le domaine de l'immigration.
Ce faisant, il a pris le risque de mécontenter aussi bien les tenants d'une
conception ethnique de la nation que les partisans, calculateurs ou naïfs, de
l'ouverture des frontières.
Ai-je besoin de rappeler que cette législation nouvelle sur l'immigration, qui
est en fait une reprise de l'ordonnance de 1945 à partir d'un certain nombre
d'idées clairement énoncées - le rappel au droit du sol bien entendu, mais
aussi le droit de vivre en famille, le droit d'asile pleinement reconnu -,
ai-je besoin de rappeler, dis-je, que cette législation s'articule en réalité
dans un contexte plus vaste, puisque nous entendons à la fois prendre des
mesures réglementaires et inscrire notre projet dans une vision d'ensemble,
celle du codéveloppement entre la France et un certain nombre de pays du sud,
en particulier ceux de l'espace francophone ?
Il est utile d'avoir en tête quelques chiffres importants.
Vous savez que, chaque année, 85 millions d'étrangers viennent en France.
A ce propos, il faut distinguer le droit d'entrée, conféré par les visas, qui
peuvent aller jusqu'à trois mois, et le droit de séjour. En 1996, 78 000 titres
de séjour supplémentaires ont été attribués. L'acquisition de la nationalité,
c'est autre chose encore.
Il n'est pas mauvais de rappeler non plus que, bon an mal an, un peu moins de
100 000 étrangers s'installent sur notre sol, tandis qu'un nombre à peu près
équivalent d'étrangers présents légalement en France, souvent depuis longtemps,
accèdent à la nationalité française, de sorte que le nombre d'étrangers vivant
légalement en France est pour ainsi dire stable depuis les années trente.
Parce que la France est un pays ouvert sur le monde, on doit prendre garde à
l'image que renvoie vers l'extérieur la politique que nous menons.
Il ne fait guère de doute que cette image a été gravement atteinte entre 1996
et 1997. La politique gesticulatoire qui a caractérisé cette période a porté
atteinte à cette image.
Dois-je rappeler l'évacuation, fortement médiatisée, de l'église
Saint-Bernard, après une trop longue période de pourrissement ? Dois-je évoquer
le projet de loi, présenté par mon prédécesseur, qui visait à faire déclarer le
départ des hébergés par les hébergeants ?
M. Michel Caldaguès.
Ça commence bien pour ce qui est de la sérénité du débat !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je rappelle ces faits, car on aurait pu en faire
l'économie, monsieur le sénateur.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Laissez parler le ministre !
M. Raymond Courrière.
Il n'y a que la vérité qui blesse !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Ce rappel des faits est nécessaire, pour montrer
que j'ai trouvé à mon arrivée au ministère de l'intérieur un passif qu'il
s'agit de solder.
(Protestations sur les mêmes travées.)
M. Michel Caldaguès.
Que sera-ce après votre départ ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Il est clair que cette politique a eu un certain
nombre de résultats, je ne le nie pas, par exemple d'aboutir à ce que le nombre
d'Africains poursuivant des études dans les universités françaises a diminué de
20 000 depuis quelques années. Mais était-ce là l'objectif souhaité ?
Chacun comprend que ces problèmes sont complexes ; il faut les traiter avec
doigté.
De plus, la gestion maîtrisée des flux migratoires n'a de sens que si nous
l'inscrivons dans la perspective du codéveloppement.
Dans le rapport d'étape sur les migrations et le codéveloppement qu'il a remis
au Premier ministre, le professeur Sami Naïr propose d'aborder cette question
en associant les principaux acteurs concernés : les Etats - surtout ceux du
Maghreb et de l'Afrique francophone - pour la gestion commune des flux, bien
nécessaire, les entreprises privées pour la formation de cadres et de
travailleurs qualifiés, les universités, le mouvement associatif et, enfin, les
collectivités territoriales dans le cadre de la coopération décentralisée. Des
propositions concrètes ont été faites, sur lesquelles il reste au Gouvernement
à trancher pour poser les jalons d'une grande politique de codéveloppement.
Nous ne devons jamais perdre de vue que le but de notre politique est
l'intégration. J'ai évoqué la stabilisation des étrangers vivant en situation
régulière, mais il s'agit aussi de leur intégration, s'ils la souhaitent, à la
République.
Or, que ce soit en matière d'emploi, de logement ou, comme le soulignait le
Président de la République lui-même, d'accès aux lieux de loisirs, des
pratiques discriminatoires se développent. Il nous faut les combattre
énergiquement.
L'intégration exige, vis-à-vis de la société tout entière, l'égalité des
droits et des devoirs. Elle exige aussi la fierté de l'appartenance nationale.
Si l'on perd le sens de la nation, on perd en même temps toute capacité
d'intégration.
Certes, le chômage de masse, avec son cortège de difficultés à vivre et les
déséquilibres sociaux qu'il engendre, met à mal cette capacité d'intégration.
C'est pour cette raison que le Gouvernement entend définir les termes d'une
politique d'immigration équilibrée, permettant à la « machine à intégrer » de
fonctionner.
Pour résumer simplement ce qui fait l'essence de notre politique en la
matière, je dirai qu'il s'agit de proportionner l'admission au séjour aux
besoins de la France et à sa capacité à intégrer.
Bien sûr, il convient de replacer cette politique dans un cadre international.
Je passerai très rapidement sur les accords particuliers qui nous lient à
l'Algérie et à la Tunisie. Nous assistons d'ailleurs à un mouvement général
d'harmonisation vers le régime de droit commun.
Cependant, c'est surtout dans un cadre européen que le présent projet
s'inscrit.
Sur le plan opérationnel, il trouve place, d'abord, dans l'application de la
convention de Schengen. Ainsi que j'aurai l'occasion de vous le préciser lors
de l'examen des articles, ses dispositions sont en tous points compatibles avec
les engagements que nous avons souscrits avec nos partenaires européens.
Les éléments les plus importants concernent : premièrement, le contrôle aux
frontières extérieures ; deuxièmement, la levée progressive des contrôles aux
frontières intérieures, qui nécessite une coopération policière et judicaire
efficace, les Etats conservant la possibilité de faire jouer la clause de
sauvegarde ; troisièmement, la détermination de l'Etat compétent pour l'examen
des demandes d'asile, domaine régi par la convention de Dublin, entrée en
vigueur le 1er septembre 1997 ; quatrièmement, le « système d'information
Schengen », composé d'un système central et de systèmes nationaux, encadrés
quant aux informations à recueillir et aux conditions de signalement ;
cinquièmement, la délivrance de visas Schengen communs de court séjour ; enfin,
sixièmement, les dispositifs de coopération policière destinés à lutter contre
la délinquance transfrontalière.
Par ailleurs, il est faux de prétendre que le projet de loi reseda
s'écarterait sensiblement des dispositions en vigueur chez nos principaux
partenaires. J'aurai certainement l'occasion d'y revenir et de vous montrer que
nous allons, au contraire, tout à fait dans le sens des dispositions qui
existent déjà, notamment en matière d'asile, dans les pays voisins.
Il en va de même pour les dispositions concernant la vie privée et familiale,
qui ne font que reprendre l'article 3 et surtout l'article 8 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
conclue dans le cadre du Conseil de l'Europe.
Mais je voudrais aussi vous faire part d'une importante préoccupation qui
résulte de développements européens récents. En effet, le passage prévu par le
traité d'Amsterdam des questions de l'asile et de l'immigration du troisième au
premier pilier et la perspective du passage, dans cinq ans, au vote à la
majorité qualifiée et à la codécision, avec le Parlement européen, posent, à
mes yeux, un problème grave, souligné par la décision du Conseil
constitutionnel du 31 décembre 1997. Il s'agit là d'un transfert de
souveraineté d'une importance considérable, comme l'a souligné le Conseil
constitutionnel, si l'on est attentif aux différences importances qui existent
entre les traditions nationales à l'intérieur de l'Union européenne et surtout
à la cartographie de l'immigration : en Allemagne, il y a surtout des Turcs et
des Kurdes, en France, surtout des Maghrébins et, en Grande-Bretagne, surtout
des ressortissants des pays du sous-continent indien.
Je suis surpris qu'une décision aussi lourde de conséquences ait été prise
sans véritable débat, le 5 février 1996, dans le secret d'un comité
interministériel tenu à Matignon et dans l'espoir de contreparties qui n'ont
pas été obtenues : à la fois un droit d'initiative partagé entre la Commission
et les Etats et un rôle accru des Parlements nationaux.
Quand on adopte une vue d'ensemble de la négociation du traité d'Amsterdam, on
doit bien constater que, sur aucun point, la diplomatie française n'a atteint
les objectifs qu'elle s'était fixés, que ce soit en matière de repondération
des voix au Conseil, en matière de réduction du nombre des commissaires, afin
de rendre l'élargissement compatible avec un fonctionnement plus efficace des
institutions européennes, en matière de politique étrangère et de sécurité
commune - je crois que « Monsieur PESC » n'existera jamais - ou dans le domaine
de l'Union de l'Europe occidentale, qu'il s'agissait de « camper » face à
l'OTAN.
Ce débat est aussi l'occasion de replacer cette question de la
communautarisation de l'asile et de l'immigration, principal résultat de cette
négociation, dans le cadre d'ensemble de la politique menée naguère, en tout
cas dans le cadre des objectifs que s'était fixé le gouvernement de M.
Juppé.
Je suis assez étonné que l'opposition d'aujourd'hui, majorité au Sénat, si
attentive à la maîtrise des flux migratoires - que n'ai-je entendu à
l'Assemblée nationale ! -, soit restée muette sur ce sujet, comme si la
communautarisation allait résoudre un certain nombre de problèmes plus
efficacement qu'une législation nationale, à propos de laquelle on peut
évidemment discuter.
Dans ce contexte, le Gouvernement a entendu agir vite pour solder le passif de
la politique antérieure et poser les bases d'une législation équilibrée et
juste, afin de sortir la question de l'immigration d'un débat piégé.
Par circulaire en date du 24 juin 1997, j'ai invité les préfets à réexaminer
la situation de certaines catégories d'immigrés en situation irrégulière. Il
s'agit non pas d'une opération de régularisation générale, mais d'un réexamen
de situations sur critères, visant à régler les problèmes issus des
incohérences de la législation actuelle et à mettre fin à la situation
intolérable ou inextricable dans laquelle se trouvaient certains étrangers
présents sur notre territoire. Le processus est en cours et j'ai toutes les
raisons de penser qu'il s'achèvera à la fin du mois d'avril 1998.
Dans le même temps, M. le Premier ministre a demandé à M. Patrick Weil,
directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Institut d'études politiques
de Paris « d'analyser la situation présente et de proposer des règles simples,
réalistes et humaines pour l'entrée et le séjour des étrangers, propres à
garantir une intégration réussie dans la République à ceux qui le souhaitent et
en remplissent les conditions, et de nature à faire obstacle aux flux
d'immigration illégale et aux filières de travail clandestin ».
Je l'ai dit tout à l'heure, la mise en oeuvre des recommandations du rapport
avance à un bon rythme.
Pour redonner son statut d'exception au droit d'asile, il était nécessaire
d'améliorer les procédures. En dehors des modifications proposées dans le
projet de loi qui vous est soumis, plusieurs mesures sont déjà décidées et
mises en application.
L'objectif d'un entretien individualisé à l'OFPRA, l'Office français de
protection des réfugiés et apatrides, pour chaque demandeur sera atteint dans
le courant de cette année, dès la mise en oeuvre de la clause de cessation,
dont nous allons débattre à l'acticle 30.
La commission des recours va voir son fonctionnement amélioré sous l'autorité
d'un nouveau président.
La politique d'accueil des demandeurs d'asile fait l'objet d'un examen
minutieux par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, avec laquelle je
me suis entretenu ce matin même.
Pour mieux garantir la liberté de circulation, il fallait revoir aussi la
politique des visas ; je rappelle que 1 700 000 visas sont délivrés chaque
année.
M. le Président de la République lui-même, dans les voeux qu'il a prononcés
voilà quelques jours devant le corps diplomatique a fait sienne cette
orientation : « Nous avons conscience de la densité des relations humaines qui
rendent si féconds et si attachants nos rapports avec nos partenaires du
continent africain et de l'Océan indien (...) A ma demande, des instructions
ont été diffusées pour rendre plus souple la délivrance des visas aux étudiants
et aux chercheurs, qui sont le ferment d'un enrichissement mutuel de nos
cultures, mais aussi à tous les milieux professionnels qui souhaitent
travailler avec la France. »
Comment ne pas se réjouir d'un tel concours ?
M. Désiré Debavelaere.
Qu'ils repartent chez eux quand ils ont fini !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Un travail en commun a, par ailleurs, été
entrepris par les services concernés du ministère des affaires étrangères et de
mon ministère pour améliorer la coordination des actions de contrôle de la
circulation transfrontalière.
Pour mieux respecter la vie familiale, les propositions du rapport Weil ont
également fait l'objet de décisions.
La simplification tendant à confier à l'Office des migrations internationales
le dépôt direct des demandes de regroupement familial est en cours d'extension
à de nouveaux départements. La politique d'accueil des familles rejoignantes
fait l'objet d'un réexamen d'ensemble par Mme la ministre de l'emploi et de la
solidarité.
La simplification du travail des administrations, pour mieux accueillir les
usagers, est aussi à l'ordre du jour. Par exemple, la réalisation d'un document
recensant l'ensemble des titres existants est décidée.
Il convient aussi d'améliorer les dispositifs d'éloignement des étrangers en
situation irrégulière. Pour cela, les centres de rétention seront dotés d'un
statut réglementaire.
Les propositions du rapport qui visent à prévenir le travail irrégulier font
l'objet d'un examen qui ne se limite pas à la politique de l'immigration. C'est
donc dans l'ensemble de la politique de l'emploi et dans le système
d'indemnisation du chômage que des mesures doivent être prises.
Néanmoins, le démantèlement des filières de l'emploi clandestin sera l'une des
priorités de la future « police aux frontières », l'actuelle direction centrale
du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins, la
DICCILEC, au travail de laquelle je veux rendre hommage.
Pour développer les échanges intellectuels, plusieurs mesures sont déjà prises
par M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie. Une mission doit remettre ses conclusions à la fin de ce mois sur
les moyens de promouvoir l'offre française de formation à l'étranger. Les
élèves des lycées français à l'étranger pourront, l'année du baccalauréat,
procéder à leur préinscription à l'université française dans les mêmes
conditions que les bacheliers français.
M. André Maman.
Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Ce sont de petites mesures, simples et
pratiques. Il faut savoir les prendre !
La politique des bourses aux étudiants étrangers sera revue. Les étudiants
étrangers pourront travailler à mi-temps dès la première année d'études. Pour
faciliter l'emploi de certains étrangers hautement qualifiés, l'ajout d'un
critère d'intérêt technologique et commercial de l'entreprise au critère
traditionnel de la situation de l'emploi est étudié.
De telles mesures peuvent, certes, paraître modestes, mais elles dessinent
bien le cadre dans lequel nous entendons agir.
Je ne reviens que très brièvement sur la politique de codéveloppement. Il y a
beaucoup à faire pour permettre, par exemple, à une grande chaîne hôtelière qui
projette de construire un hôtel dans un pays d'Afrique de former en France son
personnel pendant le temps qu'il faudra - six, douze ou dix-huit mois -, avant
de le mettre au travail dans des conditions qui seront...
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Philippe François.
C'est la porte ouverte aux clandestins !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Mais, justement, c'est cela le codéveloppement !
Il s'agit précisément d'organiser des flux en relation avec des investissements
français qui se réalisent dans un certain nombre de pays. Il s'agit d'envisager
les choses sous un angle positif.
M. Philippe François.
Je rêve !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je pourrais évoquer les projets de coopération
décentralisée des collectivités territoriales que nous entendons soutenir,
...
M. Charles Pasqua.
Bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
... de même que les incitations que nous
souhaitons apporter à l'investissement productif de l'épargne des migrants.
Tout cela doit nous permettre de mieux définir notre politique de coopération,
de la réorienter, de peser aussi sur les axes de la politique européenne
définis dans le cadre de la convention de Lomé.
