M. le président. « Art. 1er. - A titre exceptionnel, un recrutement par concours de magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire est autorisé dans la limite de 50 postes au cours de l'année 1998 et 50 postes au cours de l'année 1999. Les candidats doivent être titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation d'une durée au moins égale à quatre années d'études après le baccalauréat, que ce diplôme soit national ou reconnu par l'Etat, ou d'un diplôme délivré par un Etat membre de la Communauté européenne et considéré comme équivalent par le ministre de la justice après avis d'une commission, ou d'un diplôme délivré par un institut d'études politiques ou d'un certificat attestant la qualité d'ancien élève d'une école normale supérieure. Les candidats doivent en outre être âgés de trente-cinq ans au moins et quarante-cinq ans au plus au 1er janvier de l'année d'ouverture du concours, remplir les conditions prévues aux 2°, 3°, 4° et 5° de l'article 16 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, et justifier à cette date de dix ans d'activité professionnelle. Cette durée est réduite à huit ans pour les personnes mentionnées au 2° de l'article 17 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée ainsi que pour les avocats, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les avoués, les notaires, les huissiers de justice et les greffiers des tribunaux de commerce. »
Par amendement n° 3, MM. Lesein, Bimbenet, Cabanel, Paul Girod, Jeambrun, Othily et Vallet proposent :
I. - Dans la première phrase de cet article, de remplacer - deux fois - le nombre : « 50 » par le nombre : « 40 ».
II. - De compléter in fine cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« A titre exceptionnel, un recrutement par concours de magistrats du premier groupe du premier grade de la hiérarchie judiciaire appelés à exercer directement les fonctions de vice-présidence de tribunal de grande instance chargés de fonctions spécialisées et de procureurs de la République adjoints est autorisé dans la limite de dix postes au cours de l'année 1998 et dix postes au cours de l'année 1999. Les candidats doivent être âgés de cinquante ans au moins au 1er janvier de l'année d'ouverture du concours, justifier à cette date de quinze ans d'activité professionnelle et remplir les autres conditions mentionnées à l'alinéa précédent. »
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Nous savons la détresse que génère la pénurie de magistrats dans certains départements, ruraux notamment. Or, le présent projet de loi tend incontestablement - et nous ne pouvons que nous en réjouir - à pourvoir des postes vacants que l'avancement « traditionnel » ne permet, hélas ! pas toujours de remplir.
C'est ainsi que, pour les cours d'appel, l'article 3 prévoit de recruter directement vingt conseillers au premier grade du premier groupe de la hiérarchie judiciaire.
Le raisonnement devrait cependant être étendu aux tribunaux de grande instance, où des postes importants, notamment de vice-présidents spécialisés - juges des enfants, juges de l'application des peines - sont également vacants. Il convient donc, pour remédier à ces situations, d'opérer comme prévu par le présent texte pour les cours d'appel, c'est-à-dire de recruter vingt magistrats - deux fois dix - du premier grade du premier groupe.
Par coordination, pour ne pas affecter l'équilibre du texte, le recrutement de magistrats du second grade porterait ainsi sur quatre-vingts postes, soit deux fois quarante, au lieu de cent, soit deux fois cinquante, puisqu'il y aura deux concours.
Certains postes vacants dans les cours d'appel pourraient être pourvus par des magistrats du second grade déjà en exercice et inscrits au tableau d'avancement. Dans ma région au moins, il semble que le nombre des demandes pour ces postes excèdent nettement celui des emplois à pourvoir. Dans ces conditions, je m'étonne que l'on n'étende pas le dispositif aux tribunaux de grande instance.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 3 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission souhaiterait entendre d'abord l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. L'adoption de l'amendement n° 3 se traduirait par l'aggravation d'une charge publique, mais le Gouvernement n'a pas l'intention d'invoquer l'article 40 de la Constitution sur ce point, et, s'il n'est pas favorable à cet amendement, c'est pour d'autres raisons, sur lesquelles je veux attirer votre attention.
Monsieur Lesein, il est regrettable en effet que, faute de candidats dans certaines villes du nord ou de l'est de la France par exemple, nous éprouvions des difficultés à pourvoir des postes de procureur adjoint ou de vice-président de tribunal de grande instance.
Toutefois, transformer comme vous proposez de le faire dix postes de base en postes de premier grade du premier groupe en priverait les magistrats passés par l'Ecole nationale de la magistrature, ce qui mérite que l'on y réfléchisse.
En effet, il s'agit de fonctions d'encadrement qui nécessitent une expérience de la magistrature et si, encore une fois, je partage votre diagnostic, je préfère trouver d'autres remèdes, en particullier des moyens incitatifs - j'y réfléchis et nous aurons l'occasion d'y revenir lors du débat sur la réforme de la justice - qui permettraient aux magistrats sortis de l'Ecole nationale de la magistrature d'occuper ces postes après dix ans de carrière.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nos collègues signataires de l'amendement n° 3 ont rendu la commission sensible à la préoccupation de pourvoir les postes, semble-t-il trop souvent vacants, de vice-présidents de tribunal de grande instance ou de procureurs de la République adjoints.
