PROTECTION
DES PERSONNES SURENDETTÉES
EN CAS DE SAISIE IMMOBILIÈRE
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 259, 1996-1997), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale
en deuxième lecture, renforçant la protection des personnes surendettées en cas
de saisie immobilière. [Rapport n° 325 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, je vous prie tout d'abord de vouloir bien excuser ma collègue
Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, qui est empêchée et
que je supplée très volontiers pour ce texte dont l'intérêt, s'agissant de
saisie immobilière, ne peut pas laisser indifférent le secrétaire d'Etat au
logement.
Vous avez souhaité poursuivre en seconde lecture l'examen de la proposition de
loi renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie
immobilière.
Ce texte, débattu à l'Assemblée nationale au printemps dernier, apporte une
réponse immédiate, mais partielle, aux problèmes que pose la procédure de
saisie immobilière, qui est inadaptée à bien des égards.
Si le Gouvernement adhère aux principaux objectifs poursuivis, il n'en reste
pas moins que le texte ne répond pas pleinement à son objectif, qui est de
lutter efficacement contre l'exclusion sociale.
Il se limite à renforcer l'information du débiteur saisi pour prévenir la
vente judiciaire, à améliorer la liaison entre les procédures de saisie
immobilière et de surendettement et à assurer un contrôle judiciaire de la mise
à prix.
Parce que la perte du logement est l'une des premières causes d'exclusion, il
est impératif de mener une réforme ambitieuse comportant un double volet :
d'abord, et avant tout, prévenir la vente forcée du logement ; ensuite,
lorsqu'elle est inéluctable, s'assurer qu'elle se déroule dans les conditions
humaines et économiques les plus satisfaisantes possibles.
Cette réforme est programmée par le Gouvernement dès cette année 1998, sans
pour autant qu'il renonce, dans l'intervalle des travaux, à accroître les
garanties des débiteurs dont le logement principal serait menacé.
Le Sénat a choisi de se rallier à des aménagements ponctuels sur lesquels je
voudrais maintenant m'exprimer.
Avant d'en venir à l'article 3
bis,
dont le Gouvernement souhaite la
suppression, et je m'en expliquerai tout à l'heure, je tiens à souligner que le
texte, dans ses grandes lignes, apparaît au Gouvernement comme globalement
positif.
Le renforcement de l'information des débiteurs sur leurs droits, dès le
premier acte de la saisie, est de nature à prévenir les ventes forcées et
mérite, à ce titre, d'être approuvé.
J'adhère aussi pleinement à la sanction de nullité assortissant cette
obligation.
Je sais que cette question a fait l'objet de vifs débats lors des précédentes
lectures, mais je crois pour ma part qu'elle est seule de nature à assurer
l'effectivité de l'obligation nouvelle.
C'est cette même volonté d'efficacité protectrice qui justifie les
dispositions du texte améliorant la liaison entre les procédures de saisie
immobilière et de surendettement.
On n'a que trop dénoncé les ventes forcées réalisées en dépit de procédures de
surendettement en cours.
Il faut que les commissions de surendettement puissent demander, y compris
jusqu'au dernier stade de la saisie immobilière, la remise de la vente.
Cette disposition vient heureusement compléter le mécanisme, adopté dès la
première lecture du texte, permettant au débiteur de demander la réduction du
capital restant dû après la vente sur saisie.
En effet, bien que prévu dès son origine par la loi Neiertz, ce dispositif
était resté très largement ineffectif.
Les deux assemblées se sont accordées pour imposer les formalités propres à
permettre au débiteur de faire valoir ses droits.
J'en viens maintenant au contrôle judiciaire de la mise à prix.
Désormais, le débiteur pourra, s'il estime la mise à prix manifestement
insuffisante, recourir au juge. C'est là un progrès social manifeste.
Il s'agit de mettre fin à des pratiques abusives et fort anciennes consistant
à fixer la mise à prix à hauteur de la créance en occultant la valeur réelle du
bien.
S'agissant des modalités de contestation, je sais que le Sénat a marqué une
hésitation sur les obligations imposées au débiteur en matière de preuve.
Il a souhaité, dans un premier temps, soumettre la recevabilité de la
contestation à des justificatifs.