J'en arrive, mesdames, messieurs les sénateurs, au projet de loi lui-même et
aux objectifs qu'il doit permettre d'atteindre.
Quels sont ses grands objectifs ?
Il s'agit, tout d'abord, de stabiliser les immigrés en situation régulière et
les intégrer, s'ils le veulent, à la République.
M. Dominique Braye.
Et s'ils ne le veulent pas, qu'est-ce qu'on fait ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Il s'agit, ensuite, d'affirmer l'ouverture de la
France au monde, dans le souci même de l'intérêt national.
Enfin, il s'agit de maîtriser les flux migratoires, dans le respect des droits
des étrangers.
Pour ce qui est du premier objectif, je rappellerai d'abord que la carte de
résident de dix ans avait été approuvée à l'unanimité de l'Assemblée nationale
en mai 1984. Le Gouvernement ne l'a pas modifiée sensiblement.
Un amendement voté par l'Assemblée nationale a cependant consacré cet objectif
en prévoyant qu'elle serait attribuée de plein droit, en plus des cas énoncés à
l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, aux étrangers bénéficiaires
d'une carte de séjour temporaire de plein droit lorsqu'ils justifient de cinq
années de résidence régulière ininterrompue en France.
La création d'un titre spécifique « retraité » a pour objet de répondre au
souhait de nombreux travailleurs âgés de toucher leur retraite dans leur pays
d'origine, en conservant les avantages sociaux qu'ils ont acquis par une vie de
travail. Qui donc y verra un inconvénient ?
M. Dominique Braye.
Personne !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
La carte de séjour temporaire portant la mention
« vie privée et familiale » s'inscrit dans la reconnaissance pleine et entière
du droit de vivre en famille.
Elle vise aussi à mettre un terme à cette situation d'étrangers ni expulsables
ni régularisables qui est particulièrement ubuesque.
Elle procède d'une convention que nous avons signée, permettez-moi de vous le
rappeler, le 4 novembre 1950 : la convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales.
J'ajoute que le projet de loi prévoit de reconnaître à ces « ni expulsables ni
régularisables », dans les mêmes conditions, le droit au séjour par
l'attribution d'une carte de séjour temporaire. Il ne s'agit donc pas d'une
ouverture à je ne sais quels débordements. Il s'agit tout simplement
d'attribuer un titre de séjour aux personnes qu'il ne nous est pas possible, de
par nos engagements internationaux, de reconduire à la frontière.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement est donc un projet de loi de
clarification.
Dans le même esprit, l'Assemblée nationale a, par voie d'amendement, réduit la
durée de séjour ouvrant droit à une carte de séjour temporaire. L'articulation
de cette disposition avec l'ensemble de l'ordonnance demande sans doute à être
approfondie.
La carte de séjour temporaire sera attribuée aux conjoints de Français dès le
mariage, sans que la condition d'entrée régulière puisse leur être opposée. La
suspicion du mariage blanc ne doit pas tourner à l'obsession !
M. Dominique Braye.
Ah, les mariages blancs !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je vous signale qu'à peine quelques dizaines de
cas par an font l'objet de procédures : soixante-sept si je me souviens bien
!
M. Robert Pagès.
C'est marginal !
M. Jean Chérioux.
Soixante-sept cas relevés !
M. Dominique Braye.
Ce sont les cas reconnus ! Et les autres ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
En évoquant ces problèmes, je réveille je ne
sais quels vieux démons, peut-être le démon de midi...
(Sourires.)
Quoi qu'il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, à peine quelques
dizaines de cas par an font l'objet de procédures. Il faut donc conserver à ce
problème l'échelle qui est la sienne, l'échelle microscopique !
En tout état de cause, l'Assemblée nationale a tenu à ce que le procureur
conserve jusqu'au jour du mariage la possibilité de s'opposer à celui-ci.
MM. Dominique Braye et Michel Caldaguès.
Il ne le fait jamais !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Quant à l'assouplissement des conditions du
regroupement familial, il répond à un souci de simple humanité difficile à
contester.
Le deuxième objectif est d'affirmer l'ouverture de la France au monde dans le
respect de ses intérêts.
La motivation du refus deviendra obligatoire pour un petit nombre de
catégories, celles qui auraient droit au séjour, ou bien pour certaines
catégories d'étudiants,...
M. Dominique Braye.
Et les faux étudiants ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
... ou bien pour les anciens combattants, ou
encore pour les anciens de la légion étrangère titulaires du certificat de
bonne conduite.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
La suppression du certificat d'hébergement et
son remplacement par une simple attestation d'accueil m'a semblé une mesure de
sagesse. J'ai en effet interrogé les services du ministère de l'intérieur et
tous m'ont affirmé que ce certificat n'avait aucune utilité en matière de
contrôle : avec 160 000 certificats d'hébergement, 1 800 000 visas, contre 85
millions d'entrées, ce document était tout à fait inutile.
Une attestation d'accueil permettra d'atteindre l'objectif initialement
recherché, à savoir la diminution du niveau de ressources exigé des demandeurs
de visa ayant une famille disposée à les accueillir en France.
La création d'une carte de séjour temporaire mention « scientifique » répond à
l'objectif que rappelait M. le Président de la République dans ses voeux de
nouvel an aux membres du corps diplomatique.
S'y ajoute une carte de séjour temporaire introduite par amendement à
l'Assemblée nationale destinée aux artistes professionnels étrangers titulaires
d'un contrat de plus de trois mois avec un professionnel du spectacle, une
entreprise ou un établissement culturel.
Avec le présent projet de loi, c'est aussi le droit d'asile que nous entendons
consacrer.
C'est dans le cadre d'une grande loi sur l'asile que prendra place l'asile
constitutionnel, qui s'étendra aux victimes de persécutions infligées par des
autorités non étatiques. Je précise que nous ne faisons là qu'aller à la
rencontre de la plupart des pays européens, dont c'est déjà la
jurisprudence.
S'ajoutera à ce droit le droit d'asile territorial, déjà reconnu par certains
de mes prédécesseurs, notamment à des réfugiés algériens, droit qui devra,
naturellement - mais les termes d'un amendement voté à l'Assemblée nationale le
précise - s'exercer « dans des conditions compatibles avec les intérêts du pays
».
Le troisième objectif consiste à maîtriser les flux migratoires dans le
respect des droits des étrangers.
La maîtrise des flux migratoires est une nécessité reconnue par tous. Mais,
lorsqu'on passe aux travaux pratiques, les opinions divergent !
La mesure la plus importante en la matière est l'aggravation des sanctions à
l'encontre des filières organisées : les peines de prison passeront de cinq à
dix ans et les peines d'amende de 250 000 francs à 5 millions de francs.
Par ailleurs, la durée de la rétention administrative est allongée de deux
jours, mesure qui était nécessaire car, vous le savez, la loi ne s'applique pas
convenablement dans ce domaine.
L'étranger en situation irrégulière pourra donc voir sa rétention prolongée
une deuxième fois dès lors qu'il fera obstruction à son identification, par
exemple lorsqu'il aura détruit ses documents de voyage.
Cela nous permettra, me semble-t-il, d'être plus efficaces. En effet, si nous
sommes plus libéraux du point de vue de l'entrée des étrangers en France, nous
entendons, dans le même temps, faire en sorte que la loi de la République
s'applique.
La reconduite des étrangers condamnés à une peine complémentaire
d'interdiction du territoire français fait l'objet de dispositions destinées à
créer un système d'information entre l'administration pénitentiaire et les
services du ministère de l'intérieur.
On peut s'étonner au passage que près de la moitié des étrangers dans cette
situation aient été remis dans la nature, à l'air libre, sans que la police ait
été prévenue. Il n'en sera plus ainsi à l'avenir dès lors, bien entendu, que
les cas d'interdiction auront été clairement précisés.
Par ailleurs, tous ceux qui ont des attaches solides en France ne pourront
pas, dès lors, naturellement, qu'ils n'ont pas commis de crime ou de délit
gravissime, faire l'objet d'une interdiction du territoire français.
Je propose d'ailleurs d'harmoniser la protection contre l'expulsion et contre
l'interdiction du territoire français pour les catégories d'étrangers qui ont
des liens avec la France. Le juge prononçant une peine complémentaire à
l'encontre d'un étranger bénéficiaire de cette protection devra la justifier,
tant à l'égard de la gravité des faits qu'au regard de la situation personnelle
et familiale de l'étranger. Il s'agit donc bien, là aussi, de maîtriser les
flux migratoires dans le respect des droits des étrangers.
Je vais conclure, mesdames, messieurs les sénateurs.
La volonté du Gouvernement a sincèrement été, croyez-le, de calmer le jeu sur
cette question excessivement passionnée depuis une quinzaine d'années. Je ne
reviens pas sur les raisons de cette passion, mais je pense que la Haute
Assemblée est capable de prendre de la hauteur. Du moins, je veux
l'espérer...
M. Dominique Braye.
C'est ce que l'on fait !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Ce projet de loi est juste et équilibré. Il est
compris, je le crois, d'un grand nombre de nos concitoyens.
Il s'agit de donner à notre pays les moyens de maîtriser son avenir en
affirmant qu'à travers une France sûre d'elle-même nous sommes aussi
responsables vis-à-vis du monde.
Il nous revient de « penser mondial » et de combattre l'injustice à l'échelle
internationale. C'est un autre problème, car l'immigration n'est que la pointe
émergée d'un iceberg beaucoup plus vaste et qui touche aux relations
internationales et à l'inégalité des rapports Nord-Sud.
Nous avons le souci de préserver l'existence concrète de la France, de «
caréner » la République pour les années qui viennent.
Je suis sûr que le Sénat y sera sensible, et je ne doute pas que ses débats
contribueront à approfondir la compréhension que nos concitoyens ont de ce
sujet difficile. Il est temps de rompre avec une logique excessivement
gesticulatoire
(Exclamations sur les travées du RPR)
qui fait de l'immigration la source
de tous les maux ou, au contraire, de l'immigré, le substitut d'un prolétariat
rédempteur.
Les problèmes ne se posent pas en ces termes. Il faut définir des règles
justes et équilibrées. Mettons-nous d'accord sur ces règles et faisons-les,
ensuite, prévaloir.
M. Jean Chérioux.
Et appliquer !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
La France, puisque c'est d'elle qu'il s'agit,
doit se donner la politique généreuse mais ferme qui lui permettra non
seulement de rester une grande nation organisée dans un monde troublé et
traversé de graves déséquilibres démographiques, économiques et politiques,
mais aussi de faire vivre son modèle républicain, celui d'une nation fondée non
pas sur l'origine ethnique, mais sur la citoyenneté et la volonté d'un avenir
partagé.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Dominique Braye.
Venez dans les banlieues et vous verrez !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Louis Althapé.
Enfin du réalisme !
M. Paul Masson,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà moins d'un an,
j'avais l'honneur de présenter à notre assemblée la vingt-quatrième révision de
l'ordonnance de 1945.
Chacun se souvient ici de nos nombreuses heures de débats, en séance et en
commission, à la fois passionnés et minutieux.
Le Conseil constitutionnel retint la quasi-totalité d'un texte qui innovait
fortement en une matière éminemment délicate.
Avec cette loi du 24 avril 1997, nous avions la faiblesse de penser avoir
trouvé un passage étroit à travers les passions qui obscurcissent chez nous les
débats sur l'immigration.
Mes chers collègues, c'était une erreur. Nous nous trouvons aujourd'hui devant
un nouveau texte pour mettre une vingt-cinquième fois en chantier l'ordonnance
de 1945 !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il ne fallait pas dissoudre !
M. Dominique Braye.
Monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Certes, des élections eurent lieu, qui mirent en place une
nouvelle majorité et un nouveau gouvernement.
Faut-il pour autant considérer, monsieur le ministre, que cette initiative
gouvernementale engagée dans la précipitation dès le lendemain même de la
passation des pouvoirs...
M. Marcel Charmant.
Cela fait tout de même neuf mois !
M. Paul Masson,
rapporteur.
... correspond bien à ce qu'attendait la majorité de ceux
qui, par leur vote, voulaient alors exprimer leur volonté de changement ?
La plus urgente des décisions attendues était-elle d'engager immédiatement
cette vingt-cinquième réforme ?
Permettez-moi d'en douter.
On aurait pu imaginer qu'une réflexion de fond - et semble-t-il, monsieur le
ministre, vous la souhaitez - puisse être engagée sur la politique de
l'immigration afin de se donner un peu de temps et de recul.
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre n'évoquait-il
pas une législation « rendue complexe, parfois incohérente et surtout
incompréhensible par trop de modifications successives ». Je dois dire que, à
cet égard, la logique du Premier ministre est imparable !
(Rires sur les travées du RPR.)
Aujourd'hui, vous allez rendre la législation un peu plus opaque, un peu
plus complexe, avec une vingt-cinquième modification. Vous-même, monsieur le
ministre, n'avez-vous pas évoqué la mise en chantier, immédiate, disiez-vous,
d'une réflexion d'ensemble sur les problèmes de l'immigration en vue de la
refonte de la législation ?
Réflexion d'ensemble, refonte... voilà deux expressions qui pouvaient faire
illusion. Mais celle-ci ne dura pas ! En effet, pour des raisons qui nous
paraissent relever plus de l'opportunité que du fond, vous avez été chargé de
bâtir un texte sans la moindre concertation préalable, au prix d'une
dialectique qui devait vous permettre de dégager le Premier ministre des
promesses non tenues, sans effrayer pour autant une opinion publique
particulièrement rétive sur un tel sujet.
Une mission d'étude a été confiée à M. Patrick Weil. Celui-ci a déposé, dès le
31 juillet, les conclusions de son rapport : il s'agit de partir de la loi
telle qu'elle est, et de dire les résultats tels qu'ils sont. Il n'est plus
question d'abrogation, pas plus qu'il n'est question de refonte !
Grâce à une fausse symétrie, que l'on retrouve d'ailleurs dans tout le texte,
vous vous efforcez de démontrer que le Gouvernement engage une nouvelle
politique fondée sur l'équilibre « entre la fermeté et la dignité », comme
l'écrit le rapporteur de l'Assemblée nationale.
Pour les besoins de la cause, le vieux texte de l'ordonnance de 1945 est
réhabilité.
Grâce, monsieur le ministre, à votre plume républicaine - mais vous ne pouvez
avoir qu'une plume républicaine
(Sourires.)
- l'exposé des motifs du projet de loi rappelle opportunément
que ce texte est marqué de l'esprit du Conseil national de la Résistance et
qu'il est soutenu par une inspiration progressiste fondamentale. Cela, nous,
nous le savons depuis longtemps !
M. Paul Loridant.
Oh, monsieur le rapporteur !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Ces fausses fenêtres ne firent pas longtemps illusion dans
vos rangs.
M. Marcel Charmant.
Quel « métaphoriste » !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Par exemple, le groupe d'information et de soutien des
travailleurs immigrés, que vous connaissez, monsieur le ministre, a pu écrire
dans son rapport de novembre 1997 que « la démarche gouvernementale s'apparente
à un rideau du fumée ».
Pour des raisons symétriques, la majorité sénatoriale partage ce sentiment,
car, derrière quelques mesures qui tendent à renforcer le dispositif actuel -
nous y reviendrons - vous proposez un ensemble de dispositions qui faciliteront
en fait l'immigration irrégulière et multiplieront les facteurs de fraudes.
Ajoutons que l'examen du présent projet de loi va se conclure à quelques
semaines de l'ouverture d'une nouvelle campagne électorale. Fallait-il nourrir
d'une passion nouvelle un débat empoisonné ?
Est-ce rendre service à la cause du consensus, qui vous est cependant si
chère, monsieur le ministre, que de persévérer une fois encore dans cette
guérilla sans fin, allumée en 1981, renforcée en 1982, ravivée en 1988, et qui,
depuis, épuise l'immense réserve de bons sens et de patience d'un peuple las de
ses épisodes stériles ?
Il paraît que le Gouvernement a demandé l'urgence pour éviter le télescopage
avec les élections prochaines. Avouez, monsieur le ministre, que c'est une
réussite.
