RÉFORME DU SERVICE NATIONAL
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 426, 1996-1997),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme
du service national. Rapport (n° 4, 1997-1998).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le projet de loi portant réforme du service national...
M. Emmanuel Hamel.
Texte de déclin et de décadence !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
... que j'ai l'honneur de vous soumettre
aujourd'hui, en espérant un débat serein et rationnel, constitue une des
priorités législatives du Gouvernement. Il est également une étape marquante de
notre vie publique.
Il s'agit en effet de prendre position par la loi sur la forme que revêtira,
dans le processus de réforme de nos armées, le service national.
Nos débats toucheront aussi bien au fondement de la cohésion de la nation qu'à
l'enracinement de nos valeurs républicaines ou à la place que la France entend
occuper et aux principes qu'elle incarne.
Aussi est-ce avec un sentiment de responsabilité particulièrement élevé que je
souhaite poursuivre avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, les débats
sur ce projet de loi sur lequel, dans une première lecture, l'Assemblée
nationale a travaillé et qu'elle a enrichi. Je ne doute pas que vous
contribuerez également, par vos apports et votre vote, à son enracinement dans
un consensus national renouvelé.
M. Emmanuel Hamel.
Sûrement pas !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Le service militaire obligatoire et universel que
nous connaissons aujourd'hui date de 1905. Il s'est agi depuis lors de doter la
France d'une armée de masse, capable de défendre le territoire national. Cette
forme de service national, manifestation la plus directe de la participation de
la nation à sa défense, a permis aux appelés, et aux militaires professionnels
qui les encadrent, d'accomplir des actions armées et de maintenir une vigilance
du temps de paix qui ont garanti notre indépendance nationale. Parce que chaque
citoyen y était astreint, il s'inscrivait dans nos principes républicains, que
la loi fondatrice de 1798 résumait par cette formule : « Tout Français est
soldat et se doit à la patrie ».
Je voudrais ici souligner que toutes celles et tous ceux qui ont donné leur
peine et leur sang au sein de cette armée de conscription ont fait des
sacrifices qui ont eu une utilité essentielle. Cette armée d'appelés ne
disparaît pas parce qu'elle serait victime des événements de la fin de la
guerre froide et qu'elle serait ainsi dépassée. Elle peut en sortir avec le
sentiment d'avoir participé à la victoire par la dissuasion et non par la
force. Notre armée de conscription, partout où elle a été engagée, que ce soit
en opérations ou en exercice, a fait l'admiration de nos grands alliés, dont
certains avaient déjà fait le choix de la professionnalisation. Les temps ont
changé, mais la nation ne peut oublier, et encore moins renier, l'apport des
appelés qui ont participé au renom de la France et au succès de ses armes.
Dans les dernières décennies, ce service s'est en outre élargi à des formes
civiles variées qui ont apporté et apportent encore au rayonnement extérieur de
notre pays et à nombre de services publics un appui humain particulièrement
précieux.
Cependant, le bouleversement stratégique que nous avons connu à partir de 1989
remet en cause la justification militaire même de la conscription. Nous ne
connaissons plus de menace militaire directe et massive sur le territoire
national, menace face à laquelle l'armée de conscription était la réponse
cohérente.
En revanche, le développement de conflits régionaux et de dissensions souvent
violentes au sein même d'Etats à structure fragile place notre pays devant un
nouveau défi. Face à ces crises multiformes où se trouvent mis en jeu les
principes politiques auxquels nous tenons, la France a estimé de sa
responsabilité d'agir pour la consolidation de la paix, pour la mise en échec
des agressions, pour l'établissement de relations pacifiques entre des pays
voisins ou des communautés que des aspirations antagonistes avaient fait
basculer dans la violence.
Et notre pays a agi : au Liban, au Tchad, auCambodge, au Rwanda, en Bosnie, au
Congo-Brazzaville, en Albanie, pour ne citer que quelques cas marquants, nos
forces se sont engagées pour contribuer à des solutions politiques et pour
mettre fin à des affrontements tragiques. Je tiens ici à rendre tout
particulièrement hommage aux militaires des armées et de la gendarmerie morts
en opérations depuis 1990 ainsi qu'aux blessés, et aux familles, que nous
n'avons pas le droit d'oublier.
Ces engagements se sont faits, chaque fois que c'était possible, en
coopération avec d'autres pays et sous l'égide d'organisations internationales
; ils représentent donc le contraire d'une politique interventionniste ou d'une
attitude dominatrice. Nous pouvons légitimement penser que cette capacité
d'agir pour la paix, en en assumant les risques, fait aujourd'hui partie du
statut international de la France.
Depuis le début de cette décennie, la réflexion s'est engagée. Elle a été
ponctuée par le Livre blanc de 1994, qui a synthétisé nos objectifs de défense,
et elle a abouti en 1996 au choix de la professionnalisation des armées fixé
par le Président de la République.
Le lancement de ce projet a constitué un choc, parce qu'il revenait sur près
d'un siècle de conceptions de la défense et parce qu'il nous plaçait
collectivement devant un choix que nous avions eu tendance à éluder. Ce choix a
déclenché, dans le pays et dans la représentation nationale elle-même, de
multiples réactions et interrogations, mais il s'est imposé en profondeur, car
les objectifs fondamentaux que j'ai brièvement rappelés pouvaient être partagés
par une grande majorité. Ainsi, lors des dernières élections législatives, la
conscription n'a pas été un enjeu du débat.
C'est en effet dès le printemps 1996 que s'est exprimée la nation à travers
ses représentants sur ce que pouvait être le devenir du service national.
Certains ont préconisé de le supprimer purement et simplement. C'eût été
méconnaître son apport au maintien du lien entre la nation et son armée et à la
pérennité de l'esprit de défense. D'autres ont souhaité instituer un service
civil obligatoire. Ce choix n'aurait pas permis d'offrir aux jeunes des postes
en nombre suffisant pour garantir l'universalité du service national et le
respect du principe d'égalité. D'autres enfin ont proposé d'instaurer un «
service court » donnant à chaque jeune Français une formation militaire de
base. Malgré les avantages de cohésion nationale d'une telle formule, c'était
s'imposer une charge d'organisation fort lourde en vue d'un recours purement
théorique à de très nombreux jeunes dont la formation de défense se serait
rapidement périmée.
