ELARGISSEMENT DE L'UNION
Discussion d'une question orale avec débat
portant sur un sujet européen
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat portant
sur un sujet européen suivante :
M. Nicolas About interroge M. le ministre délégué chargé des affaires
européennes sur les conséquences des décisions prises par le Conseil européen
de Luxembourg en ce qui concerne l'élargissement de l'Union.
Il lui demande comment sont évaluées les répercussions de ces décisions sur
les différents pays candidats et quelles précisions ont été apportées
concernant le financement de l'élargissement ainsi que la réforme des
institutions européennes.
Il lui demande également quelles seront les missions de la Conférence
européenne qui associera les Etats membres et tous les pays candidats à
l'adhésion. (N° QE 3.)
Je rappelle au Sénat que, dans un tel débat, ont droit à la parole, outre
l'auteur de la question et le Gouvernement, un représentant de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne, un représentant de la commission permanente
compétente et un représentant de chaque groupe.
Chaque orateur dispose d'un temps de parole de dix minutes et il n'y a pas de
droit de réponse au Gouvernement.
La parole est à M. About, auteur de la question.
M. Nicolas About.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
préparation du Conseil européen de Luxembourg a donné lieu à un débat non
seulement au sein du Parlement européen mais encore au sein des parlements de
la plupart des pays membres de l'Union.
Ce débat faisait suite aux propositions de la Commission européenne tendant à
ouvrir des négociations d'adhésion avec cinq des dix pays candidats d'Europe
centrale et orientale ainsi que avec Chypre, et donc à ajourner l'ouverture des
négociations avec les cinq autres pays candidats.
Cette approche de la Commission a suscité de sérieuses réserves tant chez les
parlementaires européens que chez beaucoup de parlementaires nationaux. Les
inquiétudes portaient sur le risque de voir se constituer deux groupes de pays,
les « élus et les « ajournés », entre lesquels un fossé durable était
susceptible de se creuser, aboutissant à recréer une ligne de partage au centre
même de l'Europe, à l'image de ce qu'avait induit la méthode adoptée par les
Américains pour l'extension de l'OTAN.
Beaucoup de parlementaires plaidaient, en conséquence, pour une conception du
processus d'élargissement permettant d'englober tous les pays candidats
d'Europe centrale, même si, à l'évidence, certains pays étaient destinés à
rejoindre l'Union beaucoup plus rapidement que d'autres. Telle était, en
particulier, la position exprimée par la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
Le Conseil européen a fait droit, au moins en partie, aux préoccupations
parlementaires. La solution retenue donne, certes, priorité aux six
candidatures - ou, si l'on veut, aux « cinq plus une » - retenues par la
Commission, mais un effort manifeste est fait pour éviter la formation de deux
groupes.
Le processus d'élargissement, tel qu'il a été lancé par le Conseil européen,
englobe les onze candidatures et leur applique à toutes l'article relatif aux
adhésions du traité sur l'Union européenne, c'est-à-dire l'article O.
Les conclusions du Conseil précisent que les onze pays « sont appelés à
adhérer à l'Union européenne sur la base des mêmes critères et qu'ils
participent aux mêmes conditions au processus d'adhésion ». Dans ce sens, une
stratégie dite de « pré-adhésion renforcée » est définie, au profit de tous les
pays candidats ; elle s'exprime, notamment, dans la mise en place de «
partenariats pour l'adhésion » adaptés à chaque pays et dans un renforcement
des « aides pré-adhésion » qui seront réparties selon « le principe de
l'égalité de traitement, indépendamment de la date de l'adhésion ».
Ce compromis est satisfaisant. Ce qui paraît principalement souhaitable,
aujourd'hui, c'est qu'il soit pleinement appliqué, de telle sorte que, lorsque
le processus d'adhésion parviendra à son terme, les solidarités de fait qui
existent en Europe centrale soient respectées. A l'évidence, il est souhaitable
que la Lituanie et la Lettonie puissent, le moment venu, se joindre à l'Estonie
; de même, la Slovaquie doit pouvoir rejoindre la Hongrie et la République
tchèque.
Cependant, si l'on adopte ainsi une conception dynamique de l'élargissement,
fondamentalement englobante même s'il y a une différenciation dans le temps, la
question de la révision institutionnelle vient nécessairement au premier
plan.
Or, sur ce point, les conclusions du Conseil européen sont plus que
décevantes. Certes, elles réaffirment qu'il y a bien un préalable
institutionnel à l'élargissement - le mot est employé - mais ce préalable est
défini comme « un renforcement et une amélioration du fonctionnement des
institutions conformément aux dispositions du traité d'Amsterdam ».
On s'en tient donc au protocole adopté à Amsterdam, c'est-à-dire à un
préalable institutionnel de portée limitée et de faible valeur
contraignante.
L'absence de tout progrès dans ce domaine, alors que le processus
d'élargissement est maintenant officiellement lancé, est très inquiétante.
J'observe qu'en même temps un discours se développe au sein de la Commission
européenne, selon lequel les questions institutionnelles débattues lors de la
Conférence intergouvernementale n'auraient pas l'importance qu'on leur avait
prêtées. Seule serait vraiment nécessaire une extension des votes à la majorité
qualifiée ; pour le reste, l'Union élargie pourrait fonctionner selon les
règles actuelles ou avec des adaptations limitées. Ce type de discours est
naturellement très bien reçu par certains « petits » Etats membres.
Une clarification est donc indispensable. Il ne suffit pas de dire qu'« une »
révision institutionnelle est un préalable à l'élargissement ; il faut dire
laquelle, sinon rien n'empêchera de s'en tenir à de modestes aménagements.
Le précédent gouvernement avait, quant à lui, établi un lien entre l'extension
de la majorité qualifiée, la repondération des votes du Conseil et la réforme
du fonctionnement de la Commission. Ce point de vue, on le sait, n'a pas
triomphé à Amsterdam, mais il n'a pas non plus été officiellement abandonné par
la France ; dès lors, devons-nous admettre, monsieur le ministre, que le
nouveau gouvernement l'a repris à son compte ? Il est indispensable que le
Gouvernement précise sa conception du préalable institutionnel.
Pour ma part, j'ai le sentiment que, dans la durée, une Union élargie ne
pourra fonctionner sans évoluer vers un système de type fédéral. Je sais que ce
terme reste tabou dans la classe politique française et suscite de nombreuses
craintes, mais c'est conscient de cet état d'esprit que j'ai choisi de
l'utiliser. « De type fédéral », cela signifie simplement une répartition
claire et efficace des domaines de compétence entre les différents centres de
décision de l'Union européenne, et ce dans le respect des identités nationales.
Il ne s'agit donc pas, contrairement à ce que certains affirment, de renoncer à
notre souveraineté.
La France ne pourra préserver cette souveraineté face aux défis de demain,
tels le commerce électronique, le crime organisé, le besoin d'une politique
étrangère et de défense efficace, sans cette organisation politique
fédérale.
En dehors de cette voie, l'Europe des nations représente une somme de
souverainetés limitées et peu crédibles sur la scène internationale.
Bien entendu, cette évolution ne pourra se faire que par étapes mais, si la
première est manquée, il sera extrêmement difficile d'avancer ensuite.
Un autre sujet d'interrogation concerne l'avenir de la Conférence européenne.
Cette idée d'origine française a été retenue par le Conseil européen, mais on
peut aujourd'hui se demander si elle conserve sa pertinence.
L'idée de la Conférence européenne s'accordait assez bien avec les
propositions initiales de la Commission : elle définissait un cadre pour une
coopération entre les pays membres de l'Union et l'ensemble des pays candidats,
atténuant donc la coupure entre les pays retenus pour l'ouverture de
négociations d'adhésion et les autres.
En même temps, elle permettait d'associer la Turquie, sous une forme
appropriée, au processus d'élargissement. Or, aujourd'hui, ce processus englobe
clairement tous les pays candidats d'Europe centrale et orientale et Chypre,
avec lesquels se poursuivra le « dialogue structuré » qui les associe tous à
l'Union. Quant à la Turquie - j'y reviendrai - elle se tient ou est tenue pour
l'instant à l'écart.
Dans ces conditions, on peut se demander quelle raison d'être subsiste pour la
Conférence européenne.
Faut-il en faire une enceinte encore plus vaste, en courant le risque d'un
double emploi avec le Conseil de l'Europe ? Ou faut-il admettre que, à moins
d'un accord avec la Turquie, la Conférence européenne est mort-née ?
Il serait, à mes yeux, hautement souhaitable, monsieur le ministre, que vous
nous aidiez à y voir plus clair sur ces points.
S'agissant de la Turquie, on a le sentiment que des maladresses ont été
commises à l'égard de ce pays lors de la préparation du Conseil européen, et en
disant cela, je le précise, je n'incrimine pas notre gouvernement. Toujours
est-il que les relations entre l'Union et la Turquie connaissent une crise.
Je sais bien que certains de nos partenaires n'ont guère de sympathie pour la
candidature de la Turquie, même à long terme. Cependant, renoncer au
rapprochement avec ce pays serait, me semble-t-il, une grave erreur.
La Turquie est le seul pays musulman à avoir adopté un système politique fondé
sur la laïcité, chaque jour remis en cause par les islamistes. C'est un grand
pays, à l'influence grandissante en Asie centrale, une région dont l'importance
stratégique et énergétique croîtra au siècle prochain.
Enfin, à l'évidence, une solution du problème chypriote, qui intéresse
directement l'Europe, passe par un accord avec la Turquie, et non par une
attitude de confrontation.
Laisser de côté la Turquie serait donc contraire aux intérêts européens ; ce
serait laisser une influence exclusive aux Etats-Unis dans une zone
charnière.
L'option de l'adhésion de la Turquie doit donc rester ouverte, d'autant
qu'elle est le meilleur levier pour la modernisation de ce pays.
On peut, bien sûr, souligner le fossé qui subsiste entre la Turquie et
l'Europe, mais nul n'envisage une adhésion de la Turquie à un terme rapproché.
De plus, nous venons de constater que l'Histoire pouvait s'accélérer et prendre
des directions inattendues. Qui aurait prévu il y a dix ans que nous serions,
en ce début de 1998, en train d'organiser l'entrée des pays d'Europe centrale
et orientale dans l'Europe communautaire ?
Une attitude constructive à l'égard de la Turquie est donc nettement
préférable à la frilosité. Elle est en même temps le seul moyen dont nous
disposons pour encourager l'ouverture économique et la démocratisation accrue
dont ce pays a tant besoin. Il me paraît donc souhaitable que le Gouvernement
encourage une clarification positive de la politique de l'Union à l'égard de la
Turquie.
Pour terminer, j'ajouterai que, même si les conclusions du Conseil européen
sont bien orientées, nombre d'interrogations et de motifs d'inquiétude
subsistent. L'élargissement est lancé, mais le terrain n'est toujours pas
balisé, qu'il s'agisse des institutions, du financement, ou encore des limites
géographiques du processus.
Cela appelle de notre part un effort pour clarifier nos positions et pour
entraîner nos partenaires. La France doit rester vigilante. Ne cédons pas à la
tentation de faire de l'Europe un vaste espace économique sans réelle
consistance politique et sans influence internationale !
L'Union européenne ne doit, en ces instants cruciaux pour son avenir, ni
décevoir les espoirs des Européens de l'Est, ni renforcer l'euroscepticisme des
Européens de l'Ouest, et elle ne doit pas non plus abandonner la dimension
méditerranéenne de son projet, dont plus personne ne parle.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question que M.
Nicolas About pose au Gouvernement, en accord avec la délégation du Sénat pour
l'Union européenne, je me permets de le souligner, nous invite fort
opportunément à nous exprimer dans le cadre d'un débat public sur les décisions
prises le mois dernier par le Conseil européen en ce qui concerne
l'élargissement de l'Union.
Les considérations pertinentes présentées voilà un instant par l'auteur de la
question sur les conditions dans lesquelles se sont finalement déroulés et
terminés les travaux me dispensent d'en reprendre l'exposé. J'essaierai plutôt
d'exprimer le sentiment de ceux qui suivent attentivement le développement
d'une Communauté européenne vieille déjà de quarante ans.
A juste titre, on a pu souligner qu'il importait de prendre conscience de la
portée historique de ce Conseil européen de Luxembourg, qui a ouvert la porte
de l'Union à onze nouveaux pays, les dix pays associés d'Europe centrale et
orientale, et Chypre.
Sachons observer que cette dimension historique comporte elle-même deux
aspects très différents.
Le premier aspect est réconfortant : c'est la concrétisation de la fin de la
guerre froide. Le continent européen va surmonter définitivement les divisions
artificielles nées de l'affrontement entre l'Est et l'Ouest, et la méthode qui
est retenue pour cette grande entreprise est celle qu'avaient choisie les pays
d'Europe occidentale dans les années cinquante, à savoir la méthode
communautaire !
Peut-on imaginer preuve plus décisive, plus éclatante de la validité de cette
méthode ?
Libérées de l'emprise soviétique, les ex-« démocraties populaires » ne se
prononcent pas pour une quelconque « troisième voie » entre l'Est et l'Ouest ;
ce qu'elles choisissent, c'est de se joindre au processus engagé par les
Européens de l'Ouest, tant il leur paraît évident que ce processus a conduit au
succès.
L'élargissement est donc, avant tout, une éminente victoire de la construction
européenne. Dois-je dire, mes chers collègues, que je m'en réjouis vivement
?
Cependant, ce tournant historique comporte également un deuxième aspect, plus
difficile à apprécier, qui est le changement du caractère spécifique de
l'Europe communautaire.