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez fait ce qu'il fallait pour cela !
Mme Joëlle Dusseau.
Vous osez parler de télescopage ?
Mme Hélène Luc.
Vous ne manquez pas d'audace !
M. Raymond Courrière.
C'est le pompier pyromane !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Avec l'urgence, vous amputez le débat parlementaire, vous
radicalisez nos échanges. Il y a, monsieur le ministre, une incontestable,
fondamentale et troublante contradiction dans vos propos. Tenir un discours
élevé, comme celui que vous tenez, trouver des accents forts pour rappeler les
vertus de la nation, ses exigences, ses traditions de générosité et présenter à
l'appui de ce discours un texte entièrement d'opportunité, cela me paraît
difficilement conciliable.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Bravo !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Où est l'urgence, si ce n'est dans la nécessité de mieux
contrôler l'immigration irrégulière ?
Il faut bien le dire, vos appels à la construction d'un consensus républicain
auraient une autre force, votre souci d'élever le débat aurait une autre
allure, votre volonté d'engager une discussion loyale et mesurée aurait plus de
crédibilité, si l'urgence n'était pas au bout de ce texte.
Sans entrer dans l'analyse d'un débat technique, que nous aurons mardi
prochain, je voudrais relever les trois dangers que, selon moi, porte en lui un
tel projet de loi.
Premièrement, la plupart des dispositions du texte conduisent à un
affaiblissement marqué du dispositif en vigueur et à une régression sensible
des moyens de lutte contre l'immigration irrégulière. Un appel d'air en
résultera, dont l'ampleur est certaine. Et cet appel d'air, vous le provoquez
par un affichage volontaire ou involontaire, mais intempestif de certaines
mesures à forte connotation politique.
Deuxièmement, le projet de loi bouleverse fondamentalement la notion de droit
d'asile dans l'Union européenne.
Troisièmement, enfin, le projet de loi éloigne encore un peu plus le
dispositif législatif et réglementaire français des textes qui régissent cette
matière chez tous nos voisins européens.
Je reprends, sans trop insister, ces trois points.
S'agissant de l'affaiblissement très marqué du dispositif, je voudrais, sans
entrer dans le détail, simplement marquer ici les nouvelles brèches ouvertes
dans l'ordonnance de 1945.
En ce qui concerne les visas, acte de souveraineté par excellence, le nouveau
texte obligera les postes diplomatiques et consulaires à motiver certains
rejets, et ce contrairement aux traditions les plus établies de notre droit.
Les certificats d'hébergement, créés en 1982, seront supprimés.
De nouvelles catégories de cartes de séjour temporaires seront créées : une
catégorie « scientifique », une catégorie « vie privée et familiale » et une
catégorie « profession artistique et culturelle ».
Ces adjonctions contribueront, évidemment, à rendre un peu moins lisible
l'ordonnance de 1945 et un peu plus complexe le régime des titres de séjour.
L'article 4 du projet de loi aménage les cas de délivrance de plein droit de
la carte de séjour temporaire. Une nouvelle rubrique « vie privée et familiale
» est créée. On ouvre ainsi un nouveau cas d'attribution en faveur de
l'étranger qui n'entre dans aucune des catégories habituelles d'attribution de
la carte. L'appel d'air produit par un tel texte est facile à imaginer.
On affaiblit la répression de l'immigration clandestine en élargissant le
cercle des personnes protégées contre l'incrimination pour aide aux séjours
irréguliers. On complique les procédures concernant l'interdiction
administrative du territoire et l'assignation à résidence.
L'article 17 du projet de loi assouplit les conditions des regroupements
familiaux. Je citerai, entre autres mesures, la réduction de la durée du séjour
régulier exigée d'un étranger demandant à être rejoint par sa famille, la
souplesse introduite dans l'appréciation des ressources exigées, les conditions
de vérification de la nature du logement et les facilités accordées à un
étranger qui fait venir sa famille en dehors du regroupement familial.
Soulignons, enfin, monsieur le ministre, la mise à mal du malheureux article
35
bis
de l'ordonnance, relatif à la rétention administrative.
(M. Dreyfus-Schmidt sourit.)
On sait combien ce texte a fait couler d'encre et user de salive depuis
dix ans ! On connaît le parcours du combattant organisé en dix jours au profit
ou au détriment d'un étranger qui, la plupart du temps, ne maîtrise pas notre
langue ; c'est la logique française ! Et voilà que l'Assemblée nationale
complique encore un peu plus les procédures. On multipliera ainsi les risques
d'annulation pour vice de forme. Et cela n'est pas innocent, croyez-moi,
monsieur le ministre, lorsqu'on est un peu informé des conditions dans
lesquelles se déroulent certaines de ces audiences dites du 35
bis.
M. Dominique Braye.
Effectivement, ce n'est pas innocent !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Les dispositions des articles 35 et 36 du texte remettent en
cause les conditions d'attribution de certaines prestations sociales pour les
détenteurs de la carte « retraite » et la suppression de la condition de
nationalité pour le versement des prestations du Fonds national de solidarité
et l'allocation aux adultes handicapés. M. Vasselle, rapporteur pour avis de la
commission des affaires sociales, vous demandera les incidences financières de
ces mesures.
A l'évidence, et sans être exhaustif, je dirai que toutes ces dispositions
affaibliront le dispositif des lois de 1993 et de 1997. Vous l'avez dit,
monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale : « Eh bien oui ! il y aura un
peu plus d'étrangers en France. » Seront-ils clandestins ou non, monsieur le
ministre ?
M. Dominique Braye.
Clandestins pendant un petit moment !
M. Paul Masson,
rapporteur.
La dérive du droit d'asile fait l'objet du titre II de ce
projet de loi. Vous voulez élaborer une grande loi relative au droit d'asile.
Chacun veut faire sa grande loi. Vous aurez la vôtre !
Vous instaurez deux nouvelles formes d'asile : d'une part, l'asile
constitutionnel et, d'autre part, l'asile territorial.
Les autorités de la République ont, et depuis longtemps, le droit de donner
asile à tout étranger persécuté, notamment en raison de son action en faveur de
la liberté, mais pas uniquement pour ce motif. Jusqu'à présent, les décisions
prises autour de cette notion volontairement imprécise de « combattants de la
liberté » avaient été générées par des situations isolées, toujours
exceptionnelles et éminemment diverses. Cas par cas, sans être enfermés dans
une quelconque réglementation, les pouvoirs publics français aménagent des
situations délicates avec le minimum de réactions diplomatiques.
Dès lors pourquoi introduire dans la loi ce qui est déjà dans la Constitution
? Quelle portée pratique aura la simple reconnaissance législative d'un droit
constitutionnel ?
Ainsi, votre texte va faire coexister deux droits d'asile : le premier accordé
selon les critères de la convention de Genève et le second, l'asile dit
constitutionnel. Il est évident que le statut de réfugié accordé aux
combattants de la liberté ne sera pas nécessairement établi sur la base des
critères de la convention de Genève. Il ne l'a jamais été, et c'est tout ce qui
lui donne sa force et son originalité. Le statut délivré officiellement à ce
titre ne sera pas opposable aux autres Etats adhérant à cette convention. J'ai
reçu toutes les confirmations à cet égard. Voilà qui ne simplifiera pas les
choses !
Ce dispositif nouveau n'apporte, selon moi, aucune protection supplémentaire
au demandeur d'asile. Il complique singulièrement l'interprétation des textes,
ouvre de nouvelles procédures, allonge les délais, multiplie les moyens, en
permettant ainsi aux demandeurs abusifs - il y en aura, monsieur le ministre,
vous le savez, on ne fait pas d'angélisme - de se réfugier dans les plus
complexes des contentieux afin de s'installer durablement dans le pays, ce
qu'ils cherchent avant tout.
Mais il y a pire encore avec l'asile territorial. Dois-je rappeler qu'il est
pratiqué tous les jours, sous votre responsabilité ? Vous le savez très bien,
même mieux que personne.
L'asile territorial est aujourd'hui accordé sur la base d'une circulaire
volontairement non publiée, afin de conserver toute la souplesse et toute la
discrétion au système.
Tel qu'il est prévu dans les articles 26 et 31 du projet de loi, le dispositif
nouveau apparaît essentiellement comme un droit de recours pour les déboutés du
droit d'asile, sans aucune valeur ajoutée pour ceux qui en bénéficient déjà ou
qui espèrent en bénéficier.
Où est l'intérêt d'officialiser une pratique simple et bien établie, dont
bénéficient environ 300 personnes par an ?
Avec ce nouveau dispositif, les procédures auxquelles pourrait accéder un
demandeur d'asile, sincère ou non, seront multipliées. Rien n'empêchera le
débouté du statut de réfugié de tenter une nouvelle chance. Il bénéficiera
d'une autorisation provisoire de séjour pour couvrir la durée de cette nouvelle
période d'instruction. En cas de refus, il saisira le tribunal administratif,
peu préparé à ce genre de dossiers.
A l'évidence, la France deviendra l'instance d'appel offerte aux déboutés du
droit d'asile dans les autres pays européens. Par l'introduction dans le droit
interne français d'une nouvelle catégorie juridiquement définie d'« asile
territorial », vous incitez à la candidature tous les demandeurs d'asile
déboutés des quatorze autres pays de l'Union européenne, qui, en revendiquant
cette procédure, échapperont ainsi aux règles du traité de Dublin.
Tout cela pourquoi ? Par simple volonté de légiférer sur une procédure qui,
vous le savez bien, fonctionne aujourd'hui parfaitement entre votre ministère,
celui des affaires étrangères, l'OFPRA et la commission des recours. Pour un
effet d'annonce, dont les conséquences diplomatiques sont imprévisibles, et
cela aussi vous le savez.
Par l'introduction de ces deux notions d'asile, vous modifiez sensiblement la
notion de réfugié en brouillant les cartes, chez nous et chez nos
partenaires.
Mon troisième commentaire, monsieur le ministre, sera peut-être plus
surprenant encore. Il concerne la dimension européenne, qui est singulièrement
absente des réflexions gouvernementales sur l'immigration. Chacun s'accorde à
penser que la maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l'immigration
irrégulière s'inscrivent de plus en plus dans le cadre d'une coopération
européenne.
Un récent rapport de l'Institut national d'études démographiques rappelle que,
depuis 1989, le solde migratoire de l'Europe est devenu le facteur principal de
la croissance démographique des quinze pays de l'Union. Depuis dix ans, des
réflexions s'organisent entre les Etats et au sein de la Commission pour
analyser et contrôler ces flux migratoires.
Enfin, il y a le traité d'Amsterdam, auquel vous avez fait allusion. Selon ce
texte, dans cinq ans, la Commission de Bruxelles aura le monopole de
l'initiative pour la politique commune de l'asile, de l'immigration et de la
libre circulation des personnes.
La Cour de justice des Communautés, en application de l'article 173 du traité,
deviendra compétente pour juger des recours préjudiciels ou des procédures
d'interprétation engagées par les Etats membres ou par la Commission. Si nous
ratifions le traité, tout le droit que vous fabriquez en ce moment sera alors
sous l'emprise de la Cour de justice internationale. Y avez-vous pensé ?
Nous allons - quand ? comment ? - nous engager dans une procédure de révision
constitutionnelle pour savoir si nous acceptons que, par de nouvelles
délégations de souveraineté, notre politique d'immigration soit supervisée par
la Commission de Bruxelles. Nous allons donc avoir, dans quelques mois, et vous
le savez mieux que personne, monsieur le ministre, un sévère débat sur le
sujet.
Votre texte est cependant construit comme si tous ces débats passés, présents,
futurs n'existaient pas. Il semble que le Gouvernement ait paradoxalement
choisi la voie de la France seule, enfermée dans son superbe isolement. Il y
aurait urgence, paraît-il, à renforcer notre singularité au coeur d'un système
où nous multiplions la complexité, sans doute pour nous distinguer de nos
voisins. Vos juristes, monsieur le ministre, auraient en l'espèce gagné en
prudence s'ils s'étaient avisés de faire du droit comparé : on apprend aussi
parfois en regardant chez les voisins !
Il semble que le Gouvernement n'arrive pas à sortir d'une logique hexagonale
sur un problème de dimension européenne qui, n'en doutons pas, sera le problème
majeur des vingt prochaines années.
Accordons-nous à constater que certaines dispositions du projet de loi sont
valables et seront retenues par la commission des lois. Elles sont peu
nombreuses, mais intéressantes. Je citerai, sans être exhaustif, la
simplification du régime de séjour des ressortissants communautaires,
l'accroissement des sanctions de l'aide au séjour irrégulier lorsque cette aide
provient de bandes organisées et surtout l'article 19 du projet de loi, qui
prévoit d'allonger le délai total de la rétention administrative, en le portant
de dix à douze jours. J'irai même plus loin que vous à cet égard, monsieur le
ministre, et, cherchant à vous satisfaire, je proposerai au Sénat de porter à
quatorze et même à seize jours ce délai.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cette modération vous honore !
M. Paul Masson,
rapporteur.
En revanche, l'article 34 est totalement inutile, monsieur le
ministre. En effet, le dispositif proposé, qui vise à instituer un dossier
individuel d'identification des étrangers incarcérés, existe déjà. C'est un bon
exemple de cette technique des fausses fenêtres que le texte ouvre, en
trompe-l'oeil, pour renforcer ses effets de symétrie.
Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je me permets de faire
en introduction à ce débat.
Au moment de conclure, je voudrais une fois encore revenir sur ce qui nous
motive et nous rassemble pour affirmer notre opposition.
Nous savons très bien ce que le peuple français doit à toutes ses différences,
à toutes ses composantes, qu'elles soient du nord ou du sud de l'Europe,
qu'elles viennent des pays slaves, des pays du Maghreb ou des pays d'Amérique
du Sud.
Croiriez-vous un seul instant, monsieur le ministre, que les membres de cette
assemblée seraient insensibles au message universel que la France a toujours
transmis, au-delà de ses frontières ? Nos collègues représentant ici les
Français de l'étranger sont, me semble-t-il, parmi les mieux placés pour
définir le nouveau sens de notre histoire de France, celui du XXIe siècle.
J'ai eu personnellement l'immense chance de partager une petite part de
l'aventure africaine de la France. Je n'ai jamais considéré que le confinement
était la bonne expression d'un peuple qui a porté aux quatre coins du monde le
savoir et l'universalité d'un message que les peuples dominés ont longtemps
entendu. Le général de Gaulle n'a-t-il pas trouvé en Afrique les forces du
recours ?
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Comment oublier le message de Brazzaville ? Ce dernier
était-il de droite ou de gauche ? En vérité il était celui de la France
libérée.
Nous ne voulons pas que cette politique d'intégration réussie pendant tant
d'années soit aujourd'hui compromise. C'est pourquoi nous devons dénoncer les
effets d'annonce que votre texte provoque, effets appuyés par le voyage de
Bamako.
Vous estimez que « ce qui nous fait défaut, c'est la volonté d'intégrer de
nouvelles générations de parents étrangers ». Pourquoi, aujourd'hui, le peuple
se met-il à douter dans son fondamental bon sens, des vertus de l'intégration ?
Tout simplement parce que le peuple est persuadé que l'immigration n'est plus
maîtrisée et parce qu'il constate que le système s'emballe. En ce moment même,
en engageant ce débat, en le poursuivant à travers le tohu-bohu de nos
discordes, nous ajoutons à ce trouble des braves gens et nous affaiblissons
encore leur volonté d'intégration.
Bien que vous vous en défendiez, et pour des raisons de pure opportunité, le
Gouvernement a choisi la voie de l'affrontement. Je le regrette beaucoup. Notre
pays, dans toutes ses traditions, mérite mieux qu'un débat sans recul dans
lequel la manoeuvre politicienne prime singulièrement le problème de fond. Il
est infiniment triste, mes chers collègues, que le Gouvernement n'ait pas voulu
apprécier toutes les conséquences avant de lancer cette nouvelle loi, sans
concertation, comme s'il avait lancé une brassée de bois sec dans le brasier de
nos affrontements.