Le dispositif souhaitable devait donc renouveler le lien entre l'armée et la
nation, jusqu'alors assuré par la conscription, permettre de rétablir l'appel
sous les drapeaux si la sécurité du pays venait à l'exiger et enfin nous
assurer d'une transition harmonieuse vers l'armée professionnelle.
Avant de vous présenter, mesdames, messieurs les sénateurs, l'économie
générale de ce projet de loi, je souhaiterais le replacer dans le cadre plus
vaste de la professionnalisation de nos armées.
Comme l'a indiqué le Premier ministre lors de sa déclaration de politique
générale le 19 juin 1997, le Gouvernement entend mener à son terme, et en
respectant son calendrier, la professionnalisation des armées décidée par le
Président de la République.
L'ensemble des armées, au terme de ce processus de professionnalisation,
connaîtra une évolution de structure très importante.
Le format des armées - ses effectifs, y compris ceux de la gendarmerie et des
services - passera de 570 000 personnels militaires et civils, dont 200 000
appelés, à 440 000 personnels militaires et civils - soit une déflation de près
d'un quart - dont 27 000 volontaires.
Cette réduction massive s'assortit d'une nette élévation du taux d'encadrement
dans les armées puisque les officiers représenteront, à la fin de la période de
transition, 13 % des effectifs militaires et les sous-officiers près de 47 %.
C'est la logique même de la professionnalisation et le nouveau ratio ne fait
que se rapprocher de celui des grandes armées alliées déjà
professionnalisées.
Ces données masquent des évolutions contrastées qui, pour réussir, devront
s'inscrire dans la durée.
Le nombre d'appelés incorporés va décroître mécaniquement chaque année puisque
les appels sont arrêtés pour ceux qui sont nés depuis le 1er janvier 1979.
Cette décroissance régulière de près de 30 000, chacune des années qui nous
séparent de 2002, s'accompagne d'une montée en puissance progressive et non
moins régulière des effectifs d'engagés de près de 8 000 chaque année.
L'équilibre de ces deux mouvements conditionne le succès de la
professionnalisation. J'y reviendrai.
Ces transformations de l'édifice humain s'accompagnent, chaque élu ici le sait
bien, d'une vaste restructuration de l'organisation militaire sur le
territoire. Mon prédécesseur, M. Charles Millon, a préparé de multiples mesures
de compensation et d'accompagnement, qui ont été discutées avec les élus de
terrain, dans un souci de bonne organisation et de concertation. Je veux saluer
ici le travail qu'il a fait à cette fin. Il reste encore de multiples mesures
d'adaptation de même nature à mettre au point - j'évalue le travail de
restructuration à environ les deux tiers - et il m'incombera de mener à mon
tour ce travail difficile dans un esprit de bonne gestion et de totale
transparence. Je suis sûr du partenariat vigilant, mais compréhensif, des élus
locaux et des parlementaires, dont je peux bien ressentir les préoccupations
pour partager leur condition depuis vingt ans.
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur le comportement des jeunes
nés avant le 1er janvier 1979, qui restent soumis pendant la période de
transition aux obligations actuelles du service national. Ils les accomplissent
en faisant preuve d'un esprit civique remarquable. L'annonce de la disparition
du service national dans sa forme actuelle n'a pas eu d'effet négatif sur leur
comportement à l'égard de cette obligation. Les taux de dispense et d'exemption
restent stables et le taux d'insoumission est même en baisse.
M. Nicolas About.
Et l'amendement Quilès ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je tiens à saluer ici, devant les élus de la
nation, cette attitude essentielle pour le succès de la professionnalisation.
Nous avons absolument besoin des appelés du contingent pour réussir une
transition harmonieuse vers l'armée professionnelle tout en assurant
l'exécution des missions confiées à nos armées.
Ainsi, la mise en place du plan Vigipirate ne peut-elle se concevoir
actuellement sans l'apport de la conscription. Sur l'équivalent des 1,2 million
de journées de soldat nécessitées par les patrouilles dans le métro parisien,
les gares, les aéroports, les trois-quarts, soit plus de 800 000, ont été
fournis par les appelés.
Qui plus est, nous n'en sommes qu'au début de la phase de transition : à ce
jour, sur les cent régiments que compte l'armée de terre, seuls quinze sont
entièrement professionnalisés.
L'équilibre entre la montée en puissance des effectifs d'engagés ainsi que
l'adaptation mesurée des effectifs de sous-officiers et officiers et la
transformation des unités mixtes en unités entièrement professionnelles sont
très directement conditionnés par la présence des appelés en nombre et en
qualité pendant cette période cruciale.
Je veux m'inscrire, par ailleurs, en faux contre les déclarations
intempestives de ceux qui ne voient dans les appelés que des supplétifs de
faible utilité. Cela est injuste pour ces jeunes qui, conscients de leur rôle,
assurent la vigilance armée et soutiennent par leur savoir-faire l'évolution
vers la défense de demain. C'est également inexact à l'encontre des cadres qui
les commandent et qui, je le vérifie à chaque déplacement dans une unité,
attachent la plus grande importance au rôle des appelés jusqu'à la fin de la
période de transition. Ce n'est donc qu'avec leur apport que la réforme en
cours se poursuivra dans les conditions satisfaisantes que nous connaissons
aujourd'hui.
Je souhaiterais maintenant vous rappeler la démarche qui a présidé à
l'élaboration du projet de réforme du service national qui en est le
corollaire.
Dès l'annonce de la professionnalisation des armées, il y a donc un an et
demi, un important débat national s'est organisé pour connaître les attentes
des Français sur l'avenir du service national. Nous avons tous pu y participer,
comme citoyens ou comme élus.
A la suite de ce débat, le précédent gouvernement avait élaboré un projet de
loi réformant le service national. Comme vous le savez, l'une des principales
innovations de ce texte était la création d'un rendez-vous citoyen obligatoire,
d'une durée de cinq jours et destiné à l'ensemble des jeunes Français. Votre
assemblée s'était largement exprimée pour considérer d'ailleurs que cette durée
était excessive.
Sur un sujet de cette importance, il est apparu au Gouvernement que je
représente qu'il lui incombait de rouvrir le débat législatif dans un souci de
transparence et de concertation.
Dès ma prise de fonctions, j'ai donc décidé de poursuivre et d'approfondir ce
débat. Cela m'a conduit à rencontrer, au cours du mois de juillet, l'ensemble
des groupes parlementaires des deux assemblées, afin de recueillir les avis et
les propositions de chacun. Les entretiens que j'ai eus avec beaucoup d'entre
vous ont très largement contribué à forger ma conviction et je vous remercie de
cet apport.