Il est vrai que l'apparence de l'Europe s'était déjà modifiée très
sensiblement lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark et de
l'Irlande. Mais, si l'entrée de la Grèce avait encore un peu plus éloigné la
Communauté des équilibres de départ, celle de l'Espagne et du Portugal,
contrairement à ce que l'on semblait redouter ici et là, l'en avait ensuite
rapprochée. Soyons satisfaits d'avoir, au Sénat, contribué à favoriser
l'admission des pays ibériques dans le traité de Rome.
L'élargissement à trois pays neutres, en 1995, nous a de nouveau éloignés de
l'esprit initial des Communautés. Je ne suis pas convaincu d'ailleurs que, sur
le moment, nous ayons bien mesuré le changement d'ambiance qu'allait entraîner
le passage de douze à quinze membres.
Désormais, avec la perspective de l'adhésion dans quelques années de cinq,
six, huit nouveaux pays, l'altération sera plus profonde encore. Ne nous
méprenons pas sur les conséquences de cette importante modification des limites
de l'Union, mes chers collègues.
Je veux rappeler que la Communauté des Six était un ensemble relativement
homogène, fortement soudé dès l'origine par l'axe franco-allemand avec une
République fédérale non encore unifiée. Dans ce cadre, il était finalement
toujours possible d'arriver à un accord raisonnable lorsqu'un choix
indispensable à la mise en oeuvre des principes retenus dans les traités devait
être fait. Les conceptions sur l'étendue des problèmes à régler en commun,
sinon sur la formulation des décisions, étaient assez voisines. Dans ces
conditions, la Communauté pouvait contourner, dans la pratique courante, les
aspirations des fondateurs à un fédéralisme qu'il convenait de définir par
l'expérience.
La construction européenne a longtemps vécu sur cet acquis. Mais, depuis le
dernier élargissement, nous avons déjà atteint les limites de ce type de
fonctionnement. Nous sentons bien que l'entreprise rencontre des difficultés
pour progresser. Le caractère plutôt décevant, reconnaissons-le, du traité
d'Amsterdam en est l'illustration la plus nette. Le seul grand projet qui
rassemble les Européens aujourd'hui, la mise en place de la monnaie unique, a
été décidé par l'Europe des Douze.
La leçon est claire : une Union européenne encore élargie ne pourra plus
atteindre ses objectifs à partir des bases originelles. Non seulement elle
comptera trop d'Etats membres pour y parvenir, mais surtout elle sera trop
hétérogène. M'exprimant ainsi, je ne pense pas seulement aux disparités
économiques et sociales considérables qui la caractériseront et qui justifient
les délais exigés pour que les critères imposés à l'adhésion soient respectés,
je pense aussi au fait que beaucoup de ses membres n'auront pas été portés par
l'élan initial de la Communauté.
Je crois de mon devoir de rappeler ce qu'était cet élan qui a conduit à la
mise en place des premières Communautés dans les années cinquante.
L'Union à vingt ou vingt-cinq membres, pour ne pas se déliter, devra
impérativement disposer d'institutions centrales plus fortes, d'autant que les
pays auront entre eux trop de différences naturelles pour que l'effort
d'harmonisation reste aussi poussé qu'aujourd'hui.
Si nous persistons à l'intérieur d'une Union élargie à vouloir nous doter de
règles uniformes et détaillées dans de très nombreux domaines, nous aboutirons
à de graves distorsions, car ces règles ne seront pas appliquées de la même
manière par tous les Etats et ne pourront pas l'être.
Une Union élargie aura donc besoin à la fois de plus d'autorité et de plus de
subsidiarité. Elle devra être plus fédérale qu'aujourd'hui, mais aussi moins
interventionniste.
Comme vous pouvez le constater, monsieur About, je ne m'éloigne pas beaucoup
des propos que vous avez tenus voilà un instant.
Un tel programme, reconnaissons-le, sera difficile à remplir, car il heurtera
à la fois la propension des institutions européennes à intervenir toujours plus
et la tendance des Etats membres à se défier des centres de décisions ou de
recommandations placés au-dessus d'eux.
Ainsi, le risque existe que l'Union se trouve de moins en moins capable
d'adopter un système de type fédéral, au moment même où un tel système
deviendra de plus en plus nécessaire pour lui permettre d'accomplir ses
missions.
Les problèmes que devra résoudre une Union très hétérogène sont
particulièrement évidents dès que l'on prend en compte le cas de la Turquie.
Ce pays, contre toute attente, est celui qui a fait le plus parler de lui lors
du Conseil européen de Luxembourg. De nombreux observateurs ont découvert à
cette occasion qu'il avait plus de moyens de pression qu'on ne pouvait le
penser. Mais quelle attitude adopter dans cette affaire ?
La Communauté a reconnu, voilà trente-cinq ans, la vocation de la Turquie à
l'adhésion ; cette vocation a été officiellement réaffirmée il y a dix ans et à
nouveau confirmée lors du Conseil européen de Luxembourg. Personne ne peut
prétendre pourtant qu'il y ait eu en trente-cinq ans un véritable rapprochement
entre la Turquie et les pays membres de la Communauté. On doit même constater
qu'une adhésion de la Turquie paraît aujourd'hui toujours aussi éloignée, voire
hypothétique.
Pourrons-nous rester durablement sur une ligne consistant à affirmer
l'éligibilité de la Turquie sans jamais prendre les mesures qui pourraient en
permettre la concrétisation ? Bon gré mal gré, nous devons donc intégrer à
notre vision de l'Europe future que, tôt ou tard, la Turquie sera membre de
l'Union, à moins qu'elle-même n'ait cessé entre-temps de le souhaiter - ce qui,
tout bien pesé, ne serait sans doute pas une très bonne nouvelle.
Soyons lucides si elle voit le jour, une Union de trente pays, allant de la
Laponie à l'Asie mineure et de la mer Noire à l'Atlantique, n'aura plus
grand-chose à voir avec la vision des pères fondateurs, même si Jean Monnet a
conclu ses
Mémoires
en soulignant que la Communauté des six n'était
qu'une « étape ».
Dans ces conditions, si nous ne voulons pas que l'Union perde en substance ce
qu'elle aura gagné en étendue, il apparaît indispensable de consolider, sans
doute autour de l'euro, la coopération privilégiée qui s'est établie à l'Ouest
du continent et qui reste la plus étroite jamais accomplie entre les Etats
d'Europe souverains, ayant de lourdes pesanteurs historiques.
L'Europe élargie aura besoin d'un pôle d'entraînement, ou, si l'on veut, d'un
pôle magnétique de nature à contrecarrer les tendances à la dispersion. C'est
aux pays premiers signataires des traités de le proposer, et oserai-je dire, de
savoir l'imposer par une intelligente persuasion. Je me permets de le leur
rappeler du haut de la tribune du Sénat de la République française.
Evitons de lâcher la proie pour l'ombre. L'acquis communautaire, y compris le
traité d'Amsterdam, ne doit pas être remis en cause ; il doit, au contraire,
être repris par les nouveaux adhérents.
Efforçons-nous donc de prendre la mesure des enjeux extrêmement complexes du
processus d'élargissement, non pour le retarder, mais pour le maîtriser. Il
faut se réjouir de cet élargissement ! Qui souhaiterait le retour à la guerre
froide ? Mais, en même temps, il nous faut veiller à ce que l'agrandissement de
l'édifice n'en menace pas les fondations.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, prenons garde - ce sera ma
conclusion - à ne pas faire de la construction européenne une tour de Babel
politique. Notre exigence d'une structure plus efficace pour la nouvelle Union
doit être comprise en ce sens par tous ceux qui veulent poursuivre l'oeuvre
exaltante et pacificatrice de rapprochement des peuples porteurs de la
civilisation du monde occidental.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, en prenant à Luxembourg, le 12 décembre dernier, la décision
d'ouvrir la porte de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et
orientale, les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze n'ont pas seulement
confirmé un choix dont le principe avait été retenu, dès juin 1993, à
Copenhague : ils ont pris une décision à la dimension historique évidente,
destinée à effacer les divisions du continent européen héritées de la guerre
froide.
Sans doute pourrait-on relever que, après la création de l'euro, qui constitue
une concession majeure de l'Allemagne, l'élargissement à l'Est répond
parfaitement aux intérêts stratégiques de nos voisins. Mais cet élargissement
constitue surtout une évolution politique inéluctable et un défi sans précédent
pour l'Union européenne. En effet, il s'agit de permettre cette réintégration
dans la famille européenne des pays d'Europe centrale et orientale sans
dilapider l'acquis communautaire ni renoncer à notre ambition européenne. Dès
lors, bien des questions se posent aujourd'hui aux Quinze pour mener à bien
cette difficile entreprise. J'en évoquerai brièvement trois.
La première porte naturellement sur les pays concernés, au moins dans un
premier temps, par ce nouvel élargissement. L'enjeu n'est pas mince. En effet,
si des adhésions groupées et précipitées ne pourraient que conduire à
l'affaiblissement de l'Union dans son ensemble, un processus d'intégration trop
différencié ferait courir le risque de faire apparaître, en Europe, de
nouvelles lignes de fracture, d'autant plus inacceptables qu'elles seraient
parfaitement contradictoires avec l'objectif, essentiellement politique, que
l'on cherche à atteindre par l'élargissement.
Les décisions de Luxembourg se sont, à cet égard, efforcées d'atténuer les
risques de la différenciation proposée par la Commission en faveur des cinq ou
six pays les mieux préparés, en instaurant également un processus qui concerne
l'ensemble des pays européen candidats. Cependant, des interrogations
demeurent.
Pouvez-vous, d'abord, nous confirmer, monsieur le ministre, que les Etats
faisant partie de la première vague ne pourront pas faire obstacle à des
adhésions ultérieures, alors que le traité confère en la matière, je le
rappelle, un droit de veto à tout Etat membre ? Il s'agit là, je crois, d'un
point politiquement important qui devrait être clairement acté.
Ensuite, la Conférence européenne, qui doit se réunir pour la première fois à
Londres en mars prochain et rassembler, avec les Quinze, tous les candidats à
l'adhésion, doit constituer un forum politique utile sur des sujets d'intérêt
commun. Mais ne risque-t-elle pas d'apparaître comme une bien mince
compensation à l'ouverture de négociations immédiates ? Quel sera, monsieur le
ministre, le contenu précis de cette conférence ? Ne sera-t-elle pas purement
mondaine ? Et quelle sera l'articulation de ses travaux avec les discussions
poursuivies à Quinze dans le cadre des deuxième et troisième piliers ?
Comment ne pas évoquer également, comme l'ont fait excellemment MM. Nicolas
About et Jacques Genton, le cas de la Turquie, qui frappe à la porte de
l'Europe depuis le début des années soixante ? Nous devons tout faire pour
renouer fermement les fils du dialogue avec ce pays. La France peut, me
semble-t-il, jouer un rôle très positif pour conduire Ankara à participer à la
Conférence européenne. En effet, s'il est clair - je partage à ce sujet ce
qu'ont dit les deux orateurs précédents - que personne - sauf peut être aux
Etats-Unis - n'imagine que la Turquie se trouve dès aujourd'hui en situation
d'adhérer à l'Union européenne, il va aussi de soi que nous devons tout mettre
en oeuvre pour éviter que ce grand pays, par déception ou par rancoeur, ne
succombe aux tentations extrémistes, tout en bloquant toute évolution du
dossier chypriote, au moment même où des négociations d'adhésion doivent être -
à tort ou à raison, je me pose la question - commencées avec Chypre.
Une deuxième série de questions nous conduit à aborder les modalités des
futurs élargissements.
Quelle solidarité financière pourra être assurée, demain, au sein de l'Union
alors que, d'un côté, les pays demandeurs seront plus nombreux et que, de
l'autre, les pays contributeurs sont engagés dans des efforts durables de
rigueur budgétaire ? Chacun sait que l'Allemagne se plaint de plus en plus de
verser quelque 60 % des contributions nettes au budget communautaire, tandis
que - faut-il le rappeler ? - la position française est beaucoup plus
avantageuse, monsieur le ministre. Si les dépenses communautaires doivent
continuer à respecter le plafond de 1,27 % du PIB de l'Union, qu'en sera-t-il
dans une Union européenne à vingt ou vingt-cinq membres ?
Monsieur le ministre, pouvez-vous, dans ce contexte, nous donner quelques
précisions sur le coût et le financement de l'élargissement de l'Union qui
paraît faire l'objet d'évaluations presque aussi aléatoires que l'élargissement
de l'OTAN ?
Troisième question : dans quelle mesure et sous quelle forme peut-on faire
d'une véritable réforme institutionnelle un préalable à la mise en oeuvre de
tout nouvel élargissement ? Je rejoins la position de notre collègue et ami
Nicolas About : cette réforme est nécessaire et indispensable.
Cependant, la tâche ne sera pas aisée. Pour tout dire, j'ai le sentiment que
le « parti de la réforme » est aujourd'hui singulièrement affaibli en Europe.
Nous n'avons d'ailleurs guère trouvé que l'Italie et la Belgique pour
s'associer à nos propositions. Plus généralement, tout porte à craindre que,
face à la dynamique historique du processus d'élargissement, la demande de
réforme institutionnelle ne pèse plus très lourd.
Il reste que les dispositions institutionnelles du traité d'Amsterdam, qui
auraient pu, pour une Union maintenue à quinze Etats membres, représenter
quelques timides améliorations, présentent des insuffisances très préoccupantes
dans la perspective d'une Europe élargie.
Nous devons donc, selon moi, non pas - je le souligne - rejeter la
ratification du traité d'Amsterdam,...
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
... avec toutes les
conséquences qui en résulteraient, mais indiquer clairement à nos partenaires
qu'il ne pourra y avoir d'élargissement sans réforme.