Voilà un an, la majorité sénatoriale a clairement pris position sur un texte
dont l'encre est à peine sèche, et dont tous les décrets d'application n'ont
pas été pris.
Il n'y a aucune raison pour que cette majorité se déjuge aujourd'hui. Nous
persévérerons dans notre conviction : il n'y aura plus d'intégration possible
si l'immigration clandestine continue à se développer en France.
Votre texte, monsieur le ministre, est, dans sa majeure partie, ou laxiste ou
inopportun. Il ne construit rien, il multiplie les procédures refuges
permettant aux clandestins d'attendre de nouvelles régularisations à venir,
celles qui résulteront de la circulaire qui succédera à celle du 24 juin
1997.
J'ai été mandaté par la commission des lois pour rejeter la plupart des
articles de ce texte. Dans le débat, je défendrai un à un une trentaine
d'amendements de suppression en m'efforçant de ne jamais céder à la polémique,
mais sans rien cacher, à aucun moment, des funestes conséquences de votre
texte, monsieur le ministre. Et je demanderai à notre majorité d'affirmer, sur
chacun des points exposés, des positions claires, cohérentes et déterminées.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Parlement se trouve
une nouvelle fois saisi d'un texte modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945
relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement revient pour une large part sur
les modifications introduites par la loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise
de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des
étrangers en France, complétée voilà peu, comme vient de la rappeler M. le
rapporteur, par la loi du 24 avril 1997, portant diverses dispositions
relatives à l'immigration.
La commission des affaires sociales avait souscrit aux objectifs poursuivis
par la loi du 24 août 1993 : réprimer l'immigration clandestine en France,
décourager l'arrivée de nouveaux flux d'immigrants, mais aussi éviter les
détournements de procédure, qui constituent des obstacles importants à la
maîtrise des flux migratoires.
La politique de lutte contre l'immigration clandestine a en effet aussi pour
objectif de permettre l'intégration des étrangers qui sont régulièrement
installés ou admis sur notre sol, insertion dont chacun connaît aujourd'hui les
difficultés. Or cette politique d'insertion des populations immigrés ne peut
réussir sans une réelle maîtrise des flux d'immigration sur notre
territoire.
La commission des affaires sociales a fait le choix d'examiner de manière
pragmatique et constructive les dispositions du projet de loi sur lesquelles
elle était amenée à émettre un avis.
Elle a considéré qu'il convenait en effet d'apporter des solutions aux
problèmes qui se posent effectivement et d'éviter parallèlement une
distribution trop généreuse des prestations sociales aux personnes de
nationalité étrangère, afin de ne pas entraîner un effet d'appel auprès des
candidats à l'immigration.
Nul ne peut ignorer, en effet, l'attrait que peut susciter dans de nombreux
pays notre système de sécurité sociale. Or, comme le soulignait fort justement
M. Michel Rocard, ancien Premier ministre, « la France ne peut accueillir toute
la misère du monde ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Allez jusqu'au bout de la citation !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cette phrase est non pas de Michel Rocard, mais de Péguy !
M. Jean Chérioux.
Ell a été reprise par Rocard !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
Effectivement !
La commission des affaires sociales s'est plus particulièrement intéressée aux
articles 8, 34
bis,
34
ter,
35 et 36 du projet de loi qui
modifient la législation sociale ou qui auront des conséquences directes sur
les comptes sociaux. Ces dispositions découlent pour l'essentiel des
propositions qui ont été formulées par M. Weil dans son rapport remis à M. le
Premier ministre en juillet dernier.
Sur les articles 34
bis,
34
ter,
35 et 36 du projet de loi, la
commission des lois s'en est remise à l'avis de la commission des affaires
sociales, ce dont nous la remercions.
Il convient néanmoins de souligner au préalable que d'autres articles du
projet de loi, notamment les articles 4 et 5 qui élargissent les conditions
d'accès à une carte de séjour temporaire, et l'article 17 qui assouplit
sensiblement les conditions d'accès au regroupement familial, sont susceptibles
d'accroître de manière indirecte les charges pesant sur les organismes de
protection sociale.
En facilitant l'entrée et le séjour des étrangers en France, le projet de loi
crée de nouveaux bénéficiaires des droits sociaux. L'impact financier sur la
protection sociale de ces dispositions - je confirme à cet égard le propos tenu
tout à l'heure par M. le rapporteur - n'a pas été évalué par le Gouvernement,
mais il pourrait ne pas être négligeable, notamment s'agissant des prestations
familiales. Sur ce point, je n'ai pu obtenir ni de vous, monsieur le ministre,
lors de votre audition par la commission des lois, ni de Mme Aubry, par
l'intermédiaire de son cabinet et de ses conseillers techniques, des
informations sur les incidences financières qui résulteront de ces
dispositions. On a l'impression de naviguer à vue...
M. Dominique Braye.
Et pour cause !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
Au moment même où le Gouvernement place sous
condition de ressources les allocations familiales en arguant du déficit de la
branche famille, force est de constater qu'il va parallèlement faciliter
l'entrée et le séjour de nouveaux bénéficiaires des prestations familiales.
Est-ce un bon moyen de maîtriser le déficit de la branche famille ?
S'agissant des dispositions sociales, le projet de loi comporte deux volets
que j'examinerai successivement : d'une part, la création d'une carte de séjour
de retraité et les droits afférents à cette carte et, d'autre part, la
suppression de la condition de nationalité pour l'accès aux prestations non
contributives que sont le minimum vieillesse et l'allocation aux adultes
handicapés, l'AAH.
L'article 8 du projet de loi instaure un nouveau titre de séjour : une carte
de séjour portant la mention « retraité » qui serait délivrée aux étrangers
titulaires d'une pension contributive de vieillesse et ayant séjourné en France
sous couvert d'une carte de résident. Cette nouvelle carte leur permettrait,
ainsi qu'à leur conjoint, de résider à l'étranger et d'entrer librement sur le
territoire français afin d'y séjourner temporairement. La carte de séjour «
retraité » serait valable dix ans et renouvelable de plein droit. Elle
n'ouvrirait pas droit à une activité professionnelle.
Le texte proposé initialement par le Gouvernement à l'article 35 permettait en
outre à un titulaire d'une carte de séjour « retraité » souffrant d'une
pathologie grave de bénéficier des prestations de l'assurance maladie lors de
ses séjours en France.
L'Assemblée nationale a modifié de manière importante ce dispositif. Elle a
tout d'abord introduit dans le code de la sécurité sociale un article L.
161-25-3 subordonnant, pour les titulaires d'une carte de séjour « retraité »,
le bénéfice des prestations de l'assurance maladie, lors de leurs séjours en
France, à quinze années de cotisations et à la nécessité de soins immédiats.
Elle a également créé une cotisation d'assurance maladie prélevée sur les
pensions de ces personnes.
Le principe de l'institution d'une carte de séjour « retraité » semble
acceptable puisque celle-ci vise, selon le Gouvernement, à faciliter le retour
définitif des retraités étrangers dans leur pays d'origine. Nous ne pouvons
qu'approuver cet objectif.
Toutefois, pour la commission des affaires sociales, il convient d'encadrer
plus strictement les modalités d'accès à cette carte et de simplifier le
dispositif d'accès aux prestations de l'assurance maladie qui l'accompagne.
On remarquera tout d'abord qu'il suffit seulement d'avoir un trimestre validé
pour ouvrir des droits à la retraite et que 200 heures de travail rémunérées au
SMIC, soit environ un mois de travail, valident un trimestre. Dans la rédaction
actuelle de l'article 8, tout étranger ayant travaillé 200 heures en France au
cours de sa vie et titulaire d'une carte de résident pourra donc bénéficier de
la carte de séjour de retraité. On conviendra que cela ne semble guère
contraignant et paraisse peu acceptable !
Du point de vue de l'accès au droit aux prestations sociales, cette nouvelle
carte pose un problème inédit : elle autorise, en effet, le séjour sur le
territoire français tout en prévoyant explicitement la résidence à l'étranger
du bénéficiaire. Or l'article L. 311-7 du code de la sécurité sociale
subordonne, pour les personnes de nationalité étrangère, le bénéfice de
prestations sociales à la résidence en France.
Il apparaît donc qu'en l'état actuel du droit les titulaires de la carte de
retraité ne pourraient bénéficier des prestations sociales lors de leurs
séjours temporaires en France.
Consciente de cette difficulté, l'Assemblée nationale a introduit un
dispositif d'accès aux prestations en nature de l'assurance maladie complexe,
ambigu et source de contentieux. Elle a entendu réserver l'accès à ces
prestations aux retraités ayant cotisé au moins quinze ans et dont l'état vient
à nécessiter des soins immédiats.
Elle a, par conséquent, créé deux catégories de bénéficiaires de la carte de
séjour de retraité : ceux qui auraient droit aux prestations d'assurance
maladie et qui se verraient dès lors prélever une cotisation maladie, et ceux
qui n'y auraient pas droit et se trouveraient exclus de toute couverture
maladie lors de séjours qui peuvent pourtant durer jusqu'à un an.
En pratique, ce dispositif semblait difficilement applicable et a suscité bien
des interrogations de la part des responsables des différentes caisses de
sécurité sociale que j'ai auditionnés, lesquels m'ont d'ailleurs indiqué que
nos collègues de l'Assemblée nationale n'avait pas jugé bon, semble-t-il, de
les entendre.
Il n'apparaît ni raisonnable ni responsable d'autoriser, en vertu d'un titre
de séjour, les séjours répétés en France de personnes étrangères sans prévoir
de manière concomitante leur couverture par l'assurance maladie. Lorsqu'elles
séjourneront en France, ces personnes, si elles sont démunies de ressources,
auront de toute façon la possibilité de se faire soigner et la collectivité
devra de toute manière, par le biais de l'aide médicale d'Etat ou de créances
hospitalières, en supporter le coût.
De même, prévoir la prise en charge par l'assurance maladie des titulaires de
la carte de retraité justifiant de quinze années de cotisations « si leur état
vient à nécessiter de soins immédiats » paraît inutile, difficile à mettre en
pratique et, là encore, source potentielle de contentieux multiples.
On peut également s'interroger sur le sens exact et la portée de la cotisation
d'assurance maladie introduite par l'Assemblée nationale aux articles 34
bis
et 34
ter
. La rédaction retenue est pour le moins imprécise
et peut faire l'objet de plusieurs interprétations : s'agit-il d'une cotisation
prélevée sur l'ensemble des étrangers retraités résidant à l'étranger, ou
seulement sur les pensions des titulaires de la carte de séjour de retraité, ou
seulement encore sur les pensions de ceux qui, parmi ces derniers, sont
susceptibles de bénéficier des prestations d'assurance maladie ? Le texte ne
permet pas de le savoir, et personne, au sein des services de Mme Aubry ou des
caisses de sécurité sociale, n'a su répondre à ces questions au cours de toutes
les auditions auxquelles j'ai pu procéder.
En réalité, la cotisation d'assurance maladie sur les pensions françaises des
étrangers résidant à l'étranger existe déjà, et la disposition adoptée par
l'Assemblée nationale est parfaitement redondante. En effet, qu'elles soient de
nationalité étrangère ou française, toutes les personnes retraitées domiciliées
fiscalement à l'étranger voient déjà leurs pensions faire l'objet d'une
cotisation d'assurance maladie : ce principe a été réaffirmé dans la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998, qui a maintenu cette
cotisation.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous propose un
dispositif simplifié, clarifié et plus strictement encadré.
L'accès à la carte de séjour de retraité ne se ferait plus qu'au bout de
quinze années de cotisations, ce qui éviterait les risques d'abus.
Parallèlement, les titulaires de cette carte pourraient bénéficier de plein
droit des prestations d'assurance maladie sans limitation, ce qui n'est pas le
cas dans la rédaction actuelle, notamment sans la référence à « la nécessité de
soins immédiats », que le texte vise précisément.
La cotisation d'assurance maladie instaurée par l'Assemblée nationale serait
supprimée dans la mesure où elle existe déjà.
Le projet de loi comporte enfin une autre disposition relative aux retraités
étrangers : l'article 35 prévoit la suppression de l'obligation de résidence en
France pour la perception de retraites par les personnes de nationalité
étrangère.
Même si rien n'empêche, en pratique, le versement des retraites aux retraités
étrangers vivant dans des pays étrangers, le droit antérieur prévoyait
l'obligation pour la personne étrangère de résider en France au moment de sa
première demande de liquidation de sa retraite. Le droit antérieur constituait
donc un obstacle au retour du travailleur retraité dans son pays d'origine, et
la modification proposée par le Gouvernement à travers l'article 35 apparaît
bienvenue.
Quant à l'article 36, certainement l'article le plus sensible aux yeux de la
commission des affaires sociales, il supprime la condition de nationalité pour
l'accès au minimum vieillesse et à l'allocation aux adultes handicapés. Il
constitue le second volet social de ce projet de loi.
L'Assemblée nationale n'a apporté aucune modification au dispositif présenté
par le Gouvernement.
Cet article tend à apporter une solution à un problème juridique d'une très
grande complexité : le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH est
aujourd'hui réservé aux nationaux, aux ressortissants de l'Union européenne et
de l'espace économique européen ainsi qu'aux ressortissants de pays ayant passé
une convention de réciprocité avec la France. Or cette disposition a été jugée
contraire au droit européen par la Cour de justice des Communautés européennes,
qui a estimé qu'il n'y avait pas lieu de priver du bénéfice de ces prestations
non contributives les ressortissants de pays qui ont signé un accord de
coopération ou d'association avec la Communauté européenne. C'est notamment le
cas, pour citer quelques exemples, des pays du Maghreb, de la Turquie, ou
encore de certains pays d'Europe centrale et orientale.
En outre, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1990, a
eu une position encore plus tranchée dans la mesure où il a considéré que
l'exclusion des étrangers résidant régulièrement en France du bénéfice de
l'allocation supplémentaire - c'est-à-dire le deuxième étage du minimum
vieillesse - dès lors qu'ils ne peuvent se prévaloir d'engagements
internationaux ou de règlements pris sur leur fondement méconnaissait le
principe d'égalité.
De plus, la jurisprudence communautaire est aujourd'hui strictement appliquée
par les tribunaux français, et les caisses de sécurité sociale qui refusent,
sur le fondement du droit en vigueur, le versement aux étrangers couverts par
un accord communautaire du minimum vieillesse et de l'allocation aux adultes
handicapés se voient systématiquement condamnées.
En pratique, les caisses accordent quasi systématiquement ces droits dès
l'ouverture par les intéressés d'un contentieux... qu'elles sont d'ailleurs
assurées de perdre compte tenu de la jurisprudence constante en la matière.
En supprimant la condition de nationalité, l'article 36 du projet de loi met
donc fin à un imbroglio juridique et assure la conformité du droit français au
droit communautaire. De ce point de vue, monsieur le ministre, nous n'avons pas
de critiques à formuler.
Toutefois - j'avais appelé votre attention sur ce point en commission,
monsieur le ministre, et j'espère que, depuis, vous avez pu en parler à Mme
Aubry - la suppression de la condition de nationalité proposée par le
Gouvernement ne s'accompagne d'aucun garde-fou propre à limiter les risques de
dérives et d'abus et susceptible d'éviter les incitations à l'immigration.
En effet, dans la rédaction actuelle du texte, tout étranger titulaire d'un
titre de séjour pourrait bénéficier, dès son arrivée sur le sol français, du
minimum vieillesse et de l'AAH. Cela est-il acceptable ? Je ne le pense pas.
M. Guy Allouche.
Dix minutes ! En tant que rapporteur pour avis, monsieur Vasselle, votre temps
de parole est limité à dix minutes.
(Protestations sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
J'en ai presque terminé, mon cher collègue, je vous
rassure.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Laissez parler M.
Vasselle ! C'est grotesque de l'interrompre : tout ce qu'il dit est important
!
M. Claude Estier.
C'est le règlement !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
Cela vous gêne que je vous donne un certain nombre
d'informations ? Je suis là pour éclairer notre assemblée !