La commission vous propose aujourd'hui de vous rallier à la position de
l'Assemblée nationale excluant toute restriction à la saisine du juge.
Je crois cette position plus juste.
Le Gouvernement ne peut, en revanche, souscrire au mécanisme de remise en
vente des biens sur baisses successives du prix en l'absence d'enchères, le cas
échéant jusqu'à la mise à prix initiale.
Cette faculté, si elle est systématiquement utilisée, revient à priver de tout
effet le principe même de la contestation judiciaire. En tout cas, on peut
craindre qu'il n'en soit ainsi.
M. Robert Pagès.
Eh oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Soucieux d'emporter le bien au meilleur prix, les
enchérisseurs pourraient attendre, d'un commun accord, la baisse de la mise à
prix pour porter les premières enchères.
Cet effet est déjà observé pour les ventes judiciaires sur liquidation et sur
licitation, qui prévoient également une possibilité de baisse de mise à
prix.
Le Gouvernement ne souhaite pas voir généraliser un mécanisme qui susciterait
de faux espoirs chez le débiteur, qui alourdirait en pure perte la procédure et
qui pourrait générer inutilement des frais d'expertise si le juge y avait
recours.
Pour autant, le Gouvernement a conscience qu'en l'état actuel de la procédure
de saisie immobilière la coexistence des deux règles du contrôle judiciaire de
la mise à prix et de l'adjudication d'office au créancier poursuivant à défaut
d'enchère au prix ainsi fixé peut susciter des difficultés dans certaines
hypothèses.
Je songe, notamment, au syndicat de copropriétaires...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Eh oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
... créancier de charges impayées, qui se retrouverait
propriétaire forcé d'un lot et, par là même, débiteur de son propre
débiteur.
Ce problème révèle les limites du texte qui vous est actuellement soumis et
démontre la nécessité d'une réforme globale, seule propre à prendre en compte
la diversité des situations.
Il faut pouvoir faire face à l'ensemble des cas en approfondissant, au-delà du
schéma judiciaire actuel, toutes les pistes propres à permettre d'élaborer des
solutions adaptées à ce qui constitue toujours un drame humain pour le
débiteur.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos liminaires que je
souhaitais formuler devant vous dans cette phase ultime d'examen de la
proposition de loi.
Le consensus qui est progressivement dégagé au sein des deux assemblées doit
beaucoup au travail des commissions, et je voudrais, à cet égard, remercier
mesdames et messieurs les commissaires, particulièrement M. Hyest, rapporteur
de la proposition, et M. Larcher.
En adoptant ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous apporterez une
première réponse à des situations contre lesquelles nous devons tous nous
mobiliser.
Le Gouvernement poursuivra cette oeuvre, et je ne doute pas que le Parlement
s'y associera.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la présente
proposition de loi est issue de plusieurs propositions de loi déposées par nos
collègues députés pour faire face à une situation difficile.
L'Assemblée nationale, dans un premier temps, s'était intéressée à la saisie
immobilière dans son ensemble. Or, pour lutter contre l'exclusion, nous devons
essentiellement nous intéresser à la saisie des logements principaux. Tel est
donc l'objet de cette proposition de loi.
La réforme de la saisie immobilière dans son ensemble est un problème vaste,
sur lequel le Gouvernement travaille depuis de très nombreuses années sans
avoir pu encore nous soumettre un texte ; enfin, il nous promet qu'il en sera
déposé un prochainement.
La commission des lois du Sénat a, je le rappelle, examiné le texte en
deuxième lecture au début du mois d'avril, par conséquent avant le résultat des
élections législatives ; je tenais à le souligner.
Vous avez noté, monsieur le secrétaire d'Etat, les améliorations réelles
apportées par le texte et notamment la meilleure coordination qu'il assurait
entre la procédure de traitement du surendettement et la procédure de saisie
immobilière, qui posait un vrai problème. En effet, au cours des travaux d'un
groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des
finances sur les problèmes de surendettement, M. Paul Loridant et moi-même,
nous sommes aperçus que la mauvaise articulation entre les procédures
engendrait d'importantes difficultés.