Nous devons, je crois, pour y parvenir, prendre l'initiative de proposer une
méthode, voire un calendrier. La méthode de la Conférence intergouvernementale
a montré ses limites. Que pensez-vous, monsieur le ministre, de la possibilité
de confier à quelques personnalités européennes incontestables ou à un « comité
des sages » le soin de formuler les propositions les plus adaptées ?
Avec la mise en place de mécanismes assouplis de « coopérations renforcées » -
seul moyen de préserver, demain, dans le cadre d'une Union élargie,
l'approfondissement de la construction européenne - avec la mise en oeuvre,
désormais acquise, de l'euro - qui constituera le vrai projet fédérateur de
l'Europe au tournant du siècle - une réponse pourrait être ainsi apportée au
manque de projet clair qui caractérise aujourd'hui la construction européenne.
Alors, seulement, les incertitudes liées à l'élargissement pourront être
dissipées et nous éviterons de voir encore s'éloigner la perspective d'une «
Europe puissance » que nous continuons à appeler de nos voeux.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil
européen qui vient de se tenir à Luxembourg marque le premier point
d'aboutissement d'un long processus de préparation et de cadrage du lancement
des négociations d'adhésion, dont l'origine réside dans l'article O du traité
sur l'Union européenne.
Le Conseil européen de Luxembourg a donné son accord à l'engagement d'un
élargissement sans précédent de par le nombre de pays candidats, leur
hétérogénéité et leur situation politique, économique et sociale.
Leur adhésion et leur intégration est un projet avant tout politique. En
effet, la perspective de nouvelles adhésions porte en elle-même l'interrogation
de l'avenir de la construction européenne : parviendrons-nous à réussir une
intégration politique, économique et sociale de cette importance sans pour
autant mettre en danger les principes, les objectifs et les moyens de la
construction européenne ? C'est la question que nous nous posons tous.
La difficulté centrale de l'élargissement est la suivante : comment permettre
aux pays candidats de parvenir dans un délai relativement bref à un degré de
développement économique et social important sans que, pour autant, leur
participation à la construction communautaire entraîne la dilution ou
l'affaiblissement de l'Union.
Cet élargissement constitue certes une chance historique pour l'Europe, mais
il n'est pas sans risque pour le projet politique de l'Union européenne, compte
tenu de l'hétérogénéité croissante des intérêts et des perceptions du rôle de
l'Union qu'il entraînera.
Cet enjeu avait déjà été bien cerné par le Conseil européen de Copenhague en
juin 1993 : préserver, voire accroître « la capacité de l'Union à assimiler de
nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » et en
« répondant à l'intérêt général aussi bien de l'Union que des pays candidats
».
La qualité de l'Union, la motivation et la volonté politique des Etats membres
de faire progresser l'Union dans le sens d'une plus grande intégration
pourraient être jugées à l'aune de cette capacité. C'est en tout cas une
occasion de réfléchir aux objectifs que l'on veut s'assigner, en d'autres
termes à la nature même de l'Union européenne. Celle-ci est face à un défi
majeur qui a rendu nécessaire la définition d'une stratégie d'ensemble,
l'élargissement n'étant que l'un des éléments d'un projet plus global de
réforme du cadre financier et des politiques communes de l'Union.
La question que l'on peut aujourd'hui se poser est donc la suivante : les
conclusions de ce Conseil européen répondent-elles de manière satisfaisante aux
exigences et aux contraintes d'un tel élargissement ?
Le Conseil européen est parvenu à définir une formule permettant de lancer «
un processus d'adhésion englobant les dix Etats candidats d'Europe centrale et
orientale et Chypre... qui participent aux mêmes conditions au processus
d'adhésion... à travers l'établissement d'un dispositif d'encadrement unique ».
Le Conseil européen a donc opté pour une même ligne de départ, donnant à chaque
pays candidat sa chance.
Nous nous félicitons, en particulier, de l'adoption du principe d'une
conférence européenne annuelle, qui devrait permettre des discussions
multilatérales fructueuses dans les domaines d'intérêt commun relevant de la
politique étrangère et de sécurité commune, de la justice et des affaires
intérieures, ainsi que de la coopération régionale.
Les conclusions du Conseil européen consacrent aussi le principe selon lequel
la durée et le rythme des négociations pourront varier en fonction de
l'évolution des différents pays. La combinaison des processus permet en fin de
compte d'entretenir la mobilisation de tous les pays candidats, en utilisant
l'objectif d'adhésion comme un aiguillon.
Je ferai quelques remarques sur le choix des candidats.
D'abord, je formulerai une réserve sur la différenciation qui a été faite
entre les Etats baltes. Qu'est-ce qui distingue les pays baltes entre eux ?
Cette distinction ne peut-elle porter préjudice à leur système de coopération
régionale ?
Par ailleurs, j'ai l'espoir que l'engagement des négociations avec Chypre
permettra rapidement de parvenir à un accord politique sur le statut de l'île,
sur le différend qui la divise.
Enfin, nous pouvons regretter que la Turquie ait repoussé l'offre du Conseil
européen. En effet, les exigences faites à la Turquie sont simplement celles
que l'Union s'impose à elle-même et impose aux pays candidats : respect de
critères politiques - démocratie, Etat de droit, respect des minorités et des
droits de l'homme - respect de critères économiques et reprise intégrale de
l'acquis communautaire, enfin, reprise de l'ensemble des instruments mis au
point dans le cadre des deuxième et troisième piliers.
Cela dit, nous nous félicitons de la mise en place d'une stratégie dynamique
de pré-adhésion qui aboutira à ce que les pays candidats soient tout
particulièrement évalués à leur capacité à appliquer les principes de l'Union
européenne.
Le partenariat d'adhésion, instrument central de la stratégie d'adhésion,
recensera les priorités à mettre en oeuvre, établira un calendrier et définira
les actions de soutien qui seront entreprises.
Nous espérons qu'une partie substantielle des moyens sera consacrée au
financement des investissements dans des domaines tels que l'environnement, les
transports et la sûreté nucléaire.
Ce qui nous paraît particulièrement intéressant est la mise en place d'une
procédure de suivi substantielle, dont le principe est le maintien d'une
approche dynamique destinée à prendre en compte les efforts continus des pays
candidats.
Mais de nombreuses questions fondamentales restent en suspens.
Certes, la France a obtenu un certain nombre de satisfactions, à savoir le
maintien de la ligne directrice agricole, la double programmation des dépenses
- celles qui sont nécessaires aux réformes des politiques communes et celles
qui sont dévolues à l'élargissement - ainsi que l'inscription du préalable
institutionnel à l'élargissement de l'Union.
En termes de méthode, l'approche de l'élargissement a été conditionnée par les
débats qui ont entouré le Conseil européen de Luxembourg et qui ont mis en
valeur - cela a été rappelé - deux sensibilités différentes parmi les Etats
membres : d'une part, ceux qui souhaitent une réforme plus fondamentale avant
le lancement du processus d'élargissement - en premier lieu, la France,
soutenue par l'Italie et la Belgique - et, d'autre part, ceux qui voudraient
des réformes modestes, pourvu qu'elles permettent l'élargissement, et qui se
sont donc refusé à accepter que soient inscrites des orientations concrètes
dans les conclusions du Conseil, dans des domaines tels que le financement
futur de l'Union, et donc de l'élargissement, et la réforme des politiques
communes.
Le résultat a été le suivant : le Conseil européen s'est limité à donner
quelques orientations très générales sur les différents volets d'Agenda 2000,
affichant un niveau d'ambition très bas.
En particulier, le Conseil européen n'a pas souhaité s'exprimer sur la
question du coût financier de l'élargissement.
Or, nombreux sont ceux qui craignent que le coût réel de cet élargissement
n'ait été sous-estimé, en particulier en raison de l'absence d'évaluation
quantitative des besoins des pays candidats.
Si l'apport de l'élargissement en termes de stabilité politique et de sécurité
est indéniable, son impact sur les économies des quinze Etats membres reste à
évaluer avec beaucoup plus de précision.
C'est bien dans cette interrogation sur la viabilité de l'évaluation que fait
la Commission européenne des besoins des pays candidats que résident non
seulement la clé de l'élargissement, mais aussi la définition d'un cadre
financier crédible et une réalisation des réformes des politiques agricoles et
structurelles qui ne les mettent pas en danger.
Le débat sur la portée et les conséquences réelles de l'élargissement est pour
l'instant entravé par un double postulat : l'élargissement doit être réalisé
dans un cadre financier inchangé et les Etats membres veulent réaliser cet
élargissement sans augmenter leur contribution au budget communautaire.
Il reste donc à savoir si l'Europe veut vraiment se donner les moyens de
réussir cet élargissement, dont la taille est sans précédent dans la
construction européenne.
Quant à la réforme institutionnelle, elle est certes inscrite dans les
premières lignes des conclusions du Conseil européen, mais il n'y a pas de
stratégie arrêtée. Le Conseil européen n'a pas pris d'engagements précis sur la
nature, la méthode, l'étendue et le calendrier de la réforme institutionnelle
indispensable à la réalisation de l'élargissement. Cette absence d'engagement
nous paraît gravement préoccupante et, si je m'en réfère aux propos qui
viennent d'être tenus à cette tribune par les orateurs précédents, je crois que
nous nous rejoignons tous sur ce point essentiel.
Au-delà des éléments de satisfaction que j'ai évoqués au début de mon
intervention, les inconnues et les questions fondamentales restent donc
sensiblement les mêmes.
On peut reprocher au document de la Commission de manquer de vision politique
et d'être axé essentiellement sur des questions pratiques, dans la plupart des
cas de nature financière.
Il faut maintenant attendre les rapports sur la réforme de la politique
agricole commune et sur la refonte des politiques structurelles que la
Commission présentera au printemps, ainsi que le rapport sur le cadre financier
futur pour évaluer sérieusement les conséquences de l'élargissement et son
impact sur les politiques communes.
Il reste que le Gouvernement français et, lorsque cela est possible, le
Parlement se doivent d'être vigilants pour que la réforme institutionnelle ne
se fasse pas à la veille des premiers accords d'élargissement, lorsque
l'échéance prime le contenu, et pour que l'élargissement, sous prétexte qu'il
est inévitable, ne soit pas bradé au risque de mettre en danger les politiques
communes, internes et communautaires, et de privilégier une politique de
charité et d'urgence au détriment d'une politique de solidarité.
Comme cela a été fait à l'Assemblée nationale, nous exprimons le souhait que
l'ensemble des propositions de textes qui feront suite à « Agenda 2000 », en
particulier les propositions de perspectives financières et les projets
d'accords interinstitutionnels, soient transmises au Parlement français.
Pour les nouveaux Etats comme pour l'Union, un élargissement réussi suppose
des efforts de tous et une réelle volonté politique pour les susciter.
Cet élargissement doit être l'occasion de renforcer la paix et la démocratie
en Europe et d'accroître sa puissance dans le monde. Voilà qui nous amène à
faire nôtre la résolution « Agenda 2000 » votée par le Parlement européen en
décembre 1997 : « Le processus d'élargissement ne pourra se réaliser avec
succès que dans la mesure où tous les pays candidats pourront être intégrés
dans les politiques communautaires et où celles-ci pourront contribuer au
développement économique de ces pays ainsi qu'à leur intégration dans l'Union
».
(M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne et M. André
Boyer applaudissent.)
M. le président.
La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les
autres orateurs, je voudrais d'abord et avant tout saluer l'orientation
essentielle retenue par le Conseil européen de Luxembourg : l'élargissement à
l'Est va se concrétiser, et ses modalités sont désormais conçues de manière à
éviter la formation durable de deux groupes au sein des pays candidats.
Naturellement, tout dépendra de la manière dont ces modalités seront mises en
oeuvre, du côté de l'Union comme du côté des pays candidats.
Dans sa gestion de l'élargissement, l'Union devra faire jouer pleinement le
dispositif d'encadrement global qui est prévu à l'échelon des ministres des
affaires étrangères pour associer les Etats membres et les onze pays candidats
; en même temps, elle devra appliquer le principe de l'approche individuelle
des progrès de chaque candidature.
Surtout, le succès du dispositif dépendra de la détermination des pays
candidats à poursuivre les réformes. Les cinq pays avec lesquels la Commission
européenne n'avait pas prévu d'ouvrir des négociations ont fait valoir, à juste
titre, la situation intérieure difficile qui allait naître pour eux de ce
choix. Les efforts déjà consentis risquaient de paraître inutiles, et la
poursuite des réformes allait être découragée.
Dès lors que le Conseil européen, tenant compte de leurs observations, a
défini une formule incluant ces Etats, il incombe à ces derniers de continuer
et d'amplifier leurs efforts d'adaptation afin de rejoindre les pays les plus
engagés dans le rapprochement avec l'Union.
Les pays avec lesquels vont bientôt s'ouvrir des négociations d'adhésion ont
eux aussi, de toute manière, un important chemin à faire : l'avis de la
Commission soulignait avec raison qu'aucun d'entre eux n'était véritablement
prêt à participer au marché unique.
C'est donc des pays candidats eux-mêmes que viendra l'impulsion décisive. Il
est vrai que le Conseil européen a prévu d'augmenter les aides directes, dites
de « pré-adhésion », qui bénéficieront à tous les pays candidats, sans
discrimination fondée sur la date envisageable pour l'adhésion. J'espère que
l'augmentation du montant de l'aide ira de pair avec celle de son efficacité.
Mais, en tout état de cause, de même que l'aide Marshall n'a pas été la cause
principale du relèvement de l'Europe de l'Ouest, l'aide financière de l'Union
pourra seulement être un adjuvant pour la reconstruction de l'Est. Dans ces
conditions, il est clair que l'élargissement à l'Est ne sera pas « un long
fleuve tranquille ».
C'est donc à juste titre que la France, dans la préparation du Conseil
européen, avait proposé des orientations destinées à canaliser, en quelque
sorte, ce processus, à l'encadrer.