La commission des affaires sociales vous propose donc d'aligner le régime du
minimum vieillesse et de l'AAH sur celui qui prévaut aujourd'hui pour le
bénéfice du revenu minimum d'insertion. D'ailleurs, je crois savoir, monsieur
le ministre, que vous ne n'y seriez pas défavorable, tout au moins
personnellement car je ne sais pas quelle sera la position du Gouvernement.
En exigeant, pour le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH, les titres de
séjour demandés pour le RMI, on instaure
de facto,
dans la plupart des
cas, une condition de durée de résidence régulière et ininterrompue de trois
ans pour l'obtention de ces prestations non contributives.
L'introduction, pour le bénéfice du minimum vieillesse et de l'AAH, des
critères qui prévalent aujourd'hui pour l'obtention par les personnes de
nationalité étrangère du RMI présenterait un triple avantage, et j'en termine
par là, rassurant ainsi M. Allouche...
M. Guy Allouche.
Je ne suis pas inquiet !
M. Charles Pasqua.
Ce n'est pas M. Allouche qui préside !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour avis.
Je vous remercie, monsieur Pasqua, de nous le
rappeler.
L'introduction des critères d'obtention du RMI présenterait, disais-je, trois
avantages.
Tout d'abord, elle permettrait de limiter sensiblement les risques que
pourrait susciter une législation trop généreuse tout en réglant le problème
des étrangers présents depuis un certain temps sur notre territoire.
Ensuite, elle limiterait le coût très élevé de ces mesures - j'ai d'ailleurs
eu beaucoup de mal à obtenir des chiffres - évalué à 500 millions de francs
pour le fonds de solidarité vieillesse et à 300 millions de francs pour l'Etat
; le coût global pour la collectivité pourrait, il est vrai, être minoré pour
partie dans la mesure où certaines des personnes concernées sont déjà
bénéficiaires du RMI.
Enfin, la rédaction que propose la commission des affaires sociales
présenterait l'avantage de simplifier considérablement l'état du droit existant
en instituant, s'agissant des personnes de nationalité étrangère, exactement
les mêmes conditions d'accès pour les trois minima sociaux que sont le RMI, le
minimum vieillesse et l'AAH.
Telles sont, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler
sur ce texte, observations qui trouveront leur traduction dans les amendements
que je vous proposerai au nom de la commission des affaires sociales. Je ne
doute pas, monsieur le ministre, compte tenu du caractère technique de nos
propositions et de leur pertinence - que vous avez reconnue en commission -,
que vous saurez y adhérer et que vous entendrez donner raison au Sénat, qui,
par son travail de réflexion, aura fait oeuvre utile pour notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année dernière - vous
en avez le souvenir - nous débattions déjà d'un projet de loi relatif à
l'entrée et au séjour des étrangers. De ce débat, qui a duré de longues heures
et pour lequel nous avions su persuader le gouvernement que nous soutenions de
renoncer à l'urgence, il nous reste une mémoire très vive.
Nous avons entendu les rapports excellents et approfondis de nos amis MM. Paul
Masson et Alain Vasselle. Grâce à eux, nous sommes en mesure de porter sur les
dispositions qui nous sont proposées un jugement équilibré et serein.
L'an dernier, les amendements adoptés par le Sénat avaient notamment permis -
il faut se le rappeler particulièrement - d'asseoir la constitutionnalité des
dispositions votées, constitutionnalité qui a été confirmée à 95 % par le
Conseil constitutionnel.
Fallait-il à nouveau remettre sur le métier cet ouvrage, qui ressemble un peu
à une veille tapisserie si souvent ravaudée - j'ai nommé l'ordonnance de 1945
?
A l'intérieur du cadre juridique que nous avions fixé, monsieur le ministre,
vous pouviez déjà agir, et vous ne vous en êtes d'ailleurs pas privé en prenant
une circulaire de régularisation sur la mise en oeuvre de laquelle le Sénat a
créé une commission d'enquête.
Dès lors, le texte que vous nous soumettez était-il nécessaire ? Etait-il
opportun ? Etait-il urgent ?
J'eusse aimé, monsieur le ministre, que vous nous invitiez à une réflexion
d'ensemble à laquelle nous aurions su nous associer. Il n'en est rien. Nous
sommes saisis d'un nouveau texte de circonstance, « fabriqué » peut-être pour
répondre en partie aux exigences de quelques grandes consciences qui
constituent ce qu'il est convenu d'appeler la gauche morale... comme s'il y en
avait une autre.
Il vous appartient sans doute, monsieur le ministre, tout comme au
Gouvernement, de déterminer l'ordre de nos travaux et de nous soumettre en
priorité les textes qui, dans l'instant, vous semblent les plus urgents. Je ne
suis pas persuadé que vos choix correspondent à l'intérêt national.
Pourquoi ces discussions concomitantes sur la nationalité et sur l'immigration
? Je le sais, vous les auriez souhaité plus rapides, je n'ose pas dire quelque
peu bâclées. L'affaire est manquée !
Etait-il nécessaire de légiférer à nouveau ? Hier, une loi, aujourd'hui, une
loi, demain, une autre loi.
Cette manière d'agir est génératrice, faute de réflexion d'ensemble, de
complexité, de contrariété et, pour reprendre le mot de Paul Masson,
d'affrontements.
De toute manière - puissiez-vous en tirer la leçon - vous aurez sans doute
compris qu'il ne suffit pas de décréter l'urgence pour accélérer le cours des
choses.
Vous prenez conscience, vous nous l'avez dit, que la promulgation de ces
textes coïncidera - vous vouliez l'éviter, pourquoi ? - avec la campagne
électorale qui s'annonce. Peut-être ces textes fourniront-ils à l'opinion
publique, entre autres éléments, matière à jugement sur l'action que vous avez
entreprise et sur le constat sévère que, nous le savons par expérience, cette
opinion est capable d'émettre sur les discordances qu'elle constate entre ce
qui a été promis et ce qui aura été réalisé.
Dans le domaine qui nous préoccupe aujourd'hui, vous vous êtes laissé aller
parfois à des promesses inconsidérées. Chaleur des meetings, avez-vous dit
gentiment en commission...
On vous réclame encore, ici et là, l'abrogation des lois Pasqua et Debré. Vous
avez compris, et c'est à votre honneur, qu'une telle orientation n'était guère
envisageable. Pour vous en « tirer » - je m'excuse d'employer ce terme - et ce
n'était pas commode, vous avez jugé expédient de demander un rapport qui a
servi de base à vos travaux et dont on a, ici et là, loué l'auteur, vanté les
mérites, la modération. Je dois dire que, de cette modération, la commission
des lois ne garde pas un souvenir particulièrement vif.
(Sourires.)
Une telle tâche dépassait très nettement la capacité du sociologue averti à
qui on a confié le soin d'établir ce rapport. A côté de quelques remarques qui
paraissent marquées du sceau d'un bon sens dont il est facile de faire étalage
transparaît une certaine inculture juridique.
A qui fera-t-on croire, dans ces termes en tout cas, qu'il est besoin d'une
loi pour attirer en France des étudiants et des chercheurs ? Une directive
administrative intelligente - ce n'est quand même pas impossible ! - peut y
suffire et quelques crédits supplémentaires seraient évidemment les
bienvenus.
Je vous reprocherai donc, monsieur le ministre, la façon dont vous abordez, à
votre tour, ce problème.
Pourtant, nous sommes, vous et nous, nous le savons, confrontés à de très
graves et très lourdes questions.
La pression de l'immigration est un fait, mais au nom de quels critères les
mouvements qui en découlent doivent-ils être appréciés ? Nous n'en savons rien
et ce texte ne nous aide pas à le découvrir, peut-être pas plus que ceux qui
l'ont précédé.
Existerait-il un droit à l'immigration et un devoir d'accueil ?
L'intérêt national doit-il être l'élément déterminant de choix que l'on opère
en fonction de critères économiques, de critères démographiques, eux-mêmes liés
de façon très substantielle au sentiment que nous avons de l'avenir de la
nation ?
Quelles relations doit-on établir entre notre politique et la francophonie
?
Je suis, vous le savez, favorable à cette politique. J'espère que le
Gouvernement l'est aussi, même si l'éminent savant à qui on a confié
l'éducation nationale nous affirme, du haut de sa sagesse, que l'anglais ne
doit plus être tenu pour une langue étrangère. Je lui suggère de soumettre
cette appréciation un peu rapide, au cours d'un prochain voyage, à nos cousins
du Québec...
(Sourires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Enfin, dernière appréciation,
importante, sur les vocables que nous utilisons avec une sorte de facilité
acquise : la France, terre d'asile ? Elle l'a été, mais, dans un monde
caractérisé par une capacité de circulation des hommes, des idées et des
conflits, qui bouleverse les rapports entre les nations, comment peut-elle le
demeurer, à quel prix et dans quelles conditions ?
De l'assimilation républicaine et contraignante, nous sommes passés à
l'intégration, comme si nous avions honte d'utiliser une idée-force qui,
pourtant, nous a, au cours des siècles, permis de nous constituer en nation.
L'apparition de certaines formes de communautarisation met en cause aussi bien
l'assimilation, dont je regrette qu'elle ne soit pas recherchée, que
l'intégration des étrangers et la cohésion nationale.
La revendication du droit à la différence glisse parfois et conduit à des
solidarités ethniques, culturelles ou communautaires spécifiques. Des
manifestations d'aspiration intégriste peuvent apparaître, et elles sont
préoccupantes.
Le droit à la différence, trop souvent exacerbé par les médias et par
certaines associations, remet gravement en cause la cohésion nationale.
Pour une certaine part, cette évolution résulte - il faut le dire - de la
dégradation des mécanismes auxquels nous pouvions normalement avoir recours. Il
y a un dysfonctionnement dans le système scolaire.
Croyez-vous que la situation de notre marché de l'emploi et les conditions
actuelles d'assimilation - ou d'intégration - des immigrés dans notre société
soient des éléments propres à faciliter l'apparition de conditions nouvelles
?
Une législation qui se veut libérale sur le droit d'asile et la délivrance
d'autorisations provisoires de séjour facilitent l'implantation durable de
personnes entrées irrégulièrement sur notre sol.
Vous avez été incapable, comme votre collègue Mme Aubry, ministre de l'emploi,
de nous dire le coût que tout cela entraîne. Nous avons essayé de le chiffrer.
Eh bien, nous constatons - cela vient de vous être dit - que cela correspond
pratiquement, chiffre pour chiffre, aux allocations familiales dont vous avez
privé 400 000 familles françaises !
M. Henri de Raincourt.
Eh bien ! C'est du beau !
M. Dominique Braye.
Le choix est fait !
M. René-Georges Laurin.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
Quel amalgame !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
C'est absolument faux ! Il ne faut pas dire
n'importe quoi !
Mme Joëlle Dusseau.
C'est scandaleux !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
La réaffirmation du nécessaire
exercice effectif des responsabilités de l'Etat en la matière s'impose au
regard de la capacité matérielle d'accueillir les personnes. Vous le savez
mieux que quiconque, monsieur le ministre, vous qui avez en charge cette
tentative de régularisation à laquelle je faisais allusion tout à l'heure.
La perspective de la ratification du traité d'Amsterdam, dont le Conseil
constitutionnel, saisi par le Président de la République et le Premier
ministre, vient d'indiquer qu'elle nécessite une révision de la Constitution,
conduit à s'interroger sur la bonne coordination des calendriers européens,
constitutionnel et législatif.
La révision de la Constitution rendue nécessaire nous sera soumise... à la
condition toutefois que M. le Premier ministre veuille bien relire
attentivement la Constitution et prendre acte des prérogatives qu'elle lui
attribue en son article 89.
Je vous l'ai dit en commission, et j'ai noté que vous avez quelque peu changé
de propos : que l'on veuille bien nous faire grâce de toutes ces accusations
qui vous arrangent ! Ce que nous pensons en la matière nous est dicté non pas
par les prises de position d'une fraction de l'opinion publique, mais par la
conception que nous avons de l'intérêt national.
Nous vous le redisons : ce texte n'était ni urgent, ni nécessaire, ni
opportun.
Il nous eût été facile, mes chers collègues, de le rejeter en bloc. Telle
n'est pas la position que la commission des lois, sur la proposition de son
rapporteur, a adoptée. Nous l'avons étudié article après article, et la
démonstration est faite : il ne correspond en rien à vos déclarations de
principe.
Ce n'est pas une modération apparente qui le caractérise, mais la volonté à
peine dissimulée de vous orienter vers la reconnaissance de ce droit à
l'immigration que vous affirmez condamner et que certains de vos amis
continuent à réclamer.
Mme Joëlle Dusseau.
Qui réclame cela ?
M. Jacques Larcher,
président de la commission des lois.
Mes chers collègues, le refus que
vous lui opposerez n'est marqué, et vous devez le dire, ni de racisme ni de
xénophobie.
M. Raymond Courrière.
Par peur du Front national !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Il traduit simplement notre volonté
d'adapter la venue d'étrangers sur notre sol à notre capacité d'accueil. Il
traduit aussi cette autre volonté : maintenir l'unité profonde de notre nation
et faire en sorte que tous ceux qui y vivent y connaissent une existence
paisible.
Dans un très beau film sans complaisance, un film américain, sur la guerre du
Viêt Nam, on voit des immigrés mobilisés revenus au pays évoquer au cours d'une
beuverie leurs souffrances inutiles. Pourtant ils entonnent ce vieux chant
traditionnel
God bless America
, « Dieu bénisse l'Amérique ».
Nous sommes capables, je crois, en tant que nation souvent exemplaire, de
provoquer des adhésions aussi profondes.
Pour ma part, j'ai vu des Vietnamiens échappés de l'« enfer rouge » venir nous
remercier de ce que la France avait fait pour eux. A ce moment, j'ai ressenti
ce que pouvait être la lente et magnifique affirmation au cours des siècles de
notre communauté en tant que nation.
Je ne pense pas, monsieur le ministre, que, par le projet de loi que vous nous
proposez, vous apportiez votre contribution - je l'aurais souhaité - à cette
oeuvre nécessaire. C'est pourquoi nous proposons à la Haute Assemblée de bien
vouloir le refuser.
La politique de l'immigration méritait mieux qu'un projet de loi confus et
prématuré. C'est ce qu'ont mis particulièrement en lumière les rapports très
argumentés de nos collègues, qui n'ont conclu au rejet de ce texte ou à
l'amendement de plusieurs de ses dispositions qu'au terme d'un examen
scrupuleux traduisant parfaitement la conviction de la commission des lois.
Bien évidemment, mes chers collègues, je ne peux que soutenir avec force les
propositions qu'ils vous ont faites et vous demander de les adopter.
(Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
- groupe du Rassemblement pour la République, 72 minutes ;
- groupe socialiste, 61 minutes ;
- groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
- groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
- groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
- groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
- réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun
groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons
aujourd'hui besoin d'une approche apaisée et renouvelée de la question de
l'immigration.
M. Jean Chérioux.
C'est bien vrai.
M. Henri de Raincourt.
C'est réussi !
M. Guy Allouche.
Depuis près de vingt ans, l'immigration n'est traitée dans le débat public
qu'avec haine ou passion, exaltation ou stigmatisation. Elle est devenue une
sorte de marchandise politique, une malédiction pour les immigrés, dès le
moment où, dans leurs compétitions, certains partis politiques se sont servis
de cette masse humaine.
Il est grand temps de rompre avec la vision de l'immigré ennemi, de l'immigré
clandestin potentiel, voire délinquant. Le temps est venu de considérer les
étrangers installés en France et ceux qui aspirent à y entrer régulièrement non
comme des voleurs d'espace et d'identité, mais comme des êtres humains en quête
du simple droit de vivre dignement.
En France, comme dans la plupart des pays, le statut des étrangers n'a pas
toujours été un modèle de conformité aux Droits de l'homme et aux libertés
publiques, notamment dans les périodes de conflit ou de crise.
Quand le chômage et la précarité déstabilisent des millions de foyers, la
curiosité cède le pas à la peur, la méfiance à l'hostilité. L'étranger est vite
perçu comme une menace, sur laquelle sont détournés les ressentiments.