J'ai aussi souhaité rassembler toutes les familles d'esprit de notre pays
autour d'un projet où puisse se reconnaître l'ensemble de notre communauté
nationale. Le projet de loi portant réforme du service national, adopté par
l'Assemblée nationale en première lecture le 22 septembre, a l'ambition de
répondre à cet objectif.
Je ne ferai qu'en présenter les principes, prévoyant d'en justifier plus en
détail les différentes dispositions dans ma réponse aux intervenants de la
discussion générale, puis lors de l'examen des articles. Il me sera d'autant
plus aisé de m'en tenir aux grandes lignes de ce projet de loi que la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous a
présenté, dans son rapport écrit, une analyse de grande qualité, réalisée à la
suite d'un travail approfondi, dont je tiens à remercier le président, M.
Xavier de Villepin, et le rapporteur, M. Serge Vinçon.
Les dispositions de ce projet de loi visent à satisfaire trois exigences
majeures : tout d'abord, renouveler le lien entre la nation et son armée,
ensuite, permettre le rétablissement de l'appel sous les drapeaux si de
nouveaux besoins de sécurité l'exigeaient ; enfin, organiser la transition vers
l'armée professionnelle en assouplissant le régime des reports d'incorporation
et des dispenses.
Le projet de loi prévoit la suspension de l'appel sous les drapeaux pour les
jeunes nés depuis le 1er janvier 1979, suspension qui s'est opérée, en fait,
vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début de cette
année sans le support d'un texte et qui marque ainsi la fin du service national
dans sa forme actuelle.
Il nous appartient donc aujourd'hui de concevoir autrement le lien entre la
nation et son armée. Pour cela, nous souhaitons définir les nouvelles modalités
d'un véritable « parcours citoyen » pour que les jeunes restent partie prenante
de la notion de défense globale.
Le projet de loi qui vous est présenté doit être vu comme un ensemble cohérent
qui comprend, notamment, des obligations, parce que le devoir civique est un
pilier majeur de toute société démocratique, comme un ensemble cohérent qui
repose aussi sur le volontariat, car la prise de responsabilité est une valeur
essentielle à l'esprit de défense.
C'est donc l'ensemble du parcours offert aux jeunes depuis l'enseignement des
principes de défense à l'école dès avant seize ans au volontariat entre
dix-huit et vingt-cinq ans qui constitue la nouvelle trame des rapports entre
les jeunes et la défense.
Le Gouvernement a tout d'abord clairement manifesté sa volonté de revitaliser
l'enseignement de l'instruction civique et de l'histoire pour que les
adolescents soient formés, dès leur scolarité, aux fondements de notre pacte
républicain.
M. Emmanuel Hamel.
Il serait temps !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Dans ce contexte, ils seront initiés aux
principes de la défense sous la responsabilité du corps enseignant. C'est en
effet l'un des rôles qui doit revenir à l'éducation nationale, chacun en
convient.
L'éducation nationale remplira ainsi pleinement sa mission de cohésion
républicaine, sur laquelle toutes les familles de pensée se rassemblent. La
complexité des débats de forme en première lecture à l'Assemblée nationale sur
ce sujet n'a fait - me semble-t-il - que refléter le consensus existant sur le
fonds de cette évidence.
Un « appel de préparation à la défense » d'une journée s'inscrira dans la
continuité de cet enseignement avec lequel il forme un tout. Le choix d'une
formule peu contraignante pour les jeunes, organisée à proximité de leur
domicile, dans des sites le plus souvent militaires, répond très directement
aux critiques formulées ici même sur le rendez-vous citoyen. Juste avant leur
majorité, un à deux ans après avoir été recensés, les jeunes auront un contact
direct avec la communauté militaire.
L'entrée dans la citoyenneté sera marquée par cette journée au cours de
laquelle la nécessaire implication de chacun dans la défense sera rappelée. Les
garçons y seront convoqués à partir de la rentrée scolaire de 1998 et les
jeunes filles dès l'an 2000.
Placées sous la responsabilité du ministre de la défense, organisées par les
autorités militaires du département en liaison avec les préfets, les sessions
se tiendront le mercredi ou le samedi, afin de ne pas perturber l'activité
scolaire ou professionnelle des jeunes.
L'information sera assurée par des cadres militaires, d'active et de réserve,
servant dans des unités géographiquement proches. Je n'exclus pas que des
personnalités de la société civile y soient associées. Seront ainsi présentés
les enjeux de la défense, son organisation, ses missions et ses moyens, ainsi
que les opportunités de participer à une préparation militaire, à une forme de
volontariat, ou de souscrire un engagement dans la réserve.
M. Emmanuel Hamel.
Tout ça en un seul jour !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Le devoir de mémoire sera évoqué, avec la
participation du secrétariat d'Etat aux anciens combattants. Enfin, la journée
permettra la détection de l'illettrisme.
Après l'appel de préparation à la défense, les jeunes auront la possibilité,
s'ils le désirent, de participer à des préparations militaires. C'est une
démarche volontaire qui leur permettra d'acquérir, lors de périodes compatibles
avec leur engagement universitaire ou professionnel, des savoir-faire
militaires élémentaires et de découvrir concrètement l'activité quotidienne des
armées.
La mise en présence dans les unités des femmes et des hommes qui ont choisi de
faire de la défense leur métier avec les jeunes participants contribuera
directement à l'établissement de relations de confiance entre la jeunesse et
l'armée, gage de respect mutuel, ainsi qu'au recrutement de réservistes et de
volontaires.
La préparation militaire sera ainsi un moyen utile de pérenniser le lien entre
la nation et son armée et constituera un instrument privilégié de la réforme
des réserves, dont le rôle devient déterminant aux côtés de l'armée
professionnelle.
Ce parcours préparation militaire-réserve constitue une réponse réaliste à la
demande largement exprimée, en particulier au Parlement, d'une formation
militaire de base pour les jeunes désireux d'apporter une participation directe
à la défense sans toutefois embrasser une carrière dans les forces armées.
En outre, par une démarche librement consentie, les jeunes pourront également
choisir de servir dans les forces armées en qualité de volontaires.
La mise en oeuvre de ce volontariat s'inscrit, avec compatibilité et
cohérence, dans la priorité nationale que constitue l'emploi des jeunes et
contribue à l'action globale du Gouvernement en la matière.