Ces orientations étaient au nombre de trois.
La première visait la réforme institutionnelle : la France a réaffirmé que le
bon fonctionnement de l'Europe élargie supposait des institutions plus
efficaces et plus légitimes.
La deuxième orientation portait sur l'encadrement financier du processus : la
France a plaidé pour le financement de l'élargissement dans le cadre du plafond
actuel des ressources propres, c'est-à-dire 1,27 % du produit intérieur brut de
l'Union.
Enfin, la troisième orientation visait l'équilibre entre l'Est et le Sud : la
France a notamment soutenu à cet égard que l'élargissement à l'Est devait
s'effectuer sans donner à la Turquie le sentiment d'une mise à l'écart durable,
voire définitive. C'était l'une des raisons du projet de Conférence européenne
soutenu par notre pays.
Nous étions d'accord avec ces orientations que défendait le Gouvernement
français, et nous espérions que la France saurait se faire entendre par le
Conseil européen.
Or, même avec les yeux de la foi, il est bien difficile d'estimer que ces
orientations ont été véritablement prises en compte à Luxembourg.
Sur le problème institutionnel - d'autres l'ont dit avant moi - les
conclusions du Conseil européen renvoient seulement au protocole annexé au
traité d'Amsterdam, c'est-à-dire à un texte extrêmement ambigu, qui ne garantit
pas véritablement une réforme institutionnelle avant l'élargissement.
Sur le financement de l'élargissement, les conclusions adoptées à Luxembourg
ne contiennent rien de précis, rien de contraignant, et notamment pas
l'engagement de s'en tenir au plafond actuel des ressources propres.
Enfin, loin de permettre un rapprochement avec la Turquie, le Conseil européen
de Luxembourg a creusé un fossé entre ce pays et l'Union, de telle sorte qu'on
peut se demander ce qui reste du projet de Conférence européenne, même si le
Conseil européen l'a accepté dans son principe.
Le constat me paraît clair : pour l'essentiel, la France n'a pas réussi à
faire passer ses messages spécifiques.
D'où cela vient-il ? Faut-il penser que nous ne savons pas nous concentrer sur
un très petit nombre de priorités, voire sur une seule priorité ? On peut
observer, par exemple, que l'Espagne, qui n'a pas notre poids, est arrivée dans
la négociation avec un seul objectif - empêcher la confirmation du plafond des
ressources propres - et qu'elle a eu gain de cause. Ne devrions-nous pas, nous
aussi, savoir mieux hiérarchiser nos objectifs ? N'est-ce pas ainsi, et
seulement ainsi, que nous pourrons donner une crédibilité suffisante à nos
positions ?
Je m'interroge d'autant plus que le Conseil européen de Luxembourg fait suite
à celui d'Amsterdam et à celui de Luxembourg I. Là aussi, qu'il s'agisse de
faire en sorte que la politique de l'euro obéisse à des préoccupations allant
bien au-delà de considérations strictement monétaires, qu'il s'agisse de faire
en sorte que les problèmes de l'emploi reçoivent la priorité première qu'ils
méritent, les préoccupations de la France étaient nécessaires et légitimes.
Mais, de la même manière, la France n'était pas parvenue, sinon nominalement, à
faire prendre en compte ses principales préoccupations. Et les qualificatifs
triomphants, comme la promesse de rendez-vous futurs, ne sauraient dissimuler à
l'analyste lucide la minceur des résultats obtenus. Il n'est que de voir le peu
d'enthousiasme qui se manifeste ici ou là, dans notre pays, pour accepter la
paternité du traité d'Amsterdam, comme le peu d'empressement à mettre en route
la procédure de ratification !
Il est difficile, dans ces conditions, de ne pas avoir le sentiment que la
France, dans la configuration actuelle de l'Europe, ne parvient pas à peser
réellement sur les décisions, à conserver son influence.
Cela peut paraître un paradoxe, car ce qui caractérise l'Europe, depuis la
chute du mur de Berlin, c'est - à l'échelle de l'Histoire - le succès des
thèses françaises. Souvenons-nous de l'isolement du général de Gaulle lorsqu'il
prophétisait la réunification de l'Europe ! Aujourd'hui, ce sont les principes
de la Révolution française : les droits de l'homme, le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, qui sont la référence commune de l'Europe, « de
l'Atlantique à l'Oural ».
Il est vrai que, par définition, le poids matériel de la France est
nécessairement moindre à l'échelle de la « grande Europe ». Mais la France ne
pourrait-elle conserver néanmoins un rôle de référence dans ce vaste ensemble ?
D'autant que nous avons, avec beaucoup de pays d'Europe centrale et orientale,
des affinités historiques qui ne demandent qu'à revivre.
Face à cette absence de crédibilité, je n'ai pas de réponse toute prête. Il
est bon, certes, de montrer l'exemple et de se battre sur tous les fronts de
l'Europe, mais l'on risque de se payer de mots et d'être payés de même.
Peut-être y aurait-il intérêt à concentrer davantage nos efforts, comme font
tant d'autres - pour ne pas dire tous les autres - sur les priorités
françaises. Et j'ai le sentiment qu'une des leçons du Conseil européen de
Luxembourg, c'est qu'il est sans doute nécessaire d'effectuer une certaine mise
à jour de notre diplomatie si l'on veut que l'Europe de demain corresponde à ce
que la France en attend.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité
européenne est spécialement riche. De nombreux débats sont ouverts, tous
essentiels. Personnellement, comme la plupart d'entre nous, je m'en réjouis.
Cela confirme que la construction européenne est bien vivante et qu'elle se
poursuit dans tous les domaines, même si c'est avec quelques difficultés dans
certains d'entre eux.
Ce nouveau débat parlementaire, dont nous devons remercier nos collègues MM.
Genton et About, rappelle aussi que cette construction est d'abord politique et
qu'elle concerne au premier chef nos parlements nationaux.
L'Europe des Etats s'est très normalement bâtie dans le cadre de conférences
intergouvernementales, mais - et c'est heureux - notre Europe aujourd'hui
concerne et intéresse directement tous les citoyens.
Les conférences intergouvernementales rencontrent alors leurs limites, ainsi
que le président de Villepin l'a rappelé voilà quelques instants, et, très
naturellement aussi, nous nous heurtons à des problèmes liés à la sauvegarde
des souverainetés nationales.
Il nous faut aujourd'hui imaginer un nouveau modèle d'organisation
démocratique dans lequel le supranational n'apparaisse pas en contradiction
avec les identités de chaque nation. Nous devons démontrer qu'il peut, au
contraire, les relayer et les valoriser.
Peut-être plus que l'Europe des Etats, l'Europe des citoyens est riche de sa
diversité, des particularismes, des histoires, des cultures des peuples qu'elle
réunit et, j'ose le dire, des souverainetés de chaque Etat.
Il est classique de considérer que l'Union européenne appelle ses membres à
faire mieux ensemble ce qu'ils éprouvent des difficultés à réussir isolément.
Ne perdons cependant pas de vue qu'elle existe vraiment lorsqu'elle les amène,
en plus, à engager en commun les actions nouvelles à côté desquelles ses
membres seraient passés s'ils étaient restés isolés.
Il s'agit donc, d'abord, de « faire mieux ensemble ». Cela exige plus que
jamais une application rigoureuse et volontariste du principe de subsidiarité.
Ne chargeons pas la barque de l'Europe en lui transférant des charges qui sont
mieux assurées localement. C'est inefficace et, plus grave, cela dessert
fortement une Union qui devient alors au mieux budgétivore, au pire
bouc-émissaire de toutes nos difficultés, voire de nos échecs.
A côté du « faire mieux ensemble », l'Europe prend donc sa dimension politique
lorsqu'elle développe une action propre. L'Union n'est ni une société dont nous
porterions des actions ou dont nous attendrions des dividendes, ni un syndicat
de défense qui, moyennant cotisation, nous protégerait d'un monde dangereux.
L'Union politique doit tendre à faire exister l'Europe en soi, sans rien
enlever aux nations qui la composent. Son action doit alors viser d'abord plus
de cohésion et d'harmonie à l'intérieur, plus de paix et de démocratie dans le
monde. C'est bien dans cet esprit que la notion d'élargissement se confond avec
le principe même de la construction européenne.
Depuis cinquante ans, l'Union s'élargit géographiquement et sectoriellement.
C'est en cela qu'elle est politique. La construction européenne serait restée
lettre morte si elle n'avait porté, dès l'origine, cette ambition d'ouverture.
Une Europe fermée ne serait pas allée loin ; une Europe achevée se révèle
inutile pour les Européens, échoués sur les rives d'un monde qui poursuivrait
son cours en l'oubliant.
Alors se pose la question de savoir si « élargissement » signifie fatalement «
dilution ». Il ne faudrait pas qu'après avoir séduit et intégré les uns après
les autres chacun des membres de l'Association européenne de libre-échange,
l'AELE, elle devienne elle-même une grande AELE.
Pour réduire ce risque, nous devons veiller très attentivement à conserver à
la construction européenne son souffle politique. C'est à ce prix que nous
découvrirons les voies qui nous permettront d'approfondir l'Union, notamment au
plan de ses institutions. Ici, avec notre foi dans l'Europe, le plus grand
pragmatisme doit nous guider si nous voulons progresser. D'ailleurs, la
construction européenne n'est-elle pas caractérisée par une étonnante et
constante alchimie d'utopie et de pragmatisme, de passion et de réalisme,
d'émotion et de raison ?
Nous devons donc aujourd'hui pouvoir nous appuyer sur ce qui marche - c'est le
pragmatisme ! - à savoir la mise en place de l'Union monétaire. Celle-ci est, à
l'évidence, un approfondissement en passe de réussir. C'est vrai, même si
l'Union ne réunira au départ que onze membres - mais onze membres qui ont
renforcé leur cohésion : onze membres déterminés - et c'est vrai surtout car
cet approfondissement porte précisément sur un sujet essentiel pour la vie
économique et pour l'emploi, sur un sujet de souveraineté : frapper monnaie
n'est-il pas une prérogative de souveraineté ? Nous sommes bien là au coeur du
politique.
La mise en place de l'euro se fera. Voilà quelques mois encore, les Cassandre
considéraient qu'elle se ferait au mieux dans la douleur et qu'elle risquait
même de plonger l'Europe dans le chaos. Aujourd'hui, à l'inverse, ce serait
l'arrêt du processus ou le retour en arrière qui serait catastrophique ! Nous
voyons le chemin parcouru, du fait, notamment, d'une mobilisation de toutes les
forces vives des Etats membres.
La Grande-Bretagne elle-même a participé activement au dessin des nouvelles
pièces et ne refuse pas de présider l'Union en un semestre précisément crucial
pour l'euro. Nos amis britanniques savent bien qu'ils nous rejoindront un jour,
comme ils l'ont toujours fait !
L'Union monétaire amène à bâtir une organisation spécifique, à la fois
politique et monétaire. La démarche engagée dans ce domaine me semble
exemplaire. Un approfondissement réel est donc possible dès lors qu'on se donne
la peine de se mettre d'accord sur un véritable objectif commun et sur une
procédure politique.
Nous vivons ici un recentrage de la construction européenne sur onze membres
déterminés, recentrage à partir duquel nous devrions pouvoir « rebondir » pour
relancer la construction de l'Union en retrouvant l'essentiel, cet « essentiel
» qui, par ailleurs, pousse onze autre Etats à nous rejoindre.
On a souligné, à juste titre, qu'un problème institutionnel se posait. Mais il
ne doit pas cacher l'essentiel : il est, c'est vrai, plus difficile de
fonctionner à vingt-cinq qu'à six.
Mais si ce problème institutionnel se pose, c'est surtout parce que nous avons
évidemment moins de sujets de préoccupations communs à vingt-cinq qu'à six.
Nous retrouvons donc le vrai débat politique, dont le problème institutionnel,
certes important, n'est qu'une expression. Nous devons revenir à l'essentiel :
ce qui peut amener nos vingt-cinq Etats à s'unir doit être le coeur de ce qui a
amené nos six, nos douze ou nos quinze Etats à s'engager ensemble.
Il y a évidemment, derrière cette grande aventure de l'histoire du monde, un
moteur politique, un projet sans doute encore insuffisamment explicité et qui
porte sur de vrais sujets : prospérité et solidarité, sécurité intérieure et
extérieure, démocratie, liberté et paix dans le monde. Ce sont bien, en tout
cas, ces sujets qui motivent les candidats à l'Union.
L'objectif étant retrouvé ou réidentifié, il faut avancer et, pour cela, nous
devons être très pratiques. Des progrès doivent être réalisés au plan
institutionnel, Amsterdam étant à l'évidence resté un peu en panne dans ce
domaine. Et, puisque l'intergouvernemental a atteint ses limites, il nous
faudra impliquer beaucoup plus nos parlements.
Il faut aussi être réaliste : si Amsterdam n'a été qu'un demi-succès, c'est en
grande partie parce que le couple franco-allemand a été ébranlé à Poitiers.
L'Allemagne, reprenant alors sa liberté de parole, a confirmé, en clair, que,
pour elle, l'élargissement représentait une priorité, avec ou sans réforme
constitutionnelle, alors que la France a toujours demandé des progrès
préalables sur l'approfondissement avant de s'engager.
Pour progresser, il nous faut aujourd'hui, à l'évidence et par priorité,
retrouver nos partenaires et amis allemands.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Denis Badré.
Une bonne occasion très concrète se présente avec l'Agenda 2000 : travaillons
avec eux sur le budget, la PAC, les politiques structurelles. Nous devons
pouvoir recréer avec les Allemands une vraie complicité autour de trois
principes.