Toutefois, il lui a semblé qu'il n'appartenait pas au législateur d'apporter cette précision dans le cadre d'une loi organique. La localisation des magistrats recrutés relève, en effet, du ministère.
En tant que législateur, il nous appartient bien d'élargir les modalités de recrutement des magistrats, mais il ne nous paraît pas sain d'entrer dans le détail, en prévoyant par exemple de placer dix personnes dans tel secteur plutôt que dans tel autre. Cela ne relève pas de notre responsabilité de législateur.
Par conséquent, notre souhait - Mme le garde des sceaux l'a, semble-t-il, devancé - était que le Gouvernement prenne acte de cette préoccupation, constate qu'il existe un réel problème et rassure nos collègues sur sa volonté de le résoudre.
J'ajoute que Mme le garde des sceaux a fait une observation qui nous paraît tout à fait pertinente : les postes de vice-présidents des tribunaux et de procureurs généraux adjoints sont des postes de responsabilité dans l'organisation judiciaire. Il s'agit de contribuer au fonctionnement d'un échélon de la justice, pas seulement de trancher une affaire particulière. En effet, par définition, un vice-président remplace assez souvent le président et un procureur adjoint fait souvent fonction de procureur.
Il est préférable de confier ces missions d'administration et de gestion générale à des personnes qui sont « du métier », qui en ont franchi les stades préliminaires, qui ont appris de l'intérieur le fonctionnement du système judiciaire.
Cet argument n'a pas été évoqué lors de la réunion, assez brève, de notre commission. Il est important et, compte tenu de l'engagement de Mme le garde des sceaux de prendre en considération leur préoccupation, les signataires de l'amendement n° 3 devraient peut-être accepter de le retirer. Bien entendu, je leur laisse le soin d'apprécier ma suggestion.
La commission, en tout cas - je crois pouvoir le dire bien qu'elle n'ait pas délibéré en tenant compte de l'argument avancé par Mme le garde des sceaux - s'en rapportera sinon à la sagesse de l'assemblée, tout en n'étant pas favorable, je le redis, à l'introduction d'une disposition trop précise dans la loi organique.
M. le président. Monsieur Lesein, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. François Lesein. Monsieur le président, la suggestion de M. le rapporteur ne me surprend pas, bien que je sois sensible à sa crainte de voir le législateur s'immiscer dans un choix qui relève du Gouvernement, celui de placer les magistrats à tels ou tels postes.
Il n'en reste pas moins vrai, madame le garde des sceaux, et vous ne l'ignorez pas, qu'il y a des postes vacants : 3 % en moyenne, comme M. Paul Girod l'a rappelé tout à l'heure, et même entre 14 % et 21 % dans certaines instances !
Il y a là tout de même quelque chose qui ne va pas, d'autant que cela varie selon qu'on est au sud ou au nord de la Loire !
Les transferts de magistrats du nord vers le sud de la France dépendent bien de l'autorité du garde des sceaux que je sache. Or, l'hémorragie semble s'aggraver.
Il faut prendre ce phénomène en considération, car il pénalise les régions du Nord et de l'Est. Vous l'avez reconnu vous-même, madame le garde des sceaux. Pourriez-vous dès lors nous assurer que vous serez attentive aux carences dues aux vacances de postes dans certains tribunaux de grande instance ?
Les maires ne peuvent pas toujours se déplacer chez le procureur et chez le président du tribunal de grande instance ou leur téléphoner pour les alerter sur la situation de justiciables qui pâtissent de ces carences.
Les magistrats doivent avoir les moyens de rendre une justice que nous puissions supporter. Sinon, comment voulez-vous que l'on aient des arguments et un peu de poids auprès de jeunes qui se conduisent comme vous le savez ? Tout cela est lié.
Je pense que vous êtes sensible à ces arguments, madame le ministre, et si vous prenez un engagement sur ce point, je retirerai mon amendement.
Vous nous avez présenté dans des délais très brefs, et je vous en remercie, le présent projet de loi tendant à créer 200 postes.
S'agissant de l'avenir proche, je souhaiterais que vous vous engagiez à pourvoir des postes, d'une manière ou d'une autre, par exemple par la voie de l'avancement. Lorsqu'un poste est libre et qu'il n'est pas intéressant, que fait-on ? On nomme quelqu'un au grade supérieur. Alors, faites-le dans l'autre sens. Si vous montez en grade les magistrats, croyez-moi, ils accepteront.
Je retire mon amendement parce que je suis sûr que Mme le garde des sceaux va s'engager. (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.