De 1980 à 1997, des lois Bonnet, sécurité et liberté, aux lois
Pasqua-Méhaignerie-Debré, la France s'est enfermée dans cette logique
répressive, sous prétexte de maîtriser les flux migratoires.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Et nous en sommes fiers !
M. Jean Chérioux.
Imitez la sérénité de votre prédécesseur !
M. Guy Allouche.
La systématisation des contrôles, la suspicion permanente attachée à
l'étranger et la mise en cause de tout processus d'intégration n'ont jamais
endigué, encore moins éradiqué l'immigration clandestine ; loin s'en faut !
A l'heure de la mondialisation, la maîtrise des flux migratoires est
nécessaire. Nul ne peut contester à un gouvernement le droit de la
rechercher.
Croire à l'« immigration zéro » - ce mythe ! - c'est entretenir l'illusion que
cette maîtrise doit s'opérer par l'élévation de barrières, c'est prendre le
risque de décevoir davantage les Français en difficulté.
Toutes les stratégies de répression ont échoué ; les poursuivre, les aggraver,
serait faire peser des menaces sur l'ensemble des libertés fondamentales.
On ne saurait donc reprocher au gouvernement de Lionel Jospin...
M. Dominique Braye.
Oh si, que de reproches à lui faire !
M. Guy Allouche.
... de ne pas avoir fait diligence pour atteindre l'objectif annoncé :
procéder à un toilettage de la législation pour en faire disparaître les
dispositions les plus contestables, dont l'effet pratique est de fabriquer des
sans-papiers, des irréguliers, voire des clandestins. L'actualité est là pour
nous rappeler ce constat.
Monsieur le rapporteur, vous avez employé un ton modéré - c'est votre
habitude, je le reconnais et je le salue - un ton modéré... quant à
l'expression, mais pas sur le fond.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Vous êtes un éternel donneur de leçons !
M. Guy Allouche.
Cela fait longtemps que je n'enseigne plus, monsieur Chérioux !
(Sourires.)
Vous avez déploré la précipitation avec laquelle le Gouvernement avait engagé
cette réforme.
La nouvelle majorité issue du scrutin du mois de juin 1997 n'a pas pour
mission - et encore moins pour vocation - de répondre aux souhaits et aux
aspirations de l'opposition.
M. Dominique Braye.
Mais 76 % des Français l'ont dit aussi !
M. Guy Allouche.
Ajouterai-je que j'ai l'intime conviction que le calendrier n'aurait en rien
changé votre opposition systématique ?
Quant au procès en inefficacité du dispositif proposé que vous entendez
instruire, croyez-vous, monsieur le rapporteur, que vos échecs dans ce domaine
vous autorisent encore à prononcer de telles sentences ?
M. Pierre Mauroy.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Avec la loi de 1993 dite loi Pasqua, on allait voir ce qu'on allait voir ! Eh
bien, oui, on a vu !
M. Dominique Braye.
Comme le chômage avec Mitterrand !
M. Guy Allouche.
Quand vous proposiez coup sur coup deux réformes, l'une en 1993 et l'autre en
1997 pour réformer celle de 1993, c'était peut-être, dans votre esprit, pour
apaiser ! Mais quand c'est la gauche qui veut rester fidèle aux engagements
pris devant le peuple souverain et approuvés par lui, c'est pour provoquer un
affrontement !
M. Josselin de Rohan.
Quels engagements ? Ceux du Zénith, ou d'autres engagements ?
M. Dominique Braye.
Faites un référendum !
M. Guy Allouche.
Vous ne voulez pas vous déjuger, avez-vous dit. C'est votre droit !
M. Dominique Braye.
Consultez le peuple !
M. Pierre Mauroy.
C'est au Président de la République d'en décider !
M. Guy Allouche.
Pour notre part, nous préférons entendre et suivre la voix haute et claire du
suffrage universel...
M. Jean Chérioux.
Celle des socialo-lepénistes !
M. Dominique Braye.
C'est ce qu'on demande : un référendum !
M. Claude Estier.
Il y a eu des élections, et vous les avez perdues !
M. Guy Allouche.
... bien plus que la voix sourde du Sénat.
(Vives protestations sur les travées du RPR. - Exclamations sur les travées
socialistes.)
J'espère que vous décompterez de mon temps de parole toutes ces
interruptions, monsieur le président ?
M. le président.
Poursuivez, monsieur Allouche, ne vous laissez pas impressionner.
M. Claude Estier.
Il n'y a pas de quoi, c'est bien vrai !
M. Jean Chérioux.
Assez de leçons !
M. Guy Allouche.
L'une des caractéristiques de ce projet de loi, c'est l'esprit de rupture en
profondeur avec la situation antérieure.
On ne soulignera jamais assez la logique contestable qui conduit à empiler
sans fin les verrous législatifs et les mesures de contrôle dès que le moindre
soupçon de fraude apparaît, et ce avec une efficacité marginale de plus en plus
réduite.
M. Dominique Braye.
Supprimez les verrous !
M. Guy Allouche.
Le rapport Sauvaigo en est le plus bel exemple.
Les promoteurs de cette politique se sont peu souciés de la très nette
dégradation de l'image de la France dans le monde, particulièrement dans sa
sphère d'influence tradionnelle. Le recours à des méthodes se situant à la
lisière de la violation des droits de l'homme a fortement entamé la crédibilité
de notre pays, qui doit pouvoir se poser en exemple s'il entend exercer une
magistrature morale en la matière.
J'ajoute, pour le souligner, que l'orientation définie par les gouvernements
de 1986, de 1993 et de 1995 a eu pour seul effet tangible de conforter le
mouvement extrémiste qui place l'immigration au centre de son discours, sans
que les résultats sur le terrain soient convaincants.
M. Dominique Braye.
Cela vous arrange : cela vous permet d'avoir la majorité aujourd'hui !
M. Guy Allouche.
Les stastitiques sont assez édifiantes !
Nous avons aussi remarqué - et je ne m'en plaindrai pas - que la plupart de
ceux qui avaient participé à la rédaction du rapport Sauvaigo ont été
sévèrement battus aux dernières législatives.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste Républicain et Citoyen. - Mme Dusseau applaudit
également).
A commencer par Mme Sauvaigo elle-même !
(Rires sur les
mêmes travées.)
Chers collègues, dans ce domaine précisement, la surenchère démagogique et
xénophobe n'est jamais gage de succès !
M. Pierre Mauroy.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Dites donc : le Front national, vous connaissez ?
(Rires sur les travées du
RPR.)
M. Dominique Braye.
Le Front national, vous ne connaissez pas ?
M. Paul Blanc.
Ils sont associés !
M. Guy Allouche.
Tout cela ne semble pas avoir servi de leçon.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, nombreux encore ont été ceux qui ont «
hurlé avec les loups », reprenant à leur compte tous les propos xénophobes de
l'extrême droite
(Exclamations sur les travées du RPR),
se transformant
ainsi en « concessionnaires » du FN.
(Vives protestations sur les mêmes
travées.)
M. Dominique Braye.
Vos alliés objectifs !
M. Alain Vasselle.
C'est vous les concessionnaires !
M. Jean Chérioux.
Vous devez certains de vos élus au Front national.
M. Dominique Braye.
Vous êtes les élus du Front national, et nous du RPR !
M. Charles Descours.
C'est vous les concessionnaires !
M. Dominique Braye.
Oui, ce sont vos alliés objectifs !
M. le président.
Monsieur Allouche, ne vous étonnez pas d'être interrompu si vous provoquez vos
collègues.
(Protestations sur les travées socialistes. - Exclamations sur
les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Provocateur !
M. Alain Vasselle.
Arrêtez la provocation !
M. le président.
Cela étant, exprimez-vous en toute liberté.
(Nouvelles exclamations sur les
travées du RPR.)
La parole est à M. Allouche, et à lui seul, mes chers collègues.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, s'il vous plaît, ne guidez pas mon expression : je suis
libre de m'exprimer comme je l'entends à cette tribune.
(Très bien ! sur les
travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Et nous, nous sommes libres de répondre !
M. Guy Allouche.
D'ailleurs, nous croyons savoir, monsieur le ministre, que vous avez pris soin
de relever lors de ce débat à l'Assemblée nationale un grand nombre de ces
déclarations de députés de l'opposition. Il paraît que c'est un véritable
florilège !
L'expérience a depuis longtemps enseigné que ce ne sont pas les compromis - et
encore moins les compromissions - qui feront reculer l'extrême droite, mais
l'affirmation et la défense de principes républicains, de convictions fortes,
qui l'ébranleront et le mettront en échec.
Il est devenu impératif de définir, selon une approche pacifiée, une gestion
de l'immigration qui soit acceptée par la très grande majorité des Français.
M. Dominique Braye.
Pourtant, 76 % des Français refusent ce que vous proposez.
M. Paul Blanc.
Faites un référendum !
M. Guy Allouche.
Monsieur Braye...
M. Dominique Braye.
Je répète : 76 % des Français refusent vos propositions.
M. Raymond Courrière.
Arrêtez de brailler !
M. Guy Allouche.
Si vous voulez que je reste correct à votre égard, monsieur Braye, laissez-moi
m'exprimer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, inscrivez M. Braye dans la discussion générale !
M. Gérard Larché.
M. Braye, il est gentil : il est des Yvelines !
(Rires.)
M. le président.
Mes chers collègues, veuillez faire preuve de quelque tolérance. Quelle que
soit la nature des propos qui vous sont infligés
(Rires sur les travées du
RPR),
vous devez les écoutez.
Poursuivez , monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement entend restaurer ces principes et ces
valeurs républicaines.
Consulté, le Haut Conseil à l'intégration, présidé par Mme Simone Veil, s'est
félicité « de ce projet de loi qui place le respect de l'individu et de la
famille au centre des préoccupations ».
Interrogée par la commission des lois de l'Assemblée nationale, Mme Veil a
déclaré : « Le projet du Gouvernement revêt un caractère cohérent et équilibré
qu'il serait risqué de remettre en cause. » De même, le Conseil d'Etat n'a
trouvé aucune disposition portant atteinte aux libertés individuelles dans ce
projet de loi.
Voilà pour l'esprit de rupture profonde avec les législations antérieures !
Redéfinir les termes du débat sur l'immigration passe par l'équilibre à
trouver entre, d'un côté, une approche univoque, obnubilée par l'immigration
irrégulière, multipliant les restrictions, les contrôles, les mesures
répressives et, de l'autre, une vision angélique prônant une ouverture totale
des frontières, associé à un droit au séjour généralisé.
Cet équilibre repose sur quelques idées-forces, souvent invoquées, mais
souvent aussi malmenées. Ainsi, l'entrée et le séjour sur le territoire doivent
faire l'objet d'un régime juridique équitable, débarrassé des contraintes qui
limitent la liberté de circulation, respectueux des droits des individus et des
familles, soucieux de l'intérêt national.
Parallèlement, parce que la crédibilité de la loi en dépend, il faut ajuster
les moyens de prévention et de répression de l'immigration irrégulière, qui
doivent devenir plus sélectifs pour être plus efficaces. Il n'y a pas lieu de
confondre, dans un même ensemble, l'étranger ayant un droit au séjour et celui
qui en est dénué. Il faut aussi différencier les traitements dont relève
l'étranger en situation administrative irrégulière des traitements applicables
à celui qui est délinquant !
Toutes les statistiques sur les étrangers montrent les méfaits d'une politique
qui applique de manière indifférenciée les mêmes règles à tous les étrangers.
Sous couvert de lutter contre l'immigration irrégulière, phénomène réel mais,
somme toute, marginal par rapport à l'immigration régulière, c'est, en fait,
l'ensemble des étrangers en situation régulière qui sont déstabilisés.
Le Gouvernement, tirant vite les enseignements de ces vingt dernières années,
s'est rangé à la démarche pragmatique et non idéologique prônée par le rapport
de M. Weil.
Monsieur le président de la commission des lois, vous disiez il y a un instant
que le rapport de M. Weil ne trouvait pas grâce à vos yeux ni d'ailleurs aux
yeux de la majorité des membres de la commission des lois...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Me permettez-vous de vous
interrompre, monsieur Allouche ?
M. Guy Allouche.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation
de l'orateur.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Ce que j'ai noté, ce que nous avons
tous noté en commission, c'est... - je cherche un mot gentil - l'assurance
plutôt malvenue et une certaine tonalité dans la présentation de ce rapport qui
m'ont conduit, vous l'avez souligné - et c'est la seule fois où j'ai eu à
intervenir - à rappeler à l'esprit convivialité qui règne habituellement entre
nous.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, je ne saurais désavouer cette remarque.
(Ah ! sur les travées du RPR.)
Mais je veux ajouter que toute autre
personnalité qualifiée désignée par le Gouvernement n'aurait pas davantage
trouvé grâce à vos yeux.
M. Jacques Larché,
président de la commisison des lois.
C'est faux !
M. Guy Allouche.
Le rapport de M. Weil a été approuvé par le Haut Conseil à l'intégration et
par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Permettez-moi d'ajouter que j'estime pour ma part que, entre le rapport
Sauvaigo et le rapport Weil, il n'y a pas photo !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je n'ai pas eu à choisir !
M. Guy Allouche.
Sans aller jusqu'à l'abrogation formelle des lois Pasqua-Debré - en réalité de
l'ordonnance du 2 novembre 1945, « tapisserie ancienne », selon M. le président
de la commission des lois - sur laquelle le Gouvernement s'est longuement
expliqué, ce dernier a, en plus de certaines harmonisations formelles, dû
recourir à des abrogations partielles significatives de dispositions issues des
lois de 1993 et 1997.
Je veux relever la suppression de l'interdiction administrative du territoire,
de la rétention judiciaire, l'abandon du refus du regroupement familial au
motif que les conditions matérielles ne sont pas réunies lors de l'accueil de
la famille, la remise en cause du retrait du titre de séjour en cas d'entrée de
la famille, hors regroupement familial.
Sans entrer dès à présent dans le détail du projet de loi - l'examen des
articles nous en fournira l'occasion - je veux rappeler les principales
dispositions de ce texte.
Il s'agit tout d'abord de simplifier les formalités aux frontières et,
au-delà, de faciliter l'accès au territoire français. Il n'est pas excessif de
considérer que, depuis une dizaine d'années, l'entrée en France est devenue,
pour beaucoup d'étrangers, qu'ils soient professionnels, chercheurs,
enseignants, voire simples visiteurs, une véritable course d'obstacles semée de
procédures tatillonnes et bureaucratiques qui contribuent à donner de notre
pays une image peu avantageuse.
La deuxième orientation vise à garantir une meilleure intégration des
étrangers ayant vocation à s'installer durablement en France, ces dernières
années ayant été, hélas ! caractérisées par une fragilisation de leur
situation.
Le troisième axe renforce les garanties offertes aux étrangers. La suspicion
généralisée à l'encontre des étrangers, systématiquement considérés comme des
clandestins en puissance, a progressivement conduit à un grignotage de leurs
droits et de leurs garanties. Le projet de loi vise à inverser cette
tendance.
Enfin, la dernière orientation du titre Ier est le souci de rendre plus
efficaces les outils de lutte contre l'immigration irrégulière. Nous
retrouvons, là aussi, cette notion d'équilibre entre l'indispensable respect de
la dignité humaine lors de l'accueil, du séjour et, même, dans la situation de
non-admission, une plus grande justice dans l'approche juridique de
l'immigration et une très nette fermeté à l'égard de l'immigration irrégulière
: celle-ci doit être traitée de manière plus efficace et ne pas se limiter à
des peines d'emprisonnement.
Nous avons aussi noté une farouche détermination du Gouvernement dans la lutte
contre les « passeurs » professionnels, les filières d'immigration clandestine,
sans oublier les dirigeants d'ateliers clandestins, « ces esclavagistes des
temps modernes ».
Le titre II vise à renforcer le droit d'asile.