Tout dérapage budgétaire lié à l'élargissement est à proscrire. Il tuerait
l'Europe aux yeux des Européens. La démarche a déjà été très clairement
manifestée en Allemagne.
S'agissant de la PAC, ce n'est pas le FEOGA-garantie qui doit nous inquiéter,
puisque les cours des produits agricoles dans les pays d'Europe centrale et
orientale - les PECO - sont inférieurs aux cours mondiaux, mais c'est bien plus
la reprise de l'acquis communautaire par les PECO, notamment l'exigence que
représente le grand niveau de qualité sanitaire atteint par notre production
agricole.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Denis Badré.
En matière de politique structurelle, je dirai oui à la cohésion - à
l'évidence, puisqu'elle construit l'Europe - et non au saupoudrage qui, lui,
détruit l'image de l'Europe.
Pour favoriser ce rapprochement franco-allemand indispensable à la réussite de
l'élargissement, la préparation des nouvelles perspectives budgétaires, sur
laquelle, monsieur le ministre, le rapporteur spécial de la commission des
finances que je suis par ailleurs attirait fortement votre attention voilà
quelques semaines, représente une véritable opportunité. Ne la manquons pas.
Monsieur le ministre, le groupe de l'Union centriste croit plus que jamais en
la construction européenne. Les perspectives de son élargissement nous
appellent, comme toujours, à être très lucides, et bien sûr à conforter
fondamentalement nos convictions.
Nous avons devant nous une véritable opportunité pour poser tous les vrais
problèmes. Ne les éludons pas. Nous avons surtout, à l'évidence, l'occasion de
revenir à l'essentiel et de faire comprendre à nos concitoyens que la
construction européenne est bien ce grand dessein susceptible de les
réconcilier avec la politique, la vraie, celle qui nous fait vivre autour de
nos clochers, celle qui doit, en même temps, permettre à notre continent de
continuer à adresser au monde un message d'humanisme, message dont nous n'avons
sans doute pas encore nous-même mesuré toute la portée.
Il s'agit tout simplement, monsieur le ministre, de construire l'Europe pour
l'homme.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie
tout d'abord notre collègue Nicolas About de l'opportunité de sa question,
heureuse initiative qui permet à la Chambre Haute d'exprimer son sentiment sur
l'élargissement de l'Union européenne, les négociations d'adhésion devant se
tenir, selon les textes, six mois après la Conférence intergouvernementale.
Année déterminante pour l'évolution de la construction européenne, 1998
devrait nous permettre d'assister non seulement au lancement de l'euro, mais
aussi aux premières négociations d'adhésion de plusieurs candidats d'Europe
centrale et orientale.
Cette modification substantielle des contours de l'Union européenne imposera,
bien entendu, un reformatage majeur du schéma européen, du point de vue tant
institutionnel et politique qu'économique et social.
Européen de coeur, je suis de ceux qui se réjouiront de la réunification du
continent européen et de ses populations grâce à l'élargissement de l'Union
européenne.
Pragmatique par raison, j'estime cependant nécessaire d'évaluer la capacité
des candidats à l'adhésion à atteindre le niveau économique et politique
suffisant pour permettre et réussir leur intégration au sein de l'Union. A cet
égard, le Conseil européen de Copenhague de 1993 a levé toute ambiguïté. En
effet, ce Conseil a précisé que les Etats postulants à l'adhésion devront,
d'une part, être dotés d'institutions démocratiques respectant la primauté du
droit, des droits de l'homme, et la protection des minorités. Ces candidats
devront, d'autre part, développer une économie de marché capable d'évoluer dans
le cadre d'échanges concurrentiels. Il leur faudra, en outre, pleinement
adhérer à l'ensemble des politiques européennes.
Le sommet de Luxembourg des 12 et 13 décembre derniers a confirmé les
propositions de la Commission européenne quant aux candidatures susceptibles de
donner lieu à l'ouverture de négociations, c'est-à-dire celles de l'Estonie, de
la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovénie.
En outre, rappelons que le Conseil européen avait déjà avalisé la candidature
de Chypre avant la réunion de Luxembourg. Cela fait donc six pays.
Le Conseil a, de plus, approuvé la création d'une Conférence européenne
destinée à établir des contacts réguliers entre les autres pays candidats ayant
signé un accord d'association avec les Etats membres de l'Union.
Je constate que la plus grande partie des Etats candidats pour lesquels
l'ouverture des négociations a été reportée semblent avoir pleinement compris
et accepté la décision communautaire.
Les cinq Etats que sont la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie et
la Slovaquie semblent satisfaits de bénéficier d'un délai supplémentaire pour
poursuivre les réformes indispensables à leur bonne intégration dans l'Union.
Mais aucun butoir n'a été fixé. N'est-ce-pas pour ces pays un manque
d'incitation voulu, monsieur le ministre ?
J'en viens à la Turquie, elle qui, en revanche, a manifesté son
incompréhension de la décision européenne. Malgré les explications
communautaires et l'intervention de plusieurs représentants des Etats membres,
la Turquie semble encline à une réaction de recul. Elle envisage même de ne pas
participer à la Conférence européenne, créée tout spécialement pour les Etats
candidats à l'adhésion.
Mes chers collègues, la réaction turque doit non seulement ne pas être
sous-estimée, mais, bien au contraire, bénéficier de toute notre attention.
Si j'approuve pleinement, bien sûr, la décision du Conseil quant au report des
négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, il me semble
toutefois impératif de calmer le dépit de la Turquie.
A cet égard, monsieur le ministre, deux problèmes se posent dans lesquels la
Turquie joue un rôle majeur.
Tout d'abord, s'agissant du rapprochement américano-israélo-turc dans le cadre
des manoeuvres navales et aéronavales en Méditerranée commencées le 7 janvier
dernier, je souhaite connaître votre sentiment quant à un rapprochement accru
de la Turquie et des Etats-Unis.
La décision européenne n'est-elle pas la cause d'une consolidation de ce
rapprochement ? Comment envisagez-vous de contrecarrer les effets négatifs
qu'un tel rapprochement pourrait produire sur les relations politiques,
économiques et sécuritaires de la France et de l'Europe avec les Etats du
bassin méditerranéen ?
Le deuxième problème, c'est la question kurde, problème éminemment difficile
et actuel. Comment l'Union européenne peut-elle en effet inciter la Turquie à
jouer le rôle géographique et stratégique qui devrait être le sien, alors
qu'elle vient, par ailleurs, de lui réitérer son refus quant à son adhésion à
l'Union ? Il me semble souhaitable et urgent, monsieur le ministre, que vous
nous apportiez quelques informations à ce sujet.
J'en reviens aux questions institutionnelles.
Si le sommet de Luxembourg a clairement marqué l'ouverture des négociations
d'adhésion avec six nouveaux Etats, il faut, en revanche, souligner que tout
reste à faire en matière de réformes institutionnelles.
Le texte final adopté à Luxembourg affirme bien que « l'élargissement de
l'Union nécessite au préalable un renforcement et une amélioration du
fonctionnement des institutions conformément aux dispositions du Traité
d'Amsterdam ». C'est lié.
Mais le plus grand silence règne quant à la forme concrète que pourraient
prendre ces nécessaires évolutions institutionnelles, notamment l'extension du
vote majoritaire, la modification de la pondération des votes et la composition
de la Commission.
C'est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, que vous fassiez un tour
d'horizon des modifications des institutions européennes que la France envisage
de demander, le moment venu, afin de connaître les chances de succès de ces
demandes.
Je ne m'étendrai pas sur l'impact financier que ne manquera pas d'avoir le
futur élargissement de l'Union. Vous savez comme moi, monsieur le ministre, mes
chers collègues, que les économies des futurs Etats membres sont très peu
développées. L'Union élargie devra donc obligatoirement faire preuve d'une
énorme capacité de financement. D'où proviendront ces sommes sachant que, sur
les rares contributeurs nets au budget communautaire, la France et l'Allemagne
traversent des périodes budgétaires difficiles ? Il faudrait, monsieur le
ministre, que vous nous expliquiez ce qui est envisagé.
Vous savez également que les agriculteurs français, tout comme leurs
homologues européens, ne sont pas prêts à se sacrifier pour la modernisation de
l'agriculture des Etats d'Europe centrale et orientale. Il en va de même des
bénéficiaires des aides structurelles de l'ensemble des Etats de l'Union, qui
sont tous touchés par des difficultés économiques et sociales parfois majeures,
alors qu'il semblerait que l'aide européenne aux régions françaises soit
susceptible d'être affectée par une baisse de 20 %.
Quelles seront les décisions qui permettront de concilier ces différents
impératifs financiers ? C'est une autre question, monsieur le ministre.
Telles sont quelques-unes de mes interrogations. Aux quelques questions que
j'ai pu vous poser, j'attends vos réponses, monsieur le ministre, car il est
indispensable que les parlementaires et les élus locaux que nous sommes y
voient plus clair.
Je partage, avec la grande majorité des Français, le point de vue pragmatique
qui veut que l'on accepte le changement quand il est utile et les efforts et
les restrictions quand ils sont nécessaires.
Si les efforts que vous nous demanderez vont dans le sens de l'intérêt de
notre pays et de l'Europe, s'ils affichent une grande ambition susceptible
d'améliorer le sort de nos concitoyens, vous pourrez compter sur mon adhésion
pleine et active, ainsi que sur celle de mon groupe, qui, vous le savez, est
très attaché à la construction européenne. D'ailleurs, ne s'appelle-t-il pas le
Rassemblement démocratique et social européen ?
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon amie
Danielle Bidard-Reydet, qui était inscrite initialement dans ce débat, mais qui
ne pouvait être présente aujourd'hui, m'a demandé de la remplacer.
Comme la plupart des Français, nous sommes favorables à la construction
européenne. Nous aspirons à construire des relations stables, des relations de
codéveloppement sur le continent européen. Nous aspirons à contruire une Europe
qui surmonte ses fractures historiques, une Europe respectueuse des acquis de
chacun et favorisant la croissance au profit de tous.
La question, aujourd'hui évoquée, de l'élargissement ne peut être dissociée de
celle des enjeux et des objectifs affichés de la construction européenne.
Pour notre part, nous avons la volonté de construire des rapports de
codéveloppement propres à promouvoir les échanges, à consolider la paix sur le
continent et à amorcer une rupture avec la logique impitoyable de l'actuelle «
mondialisation ».
Dans cette logique, le chantier de la « Grande Europe » doit respecter des
règles de véritable partenariat, reposant sur un dialogue effectif avec tous
les pays candidats sur un pied d'égalité.
Si le dessein de l'Europe était simplement de s'engager plus à fond dans la
guerre économique planétaire, l'élargissement se traduirait par des contraintes
draconiennes pour les pays candidats, un accroissement des inégalités de
développement entre régions favorisées et défavorisées, la révision à la baisse
des acquis de la politique agricole commune et des fonds structurels, et un
encouragement au chantage aux délocalisations.
Dans ce cas, cela reviendrait à un marché de dupes pour les populations des
anciens comme des nouveaux pays membres de l'Union européenne. Cette logique se
traduirait dans les faits par de dangereuses désillusions et de graves tensions
en Europe pouvant déboucher sur des crises.
Quelle est notre analyse des décisions prises par le Conseil européen, les 12
et 13 décembre dernier, sur la question de l'élargissement ?
Dans un premier temps, je formulerai nos inquiétudes sur le processus
d'élargissement choisi. Ensuite, je soulignerai l'aspect positif potentiel
qu'il présente. J'en terminerai en présentant nos propositions de réorientation
de la construction européenne.
Quels sont les risques de l'élargissement ?
Tout d'abord, la manière dont s'engagent les négociations est critiquable.
S'agissant des pays candidats, le processus de négociation retenu risque
d'entraîner entre eux une sévère concurrence du fait de la différence de
traitement qui leur est réservée.
En effet, les négociations vont d'abord s'ouvrir, dès le printemps de cette
année, avec un premier groupe de pays de l'Est - Hongrie, Pologne, Estonie,
République tchèque, Slovénie - et Chypre, qui avaient bénéficié d'un avis
favorable de la Commission européenne en juillet 1997 dans son Agenda 2000.
Pour les autres pays candidats - Roumanie, Slovaquie, Lettonie, Lituanie et
Bulgarie - les négociations ne s'ouvriront qu'après qu'ils auront été reconnus
« prêts ». Ils seront soumis à une évaluation annuelle pour mesurer les progrès
réalisés.
S'agissant de la Turquie, je suis assez d'accord avec MM. About, de Villepin
et Lesein sur le nécessaire dialogue avec ce pays en vue de son arrimage, sous
une forme ou sous une autre, au « navire Europe ». C'est, à l'évidence, une
question importante, même s'il faut aujourd'hui encore souligner que des
obstacles non négligeables restent dressés, tant en raison du problème de
Chypre, évidemment, du contentieux de la mer Egée, de l'action inacceptable des
forces armées turques au Kurdistan, que de la persistance, au sein de la police
turque, de « mauvaises habitudes expéditives » très éloignées du respect des
droits de l'homme.
D'emblée, les pays et les populations sont placés, dirais-je, dans une logique
de concurrence.
Comment, d'un côté, travailler à rassembler dans un espace européen unifié,
équilibré, dans une logique de partenariat et, de l'autre, engager des
négociations à plusieurs niveaux en créant des clivages entre les pays
candidats ?
Les actuels pays bénéficiaires de la politique agricole commune et des fonds
structurels - notamment, pour ces derniers, la Grèce, le Portugal, l'Espagne et
l'Irlande - s'inquiètent, on le sait, de l'arrivée de nouveaux pays pouvant
aboutir à une baisse significative de leurs « subventions ».