Les nouvelles dispositions permettront, en outre, au juge du surendettement de
réduire la dette après la vente du bien immobilier alors qu'auparavant des
familles qui avaient perdu leur logement principal se voyaient contraintes de
payer encore pendant de nombreuses années.
En première lecture, le Sénat avait introduit un article additionnel visant à
accorder au débiteur dont le logement principal est saisi un délai de six mois
à compter de la signification du commandement pour procéder à la vente amiable
de ce bien.
Prenant en considération les objections formulées au cours du débat en
deuxième lecture à l'Assemblée nationale selon lesquelles, d'une part,
l'ouverture automatique d'un délai de six mois à compter de la signification du
commandement pour procéder à la vente amiable peut se révéler contraire aux
intérêts du débiteur, d'autre part, le projet de réforme de la saisie
immobilière en cours d'élaboration prévoit la tenue d'une audience
d'orientation permettant au juge d'aménager une telle possibilité, la
commission vous proposera de maintenir la suppression de l'article premier
bis,
introduit au Sénat en première lecture. Elle a en effet estimé qu'à
ces arguments s'ajoutaient la possibilité de demander au juge la conversion de
la saisie immobilière en vente volontaire ainsi que le constat selon lequel les
organismes de crédit parviennent, dans la majorité des cas, à des solutions
amiables.
Je rappelle par ailleurs qu'il arrive, grâce au fonds de solidarité logement,
pour peu que le département fasse preuve d'un certain dynamisme, que les biens
immobiliers soient rachetés par l'intermédiaire, d'organismes de logement
social et qu'y soient relogées des familles surendettées. C'est un aspect du
problème que l'on oublie souvent. Les départements y sont sensibles dans la
mesure où la perte du logement signifie la dispersion de la famille, avec les
conséquences qui en découlent. Si l'on utilise à bon escient cette procédure,
on aura déjà fait un pas dans le bon sens.
Reste l'article 3
bis,
auquel le Gouvernement n'est pas favorable. Je
vais essayer de défendre le dispositif proposé, dont la commission souhaite
l'adoption en l'absence d'une meilleure solution.
Nous sommes favorables à l'intervention du juge dans la mise à prix, cette
dernière étant parfois insuffisante. Après tout, le créancier veut, lui,
rentrer dans les fonds qu'il a prêtés et, s'il fixe la mise à prix au montant
de sa créance, je ne vois là rien que de très normal. Par ailleurs, les ventes
sur saisie immobilière sont faites pour essayer de trouver le juste prix de
vente. On n'a pas encore trouvé, hélas ! de meilleure solution.
Mais, compte tenu de la situation du marché immobilier, dans certaines zones,
l'impossibilité de vendre le bien pose un certain nombre de problèmes.
Avec le mécanisme proposé initialement par l'Assemblée nationale, lorsqu'il
n'y a pas d'enchérissement sur la nouvelle mise à prix, c'est le créancier qui
devient adjudicataire.
Vous imaginez les conséquences : un créancier pourrait être déclaré
adjudicataire à une somme supérieure à sa créance. Or, les créanciers ne sont
pas toujours des organismes institutionnels.
Vous avez cité un bon exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, celui de la
copropriété.
Nous savons fort bien que, lorsqu'un copropriétaire ne paie plus ses charges
depuis un certain nombre de mois, voire quelquefois d'années, il en résulte une
multiplication des situations de surendettement, par effet de ricochet. De
nombreux syndics bénévoles nous ont signalé ce phénomène, en particulier dans
les villes nouvelles.
Nous avons donc été amenés à proposer l'introduction d'un mécanisme d'enchères
descendantes similaire à celui qui existe en matière de liquidation judiciaire
pour les commerçants.
Si le mécanisme n'est pas parfait, il reste qu'un système dans lequel le
créancier poursuivant, en l'absence d'enchères, est automatiquement déclaré
adjudicataire au prix fixé par le juge n'est pas acceptable et peut avoir des
effets pernicieux.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, compte tenu des enjeux et de
l'intérêt global des dispositions proposées pour améliorer la situation des
personnes surendettées, la commission a maintenu sa proposition, qui lui paraît
constituer un équilibre nécessaire sans lequel le dispositif n'aurait plus de
sens.