Sa durée initiale sera de douze mois, mais le volontariat pourra être
renouvelé et atteindre jusqu'à soixante mois.
La rémunération, compte tenu des avantages matériels accordés aux volontaires,
leur permettra de disposer de ressources au moins égales au SMIC net.
Bien loin d'être des « valets d'armes », selon l'expression malheureuse que
certains ont employée, ces volontaires exerceront un métier à part entière,
souvent de niveau technique élevé, en remplacement de la ressource très
qualifiée que pouvait offrir le service national - je pense notamment aux
scientifiques du contingent.
La loi de programmation militaire votée l'année dernière prévoit la création
de 27 171 postes de volontaires d'ici à 2002, dont 16 232 dans la gendarmerie,
ce qui accroît les moyens de ce corps pendant la période considérée. Ces
volontaires seront l'une des composantes de l'armée professionnelle aux côtés
des militaires de carrière ou engagés, des réservistes et des civils.
Il restait cependant à définir le cadre juridique du volontariat. Le texte qui
vous est présenté y pourvoit en faisant des volontaires des militaires en
droits et en devoirs.
Ces volontaires placés sous statut militaire contribueront directement à la
pérennité du lien entre l'armée et la jeunesse. Ils serviront dans les armées
pendant une période limitée, sans faire de cette activité leur métier. Ils
constitueront l'un des viviers de la réserve.
Par ailleurs, en complément de ce corps de volontaires, dont la création est
inscrite dans la loi de programmation militaire, les unités de la sécurité
civile, notamment celles des sapeurs-pompiers, qui sont des unités militaires,
pourront également avoir recours au volontariat.
Le service militaire adapté sera maintenu en faveur de nos jeunes concitoyens
recensés outre-mer. Il sera proposé sous la forme d'un volontariat de douze
mois qui conservera son identité militaire. Les jeunes y recevront d'abord une
formation civique et morale, qui sera suivie par ce qui fait la spécificité de
la formule actuelle, à savoir une formation militaire et professionnelle
adaptée à laquelle les élus d'outre-mer sont très attachés - ils ont eu
l'occasion de me le redire pendant la concertation.
Le projet de loi crée en outre la possibilité d'effectuer un volontariat
civil, notamment dans les domaines de la coopération internationale et de
l'action humanitaire.
Le Gouvernement a souhaité que la loi énonce dès maintenant le principe de ce
futur volontariat de manière à clairement indiquer qu'il n'y aurait pas de
discontinuité lors de la fin progressive de l'utilisation des jeunes appelés
dans la coopération. L'action bénéfique pour le rayonnement de la France, et
pour les pays et les organismes qui en bénéficient, accomplie aujourd'hui par
les coopérants du service national sera ainsi poursuivie.
Le principe de l'existence de ces volontariats étant posé, leur organisation
et leurs statuts seront précisés par une loi ultérieure dont la préparation
incombera plus directement aux départements ministériels utilisateurs de ces
jeunes. Il n'y a en effet pas urgence, parce que les besoins de la coopération
sont couverts pendant encore plusieurs années grâce au recours à des jeunes en
report d'incorporation.
Initiation aux principes de défense dès l'école, appel de préparation à la
défense, préparations militaires et volontariat, telles sont donc les étapes de
ce « parcours citoyen » qui pérennise et renouvelle le lien entre la nation et
son armée.
Mais ce n'est pas là le seul objectif du projet de loi. Il est en effet de
notre devoir de préserver la sécurité de notre pays quelles que soient les
évolutions futures du contexte géostratégique. Nous maintenons donc la
possibilité de recourir à un recrutement plus massif pour le cas où de nouveaux
besoins de sécurité l'exigeraient. Tel est l'objet de l'obligation de
recensement ainsi d'ailleurs que l'appel de préparation à la défense.
Le recensement interviendra dès l'âge de seize ans, au lieu de dix-sept
actuellement. Il sera étendu aux jeunes filles à partir de 1999, sur la demande
de l'Assemblée nationale. C'est d'ailleurs le terme le plus proche qui nous
soit accessible. Le recensement deviendra ainsi véritablement universel.
Il constituera la deuxième étape des obligations civiques, après l'instruction
civique et avant l'appel de préparation à la défense.
Les données relatives à chaque jeune recensé seront actualisées et suivies par
la direction du service national jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de vingt-cinq
ans. La convocation à l'appel de préparation à la défense permettra, entre
autres, de les valider.
Ainsi sera effectivement préservée une capacité de montée en puissance rapide
des effectifs si le législateur décidait de rétablir l'appel sous les
drapeaux.
L'obligation de recensement et celle de participer à l'appel de préparation à
la défense seront assorties de sanctions administratives qui nous ont paru les
plus pragmatiques possible. Le certificat de satisfaction à ces obligations
sera en effet exigé pour s'inscrire aux examens et concours soumis au contrôle
de l'autorité publique. Mais les jeunes auront la possibilité de régulariser à
tout moment leur situation.
Renouvellement du lien armée-nation, préservation de notre sécurité quelle que
soit l'évolution du contexte géostratégique, tels sont donc les deux premiers
objectifs de cette réforme.
Le projet de loi organise enfin la transition vers l'armée professionnelle en
simplifant le système des reports d'incorporation et en assouplissant le régime
des dispenses.
Pour cet aspect du projet de loi, les dispositions largement débattues lors de
l'examen du texte du Gouvernement précédent ont été reprises et étendues en
première lecture. Je tiens toutefois à insister sur un point fondamental, à
savoir la cohérence que nous devons rechercher pour assurer la crédibilité et
le bon déroulement de l'appel sous les drapeaux des jeunes nés avant le 1er
janvier 1979, qui continueront à effectuer leur service, comme les garçons de
leur âge qui n'ont pas bénéficié de reports d'incorporation.
Cela répond à un souci de justice et d'équité que nous partageons tous ; c'est
en outre, je l'ai dit précédemment, un élément nécessaire de la stabilité de
nos armées. La matière est rendue délicate par le changement que crée, dans
l'esprit de tous, la fin annoncée du service national. Nous devons en débattre
avec le sens de l'intérêt général, qui, je le sais, anime tous les
parlementaires sur cette question des reports.
La formule née sous l'éclairage des débats de première lecture me semble un
compromis équitable et satisfaisant entre les besoins cruciaux des armées
pendant la phase de transition, que je vous ai exposée, et le souci qui est le
mien de participer pleinement à l'élan en faveur de l'emploi donné par le
Gouvernement.