Ces politiques communautaires ont représenté 80 % des dépenses budgétaires de
l'Union européenne ces dernières années. Or, les pays candidats seront
concernés par ces mesures, étant donné, notamment, le poids de leur
agriculture.
Dans la mesure où les contributions des pays membres ne sont pas augmentées -
nous savons que l'Allemagne, par exemple, souhaite une réduction de sa
contribution - on peut se demander comment sera financée la hausse des fonds
nécessitée par l'entrée de nouveaux pays potentiellement bénéficiaires de ces
politiques communautaires. On peut se demander également combien cela coûtera à
notre pays.
Deuxièmement, le processus de négociations prévu pose problème dans la mesure
où il établit une relation de subordination.
La Commission impose aux pays candidats des contraintes draconiennes,
s'inscrivant dans une politique ultralibérale.
C'est la mise en place d'une logique conduisant à des privatisations et à
l'abandon de secteurs d'activités importants, qui nécessitent, certes, dans la
plupart des pays candidats, notamment en Europe de l'Est, de profondes
rénovations, ce qui entraînera un chômage massif, une précarité généralisée et
une dégradation sociale dans ces pays.
L'application de cette logique met en concurrence des peuples et des
économies, au détriment, nous semble-t-il, du progrès économique et social.
Elle impose des abandons de souveraineté nationale et peut tendre à exacerber
certains nationalismes et à provoquer des tensions graves pour l'équilibre de
ces régions.
La marche forcée vers la monnaie unique s'inscrit, selon nous, dans cette même
logique d'abandon de souveraineté. Aujourd'hui, l'euro conduit, avec
l'application des critères de convergence de Maastricht, à l'accentuation de la
précarité et des pressions sur le pouvoir d'achat.
Cependant, une des décisions de ce Conseil européen de Luxembourg constitue un
axe potentiellement positif.
Les Quinze ont décidé de mettre en place une « Conférence européenne »
réunissant les quinze pays membres et tous les « Etats européens ayant vocation
à adhérer ». Elle prévoit de rassembler tous les pays concernés par
l'élargissement pour examiner ensemble les deuxième et troisième piliers du
traité : politique étrangère et de sécurité, affaires intérieures et
justice.
Mais la Conférence ne doit pas se limiter à ces seules questions, certes
importantes, qui donneraient la vision d'une Europe uniquement préoccupée des
problèmes de l'immigration. Elle doit également aborder les questions
économiques et sociales. Les questions de l'emploi, du développement économique
de la protection sociale sont les questions fondamentales à débattre dans
l'optique d'une Europe au service des populations.
De même, cette Conférence doit s'ouvrir aux parlements européens et nationaux,
ainsi qu'aux représentants des « sociétés civiles », c'est-à-dire aux
représentants des syndicats, des organisations non gouvernementales et des
associations.
Le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution plusieurs
articles du traité d'Amsterdam comme touchant aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
La meilleure procédure, selon nous, celle qui relève de la souveraineté
directe du peuple, principe fondateur de la République, est, dans ce cas, le
référendum.
Depuis le référendum sur le traité de Maastricht, d'importantes décisions ont
été prises. Elles vont souvent au-delà des dispositions arrêtées par les
traités déjà ratifiés et elles engagent l'avenir des pays et des peuples de
façon contraignante ; c'est le cas avec l'euro et le pacte de stabilité.
Les Français sont finalement peu ou assez mal informés de ce qui se prépare.
La consultation par référendum, en permettant l'instauration d'un large débat,
favorisera, nous le pensons, de nouvelles avancées tant au niveau de la
perception des problèmes par nos compatriotes qu'au niveau de la construction
européenne elle-même.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut rapprocher l'Europe du
citoyen, et, en cette veille de grands changements que la construction
européenne va connaître, il nous paraît capital de consulter les Français.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Robert Pagès
Très bien !
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord remercier M. About de sa
question, qui nous donne l'occasion d'un débat sur un sujet important, après le
Conseil européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre dernier, qui ne l'a pas
été moins.
Je crois que la tonalité de vos débats est assez claire : il s'est agi, en
effet, lors de ce Conseil européen, d'un moment important de la construction
européenne, puisque les Européens ont décidé d'ouvrir un processus qui doit
permettre la réunification de la famille européenne, séparée par l'Histoire. Il
s'agissait donc, effectivement, d'un moment historique, qualificatif parfois
galvaudé, mais, en l'occurrence, tout à fait justifié.
Ce Conseil européen difficile se présentait sous des auspices médiocres - je
reviendrai peut-être tout à l'heure sur les observations faites par M. de La
Malène. Mais la France a su peser en faveur d'un processus, finalement retenu,
qui soit à la fois global - c'était très important - inclusif mais aussi
flexible.
Avant d'aborder les questions soulevées, je veux dire que ce Conseil a été
empreint, ainsi que l'a déclaré M. le Président de la République, d'une
certaine émotion. Certes, ce n'était pas la première fois que l'Europe se
réunissait à vingt-six, mais c'était la première fois que les « Vingt-six »
étaient réunis dans une perspective qui est bien celle de la réunification
européenne. M. Genton a bien cerné le sujet : la perspective d'un
enrichissement considérable pour l'Union européenne, voire d'une redéfinition
du dessein européen, et l'altération éventuelle de la nature de la construction
européenne sont autant de questions qui sont posées par l'élargissement.
J'articulerai ma réponse à la question de M. About autour de points : tout
d'abord la méthode d'élargissement décidée par le Conseil européen, qui a
suscité un véritable intérêt mais qui connaît aussi des incertitudes ; la
Conférence européenne, dont l'intérêt semblerait désormais plus limité,
monsieur About ; la réforme des institutions de l'Union, qui est indispensable
et urgente ; la Turquie et le nécessaire renforcement de son ancrage à l'Europe
; enfin, le cadre financier et la réforme des politiques communes.
Sur la méthode décidée par le Conseil européen à Luxembourg, je veux d'abord
exprimer quelques motifs de satisfaction, sans doute les principaux.
D'une façon générale, la présidence luxembourgeoise a été une excellente
présidence, à la fois inventive, souple, très ouverte aux thèses françaises,
propice à reconstituer un travail franco-allemand qui n'est pas toujours des
plus faciles ; une présidence qui a été parfaite de bout en bout, sauf,
peut-être - s'il fallait apporter un petit bémol - sur la question turque : ce
pays a peut-être été poussé dans ses retranchements en provoquant les réactions
que l'on connaît.
Le Conseil européen a pris des décisions essentielles pour l'avenir de
l'Europe, que l'on peut qualifier d'historiques, puisqu'il a engagé de façon
maintenant irréversible le processus d'élargissement aux pays d'Europe centrale
et orientale.
La méthode retenue me semble pertinente, puisqu'elle permet le lancement
effectif d'un processus d'adhésion inclusif, qui englobe donc tous les pays
candidats, ce qui est très important. Le Président de la République et le
Gouvernement partageaient le souci exprimé par M. de Villepin : il fallait
éviter que de nouvelles lignes de fracture ne se créent à l'occasion d'une
différenciation trop prononcée. J'avais à plusieurs reprises, lors d'auditions
devant la délégation ou devant la commission des affaires étrangères du Sénat,
indiqué à M. de La Malène que cela me paraissait possible.
La présidence luxembourgeoise a trouvé un moyen particulièrement astucieux et
inventif d'y parvenir. Rien n'aurait été pire que de donner le sentiment à
Luxembourg de ne retenir que les candidats les mieux préparés en se fondant sur
des considérations techniques qui ne valent, par rapport à l'évolution
fantastique que connaissent ces pays, que pour quelques mois ou quelques années
et d'écarter les autres du champ de l'élargissement.
M. Estier a mentionné le cas des Etats baltes. Il se trouve que, lors de la
semaine précédant le Conseil européen, j'ai eu l'occasion de me rendre dans ces
Etats. Pour trouver les fondements d'une différenciation, il fallait avoir une
loupe que je n'avais pas emportée avec moi. On voit bien qu'autant peut-être,
c'est vrai, l'Estonie a quelques avantages s'agissant des réformes
institutionnelles ou administratives, autant il n'est pas raisonnable
d'affirmer qu'en cinq ans la situation ne peut pas changer. Il n'est pas
impossible que, au contraire, tel ou tel pays, la Lituanie ou la Lettonie,
pourrait éventuellement, dans ce délai, rattraper son retard. La perspective
raisonnable reste donc que ces pays se voient offrir la chance d'adhérer
ensemble, même si, au départ, il existe quelques petites différences. C'est à
cette perspective que nous parvenons, car le Conseil européen a bien compris
les risques d'une discrimination. Il a évité cet écueil puisque, en définitive,
les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé de lancer un processus
d'adhésion avec les dix pays candidats d'Europe centrale et orientale ainsi
qu'avec Chypre sur un pied d'égalité. Il a clairement inscrit ce processus dans
l'article O du traité relatif à la procédure d'adhésion à l'Union.
On peut partager sur ce point la satisfaction de M. François Lesein. Cette
référence au traité fondateur est évidemment très importante puisqu'elle
consacre la décision de l'Union d'intégrer en son sein l'ensemble des
candidats. Il y a bien, après Luxembourg, une vocation égale à l'adhésion et à
un rythme qui respecte les spécificités de chacun des candidats.
Ayant participé au déjeuner des ministres des affaires étrangères des pays
candidats, je peux effectivement dire que tous, finalement, voyaient là une
réponse à leurs soucis. Certains souhaitaient en fait attendre, sans le dire ;
certains souhaitaient aller vite ; tous manifestaient une satisfaction égale
par rapport à ce qui s'était produit et avaient la sensation, je crois fondée,
que des chances égales leur étaient données.
Par ailleurs, le Conseil européen a explicitement prévu que, sur la base d'un
rapport de la Commission, le Conseil pourrait décider l'ouverture de
négociations d'adhésion avec d'autres candidats qui seraient prêts. La date de
début des négociations ne préjuge pas, c'est très important, celle de leur
conclusion. Certains pays, partis plus tard, rattraperont, voire dépasseront
les candidats entrés plus tôt en négociation.
C'est pourquoi je soulignais que ce processus était un processus flexible, ce
qui est fondamental. Il s'agissait, là aussi, d'une demande de la France,
appuyée par d'autres pays.
A cet égard, la préoccupation exprimée par M. de Villepin est légitime. Elle
est d'ailleurs reprise par les autorités françaises. En réalité, il n'y aura
pas, car il ne peut pas y en avoir, deux trains séparés de l'élargissement. Les
premiers nouveaux adhérents ne doivent pas pouvoir s'opposer à tout
élargissement ultérieur. Le cadre général des négociations adopté par le
Conseil prévoit « l'acceptation du principe par chaque candidat de placer sa
candidature dans le contexte du processus inclusif d'élargissement instauré par
le Conseil européen ». Nous sommes donc bien dans ce cadre global et inclusif.
On ne pourra pas le découper en tranches, en revenant plus tard sur des
oppositions entre telle ou telle nation - on voit bien lesquelles - dans le
contexte parfois mouvementé de cette Europe centrale et orientale.
Enfin, le renforcement de la stratégie de préparation de l'adhésion autour de
partenariats d'adhésion, qui seront adoptés avant le 15 mars, permettra
d'accompagner la mise à niveau des pays candidats. De plus, dans le cadre de la
prochaine programmation financière, les crédits PHARE seront complétés par des
aides dites préstructurelles ainsi que par une assistance dans le secteur
agricole. Ces aides tiendront compte des besoins des pays candidats, notamment
de ceux des moins avancés d'entre eux.
J'en profite pour répondre à une observation de M. Bécart. Les conditions
posées par la Commission aux réformes dans les pays d'Europe centrale et
orientale sont rigoureuses, personne ne peut le nier. Ces pays ont procédé
massivement à des privatisations. Pourront-ils poursuivre dans cette voie dans
le contexte de crise que connaissent l'économie mondiale et les marchés
financiers aujourd'hui ? Il est moins certain que ce rythme se maintiendra à la
même vitesse. Mais il n'est pas exact de dire que les privatisations sont
imposées par l'Union européenne, car ce n'est pas le cas. Et d'ailleurs, il est
des exemples d'aides PHARE à des services publics. L'Union européenne, c'est
vrai, a une tendance libérale - qui peut le nier ? - mais elle ne prône pas un
système ultralibéral. Elle permet l'évolution d'économies qui conservent des
services publics forts.
Quant à l'intérêt et à l'avenir de la Conférence européenne, évoqués par M.
About, repris avec le même souci par M. de Villepin, la question est bien sûr
légitime. Deux éléments pourraient jeter en effet un doute sur la pertinence de
cet instrument, qui est assurément d'inspiration totalement française. Nous
avons été porteurs, inventeurs de bout en bout de cette conférence.
Premier élément : la méthode retenue par le Conseil européen, qui atténue
fortement la différenciation entre les candidats, semble définitivement les
prémunir contre le risque d'apparition de nouvelles fractures sur le continent
européen. Or, précisément, l'un des objectifs assignés à la Conférence
européenne était d'aider à la prévention d'un tel risque. Le risque est
moindre. Aussi l'outil était-il nécessaire.
Second élément : la participation de la Turquie à la Conférence est évidemment
nécessaire. C'était là une des raisons qui nous ont conduits à la proposer. Or
le traitement relativement, pour ne pas dire très insatisfaisant imposé à ce
pays à Luxembourg laisse planer un doute quant à sa participation. Je
reviendrai sur ce point.
Mais, pour autant, la Conférence européenne demeure l'un des éléments
essentiels destinés à garantir la cohérence d'un processus d'élargissement qui,
pour reprendre l'expression de M. de La Malène, ne sera pas un long fleuve
tranquille. Il sera long et sans doute très complexe.
Pourquoi la Conférence européenne est-elle un élément très important ?