L'absence de ce mécanisme entraînerait bien des difficultés d'application,
mais surtout - monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez fort bien -
rendrait plus difficile l'obtention du crédit et aboutirait à un
renchérissement de celui-ci. Or, nous devons tous favoriser l'accession sociale
à la propriété et, partant, l'activité du bâtiment.
Pour tous ces motifs, la commission des lois vous propose, mes chers
collègues, de voter conforme la proposition de loi adoptée par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
texte sur lequel nous avons à nous prononcer parcourt depuis quelques années
les méandres de la procédure législative.
Nous avons tous eu l'occasion, les uns et les autres, de nous exprimer sur ces
dispositions tendant à assurer une protection supplémentaire aux personnes
surendettées en cas de saisie immobilière.
Le groupe communiste républicain et citoyen voudrait tout de même revenir sur
les situations souvent dramatiques dans lesquelles se trouvent les personnes
surendettées, mais aussi sur les causes du surendettement, qui semblent avoir
été quelque peu oubliées dans l'examen de cette proposition de loi.
Jusque dans le début des années quatre-vingt-dix, les personnes surendettées,
pour une large part, devaient leur situation à l'accumulation de prêts et à des
taux d'endettement volontairement excessifs. Ce phénomène était accentué par le
rôle décisif joué par certains établissements prêteurs, peu scrupuleux en la
matière.
Je me permets d'ailleurs de rappeler que le groupe communiste républicain et
citoyen avait, en décembre 1996, proposé d'intégrer à ce texte, lors de la
première lecture, un article responsabilisant les établissements prêteurs. Cet
amendement n'a pas été retenu, et cela est fort dommage, car la non-prise en
compte du rôle joué par les organismes prêteurs conduit à cautionner une
procédure autorisant les pratiques douteuses de certaines professions.
Aujourd'hui, les causes du surendettement se sont modifiées. Elles sont
maintenant davantage le fruit de la difficile situation économique et sociale
que connaît notre pays et qui se traduit par la perte d'un emploi, l'éclatement
de la cellule familiale, tout cela entraînant une diminution très sensible des
revenus.
Les nouveaux surendettés, dénommés « surendettés passifs » dans le rapport de
l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, n'ont pas recours
aux crédits. Leurs dettes sont constituées par des impayés de loyer, de facture
d'électricité, d'eau, de cantine, de téléphone, d'hôpital, d'impôts locaux,
c'est-à-dire uniquement des dépenses liées à la vie quotidienne.
Depuis le début de la décennie, le nombre de ces surendettés passifs ne cesse
de croître ; bien entendu, cela tient en particulier à l'augmentation du nombre
de chômeurs.
Le mouvement social rassemblant les chômeurs est d'ailleurs la juste
expression du malaise des personnes qui ne vivent qu'avec des minima
sociaux.
Actuellement, la cause principale du surendettement est donc la misère, le
chômage. Or le texte n'offre pas, à notre avis, suffisamment de garanties aux
débiteurs saisis. La saisie immobilière est une voie d'exécution qui permet aux
créanciers de faire vendre le logement du débiteur afin de se voir rembourser
leurs créances.
Cette procédure conduisant à la vente du logement principal enferme les
personnes surendettées dans l'exclusion. La perte d'une adresse, pour une
personne surendettée au chômage, se traduit aussi par l'impossibilité de
retrouver des conditions de vie normale, voire un emploi.
Et la fréquence de ces situations dramatiques ne paraît pas devoir diminuer.
En témoignent les prévisions des organismes patronaux, qui estiment à 25 %
seulement des actifs le nombre de personnes qui auront un emploi stable et un
statut au début du troisième millénaire.
En France, ce serait près de 13 millions de personnes qui ne pourraient
subvenir à leurs besoins sans les différentes aides sociales. Autant dire que
le nombre de familles surendettées n'est pas près de baisser !
En 1995, il y a eu une augmentation de 35 % du nombre de dossiers déposés sur
le bureau de la commission de surendettement.
Actuellement, 30 % de ces familles ne peuvent même plus assurer le paiement
des dépenses courantes de la vie quotidienne.