Par amendement n° 2, MM. Dreyfus-Schmidt, Badinteret Allouche proposent de rédiger comme suit la dernière phrase de l'article 1er : « Cette durée est réduite à huit ans pour les titulaires d'une maîtrise en droit. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai déjà défendu cet amendement. Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dit au cours de ma brève intervention dans la discussion générale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission, sous réserve d'entendre l'avis du Gouvernement, est assez favorable à cet amendement. Elle avait pensé qu'on pouvait garder l'énumération et ajouter les titulaires d'une maîtrise en droit, mais ce n'est sans doute pas nécessaire. En effet, on « balaie » peut-être toutes les catégories en demandant la maîtrise en droit puisqu'elle est exigée maintenant à peu près pour tout le monde.
S'il n'y a pas de difficulté technique sur ce point, la commission émet un avis favorable. Il faut bien avoir à l'esprit que, en l'occurrence, ce qui va jouer un rôle essentiel, c'est le concours, les autres mesures n'ayant pas une grande portée. En effet, c'est le concours qui fera la décision.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai été, moi aussi, très sensible aux arguments qui ont été présentés à la tribune par M. Dreyfus-Schmidt. On peut en effet se demander s'il ne faudrait pas ouvrir le concours à tous les titulaires d'une maîtrise de droit, ce qui garantirait une certaine formation juridique. Sur ce point, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je souligne, à l'attention de l'Assemblée nationale, que cet amendement a été adopté à l'unanimité !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article 1er.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le groupe du RPR n'a pas pris la parole dans la discussion générale afin d'abréger nos débats, mais je voudrais indiquer en cet instant que nous nous rallions à ce texte et aux conclusions de M. le rapporteur. Le groupe du RPR votera donc le présent projet de loi organique.
Cela étant dit, je voudrais faire trois remarques.
La première, que j'ai déjà formulée en commission et que certains de mes collègues ont exprimée, concerne l'effondrement du nombre de postes ouverts au titre du concours de l'Ecole nationale de la magistrature année après année. Quand on songe qu'à l'heure actuelle 6 % seulement des candidats sont reçus au concours de cette école et qu'avec 145 postes on fera perdurer année après année des vacances d'emplois, on se dit qu'il est temps de remonter à un seuil normal le nombre des recrutements effectués par le biais du concours de l'Ecole nationale de la magistrature.
Je réitérerai le souhait que j'ai exprimé devant M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche : il faudrait mettre en place une programmation, au moins à moyen terme, du nombre de postes mis au concours. Cela permettrait aux étudiants de mieux s'orienter et de mieux connaître le nombre de postes offerts dans telle ou telle filière. Pour l'instant, ils ne disposent pas de cet élément d'information.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est une bonne remarque !
M. Patrice Gélard. Ma deuxième remarque concerne les personnes issues des professions libérales ou du secteur privé et qui se présenteront aux concours prévus. Le texte qui nous est soumis ne dit rien de la retraite des personnes concernées et de la possibilité pour elles de racheter des points, de façon que les anciens avocats, les anciens notaires ou les anciens huissiers, par exemple, qui voudraient devenir magistrats puissent bénéficier d'une retraite décente. Il y a donc là une interrogation qui ne trouve pas de réponse dans le texte.
Ma dernière remarque sera pleine d'inquiétude. Je suis convaincu que ce texte devait être proposé. Cependant, j'ai de très grandes craintes pour l'avenir, madame le ministre. Un rapide calcul montre qu'avant dix ans la moitié de nos magistrats partiront à la retraite. Par conséquent, nous allons être confrontés chaque année au même problème. Il est donc temps que les gardes des sceaux qui se succèdent disent définitivement non aux exigences des ministres des finances qui, dans la pratique, les incitent à faire des économies sur les emplois et sur les postes mis au concours en recrutant à l'extérieur, ce qui coûtera moins cher en retraite et en années de formation.
Il est temps, madame le ministre, de dire au ministre des finances : cela suffit ! La justice a besoin d'hommes et de femmes. Il faut que tous les emplois qui sont actuellement vacants soient pourvus dans les plus brefs délais. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Chérioux applaudit également.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous sommes en face d'un texte qui peut paraître limité, mais dont l'utilité justifie l'accueil qu'il a reçu de notre part.
J'ajoute que, très accessoirement, vous avez souligné le problème fondamental : on ne gère pas, on n'est plus capable de gérer de manière satisfaisante un corps dont les membres disposent d'une inamovibilité absolue. C'est impossible, on n'y parviendra pas. Peut-être aurions-nous dû nous-mêmes, en d'autres occasions, aller plus loin dans la réflexion nécessaire.
A partir du moment où il existe un conseil supérieur de la magistrature qui dispose de l'autorité et de la capacité juridique qui lui ont été reconnues, il faudra, à très bref délai, résoudre le problème de l'inamovibilité. En effet, nous ne pourrons éviter que des personnes se plaisent à Grasse et ne veulent pas aller à Béthune, vous le savez bien. Il faudra remettre en cause l'inamovibilité, sous une forme à étudier, avec toutes les prudences nécessaires.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2