L'amendement voté sur ma proposition par l'Assemblée nationale ne fait ainsi,
sous les conditions restrictives examinées par une commission régionale, que
reporter l'incorportation des jeunes concernés de manière à concilier au mieux
les besoins des armées et le souci de ne pas compromettre leur insertion
professionnelle.
Cette dernière sera d'ailleurs, si vous acceptez le dispositif, protégée par
le projet de loi. En effet, une modification du code du travail a pour objet de
préciser notamment que la réintégration dans l'entreprise devient de droit à
l'issue de l'obligation militaire, le contrat de travail n'étant que suspendu
et non plus rompu comme c'était le cas dans la législation antérieure.
M. Emmanuel Hamel.
Il y a progrès !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Dans la version du projet proposée en première
lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement demandait par ailleurs une
habilitation pour modifier par voie d'ordonnance, comme l'y autorise l'article
38 de la Constitution, le code de justice militaire.
Ce choix technique du Gouvernement, guidé par un souci de rapidité et
d'efficacité, visait uniquement à introduire les dispositions de la loi n° 93-2
du 4 janvier 1993 - vieille déjà de près de cinq ans ! - portant réforme de la
procédure pénale. L'article 229 de cette loi avait en effet prévu, au titre des
dispositions transitoires, qu'une loi ultérieure, devant initialement
intervenir avant le 1er janvier 1995, rendrait ces mesures applicables aux
juridictions militaires. Deux lois postérieures, la dernière étant celle du 22
juillet 1996, ont reporté cette date limite au 1er janvier 1997.
Nous savons tous qu'il est difficile de faire tenir tous les souhaits du
législateur dans le calendrier législatif. La formule de l'ordonnance me
semblait donc utile pour régler cette question, s'agissant - je tiens à être
parfaitement clair sur ce point - de transposer purement et simplement les
dispositions déjà approuvées par le législateur dans le code de procédure
pénale.
Il est en effet nécessaire, à mes yeux, de faire bénéficier les militaires,
sans plus attendre, des dispositions protectrices des droits de la défense
instaurées par le nouveau code de procédure pénale. Je citerai, à titre
d'exemple, l'instauration d'un droit d'appel des jugements rendus en matière
contraventionnelle et délictuelle, qui n'existait pas avant, le meilleur
encadrement des conditions de la garde à vue, avec une information du prévenu
de son droit de faire alerter sans délai un membre de sa famille, d'être
examiné par un médecin et de s'entretenir avec un avocat dès la vingtième
heure.
Il s'agit donc, sur tous ces plans, d'une progression de l'état de droit,
chacun admettant, me semble-t-il, que les militaires, justiciables des
tribunaux militaires, ne peuvent plus rester la seule catégorie de Français à
ne pas bénéficier d'une protection juridique.
L'Assemblée nationale, dans un souci louable de préservation des prérogatives
du Parlement, a rejeté cette demande. Le Gouvernement, par voie d'amendement,
vous proposera donc de repousser une nouvelle fois, et ce jusqu'au 1er janvier
1999, la date d'adaptation du code de justice militaire, sauf si le Sénat, lui,
estimait possible de nous autoriser à procéder par ordonnance.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme qui va vous être proposée dans
quelques instants s'inscrit de façon cohérente dans un dispositif législatif
plus vaste refondant intimement les rapports entre la nation et ses forces
armées.
La professionnalisation de ces dernières, conséquence maintenant largement
reconnue de leur adaptation au nouveau contexte, s'est déjà traduite par
l'adoption de deux textes législatifs : la loi de programmation militaire pour
les années 1997 à 2002 et la loi d'accompagnement de la professionnalisation du
19 décembre 1996.
La cohérence de l'ensemble vous amènera à vous prononcer encore sur deux
autres textes dans les prochains mois.
Tout d'abord, dès le premier semestre de 1998, il conviendra de doter d'un
statut propre les réservistes de demain, véritables professionnels à temps
partiel de la défense. L'article L. 111-2 du code du service national dispose
en effet clairement que ces réservistes sont partie intégrante des effectifs de
nos forces armées. Aussi leur statut doit-il être précisé.
Dans un second temps, comme je vous l'ai déjà exposé, il conviendra de doter
les volontaires civils d'un encadrement juridique. En effet, contrairement au
volontariat militaire, dont le statut existe déjà - c'est celui du statut
général des militaires - il apparaît nécessaire, pour établir le statut du
volontariat civil, que soit fixé exactement le champ d'application de ce
volontariat.
L'ensemble de ce dispositif législatif posera, à terme, les bases d'un
consensus renouvelé entre la nation et ses forces armées.
Notre responsabilité, la mienne singulièrement, ne s'arrête toutefois pas là.
Il est en effet impossible de prévoir toutes les implications, morales
notamment, du changement profond que nous sommes en train d'opérer
aujourd'hui.
Nombre de militaires, particulièrement, s'inquiètent de la rupture
possible...
M. Emmanuel Hamel.
A juste titre !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
... entre ceux qui assureront la défense, parfois
au péril de leur vie, et une société ayant délégué le fardeau de sa sécurité à
des professionnels.
M. Emmanuel Hamel.
Eh oui !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
A cette crainte légitime de dérive, j'oppose les
relations fortes qui existent aujourd'hui entre notre peuple, profondément
attaché à son armée, dont il soutient moralement le courage et le
professionnalisme, et notre défense. A ces inquiétudes, j'oppose tout ce qui,
dans le projet de loi, tend au renouvellement des liens entre la nation et ses
forces armées.
Ce ne sont là toutefois que des bases de départ, à l'origine d'une évolution
qui sera longue et guettée par la facilité.
Je suis sûr que vous tous, membres de la représentation nationale, serez
porteurs d'idées et d'exigences neuves pour développer ce nouveau contrat
moral. C'est un échange que nous poursuivrons année après année. Vous pouvez
compter sur moi, responsable de la gestion de notre outil militaire, pour
rester en éveil devant tous les risques à conjurer et tous les progrès à
accomplir.
Pendant tout ce processus de réorganisation, nous sommes tenus à un devoir de
continuité et de responsabilité pour garantir la bonne marche des armées,
instrument décisif de notre sécurité et de notre présence dans le monde.
Chacun, ici, aura à coeur de préserver l'efficacité et la motivation de ceux
qui concourent à défendre notre sol, à agir pour nos intérêts et à servir nos
ambitions de progrès et de paix dans le monde.