Les différentes lois votées ces huit dernières années, notamment la loi
Neiertz, ont peut-être permis, dans certains cas, d'aider les ménages en
difficulté, par un rééchelonnement des remboursements et une renégociation des
taux d'intérêt, mais elles ne suffisent plus à répondre aux difficultés des
personnes surendettées.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui se veut un texte de
protection des débiteurs saisis. Or, au fil des débats parlementaires, sa
portée s'est trouvée réduite, et nous avons à nous prononcer maintenant sur un
texte où la seule innovation est l'inscription dans le commandement de saisie
de quatre mentions supplémentaires.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Pas seulement !
M. Robert Pagès.
Les dispositions qui prévoyaient, pour le débiteur saisi, la faculté de
disposer d'un délai de six mois afin de procéder lui-même à la vente amiable de
son immeuble ou encore celles qui permettaient une prise en compte du prix réel
de l'immeuble, garantissant ainsi une objectivité plus grande que la mise à
prix par le créancier, ont disparu.
Chacun sait ici que les créanciers, pour être sûrs de la vente du bien, et
donc assurés d'être payés, tiennent uniquement compte, dans la fixation du
montant de la mise à prix, du montant de leur créance, négligeant la véritable
valeur du logement saisi.
Certes, il est possible de faire appel au juge mais certains de ces débiteurs
sont dans une situation telle qu'ils n'usent même pas de cette faculté.
Tel qu'il nous est soumis, le texte prévoit que, en l'absence d'enchère, le
prix de mise en vente pourrait être abaissé jusqu'au montant de la mise à prix
initiale.
Pouvez-vous me dire qui va enchérir quand on sait que, en patientant un tant
soit peu, on peut obtenir le même bien pour un prix infiniment inférieur ?
Cette disposition n'élargit aucunement les garanties du débiteur. C'est
pourquoi nous proposons également de supprimer l'article 3
bis
.
M. le rapporteur a proposé d'émettre un vote conforme. Or il a reconnu
lui-même, en commission, que le dispositif de l'article 3
bis
n'était
pas pleinement satisfaisant. Nous sommes d'ailleurs convenus que la suppression
de ce texte n'était pas, non plus, pleinement satisfaisante.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Elle ne le serait pas du tout !
M. Robert Pagès.
Il me semble que, dès lors, il serait plus sage de ne pas voter le texte
conforme, ce qui permettrait éventuellement, au cours d'une navette qui ne
serait pas nécessairement un enterrement, pour reprendre la formule de M. le
président de la commission des lois, de trouver une solution intéressante.
C'est une raison supplémentaire de supprimer l'article 3
bis
comme nous
le proposons, avec le Gouvernement.
L'autre modification que nous souhaitons concerne le délai de six mois octroyé
au débiteur afin qu'il procède à la vente amiable de son bien.
Cette disposition avait été retenue lors de la première lecture au Sénat, sur
proposition de M. Hyest. Il nous semble que ce délai constitue une garantie
importante et qu'il serait dommage de ne pas retenir une telle disposition.
M. le rapporteur nous a expliqué tout à l'heure que, en fixant un délai de six
mois, on risquait simplement de rendre systématique le recours à ce délai et de
réduire ainsi la période de réflexion d'un an qui est observée dans la
pratique. Je ne suis pas vraiment convaincu par cette objection. En prévoyant
le délai de six mois, on apporterait au moins une garantie de réflexion.
Nos amendements représentent, à nos yeux, le minimum des garanties qu'il
convient d'accorder aux personnes surendettés subissant une saisie immobilière.
Je sais bien que nous avons aussi à défendre les créanciers,...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Non pas à les défendre, mais à les protéger !
M. Robert Pagès.
... mais le texte, je me permets de le rappeler, porte sur la défense des
surendettés. Il faut choisir, mes chers collègues !
La procédure de saisie immobilière attend d'être réformée depuis 1967. Cela
fait donc trente ans que l'on connaît des vides juridiques en la matière. La
réforme devient urgente. M. le secrétaire d'Etat nous a confirmé qu'elle devait
être programmée par le Gouvernement dans le cadre de la future loi relative à
l'exclusion. Nous nous en félicitons et espérons qu'elle n'attendra pas trente
ans de plus !