Les nouvelles dispositions constituent une avancée incontestable, qui tient
compte de l'évolution et de la situation politique d'un grand nombre de pays et
de leurs pratiques démocratiques. On pourrait se féliciter du fait que la
diminution régulière des demandes d'asile, en France en particulier, reflète
l'amélioration de la situation des droits de l'homme dans le monde. Mais la
sécheresse des chiffres ne saurait occulter les difficultés auxquelles les
demandeurs d'asile peuvent être confrontés dans leur démarche.
Sans plus attendre, je tiens à saluer le travail remarquable effectué par
l'ensemble des personnels de l'Office français de protection des réfugiés et
apatrides, l'OFPRA.
Certes, l'OFPRA a pour mission d'appliquer strictement la législation et les
conventions en vigueur, mais je veux souligner - parce que cela nous est
toujours signalé - que les personnels ne font jamais abstraction de la détresse
humaine des demandeurs d'asile lors de l'examen des demandes. Je veux leur
témoigner toute ma gratitude.
Notre législation en la matière est fondée sur un double engagement : le
préambule de la Constitution de 1946 et la Convention de Genève de 1951.
L'OFPRA et la Commission des recours des réfugiés se sont vu confier le soin de
reconnaître aux étrangers qui la sollicitent la qualité de réfugié. Je rappelle
que les décisions rendues par cette commission, qui est une instance
juridictionnelle, relèvent en cassation du Conseil d'Etat.
Cependant, force est de constater que la jurisprudence administrative et la
pratique ne permettent pas d'appréhender toutes les situations d'étrangers
susceptibles de trouver un refuge légitime dans notre pays. Parmi ces derniers,
figurent au premier plan des personnes qui justifient craindre dans certains
Etats des persécutions de la part de tiers. Or, dans la mesure où ces
persécutions n'émanent pas des autorités légales et ne sont ni encouragées ni
tolérées par celles-ci, ces personnes, en vertu d'une jurisprudence solidement
établie depuis 1983, ne sont pas éligibles au statut de réfugié de la
Convention de Genève.
Pour combler cette lacune en donnant sa pleine application au droit d'asile,
qui serait ainsi renforcé, le projet de loi franchit une étape en consacrant
dans la loi les principes résultant du préambule de la Constitution de 1946.
Cette extension du champ des réfugiés ne saurait, hélas ! à elle seule,
appréhender toutefois l'ensemble des situations dans lesquelles les étrangers
souffrent de la violence qui prévaut dans leur pays. C'est la raison pour
laquelle une nouvelle disposition offre la possibilité au ministre de
l'intérieur d'accorder l'asile territorial à un étranger qui serait exposé dans
son pays à des traitements inhumains ou à des risques majeurs pour sa sûreté
personnelle.
Loin de se contenter de légaliser des pratiques déjà existantes, cette
reconnaissance de l'asile territorial prolonge le dispositif en faveur de
l'attribution du statut de réfugié, puisque le directeur de l'OFPRA et le
président de la Commission des recours des réfugiés pourront saisir le ministre
de l'intérieur des cas de rejet du statut de réfugié qui leur semblent pouvoir
relever de l'asile territorial.
Par ces dispositions, la France restera l'exemple, la référence, fidèle à son
image dans le monde depuis deux siècles.
Enfin, un triple souci de renforcement des droits des étrangers, d'efficacité
administrative et d'égalité de traitement entre les étrangers et les nationaux
inspire les dispositions qui figurent dans le titre III et qui sont reprises du
rapport Weil. Je ne les énumérerai pas, nous les traiterons lors de l'examen
des articles. Cependant, je tiens à souligner que l'une des dispositions
contenue dans l'article 36 du projet de loi met fin à des discriminations entre
ressortissants étrangers et nationaux, discriminations condamnées à plusieurs
reprises par la Cour de justice des Communautés européennes.
Je citerai volontiers une troisième fois Mme Veil, qui, devant la commission
des lois de l'Assemblée nationale, a déclaré, au nom du Haut Conseil à
l'intégration qu'elle préside : « Le Haut Conseil approuve le versement, sans
condition de nationalité, de l'allocation aux adultes handicapés et de
l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, ainsi que la
suppression de l'obligation de résidence pour la demande de liquidation de leur
pension de retraites par des étrangers. »
Si je rappelle cela, mes chers collègues, c'est parce que je veux encore
croire que des collègues cesseront d'affirmer que nos immigrés réguliers sont
avant tout des « allocataires ».
Dans son rapport, M. Vasselle fait état de certaines dispositions du droit
social actuel. J'ai envie de dire à M. Vasselle : mais à quoi servons-nous ?
Qui légifère ? Qui fait le droit ? Si ce qu'il dit était vrai, pensez-vous que
le Conseil d'Etat aurait « laissé passer » - pardonnez-moi cette expression -
de telles dispositions contraires au droit, à la Constitution... ?
M. Charles Pasqua.
Le Conseil d'Etat donne un avis.
M. Jean Chérioux.
Si le Conseil d'Etat compte autant, nous n'avons plus rien à faire !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, je voudrais que tout le monde comprenne que les minima
sociaux ne sont jamais versés aux irréguliers. Cela n'existe pas !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Méfiez-vous de ce type d'affirmation !
M. Guy Allouche.
Cessons de véhiculer des propos qui entretiennent le trouble dans la
population !
Paradoxalement, il a été constaté - par nous-mêmes aussi - que la fermeture
des frontières génère l'installation quasi définitive des immigrés.
Qui veut, en effet, prendre le risque, en retournant chez lui, de ne plus
pouvoir revenir - je parle des immigrés réguliers ?
Loin d'être dissuasives, les barrières ont rigidifié les flux. Quand on ouvre
nos portes, à certaines conditions, la mobilité de la main-d'oeuvre est plus
grande et l'installation des familles très limitée.
M. Dominique Braye.
Utopie angélique !
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, maîtriser les flux migratoires
c'est nécessairement agir aussi sur les causes des migrations. Vous avez
coutume de dire, monsieur le ministre, que « les problèmes du Sud se règlent au
Sud ».
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
D'abord !
M. Guy Allouche.
D'abord, oui.
La formule est juste. Qu'il me soit permis cependant d'ajouter : oui, mais
avec des aides et des moyens venant seulement du Nord.
M. Charles Pasqua.
Au Sud, sans perdre le Nord !
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
On ferait mieux de régler d'abord nos problèmes !
M. Guy Allouche.
Monsieur Pasqua, vous savez que je suis doublement du Nord : originaire
d'Afrique du Nord et élu du département du Nord !
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Alors, il ne perd pas le Nord !
M. Guy Allouche.
Et je ne perds pas le Nord, comme le dit M. Pierre Mauroy !
Ce projet de loi amorce une reconfiguration de la coopération de la France
avec les pays exportateurs de main-d'oeuvre. Le récent voyage de M. le Premier
ministre au Maroc, au Sénégal et au Mali avait pour thème central le
codéveloppement.
M. Charles Pasqua.
C'est un beau succès !
M. Guy Allouche.
Nous savons qu'un rapport sur une politique de codéveloppement rédigé par l'un
de vos collaborateurs, Sami Naïr, vient d'être remis au Gouvernement.
Il est évident que, si l'on veut convaincre les immigrés de rester chez eux,
ou d'y retourner dans les meilleurs délais, il faut engager une politique
active de développement des pays du Sud et faire de l'immigration régulière un
vecteur positif de développement de ces pays.
Monsieur le ministre, il serait souhaitable, et j'en formule la demande, qu'au
cours de cette année 1998 nous ayons l'occasion de débattre de cette question
du codéveloppement. Loin des passions, loin des clichés et des préjugés, ce
débat nous permettrait d'avoir une vision aussi exacte que possible de la
réalité des raisons des migrations et des moyens que notre pays, avec d'autres,
et notamment l'Union européenne, pourrait mettre en oeuvre.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, en rappelant l'esprit et les
principales dispositions du projet de loi, je voulais mettre en lumière le
compromis réalisé entre le respect des droits des personnes et la recherche de
l'efficacité optimale. Ce projet de loi change en profondeur les conditions
d'accueil des étrangers et le traitement de la question de l'immigration. Vous
ne serez pas surpris d'apprendre que le groupe socialiste du Sénat, au nom
duquel je m'exprime, approuve toutes ces avancées parce qu'il forme l'espoir
que l'opinion publique, dans sa grande majorité, acceptera, elle aussi, le
contenu de cette réforme,...
M. Dominique Braye.
Ah bon ? Ça c'est une nouvelle !
M. Guy Allouche.
... que l'immigration cessera d'être, de façon récurrente, un abcès de
fixation du débat politique.
M. Dominique Braye.
Vous vous y prenez mal !
M. Guy Allouche.
Les préoccupations des Français sont autres : les questions économiques et
sociales, les problèmes liés à la jeunesse, dont on mesure chaque jour l'acuité
et qui soulèvent tant d'inquiétude, doivent être au coeur de nos
préoccupations,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ils n'y sont pas !
M. Guy Allouche.
... loin d'un débat souvent qualifié de politicien et dont nous savons tous à
qui il profite !
M. Dominique Braye.
Ça, c'est urgent !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela vous arrange bien !
M. Guy Allouche.
C'est une évidence que de rappeler que le problème majeur de la France,
actuellement, est non pas l'immigration, qui reste, comme l'a dit M. Stasi, une
chance bien plus qu'une menace, mais bien la montée du chômage, l'aggravation
de la précarité et des inégalités sociales.
M. Alain Vasselle.
Vous avez là beaucoup à faire !
M. Dominique Braye.
C'est là-dessus qu'il fallait légiférer ! C'est le projet de loi sur
l'exclusion qu'il fallait mettre à l'ordre du jour, pas le texte sur
l'immigration.
M. Guy Fischer.
C'est vous qui l'avez sabordé.
M. Charles Pasqua.
Monsieur Fischer, ça, c'est la meilleure !
M. Dominique Braye.
Reconnaissez tout de même que l'urgence était là.
M. Guy Allouche.
Cependant, rien ne serait plus absurde que de vouloir opposer une éthique de
conviction à une éthique de responsabilité. Notre soutien au Gouvernement est
acquis, vous le savez, monsieur le ministre, mais nous n'entendons pas pour
autant faire taire certaines divergences. C'est pourquoi nous avons déposé
quelques amendements.
M. Jean Chérioux.
Des amendements d'éthique ou des amendements de conviction ?
M. Guy Allouche.
Nous sommes toujours convaincus de la nécessité d'aller plus avant sans pour
autant porter atteinte à l'équilibre du projet. Nous souhaitons que le
Gouvernement accepte d'autres abrogations, à tout le moins d'autres
modifications de fond.
Respectueux de l'Etat de droit, attachés à la protection des personnes et à
leurs libertés, et sans mettre en cause l'administration et ses personnels
compétents et dévoués, nous devons nous préserver de l'arbitraire
administratif, qui « a gagné du terrain » ces dernières années. En la matière,
il nous revient de redonner à la justice judiciaire, gardienne des libertés,
aux termes mêmes de la Constitution, la plénitude de son autorité.
De même, nous sommes soucieux de voir respecter la jurisprudence du Conseil
constitutionnel pour ce qui concerne la durée de la rétention administrative.
Certes, je n'ignore pas que le Gouvernement a retenu la suggestion du Conseil
d'Etat, qui, entre les dix jours actuels et les quatorze jours proposés, estime
que la rétention peut passer à douze jours. Nous en débattrons plus longuement
lors de la discussion de l'article auquel se rattache cette disposition, et je
m'efforcerai de vous convaincre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oh là !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ce sera difficile !
M. Guy Allouche.
Autant je suis convaincu de la nécessité de reconduire à la frontière,
d'éloigner du territoire national ceux qui n'ont pas vocation à y demeurer,
autant je doute que ces deux jours supplémentaires suffisent pour ce faire.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oui, nous aimerions avoir une réponse sur ce point.
M. Guy Allouche.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai que la
sortie de l'impasse dans laquelle la France se trouve depuis une quinzaine
d'années passe d'abord par le changement du discours public. Aucune innovation
de l'action ne pourra faire l'économie de la vérité.
Alors que les conjoncturistes prévoient que, dans dix ou quinze ans au plus
tard, la France devra faire appel à de nouvelles vagues d'immigration, il est
urgent d'oser dire clairement que l'immigration ne sera jamais arrêtée.
Contrôlée, elle restera ouverte, dans le respect de nos valeurs et pour la
défense de nos intérêts, de façon limitée aux familles, aux conjoints, aux
réfugiés et à quelques dizaines de milliers d'étrangers qualifiés.
L'immigration est un grand sujet pour l'avenir, en aucun cas un problème du
passé. Cessons de regarder l'immigré comme un danger, considérons-le avant tout
comme un être humain digne de respect, qui peut être une richesse et un
défi.
Le Gouvernement a eu raison de changer, et vite, l'orientation de la politique
de l'immigration. Exprimées en termes de simple protection des flux
migratoires, les politiques menées en 1986, 1993 et 1997, essentiellement
répressives, ne pouvaient pas réussir parce qu'elles étaient sans avenir.
Le Gouvernement actuel - vous notamment monsieur le ministre considère que
l'une des solutions est à rechercher non pas au sein d'une forteresse que nul
n'assiège, mais dans une politique de codéveloppement durable entre le Nord et
le Sud. Il a choisi de passer d'une stratégie défensive, marquée par le souci
de nous protéger de la venue des étrangers, à une politique positive, digne,
parce que fondée sur les valeurs de la République, mais ferme.
C'est cette politique, porteuse d'avenir, que nous entendons soutenir.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité
sénatoriale garde donc la même tactique.
Après le dépôt d'une motion référendaire sur la loi relative à la nationalité,
après la quasi-suppression, article par article, de cette même loi afin de
revenir à la loi Méhaignerie, vous avez décidé, mes chers collègues,
d'entreprendre une démarche similaire à propos de la loi sur le séjour et
l'entrée des immigrés en France et de revenir aux lois Pasqua et Debré.
M. Dominique Braye.
Bien sûr, on les a votées !
M. Jean Chérioux.
C'est logique !
M. Josselin de Rohan.
On ne va pas se déjuger !
Mme Joëlle Dusseau.
C'est une des spécificités du débat politique français : alors que nous sommes
tous d'accord sur le fait qu'il faut intégrer les étrangers présents sur notre
territoire et réguler nos flux migratoires pour aboutir à une immigration
clandestine zéro, les fantasmes, les calculs politiques, les
a priori
démentis par les faits conduisent la majorité sénatoriale à des positions que
je juge inquiétantes.
Oser dire, comme vous le faites, que la gauche agite le spectre du Front
national pour mieux affaiblir la droite relève d'une attitude sur laquelle on
ne peut que s'interroger.
Remettre en place la loi Debré, n'est-ce pas donner des gages au Front
national et donc tenter de récupérer son électorat ?
On ne peut que se poser une telle question.
M. Josselin de Rohan.
Vos amis sont élus avec leurs voix.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oui, soixante-dix !
Mme Joëlle Dusseau.
Cette tactique est d'autant plus étonnante qu'elle n'a pas été payante sur le
plan électoral, loin s'en faut, ...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Si, pour vous !
Mme Joëlle Dusseau.
... comme l'ont montré les résultats des élections législatives, deux mois
après le vote de la loi Debré.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Patrick Courtois.
Vous avez raison, madame, pour nous, ce ne fut pas payant ! Mais pour vous, si
!
M. Jean Chérioux.
C'est un aveu !
Mme Joëlle Dusseau.
Et pourtant, on pouvait espérer que la droite sénatoriale, et la droite en
général, aurait compris combien certaines dispositions de ces lois sont
dangereuses.
(Protestations sur les mêmes travées.)
Soit ces dispositions constituent une atteinte à l'état de droit, soit
elles créent des catégories d'immigrés ni expulsables ni régularisables, soit,
sous prétexte de lutter contre l'immigration clandestine, ce sur quoi tout le
monde est d'accord, elles rendent plus difficiles, plus dures, plus incertaines
les conditions de vie des immigrés en situation régulière.
Je voudrais prendre un exemple un peu marginal, et aujourd'hui hors sujet.
M. Jean Chérioux.
Il ne peut être que marginal !
Mme Joëlle Dusseau.
Il porte sur les certificats d'hébergement.