Les sacrifices qu'ont consentis nos soldats constituent un cadre moral qui
nous oblige, Gouvernement et Parlement, à la recherche exigeante de l'intérêt
général et au dépassement de désaccords secondaires, que les familles de ceux
qui sont tombés au service de notre pays, au nom d'un idéal de paix, ne
pourraient comprendre.
En vous disant à nouveau la détermination du Gouvernement à réussir cette
réforme au service de notre nation, sans esprit partisan, j'espère contribuer,
mesdames, messieurs les sénateurs, à faire de cette loi nouvelle sur le service
national une synthèse de nos ambitions de défense et de nos aspirations de
cohésion civique.
Je suis sûr de votre volonté de mener ce débat avec la hauteur de vues qu'il
mérite, et je vous soumets en toute confiance le projet de loi que le conseil
des ministres m'a chargé de défendre devant vous.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel.
Funeste discours de déclin national programmé !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Vinçon,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Il y a quelques mois, nous avons été saisis d'un premier
projet de loi portant réforme du service national, dont le contenu avait tiré
les conséquences des travaux organisés au Parlement au printemps de 1996 et,
plus particulièrement, des propositions alors formulées par votre commission
des affaires étrangères et de la défense.
En quoi consistaient ces propositions ?
Il s'agissait, tout d'abord, de fonder sur des bases nouvelles l'esprit de
défense, parallèlement à la disparition du service national obligatoire. Dans
cet esprit, notre commission avait estimé souhaitable de renforcer, dès la
scolarité, l'enseignement de l'histoire et de l'instruction civique.
Il s'agissait aussi d'inventer un nouveau lien entre l'armée et la nation,
conformément à un souci unanimement exprimé lors du débat organisé dans le pays
à la suite de la déclaration par laquelle le Président de la République avait,
en février 1996, annoncé le passage à une armée professionnalisée.
Nous avions alors conclu à la nécessité d'inventer une institution inspirée
des « trois jours », et dont l'objet serait notamment de présenter à la
jeunesse les enjeux et les métiers de la défense. Il nous avait également paru
souhaitable de tirer parti de cette obligation d'un type nouveau pour offrir
une deuxième chance aux jeunes en difficulté, auxquels aurait pu être proposé
l'accès à des dispositifs personnalisés d'insertion sociale et professionnelle.
C'est en partie dans cet esprit qu'avaient été conçus le bilan de la situation
scolaire et le bilan de santé des jeunes, à l'occasion de ce qui devait être
par la suite dénommé le « rendez-vous citoyen », moment fort du pacte
républicain.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale, comme le Sénat, avaient alors
unanimement souhaité maintenir le recensement et, avec celui-ci, les
compétences et les responsabilités de l'administration chargée du service
national. Le recensement, en effet, garantit la possibilité de rétablir l'appel
au contingent, au cas où la résurgence d'une menace rendrait nécessaire le
retour à la conscription.
Enfin, l'ensemble de la représentation nationale avait conclu à l'opportunité
de préserver l'héritage du service national, à travers la création de
volontariats du service national. Prévu dans tous les domaines où sont
actuellement accueillis des appelés, c'est-à-dire dans les armées, dans la
gendarmerie et aussi dans tous les services civils - police, aide technique,
coopération, protocoles, etc. -, le volontariat devait tout d'abord permettre
l'exercice d'une activité où auraient dominé la solidarité et le dévouement à
la collectivité. A cet égard, en effet, nous avions choisi de faire confiance à
la générosité de notre jeunesse. Ce volontariat devait aussi être l'occasion
d'acquérir d'une première expérience, susceptible d'être valorisée dans une
perspective professionnelle.
La formule du volontariat est par ailleurs apparue comme la seule solution
envisageable, juridiquement et financièrement, par rapport aux autres
hypothèses qui avaient alors été avancées et, plus particulièrement, par
rapport à la création d'un service militaire court et obligatoire pour tous.
Que reste-t-il de ces diverses propositions dans le texte qui nous est
aujourd'hui soumis ?
Celui-ci préserve, en apparence du moins, l'essentiel de la réforme du service
national précédemment engagée, et dont l'examen était très avancé au moment de
la formation de l'actuel Gouvernement.
Voyons en quoi le présent projet emprunte assez largement au texte que nous
avons voté il y a quelques mois.
Tout d'abord il confirme - et c'est fondamental - le choix de la
professionnalisation proposé par le chef de l'Etat en février 1996, et dont la
loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 a tiré les
conséquences. Ce texte ne remet donc pas en cause le rôle désormais majeur des
forces professionnelles dans notre système de défense, et nous nous en
félicitons.
Un autre trait commun entre les deux projets portant réforme du service
national tient au souci de préserver le lien entre l'armée et la nation, et de
renforcer l'esprit de défense parallèlement à la suspension du service national
obligatoire. Le projet qui nous est aujourd'hui soumis tend à refonder les
relations entre l'armée et la jeunesse à travers la création de « l'appel de
préparation à la défense », inspiré de feu le « rendez-vous citoyen », mais
dont la durée est réduite, cette fois, à une seule journée.
Celle-ci devrait être consacrée à une sensibilisation des jeunes aux enjeux de
la défense, à travers quelque quatre heures d'exposés qui seront présentés par
des officiers d'active et de réserve, et qui auront aussi pour objet de
présenter aux jeunes les perspectives qui leur seront ouvertes par les
carrières militaires, par les volontariats et par les possibilités de servir
dans la réserve.
L'appel de préparation à la défense est conçu comme le prolongement d'un
enseignement qui sera dispensé dans le cadre de l'éducation nationale pour
initier les élèves aux questions de défense. Cela correspond aux voeux que nous
avons exprimés dès le printemps 1996.
Pour ma part, je souhaite le succès de cet enseignement, tout en sachant que
sa mise en oeuvre sera délicate. Les enseignants seront-ils aujourd'hui les
hussards du pacte républicain, comme ils étaient naguère les hussards de la
République ?
Comme le précédent projet de loi, le texte dont nous sommes saisis s'appuie
sur la possibilité de faire à nouveau appel au contingent, si la défense de la
nation l'exigeait, c'est-à-dire si une menace majeure affectait nos intérêts
vitaux, notre indépendance nationale ou notre intégrité territoriale.
C'est dans cette hypothèse que ce projet maintient, comme le précédent, et
conformément aux propositions formulée par le Parlement au printemps 1996,
l'obligation du recensement. C'est, en effet, sur le recensement que devrait
s'appuyer, si besoin était, le rétablissement de la conscription.