D'abord, parce que c'est la seule enceinte qui réunira les membres actuels et
futurs de l'Union européenne.
Ensuite, parce que c'est un forum indispensable pour que ses membres puissent
traiter des questions d'intérêt général - politique extérieure et de sécurité
commune, affaires de justice et affaires intérieures, projets économiques
d'intérêt commun - en préfigurant l'Europe à vingt-cinq, ou trente demain.
Pour ma part, je crois qu'il faut accepter cette Conférence européenne. Elle
est un peu fondée sur les conceptions françaises et, d'ailleurs, le Président
de la République l'a voulue ainsi : petit à petit, nous avons cessé de la
concevoir comme un élément du processus d'élargissement pour en venir à une
entité plus vaste à laquelle d'autres pays pourraient plus tard s'agréger,
notamment la Suisse, la Norvège ou l'Ukraine, c'est-à-dire à une préfiguration
d'une Europe beaucoup plus vaste, qui est celle de demain. La Conférence tend
donc à se déconnecter du processus d'élargissement et prend une signification
plus vaste.
Il est clair que nous suivrons avec attention les décisions que prendra la
Turquie lorsque lui sera lancée - cela a été décidé - l'invitation à participer
à la Conférence européenne. J'y reviendrai dans quelques instants.
La troisième question est celle de l'urgence et de l'impératif d'une réforme
des institutions. Nous en parlons à chacune de nos discussions ici et, au fond,
elle fait l'unanimité, en tant que question en tout cas, sur toutes les
travées.
M. About a parfaitement raison : la réforme institutionnelle reste à faire, et
le Gouvernement, à Amsterdam et depuis Amsterdam, l'a dit avec force. Comme
vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, il nous reste à dire laquelle nous
souhaitons.
J'aborde ce sujet en présence de Michel Barnier, avec qui j'en parlais encore
hier soir, en commentant quelques mots qui ont été prononcés à propos de
l'actuelle ou de l'ancienne majorité : il y a finalement une continuité
extrêmement grande. C'est vrai, le Gouvernement peut souligner qu'il a pris
l'affaire en fin de course ; mais M. Barnier me faisait observer dans une
conversation privée qu'il avait manqué quelques semaines - pas tout à fait de
notre fait, mais cela s'est trouvé ainsi ! - au précédent gouvernement pour
achever cette négociation.
Je note que les uns et les autres, à quelques semaines près, nous avons obtenu
sur ce point un succès modéré. Il n'est donc pas à mon sens raisonnable,
monsieur Badré, d'attribuer l'échec institutionnel d'Amsterdam à je ne sais
quel malaise à Poitiers. Le ver était largement présent dans le fruit !
S'agissant de l'extension d'une partie de la réforme, sur laquelle
s'interrogeait M. de Villepin, nous nous efforçons de trouver des alliés. Il
est vrai que nous ne sommes pas très nombreux, mais il y a clairement l'Italie
et la Belgique, et il y aura demain, j'en suis persuadé, les Pays-Bas et
l'Espagne. De plus, j'ai la conviction que la présidence britannique est prête
à jouer sur des positions qui sont assez proches des nôtres.
A Luxembourg, cette réforme n'était pas à l'ordre du jour ; ce n'était ni le
lieu, ni le moment ; l'agenda de Luxembourg était considérable, sans parler du
Conseil de l'euro et d'autres questions. Ce qu'une Conférence
intergouvernementale lourde et longue n'avait pas pu produire, nous ne pouvions
pas le faire en six mois, c'est clair.
En revanche, nous avons obtenu à Luxembourg la confirmation que la réforme des
institutions est un préalable indispensable à l'élargissement, ce qui va
au-delà de la seule réthorique. Sur cette question, sachez que la détermination
du Président de la République et du Gouvernement est entière. Je sais qu'elle
est largement partagée par les parlementaires, à l'Assemblée nationale et au
Sénat, comme l'ont prouvé les interventions de tous les orateurs.
Dans la période qui s'ouvre, nous devrons prendre appui sur les conclusions du
Conseil européen pour obtenir une véritable réforme des institutions permettant
à une Union élargie de fonctionner efficacement. Dans ce contexte, M. About
nous demande de préciser notre conception sur ce préalable institutionnel.
Tout d'abord, je crois qu'il faut le dire, il n'y aura pas de conclusion des
prochaines négociations d'adhésion sans une réforme institutionnelle
préalable.
M. Nicolas About.
Très bien !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Cela répond à l'engagement solennel de la France et
d'autres Etats membres, comme en témoigne la déclaration signée par la France,
la Belgique et l'Italie annexée au traité d'Amsterdam.
Quel sera le contenu de cette réforme institutionnelle ? Ne cachons pas qu'il
faut encore y réfléchir. Il ne serait pas raisonnable que nous nous contentions
de reprendre des positions qui, à Amsterdam, n'ont pas fait l'unanimité et qui
ont provoqué une crise. L'élargissement à dix ou douze pays entraîne un
changement d'échelle qui ne s'improvise pas.
Parmi les composantes de la réflexion, figurent aussi le passage à la monnaie
unique et le choc fédérateur qu'il entraînera.
Certains orateurs, notamment M. Badré, ont évoqué la perspective fédérale, qui
serait indispensable pour que fonctionne une Union à vingt ou trente membres.
Pour ma part, je ne crains pas de dire que ce n'est pas un tabou et
qu'effectivement, lorsque nous parlons avec M. Hubert Védrine de choc
fédérateur de l'euro, nous pensons bien à une perspective fédérale, même si ces
termes sont peut-être quelque peu éloignés de la réalité.
Pour revenir à la réforme institutionnelle à plus court terme, les thèmes en
sont connus.
Premièrement, il s'agit d'une Commission plus collégiale, donc plus
restreinte. C'est essentiel pour que celle-ci retrouve son rôle de garant de
l'intérêt communautaire.
Deuxièmement, c'est une extension, je dirais presque une sytématisation, du
vote à la majorité qualifiée dans les domaines où la dernière Conférence
intergouvernementale n'a pu aboutir.
Troisièmement, il s'agit - l'on retrouve, finalement, des orientations déjà
connues - d'une nouvelle pondération des voix au Conseil, qui est indispensable
en termes d'efficacité et de représentativité des Etats membres.
Quelle sera la méthode ? Sur ce point, je partage l'avis de M. de Villepin :
la méthode de la CIG - cela méritera peut-être de plus amples débats - a montré
certaines de ses limites ; il faut donc réfléchir à une nouvelle méthode. Celle
du « comité des sages » est possible, ou, en tout cas, celle d'une procédure
spécifique combinant le caractère politique de la démarche et le souci de son
efficacité.
Cette question ne manque pas d'intérêt, me semble-t-il. Là encore, parce que
nos réflexions en sont à un stade préliminaire et que, je l'avoue, nous avons
du temps, nous aurons l'occasion d'en reparler.
Le quatrième aspect de la question de M. About concerne la nécessité de
renforcer l'ancrage de la Turquie à l'Europe. Mais ce sujet a également été
évoqué par MM. de Villepin, Lesein et Bécart.
Comme vous le savez, M. Hubert Védrine, le ministre des affaires étrangères,
vient de se rendre en Grèce et en Turquie. Il a engagé une discussion de fond
sur ces questions, dans le prolongement du Conseil européen. Je veux d'emblée
préciser notre position, qui rejoint la vôtre, monsieur About.
La Turquie est un partenaire stratégique essentiel parce qu'elle est à la
confluence de plusieurs mondes - l'Europe, le Caucase et le Proche-Orient -
parce que c'est un grand pays et un pays laïc. Son ancrage à l'Union européenne
est nécessaire pour assurer son évolution démocratique ainsi que son
développement économique à long terme.
Nous devons tous avoir à l'esprit les risques que présenterait une rupture de
cet ancrage, à savoir les tentations islamistes, d'une part, le blocage de la
question de Chypre, d'autre part, sans oublier, comme l'évoquait M. François
Lesein, les rapports avec les Etats-Unis. En effet, ce dernier pays reste sans
doute notre allié et notre partenaire, mais il est aussi notre compétiteur.
La Turquie est un élément stabilisateur pour l'ensemble de la région. C'est
pourquoi, je le dis sans ambages, elle mérite mieux que le traitement qui lui a
été accordé à Luxembourg, d'autant que l'union douanière ne lui a pas apporté
tout ce qu'elle était en droit d'attendre, notamment en matière d'aide
financière, alors que l'Union européenne, pour sa part, a très largement
bénéficié des effets de cette union douanière en termes commerciaux.
De notre point de vue, il est très important d'envoyer des signaux politiques
forts sur les perspectives européennes de la Turquie afin de conforter
l'orientation occidentale de ce pays et d'emporter le soutien de l'opinion
publique turque aux réformes qui sont nécessaires pour aller dans ce sens, mais
qui sont coûteuses économiquement et politiquement. C'est le sens de la visite
effectuée par M. Hubert Védrine à Ankara peu de temps après la tenue du Conseil
européen.
A Luxembourg, l'Union européenne a réaffirmé timidement l'éligibilité de la
Turquie, elle a mis au point une stratégie d'intégration, elle a entériné le
principe de la participation d'Ankara à la Conférence européenne. Ces éléments
incluent la Turquie dans le processus d'élargissement, même si elle n'est pas
partie prenante, dans l'immédiat, du processus d'adhésion proprement dit. Ne
nous cachons pas que la Turquie a un long chemin à parcourir pour se conformer
aux critères de Copenhague, qu'il s'agisse des droits de l'homme, des rapports
avec ses voisins ou du dossier de Chypre.
M. Hubert Védrine ne s'est pas rendu dans ce pays pour tenir un discours
complaisant : nous avons dit à nos interlocuteurs que la Turquie devait
évoluer. Il est dans le même temps naturellement dans son intérêt de prendre le
temps de la réflexion pour analyser les propositions formulées par le Conseil
européen.
Aussi convient-il, selon nous, d'inviter Ankara à prendre un peu de recul par
rapport au Conseil européen de Luxembourg. Tout n'a pas commencé, tout ne s'est
pas achevé à Luxembourg ! Lors des trente dernières années, au-delà des aléas
politiques, nous avons accompli pas à pas beaucoup de choses avec ce pays. Nous
souhaitons préserver et accroître cet acquis.
A ce titre, nous estimons que la stratégie européenne pour la Turquie définie
à Luxembourg devrait être engagée rapidement et que ce pays devrait participer,
sans qu'aucune condition préalable ne lui soit opposée, à la réunion de la
Conférence européenne prévue à la mi-mars.
Je relève toutefois un problème : M. Hubert Védrine a eu le sentiment très net
qu'à l'heure où nous parlions le gouvernement turc, avec beaucoup de fermeté,
ne manifestait pas le souhait de participer à cette réunion. Comme vous le
savez, M. Yilmaz a en effet indiqué que la date retenue ne figurait pas sur son
agenda, ce qui est quelque peu ennuyeux. M. François Lesein s'est interrogé sur
le rapprochement entre la Turquie et les Etats-Unis. L'ancrage à l'OTAN de la
Turquie est ancien, ce qui fait que le lien américano-turc est très fort ; et
il peut encore se renforcer à l'occasion des difficultés de l'Europe.
Quant au partenariat stratégique américano-turco-israélien, je pense qu'il
rencontrera des limites évidentes dans le contexte moyen-oriental, la Turquie
ne pouvant totalement s'isoler, comme l'ont démontré ses déboires lors du
sommet de l'Organisation de la conférence islamique, en décembre. Il y a sans
doute là un motif de préoccupation. Mais il ne faut pas l'exagérer.
Au sujet de la question kurde, vous l'avez souligné à juste titre, il est
contradictoire de rejeter un pays loin de l'Europe tout en le sommant de
résoudre des questions qui sont extraordinairement délicates.
En conclusion de mon propos sur la Turquie proprement dite, je dirai que tous
ces éléments prouvent qu'il n'y a pas de raison d'être pessimiste à l'excès. La
Turquie a fait la preuve de sa bonne volonté dans les derniers jours pour
coopérer avec l'Europe dans la maîtrise des flux migratoires, notamment lors de
la réunion des chefs de la police à Rome. J'ai bon espoir que cette attitude de
coopération se poursuivra sur d'autres plans, c'est-à-dire sur le plan général
des relations turco-européennes.
S'agissant de Chypre, et pour répondre aux préoccupations de M. Claude Estier,
je dirai que nous attendons de toutes les parties qu'elles adoptent une
attitude responsable. La réaction de la Turquie sur Chypre est à la mesure de
sa déception. Elle est très clairement exagérée et il faut s'efforcer, à
présent, de convaincre Ankara que la Turquie n'aurait rien à gagner à s'engager
dans une épreuve de force. Cela implique que la Grèce et les Chypriotes grecs
fassent également preuve d'ouverture. Cela implique aussi que la Turquie fasse
ce qu'elle a à faire.
A Luxembourg, nous avons oeuvré pour que les conclusions reflètent la lettre
et l'esprit de la décision du 6 mars 1995. Le Conseil européen a ainsi affirmé
que les négociations contribueront à la recherche d'une solution politique en
vue de la création d'une fédération bicommunautaire, bizonale. L'objectif doit
donc être celui de l'entrée dans l'union d'une île réunifiée. C'est ce que le
Président de la République a affirmé tout au long du Conseil européen.
Par ailleurs, le Conseil européen a très clairement demandé que la délégation
chypriote comprenne des représentants de la communauté chypriote turque. Cela
constitue, en effet, la garantie que les négociations d'adhésion favoriseront
un règlement politique conforme aux résolutions des Nations unies.