Les dispositions les concernant - je me rappelle les longs débats que nous
avons eus à ce sujet à deux reprises - ont été considérablement durcis par la
loi Debré.
On a en effet oscillé entre le système antérieur à la loi Debré, avec
signature donnée par les maires, et celui qui fut adopté l'an dernier, selon
lequel l'accord ou le refus dépendait de l'administration préfectorale,
l'Office des migrations internationale, l'OMI, devant apprécier par des visites
sur place les conditions d'accueil, qui devaient être considérées comme «
normales ».
Au moment où sept millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté
en France, je laisse à penser combien la notion de « normalité » peut varier
d'une catégorie sociale à l'autre !
C'est à cela, mes chers collègues, que vous voulezrevenir.
De même, vous voulez en revenir à l'obligation faite à l'étranger hébergé de
remettre le certificat d'hébergement aux services de police lors de sa sortie
du territoire. C'est cela, la loi Debré : une vision administrative,
tatillonne, réglementaire, policière, du séjour des visiteurs étrangers.
(Protestations sur les travées du RPR.)
C'est cela que vous voulez remettre en place !
M. Dominique Braye.
Et bien d'autres choses encore !
Mme Joëlle Dusseau.
Enfin, en rétablissant le texte de la loi Debré, mes chers collègues, vous en
revenez à la notion de fichier d'hébergeants, dont vous savez à quel point elle
a été l'objet d'une controverse et combien elle peut être dangereuse.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Etes-vous bien sûrs, les uns et les autres, au moment où vous allez voter
vos amendements de suppression, que vous souhaitez revenir à la situation
antérieure, c'est-à-dire à cela ?
M. Dominique Braye.
Oui !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oui, sans aucun doute !
Mme Joëlle Dusseau.
Sur cette question, d'ailleurs, monsieur le ministre, je voudrais vous dire à
quel point je suis satisfaite que vous ayez suivi les propositions de
l'Assemblée nationale.
M. Charles Pasqua.
Vous avez une groupie, monsieur le ministre !
(Rires.)
Mme Joëlle Dusseau.
A l'origine, ces certificats avaient été conçus pour faciliter les visites des
étrangers en France. Il avait même été dit en 1982 que le certificat
d'hébergement devait permettre à des étrangers à revenus modestes d'obtenir
plus facilement un visa.
M. Dominique Braye.
Et de pouvoir bénéficier des allocations familiales !
Mme Joëlle Dusseau.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que, entre les refus des maires du Front
national et la gestion administrative de centaines de milliers de cas, on
oscillait entre un Charybde politique et un Scylla administratif, avec une
efficacité quasiment nulle.
Je crois donc que l'initiative de l'Assemblée nationale a été bénéfique, et
votre accord pour cette modification, sage.
M. Jean Chérioux.
Saluez, monsieur le ministre, saluez !
Mme Joëlle Dusseau.
Il est un certain nombre d'autres points de votre texte sur lesquels je veux
vous dire mon accord, monsieur le ministre. Il s'agit, selon moi, en l'espèce,
de véritables avancées non seulement par rapport à la situation législative
dont vous avez hérité - encore qu'elle n'ait guère eu le temps de passer dans
les faits, s'agissant de la loi Debré, grâce à la diligence du Président de la
République - mais aussi par rapport à la situation antérieure.
En ce qui concerne le droit d'asile, au titre duquel, nous le savons, les
entrées dans notre pays ont diminué de manière drastique au cours des dernières
années, je voudrais saluer une modification qui me paraît importante : la
notion, un peu littéraire mais fort belle, de « combattants de la liberté »,
...
(Sourires sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
L'angélisme le plus complet !
Mme Joëlle Dusseau.
... qui étend le bénéfice du droit d'asile aux hommes et aux femmes courant
des risques majeurs dans leur pays, que ces risques soient ou non liés au
gouvernement en place.
M. Josselin de Rohan.
Dans quels pays ?
Mme Joëlle Dusseau.
Permettez-moi, ici et en cet instant, d'avoir une pensée pour ce qui se passe
en Algérie,...
M. Dominique Braye.
C'est trop facile ! C'est indigne !
Mme Joëlle Dusseau.
... où la barbarie aveugle est passée de l'assassinat individuel
d'intellectuels, de journalistes, d'hommes et de femmes qui prenaient le risque
d'affirmer simplement leur attachement à la liberté,...
M. Dominique Braye.
Trop facile !
Mme Joëlle Dusseau.
... à des assassinats collectifs toujours plus monstrueux et horribles.
M. Dominique Braye.
Indigne !
Mme Joëlle Dusseau.
Permettez-moi d'évoquer aussi le sort des femmes d'Afghanistan, martyrisées,
lapidées, oubliées.
M. Dominique Braye.
C'est indigne d'utiliser de tels arguments !
Mme Joëlle Dusseau.
Oui, il est temps que notre pays réaffirme que les droits de l'homme ne sont
pas un slogan creux pour discours officiels, mais qu'ils sont une réalité
vivante.
(Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur
les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Jean Chérioux.
Vous étiez moins émue devant les Français d'Algérie quand ils sont rentrés
parce qu'ils n'avaient que le choix entre la valise et le cercueil !
Mme Joëlle Dusseau.
Autre point sur lequel je suis d'accord : la facilitation de l'accueil des
étudiants et des chercheurs,...
Mme Nelly Olin.
Oh, ça !
Mme Joëlle Dusseau.
... de tout ce qui permet de multiplier les échanges scientifiques et
professionnels. Cette ouverture au monde des étudiants, qui constitue un retour
à nos traditions, est, de plus, conforme aux intérêts de la France. On le sait
bien, les étudiants et les chercheurs d'aujourd'hui seront, demain, une fois
revenus chez eux,...
M. Jean Chérioux.
Ils ne veulent pas y retourner !
Mme Joëlle Dusseau.
... les cadres qui entretiendront des liens privilégiés avec notre pays.
J'exprimerai la même satisfaction en ce qui concerne l'âge, le minimum
vieillesse et les retraités.
La possibilité qui est offerte à ces derniers de percevoir leur retraite dans
leur pays d'origine et d'avoir un titre de séjour pour circuler en France - où
ils ont vécu parfois pendant des décennies, où ils comptent des amis et,
souvent, des membres de leur famille, notamment des enfants - me paraît tout à
fait positive. Sur ce point, vous avez même convaincu la majorité sénatoriale,
monsieur le ministre, ce qui n'est pas peu !
En revanche, je crois que certaines remarques techniques formulées par la
commission des affaires sociales ne sont pas dépourvues d'intérêt.
M. Jean Chérioux.
Ah !
Mme Joëlle Dusseau.
Des modifications positives sont aussi intervenues en ce qui concerne le
regroupement familial. En respectant l'esprit plutôt que la lettre des
conditions exigées des demandeurs en termes d'emploi et de logement, on fait
oeuvre d'humanité, ou simplement de bon sens, sans tomber dans le laxisme.
Je suis plus réservée sur l'exigence minimale du SMIC eu égard, d'abord, à
l'importance de ce que l'on appelle les « travailleurs pauvres », dans les pays
développés ; on sait que, en France, nombre de salariés ont un revenu inférieur
au SMIC. De plus, cette disposition ignore le fait que le conjoint entrant en
France peut alimenter le budget de la famille. Elle prend donc, à mon avis,
trop en compte le revenu initial de la personne qui fait venir sa famille.
Pour autant, ces avancées font-elles des lois Pasqua-Debré une coquille vide,
comme l'affirme le Gouvernement ? Je ne le crois pas. Pour ma part, c'est vrai,
j'aurais préféré l'abrogation de ces lois, ne serait-ce que sur un plan
symbolique, qui n'est pas forcément négligeable.
Je sais bien que, selon Gérard Gouzes, cela aurait représenté un chantier
législatif considérable : il aurait fallu refondre entièrement la législation,
travail de titan, selon lui. Par conséquent, dit-il et dites-vous, monsieur le
ministre, mieux valait « toiletter » les lois précédentes. Mais, à ne faire
qu'un toilettage des lois, on risque des oublis, ou on laisse en place des
dispositifs pour le moins discutables.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Madame Dusseau, me permettez-vous de vous
interrompre ?
Mme Joëlle Dusseau.
Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je n'ai jamais employé le terme de « toilettage
». Je l'entends dans votre bouche, après l'avoir entendu dans la bouche
d'autres orateurs, mais je considère que ce terme n'est pas approprié.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le ministre, je retire ce terme très volontiers. Je croyais l'image
propre à faire comprendre ma pensée : on garde le cadre de la loi initiale en
ôtant les éléments qui paraissent les plus négatifs. Cette formulation vous
convient-elle mieux ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Le terme toilettage s'applique à la gent
canine.
(Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau.
Et féline !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
S'agissant des lois dites « Pasqua » et « Debré
» - que l'on rapproche quelquefois abusivement, car, autant que je m'en
souvienne, M. Pasqua n'a pas jugé particulièrement utile de compléter son
dispositif ! - j'en réforme les aspects qui avaient été « pointés » par M.
Lionel Jospin pendant la campagne électorale ou, après qu'il fut devenu Premier
ministre, dans son intervention de politique générale ; c'est celle-ci qui
constitue le cadre dans lequel je me suis situé puisqu'il rassemble par
définition l'ensemble des partis de la majorité.
M. Charles Pasqua.
... plurielle !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Plurielle, en effet.
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Selon M. Gérard Gouzes, donc, mieux vaut réformer - puisque tel est le terme
qui convient - les lois précédentes. Toutefois, à se contenter d'une réforme de
ces lois, on risque des oublis ou on laisse en place des dispositifs pour le
moins discutables. C'est pourquoi j'aurais, pour ma part, préféré la solution
consistant à abolir ces deux lois, même s'il est un peu abusif, ainsi que vous
l'avez dit fort justement, monsieur le ministre, de les rapprocher. Pour
autant, je n'ai pas déposé d'amendement en ce sens.
Par ailleurs, je l'ai dit la semaine dernière, je regrette profondément que le
Gouvernement ait adopté une position frileuse concenant la loi sur la
nationalité et refusé de revenir à la loi de 1973. En effet, un certain nombre
de points me gênent, qui figuraient dans les lois précédentes et que vous
n'avez pas voulu supprimer, monsieur le ministre.
La loi Debré, par exemple, a prévu qu'il serait procédé à un relevé
systématique des empreintes digitales des détenteurs de carte de séjour et d'en
organiser le traitement automatisé. Un recours avait été déposé devant le
Conseil constitutionnel, qui n'avait accepté le principe d'un tel relevé
qu'avec des réserves.
Certes, cette disposition n'a pas été appliquée, le gouvernement précédent
n'ayant pas eu le temps de prendre les décrets d'application. Mais ces
dispositions figurent toujours dans le texte de l'ordonnance et elles me
paraissent particulièrement pernicieuses. C'est pourquoi je vous demande ce que
vous ferez sur ce point précis ; je compte, de toute façon, déposer un
amendement de suppression de cet article sur le relevé automatique des
empreintes digitales.
M. Josselin de Rohan.
Nous ne le voterons pas !
Mme Joëlle Dusseau.
Oh ! j'ai l'habitude d'être minoritaire dans notre assemblée, mon cher
collègue !
(Rires.)
En ce qui concerne la commission du titre de séjour, il est bon qu'elle ait
été rétablie, à l'initiative de l'Assemblée nationale. Cependant, en ne lui
donnant qu'un rôle consultatif, on abroge « Debré » pour en revenir à « Pasqua
». Il aurait été plus judicieux de revenir à la loi Joxe et de donner à la
commission un pouvoir délibératif. De plus, le fait que, sur les trois membres
de cette commission, l'un soit désigné par le préfet amoindrit encore son rôle
; je le regrette.
La rétention administrative est prolongée de deux jours dans certains cas, ce
qui est contestable, y compris au regard de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
En revanche, ce projet de loi renforce les garanties de procédure en
obligeant, notamment, les procureurs de la République à informer du lieu de
détention la famille, les conseils, le consulat, et en autorisant le détenu à
bénéficier d'un conseil dès la première heure ; cela me paraît positif.
S'agissant de la possibilité, maintenue dans la loi, de retirer sa carte de
séjour à l'étranger qui emploie un travailleur immigré n'ayant pas lui-même de
carte de séjour, s'il faut lutter fermement contre le travail illégal, il faut
distinguer les situations.
L'expression « travail illégal » recouvre des réalités totalement différentes.
Il me paraît difficile d'amalgamer l'entreprise clandestine, celui qui va
repeindre l'appartement de son voisin et qui est payé au noir et celui qui
emploie au noir une femme de ménage ou une baby-sitter. C'est, bien sûr, à ce
type de travail clandestin que je pense ici. Il est condamnable ; chacun de
nous le condamne. Il est punissable par la loi, et c'est tant mieux, même s'il
n'est pas toujours facile de savoir si la personne que vous faites travailler
ainsi a ou non une carte de séjour en règle.
M. Jean Chérioux.
On sait bien si elle est inscrit à la sécurité sociale !
Mme Joëlle Dusseau.
Cependant, ajouter à la condamnation, nécessaire et générale, de la faute, une
seconde condamnation, le retrait de la carte de séjour, ne me paraît pas
justifié. Je l'ai condamné voilà un an ; je ne l'approuve pas plus
aujourd'hui.
Enfin, je tiens à attirer votre attention sur la référence récurrente dans le
texte - aussi récurrente qu'imprécise, car laissée à l'appréciation de
l'administration - au « trouble à l'ordre public », ou à la « menace à l'ordre
public ». Cette notion existait dans les textes antérieurs, mais elle s'est
généralisée avec les lois de 1993 et de 1997.
Il nous serait à tous assez insupportable que notre sort soit lié à des
notions aussi floues. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, constitue une « menace à
l'ordre public » ? Et qu'en sera-t-il demain ?
Pour ma part, j'estime qu'il y a la loi, que l'on doit respecter, et la
justice, qui s'applique quand on ne respecte pas la loi. Ce fondement de l'état
de droit doit s'appliquer à tous ceux qui vivent régulièrement sur notre
territoire, d'autant que, on le sait bien, les immigrés d'aujourd'hui sont les
Français de demain, eux-mêmes souvent, leurs enfants presque toujours.
Dans ce domaine comme dans les autres, je suis attachée à l'égalité devant le
droit. Or, ici, ceux qui sont inégaux devant le droit, ce sont les plus
faibles.
Sur ce point aussi, j'ai exprimé mon opposition lors de la discussion de la
loi Debré. Je n'ai pas changé d'avis.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur l'immigration en
France a pris, en quelques années, un tour passionné, tant au Parlement que
dans le pays.
M. Jean Chérioux
Grâce à qui ?
Mme Joëlle Dusseau.
Grâce à vous, sûrement, monsieur Chérioux, il n'y a qu'à vous entendre !
M. Jean Chérioux.
Absolument pas !
Mme Joëlle Dusseau.
Derrière nos affrontements verbaux, il y a la crise, d'une part, et le vote
Front national, d'autre part. Et pourtant, nous savons bien à quel point, plus
que d'autres pays européens sûrement, la France a été faite de vagues
migratoires, à quel point cette diversité a renforcé son rayonnement et son
unité.
Zola serait-il aussi français s'il n'était né de parents italiens, ce que
d'aucuns ont su lui rappeler à l'époque ? Et Dumas ne doit-il pas une partie de
son fabuleux talent au fait qu'il avait une grand-mère haïtienne ?
M. Charles Descours.
Et Gambetta ?
(Rires sur les travées du RPR.)
Mme Joëlle Dusseau.
Cette intégration si fructueuse pour nous tous passe par des règles ; il faut
les respecter. Elle passe par une évidente et nécessaire maîtrise de
l'immigration, qui en douterait ? Elle passe aussi par un attachement très
ferme au respect du droit.
Votre projet de loi comporte un certain nombre d'avancées, que je salue,
monsieur le ministre. Il suscite aussi, en ce qui me concerne, sur un certain
nombre de points importants, des interrogations et des réserves ; j'aurai
l'occasion d'y revenir au cours de la discussion des articles.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques
instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept
heures cinquante-cinq.)