Enfin, le présent projet atteste le souci de préserver l'héritage du service
national, en faisant, lui aussi, place à la notion de volontariat.
Tous ces points communs entre le précédent projet et celui qui nous est
aujourd'hui proposé ne doivent toutefois pas occulter le fait que ce texte
repose, en réalité, sur une logique très différente de celle qui sous-tendait
le précédent.
En ce qui concerne, tout d'abord l'appel de préparation à la défense - dont le
nom suscite mes plus expresses réserves - on remarque un décalage sensible par
rapport aux objectifs du rendez-vous citoyen, dû, pour l'essentiel, à l'abandon
de toutes les extensions du rendez-vous citoyen prévues en faveur des jeunes en
difficulté, auxquels il visait à donner une deuxième chance.
Nous avons tout particulièrement, au sein de la commission des affaires
étrangères et de la défense, déploré la mise à l'écart du bilan de santé, dont
les travaux parlementaires du printemps 1996 avaient pourtant souligné
l'importance.
A cet égard, je rappelle que le Sénat a soutenu le bilan de santé qui devait
être effectué à l'occasion du rendez-vous citoyen, non seulement dans une
logique de santé publique, mais aussi parce que ce bilan pourrait permettre de
compléter le dossier de chaque jeune recensé et, ainsi, d'accélérer
l'éventuelle remontée en puissance de la conscription.
Qu'est-ce donc que l'appel de préparation à la défense ?
Cette journée, comprise entre huit heures trente et dix-sept heures, devrait
consister à présenter aux jeunes, tout d'abord, les enjeux de la défense en
deux heures, puis à consacrer quarante-cinq minutes à des tests de détection de
l'illettrisme, à présenter, ensuite, en deux heures, l'organisation, les moyens
et les métiers de la défense ; puis, un film de trente minutes sur le « devoir
de mémoire », préparé par le secrétariat d'Etat aux anciens combattants, serait
visionné avant que trois quarts d'heure de bilan et d'entretien ne viennent
clore cette journée, en réalité très brève.
M. Emmanuel Hamel.
C'est tragiquement grotesque !
M. Serge Vinçon,
rapporteur.
On peut donc relever une ambition considérablement réduite
par rapport aux objectifs qui avaient été ceux du rendez-vous citoyen. La
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a estimé
que toutes les solutions n'avaient pas été examinées pour qu'il puisse être
procédé à un bilan de santé à l'occasion de l'appel de préparation à la
défense. Il est apparu à certains de nos collègues que ce bilan de santé
pouvait éventuellement résulter d'un examen médical effectué avant l'appel de
préparation à la défense. Je pense, pour ma part, que l'appel de préparation à
la défense devrait intégrer le temps nécessaire à l'accomplissement de cet
examen.
Plus préoccupante, à mon avis, est l'ambiguïté de la signification de l'appel
de préparation à la défense, qui tient au caractère inadapté d'une dénomination
sur laquelle se sont interrogés certains députés de l'actuelle majorité.
Comment imaginer, en effet, qu'une quelconque préparation à la défense puisse
être dispensée aux jeunes en quatre heures d'exposés ? Il ne saurait résulter
de cette toute petite journée, dans le meilleur des cas, qu'une sensibilisation
des jeunes aux enjeux de la défense. Je me rappelle les critiques exprimées par
certains membres de l'actuelle majorité à l'encontre du rendez-vous citoyen :
la question nous était posée de savoir comment nous pouvions imaginer qu'en
cinq jours pourrait être conforté l'esprit de défense. On peut, aujourd'hui,
retourner le compliment : comment espérer préparer notre jeunesse à la défense
en quatre heures de discours ?
MM. Philippe Marini et Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Serge Vinçon,
rapporteur.
Je rappellerai que la commission s'était interrogée, lors de
l'examen du précédent projet de loi, sur la pertinence de la durée de cinq
jours prévue pour le rendez-vous citoyen. Nous avions donc proposé que cette
durée de cinq jours ne soit qu'un maximum, afin de ne pas exclure d'emblée une
éventuelle réduction de la durée du rendez-vous citoyen, si l'expérimentation
de celui-ci justifiait une telle évolution. C'est pour les mêmes raisons que,
face au projet d'appel de préparation à la défense, nous n'avons pas été
convaincus par l'excessive brièveté de cette nouvelle obligation, dont la
réalité ne sera probablement pas à la hauteur de sa trop ambitieuse
dénomination.
M. Emmanuel Hamel.
Certainement pas !
M. Serge Vinçon,
rapporteur.
Une illustration des conséquences de la brièveté extrême de
l'appel de préparation à la défense consiste en l'idée, exprimée à l'Assemblée
nationale au cours de l'examen du présent projet de loi, selon laquelle le
recensement constituerait désormais l'élément essentiel du service national
rénové. Cette constatation a conduit l'Assemblée nationale à aggraver les
sanctions afférentes au non-accomplissement du recensement par rapport à celles
qu'encourrait celui qui n'aurait pas effectué l'appel de préparation à la
défense.
Cette interprétation conduit à un certain déséquilibre entre la signification
de l'appel de préparation à la défense et celle du recensement, alors même que
c'est par le biais de l'appel de préparation à la défense que doit être
renforcé l'esprit de défense et que devra être refondé le lien armées-nation.
Une telle conception du service national rénové est encouragée par la brièveté
de l'appel de préparation à la défense et donc par le caractère extrêmement
bénin de cette nouvelle obligation. Celle-ci risque, en effet, de n'avoir
d'autre importance pour les jeunes que celle d'une démarche administrative sans
réelle portée.
J'aborderai maintenant le volontariat, qui ne présente qu'une ressemblance
apparente, voire illusoire, avec le précédent projet de loi.
Ce nouveau volontariat traduit, en réalité, un renversement d'objectif très
sensible, en raison de la confusion qui est encouragée entre les emplois-jeunes
et le volontariat. En effet, celui-ci a été défini selon les mêmes modalités
que les emplois-jeunes, qu'il s'agisse de sa durée - jusqu'à cinq ans - ou de
sa rémunération, désormais assise sur le SMIC et non plus sur une indemnité qui
avait été évaluée, lors de l'examen du précédent projet de loi, à environ 2 000
francs par mois.