Je tenais à vous donner la position de la France sur la question turque. Ne
nous cachons pas qu'il s'agit d'un dossier extraordinairement délicat dans la
conjoncture présente. La France s'efforce de convaincre les Turcs qu'il leur
faut améliorer leurs relations avec les Grecs et avec l'Europe, et les
Européens qu'il leur faut être plus ouverts vis-à-vis de la Turquie. Le chemin
qui reste à parcourir est important, je manquerais à la vérité si je ne le
disais pas.
Je veux enfin traiter des orientations relatives au cadre financier et aux
politiques communes, en réponse à la question de M. About et aux interrogations
fortes de M. de Villepin.
Le Conseil de l'Europe a souligné les principes fondamentaux qui devront
guider, dans le contexte de l'élargissement, l'établissement d'un nouveau cadre
financier et la réforme des politiques communes, essentiellement celle de la
PAC et des fonds structurels. C'est un dossier très difficile, sur lequel les
intérêts des uns et des autres sont différents, voire divergents.
Reconnaissons que la plupart de nos partenaires ne souhaitaient pas, pour des
raisons variées, aborder à Luxembourg d'autres questions que celle de
l'élargissement au sens strict. Pour la plupart - c'était le cas de l'Espagne,
comme cela a été mentionné par M. de La Malène, c'était le cas de l'Allemagne
aussi, pour d'autres raisons - ils ne voulaient aborder à Luxembourg que la
question de l'élargissement au sens strict, sans aborder son volet interne,
c'est-à-dire ses conditions.
Le Gouvernement français et le Président de la République se sont battus tout
au long de ce conseil et ils ont obtenu, avec le soutien de la présidence
luxembourgeoise et de certains de nos partenaires, que quelques principes de
base soient rappelés au plus haut niveau de l'Union avant que les négociations
ne commencent dans le détail, sur la base des propositions de la Commission,
qui sont attendues pour la fin du mois de mars.
Reconnaissons d'emblée, avant de revenir rapidement sur la position prise par
l'Europe, que notre niveau d'ambition était initialement plus élevé, voire
sensiblement plus élevé ; mais je crois qu'au cours de ce dernier après-midi de
réunion du Conseil européen l'essentiel a été acquis.
La Commission est invitée à aller de l'avant et à présenter des propositions
précises sur la base du travail qu'elle a effectué dans le cadre d'« Agenda
2000 ». Cela signifie qu'un cadre financier devra être établi, en prenant en
compte l'impératif de rigueur budgétaire mentionné par les conclusions du
Conseil et en se fondant sur une double programmation des dépenses.
M. de Villepin s'est interrogé sur le coût de l'élargissement. On connaît les
estimations de la Commission : 45 milliards d'écus pour les pays nouveaux
adhérents, au titre des fonds structurels ; 15 milliards d'écus pour la PAC,
pour les mêmes pays ; quant au coût de l'effort de préadhésion, il serait de
l'ordre de 9 milliards d'écus.
Il s'agit là, évidemment, d'une évaluation sujette à caution. C'est pourquoi
nous avons demandé une double programmation, car l'on ne sait pas très bien
quels pays auront adhéré dans cinq ans étant donné que l'on a un peu tout
mélangé. Raison de plus pour mener maintenant ce travail. Or le fait que le
Conseil européen ait décidé de le faire est tout à fait important. C'était une
demande essentielle du Gouvernement français ; nous avons obtenu
satisfaction.
Les principes essentiels relatifs à la PAC ont été rappelés. Là aussi, ce fut
une rude bataille, dans laquelle je soulignerai le rôle du Président de la
République, dont on connaît l'attachement à notre agriculture.
J'en rappellerai brièvement les points importants : approfondissement de la
réforme de 1992, en prenant soigneusement en compte les spécificités
sectorielles et le modèle agricole européen ; préservation de la ligne
directrice agricole, ce qui est, bien sûr, fondamental.
En ce qui concerne les fonds structurels, la moisson est beaucoup plus mince.
En effet, la plupart des Etats membres n'ont pas souhaité aller au-delà d'une
référence générale aux orientations proposées par la Commission. Il en résulte
une situation contrastée : nous aurons plus de liberté pour examiner les
positions de la Commission mais, en même temps - ne nous le cachons pas - nous
aurons encore plus de terrain à occuper pour faire respecter nos intérêts
nationaux fondamentaux, ce que, je le sais, chacun ici, sur toutes les travées,
souhaite.
C'est sur la base de ces principes que le Gouvernement continuera à faire
valoir ses demandes au sein du Conseil dès que la négociation s'engagera sur
les propositions de la Commission.
S'agissant du cadre financier, nous plaiderons pour le maintien du plafond des
ressources propres à 1,27 % du PNB, avec une marge substantielle destinée à
prendre en compte les disciplines de l'Union économique et monétaire.
Nous exigeons également que l'on ne modifie pas la décision sur les ressources
propres de l'Union. Cette décision ne pourrait d'ailleurs être modifiée qu'à
l'unanimité. L'objectif espagnol n'est donc pas totalement atteint puisque, à
défaut de modification, la décision continuera de s'appliquer.
Nous refusons de nous engager dans un débat sur la notion illusoire de juste
retour, et cela quel que soit le pays qui le demande, que ce soit la
Grande-Bretagne ou même nos amis Allemands.
En matière agricole, nous attendrons les propositions formelles de la
Commission. Si nécessaire, nous rappellerons, bien évidemment avec force, les
demandes formulées par les ministres de l'agriculture le 17 novembre 1997. Un
différentiel d'aides incitatives doit être maintenu en faveur des
oléoprotéagineux, c'est important. La réforme de l'OCM bovine doit être plus
équilibrée et offrir des soutiens adéquats à l'élevage extensif. Enfin, nous
marquerons une nouvelle fois notre hostilité à une réforme du secteur du lait
telle que l'envisage la Commission dans « Agenda 2000 ».
Tous ces éléments doivent être pris en compte dans le cadre d'une ligne
directrice agricole préservée.
Sachez, enfin, que la vigilance du Gouvernement s'exprimera également en
matière de fonds structurels. Nous souhaitons que des mécanismes de transition
soient mis en place pour les régions qui pourraient être affectées par la
réforme, en particulier celles de l'objectif 1.
Nous veillerons également au bon équilibre des instruments, en particulier de
l'objectif 1 et du fonds de cohésion, ainsi qu'à la définition de nouvelles
politiques permettant de répondre à nos besoins en termes de reconversion
économique, sociale, urbaine et rurale, et de lutte contre le chômage.
Pour ce faire, comme beaucoup d'entre vous l'ont d'ailleurs esquissé, il faut
peut-être resituer la problématique de l'élargissement dans son contexte.
En effet, l'avenir de l'Europe ne se réduit pas à son élargissement, qui n'en
est qu'une des dimensions. L'avenir de l'Union - au moment où nous entamons
l'année 1998, il faut le rappeler - passe d'abord par la mise en place de
l'Union économique et monétaire telle que nous la concevons en France,
c'est-à-dire réorientée vers la croissance et vers l'emploi.
Je suis persuadé, pour ma part, que nous en mesurerons très vite l'impact
fédérateur. Je pense, comme M. Badré, qu'il faut « s'appuyer sur ce qui marche
» pour faire redémarrer le projet européen. Je partage l'observation du
président Genton : cet aspect fédérateur de l'Union économique et monétaire est
un moyen d'éviter que l'on perde en substance ce que l'on gagne en ampleur.
C'est sur ce môle qu'il faut bâtir un nouveau départ de la construction
européenne.
Cette Union économique et monétaire constitue d'ailleurs, avec le Conseil de
l'Europe, l'une des premières applications avant la lettre du mécanisme de
coopération renforcée instauré par le traité d'Amsterdam.
Cette coopération renforcée constitue assurément l'une des avancées majeures
du traité d'Amsterdam. C'est une notion qui devrait se révéler extrêmement
féconde pour l'approfondissement de la construction européenne, car c'est un
antidote à l'inertie et au blocage.
Pour donner à ce mécanisme toute son ampleur, il faut d'abord - la question a
été soulevée par M. Bécart - ratifier le traité d'Amsterdam, dont je dirai un
mot, on comprendrait mal que je ne le fasse pas.
Le Conseil constitutionnel a, le 4 décembre 1997, été saisi conjointement par
le Président de la République et par le Premier ministre. Nous avions identifié
les problèmes constitutionnels éventuels. Le Conseil constitutionnel, sans
grande surprise - en tout cas pour nous - a rendu sa décision : soit le traité
doit être modifié, ce qui ne nous paraît pas très raisonnable, compte tenu de
la situation complexe de l'Europe - nous ne demandons pas une nouvelle
renégociation - soit la Constitution doit être révisée. Elle le sera.
Sur ce point, l'article 89 de la Constitution est très clair : « L'initiative
de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la
République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement. »
C'est au Président de la République que revient l'essentiel des initiatives,
même si le Gouvernement a un rôle à jouer en ce domaine. C'est notamment lui
qui, en application de l'article 89, choisit entre le référendum et le Congrès.
C'est la procédure normale.
Pour ma part, j'ai une préférence. On la connaît, je ne la cache pas ; je l'ai
d'ailleurs exprimée publiquement. Je crains, en effet, dans l'hypothèse du
référendum, non pas la réponse, mais la question. La façon de la formuler
pourrait, alors qu'il s'agit somme toute d'une révision très limitée, réveiller
une série de peurs. Le Congrès est donc la meilleure solution, et un débat doit
s'engager devant le Parlement.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
De toute façon, il aura à en débattre, car, en toute
hypothèse, un vote doit intervenir dans les deux chambres. Ainsi, le Président
de la République apportera en fait la réponse à votre question, monsieur
Bécart, quant à la formule choisie.
En toute hypothèse, il est très important que le Parlement, une fois qu'il
aura, je l'espère, adopté ce traité qu'il ne devrait pas rejeter, manifeste
clairement, selon des formes qui restent à définir, sa volonté de voir ce
traité s'appliquer, et qu'il y ait en même temps un préalable institutionnel.
Le Parlement doit pouvoir s'exprimer sur ce point, et cet aspect très important
devrait faire l'objet d'un consensus sur toutes les travées.
Je voudrais maintenant revenir sur quelques réflexions que vous avez
formulées, monsieur de La Malène, concernant l'impact de la France dans le
débat européen. Vous avez posé de véritables questions.
La construction européenne connaît aujourd'hui des difficultés. C'est une
machine lourde, complexe, dont le fonctionnement doit être amélioré, pour ne
pas dire totalement révisé. C'est pourquoi une réforme des institutions est
nécessaire. Mais je ne partage pas votre conviction selon laquelle les intérêts
français n'auraient pas été entendus lors du Conseil européen de Luxembourg.
Je me suis rendu à ce Conseil, comme le Premier ministre, comme le ministre
des affaires étrangères, comme le Président de la République, en considérant
qu'il s'agissait probablement de l'un des rendez-vous les plus difficiles que
nous abordions parce que la France était la seule à avoir une perspective
globale, que vous avez rappelée, sur tous les sujets.
En ce qui concerne les institutions, nous avons obtenu le préalable, c'est
très important. Quant à l'élargissement, nous souhaitions un processus global,
inclusif, flexible. Nous l'avons obtenu, avec d'autres. Dans le cadre
financier, nous étions seuls à défendre certaines positions, et nous n'avons
pas tout obtenu.
Le Conseil de Luxembourg a marqué, en quelque sorte, un nouveau départ.
L'élargissement se présente dans les meilleures conditions possibles compte
tenu de l'extrême complexité du phénomène, et la France y est pour beaucoup.
Selon vous, la France devrait se concentrer sur un petit nombre d'objectifs,
comme l'Espagne. Le succès espagnol à Luxembourg est en trompe-l'oeil. Comme je
l'ai dit, la décision « ressources propres » ne peut être modifiée qu'à
l'unanimité. L'Espagne a obtenu un succès de façade, mais rien n'a changé. Nous
abordons la discussion financière dans des conditions qui sont très difficiles,
mais qui ne se sont pas dégradées par rapport à ce qui se passait avant le
Conseil européen de Luxembourg.
Mais la France n'est pas l'Espagne. Notre pays est en effet, au sein de
l'Union européenne, l'un des seuls avec l'Allemagne à avoir une vision globale
de l'Europe. Ce couple moteur, même s'il connaît des vicissitudes, qui sont
dues non pas à telle ou telle circonstance politique, mais bel et bien à des
intérêts objectivement divergents actuellement sur l'élargissement, sur les
conditions financières, sur les institutions, reste un couple essentiel. Il
fallait le dire alors que nous célébrerons, la semaine prochaine, le
trente-cinquième anniversaire du traité de l'Elysée.
Voilà des choses qu'il faut répéter. Je le répète : la France est un des seuls
pays à avoir une vision globale de l'Europe. Elle doit continuer à l'avoir.
Cela l'expose, bien sûr, parfois à être attaquée, mais c'est tout à fait
fondamental.
En conclusion, je dirai qu'il faut effectivement, comme le souhaitait M. de
Villepin, bâtir une Europe qui soit une Europe puissante, tout en veillant,
comme le souhaitait Claude Estier, à ce que l'élargissement ne signifie pas un
affaiblissement, une dilution des politiques communes.
Nous sommes face à un ensemble de dossiers extraordinairement complexes,
mélangés, imbriqués, dont la résolution est difficile. C'est à cela que nous
nous attaquerons au cours de l'année 1998 et des années suivantes, avec le
souci de redonner un grand dessein à l'Europe.
Ce grand dessein, c'est celui d'une Europe des peuples, d'une Europe
populaire, qui serve les hommes et toutes les couches de la population. Nous
devons en effet veiller à éviter qu'autour de la construction européenne ne se
crée une sorte de fracture sociale qui serait également une fracture politique.
Je pense que notre débat aura contribué à montrer que cette préoccupation était
largement partagée par la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Le débat est clos.
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