La proposition de loi dont nous débattons était-elle vraiment nécessaire ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Oui !
M. Robert Pagès.
Fallait-il légiférer au coup par coup, sans débat de fond ? Je n'en suis pas
sûr.
De plus, nous regrettons, comme j'y faisais allusion tout à l'heure, que cette
proposition de loi ne s'attaque qu'aux conséquences, même si celles-ci ne sont
pas négligeables, du surendettement, sans aborder suffisamment les causes
profondes du développement de ces situations.
Ce qu'il aurait fallu, c'est traiter les problèmes qui se posent en amont du
surendettement et qui y conduisent.
Même si l'on améliore la situation du débiteur, celui-ci n'en est pas moins
obligé de vendre son logement. C'est donc avant qu'il faut se préoccuper de ces
situations dramatiques.
Cela implique d'abord de lutter contre le chômage, bien sûr, mais aussi de
responsabiliser les établissements prêteurs et de protéger le consommateur, y
compris contre lui-même. En effet, dans notre société de consommation, tout est
fait pour susciter la tentation et inciter les gens à acheter, même - et
peut-être surtout - quand ils n'en ont plus les moyens. N'est-ce pas ainsi
qu'il faut interpréter l'installation d'un magasin
Crazy George's
à
Bobigny, une ville où l'on dénombre 4 500 chômeurs, soit 12 % de la population
globale ?
J'ai entendu dire que la Seine-Maritime allait aussi voir s'ouvrir un tel
magasin. A mon sens, ce n'est pas acceptable.
Soucieux d'appréhender le problème dans sa globalité, le groupe communiste
républicain et citoyen s'abstiendra sur l'ensemble de ce texte si ses
amendements ne sont pas adoptés.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mes
observations seront au nombre de trois : la première sera d'ordre
constitutionnel, la deuxième sera consacrée à la réalité du problème qui est
évoqué à travers cette proposition de loi et la troisième tendra à démontrer
qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation et qu'il importe de
poursuivre la réflexion, quitte à le faire rapidement.
Sur le plan constitutionnel, la discussion de cette proposition de loi nous
permet de découvrir l'un des effets de la dernière réforme de la Constitution :
grâce à cette réforme, le Sénat peut aujourd'hui - c'est une première - voter
conforme un texte adopté par l'Assemblée nationale dans son ancienne
composition.
Depuis longtemps, nous étions unanimes, du moins, sur la gauche de
l'hémicycle,...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
C'est une
unanimité limitée !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Certes, monsieur le président !
... pour demander que l'on revienne sur le caractère quelque peu dirigiste de
la Constitution de 1958, qui donnait au Gouvernement une priorité absolue dans
la fixation de l'ordre du jour, que les droits du Parlement soient reconnus et
que donc, Gouvernement d'accord ou pas, des textes d'initiative parlementaire
puissent venir en discussion.
Est-ce le fruit d'un calcul machiavélique ou d'une simple erreur ? Toujours
est-il que, lors de cette réforme, pareille hypothèse n'avait pas été
envisagée. Si on l'avait fait, il aurait pu être prévu que les textes d'origine
parlementaire adoptés par l'Assemblée nationale avant les élections et devant
encore être soumis au Sénat devenaient caducs ou, au moins, que la nouvelle
Assemblée nationale devait automatiquement procéder à une lecture
supplémentaire.
Le problème que je soulève, à savoir qu'une loi soit adoptée alors qu'elle ne
correspond plus à l'état de l'opinion, ne risque pas de se poser dans l'autre
sens : le Sénat étant ce qu'il est, compte tenu du mode d'élection des
sénateurs, c'est-à-dire, on le sait bien, toujours « conservateur », si, par
hypothèse, il arrivait un jour que la majorité change de nouveau à l'Assemblée
nationale, il est évident que les textes qu'elle aurait précédemment adoptés et
qui ne plairaient pas au Sénat ne seraient pas votés conformes par celui-ci.
Une fois de plus, le Sénat se trouve avoir augmenté ses pouvoirs mais, cette
fois, je dois le dire, sans bruit.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Et peut-être sans s'en apercevoir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Puisqu'on parle une nouvelle fois de réforme constitutionnelle et qu'il est
question de nous faire encore prendre le chemin de Versailles, la solution
serait peut-être de revenir sur la précédente réforme et d'introduire le léger
correctif que j'ai suggéré tout à l'heure. Je le crains fort, cependant, le
Sénat s'y opposerait et, dès lors, nous ne disposerions pas de la majorité
nécessaire à une telle modification de la Constitution.
Au demeurant, il existe une autre solution. Si le texte adopté ne convient
absolument pas à la nouvelle majorité, le Gouvernement peut déposer un nouveau
projet de loi et, cette fois, donner le dernier mot à l'Assemblée nationale.
Mais cela ne peut que faire perdre beaucoup de temps à tout le monde. Or c'est
bien, j'en ai peur, ce qui va se passer en l'occurrence.
En effet, le problème qui est ici posé est bien réel, et les élus locaux,
depuis longtemps, attirent notre attention sur le caractère scandaleux de
certaines situations. Voilà des gens d'une absolue bonne foi qui avaient
emprunté parce que leurs moyens leur permettaient de rembourser des mensualités
données, mais qui, du fait de la crise économique, par exemple parce qu'ils se
sont retrouvés au chômage, subissent une baisse sensible de leurs revenus, sont
finalement poursuivis, voient leur maison vendue, et à très bas prix - ce qui
fait que, parfois, la vente ne permet même pas d'apurer la totalité de la dette
-, et qui, de toute façon, sont complètement ruinés.
C'est ce qui nous a amenés, les uns et les autres, à soutenir cette
proposition de loi. Pour autant, nous ne pensons pas que la réflexion sur cette
question ait été menée à son terme. D'ailleurs, le groupe socialiste de
l'Assemblée nationale avait voté contre le texte en deuxième lecture, sous
l'ancienne majorité.
Faudrait-il établir une distinction selon que le créancier est un organisme de
crédit - banque ou autre - ou non ? C'est une piste.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Ce serait contraire au principe d'égalité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il en est une autre : à défaut d'enchère au prix fixé par le juge, le choix
serait laissé au poursuivant ou bien d'accepter d'être déclaré adjudiciaire -
avec peut-être un abattement de 10 % ou de 15 %, parce que, dans la plupart des
cas, il voudra revendre, et en lui laissant ou non un délai de six mois pour
trouver quelqu'un qui le remplace comme adjudicataire - ou bien de remettre la
vente.
Ce système pourrait au moins être réservé aux banques et aux organismes de
crédit, qui ont la possibilité d'attendre. Tel n'est pas le cas, bien
évidemment, du petit créancier, lui aussi de bonne foi et lui aussi susceptible
de se trouver au chômage.
Ces quelques réflexions, qui font suite à celles de Robert Pagès, sont la
preuve que s'il faut, certes, trouver une solution rapidement, il convient d'y
réfléchir encore, car celle qui nous est proposée n'est pas satisfaisante.
La logique voudrait donc que la navette se poursuive, ce qui implique que les
amendements qui ont été déposés - l'un émane du Gouvernement, les deux autres
sont présentés par notre collègue Robert Pagès et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen - soient adoptés par le Sénat.
La navette se poursuivrait alors dans le meilleur des esprits, puisque nous
sommes tous décidés à trouver la meilleure solution.
Peut-être le Sénat pourrait-il s'inspirer de la méthode recommandée hier matin
par le président de la commission des lois à la majorité sénatoriale, à
laquelle il a suggéré de s'abstenir lors du vote des amendements de
l'opposition !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Vous êtes unanimes. Cela ne présente
donc aucun intérêt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous le sommes, mais vous ne l'êtes pas !
Cela nous donnerait l'occasion de mettre ce texte au point, pendant la navette
ou tout au moins, à défaut, en commission mixte paritaire.
Les amendements qui nous sont proposés ne règlent pas, certes, le
problème...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
... de l'équilibre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... nous en sommes tous d'accord mais si le Sénat les adoptait, il permettrait
que se poursuivre la recherche d'une solution non seulement équilibrée, certes,
mais surtout équitable.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er