Le volontariat est donc conçu, avant tout, comme un premier emploi. Il obéit à
une logique de carrière et non plus à la logique de générosité sur laquelle se
fondait le précédent projet de loi, confiant en l'esprit de dévouement de notre
jeunesse, sans toutefois négliger l'aspect « première expérience
professionnelle » qu'auraient pu revêtir certains types de volontariat.
Cette confusion entre volontariat et emploi se retrouve dans la définition du
volontariat militaire à laquelle renvoie le présent projet de loi. En effet, la
durée de service d'un an renouvelable cinq fois proposée aux volontaires
contribue à brouiller les différences entre volontaires et engagés, dont le
premier contrat est de trois ou cinq ans, soit la même durée que celle de
certains volontariats.
Les engagés ne pourraient-ils être conduits de ce fait à considérer les
volontaires comme des concurrents et à percevoir leur propre situation comme
comparativement moins attractive que celle qui sera offerte aux volontaires ?
Cette incertitude est renforcée par l'extension aux futurs volontaires
d'importantes dispositions du statut général des militaires de 1972 qui figure
dans le texte tel qu'il nous est transmis par l'Assemblée nationale.
De manière générale, cette convergence d'objectifs et de moyens entre les
emplois-jeunes et le volontariat contribue à faire de celui-ci non pas un
service rendu par les jeunes à la collectivité, mais un service rendu par la
collectivité aux jeunes. Comment concilier cette interprétation du volontariat
avec la logique du service national, dont le volontariat demeure pourtant un
élément ?
Comment confondre la volonté d'atténuer la courbe du chômage et la noble
démarche de servir son pays en concourant notamment à sa défense ?
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
s'est également interrogée sur la signification impartie par le présent projet
de loi à « l'appel sous les drapeaux », termes qui recouvrent le rétablissement
de la conscription.
L'appel sous les drapeaux est, en effet, présenté comme une modalité normale
d'accomplissement du service national rénové, sur le même plan que le
recensement et l'appel de préparation à la défense.
Cette rédaction induit une certaine banalisation du rétablissement de la
conscription, alors que cette décision ne saurait constituer qu'une réponse
exceptionnelle à la résurgence d'une menace majeure qui viserait à porter
atteinte à nos intérêts vitaux, donc à l'essentiel.
Dans le même ordre d'idée, le premier article qui composera le futur code du
service national pose le principe d'un devoir de concourir à la défense du pays
qui s'imposerait à tous les citoyens.
Bien sûr, chaque citoyen doit se sentir mobilisé pour la défense de son pays,
mais la formulation qui nous est présentée peut paraître contradictoire avec le
choix de la professionnalisation et sembler motivée particulièrement par une
certaine nostalgie pour le service national obligatoire.
Enfin, alors que le précédent projet de loi avait fondé la transition entre
l'ancien et le nouveau service national sur une date de naissance à partir de
laquelle serait suspendue la conscription - en l'occurrence la date du 31
décembre 1978 - ce dispositif ayant le mérite de la clarté, le présent projet
de loi introduit une inégalité flagrante entre les jeunes, en faisant échapper
à toute obligation, que ce soit dans le cadre de l'ancien système ou dans celui
du nouveau, tous les jeunes gens nés en 1979.
Il est donc regrettable que le précédent projet de loi, plus ambitieux et plus
complet, n'ait pas été retenu de préférence à celui-ci.
J'en arrive maintenant aux modifications proposées par la commission. Ses
propositions traduisent non seulement l'esprit positif dans lequel elle a
abordé l'examen de ce texte, mais aussi son souci de cohérence avec les
positions déjà affirmées par le Sénat dans le cadre de l'examen du précédent
projet de loi, ainsi que la volonté de proscrire toute nostalgie pour le
système du service national obligatoire à l'heure où nous devons définir les
contours d'un système totalement inédit et au moment où prime la nécessité de
la professionnalisation.
Ainsi, pour limiter les lacunes de l'« appel de préparation à la défense », la
commission a tout d'abord proposé une autre dénomination, plus adaptée à la
vocation première de cette obligation, dont l'objectif est avant tout de
maintenir un lien privilégié entre la jeunesse et notre armée. La dénomination
proposée, « Rencontre armées-jeunesse », présente quant à elle le mérite d'être
plus conforme à l'objet du nouveau service national, qui ne saurait être en
réalité de préparer véritablement les jeunes à la défense.
D'autre part, la commission a souhaité enrichir le contenu de l'appel de
préparation à la défense, que je dénommerai désormais « Rencontre
armées-jeunesse », d'un bilan de santé. Même si le texte qu'elle propose
n'exclut pas que ce bilan soit effectué à partir d'un examen médical accompli
en dehors de la Rencontre armées-jeunesse, la commission a souhaité que le
présent projet de loi ménage l'avenir en permettant que la durée de la
Rencontre armées-jeunesse ne se limite pas à la seule et modeste journée prévue
par le texte.
La commission propose également de modifier la définition du contenu du
service national rénové de manière à souligner que, si la conscription - terme
préférable à celui d'« appel sous les drapeaux » moins rigoureux juridiquement
- peut être considérée comme un élément du futur service national, elle ne
saurait être assimilée aux modalités normales d'accomplissement du service
national que sont le recensement et la Rencontre armées-jeunesse. Une telle
mesure en effet ne doit pouvoir être prise qu'à titre exceptionnel, « si la
défense de la nation l'exige ».
En ce qui concerne le volontariat, la commission a souhaité en souligner la
spécificité, à la fois par rapport aux emplois-jeunes et par rapport aux
engagés. Elle a ainsi voulu tirer les conséquences du fait que la démarche
conduisant un jeune à souscrire un contrat de volontaire du service national a
peu de choses en commun avec les motivations de ceux qui briguent un
emploi-jeunes et de ceux qui décident de s'engager dans les armées. En
suggérant de limiter à deux années la durée maximale du volontariat militaire,
la commission souhaite clairement séparer le statut des volontaires de celui
des engagés, sachant qu'aux plus motivés des volontaires seront proposés des
contrats d'engagement qui leur permettront, s'ils le souhaitent, de rester plus
longtemps sous les drapeaux.
Dans le même esprit, la commission a estimé prématuré d'étendre d'ores et déjà
aux volontaires certains articles du statut général des militaires de 1972. Je
citerai notamment l'article relatif aux rémunérations : la rémunération des
volontaires peut, en effet, relever d'un régime spécifique sans préjudice pour
cette nouvelle catégorie. Je citerai encore les articles relatifs aux congés de
reconversion pendant lesquels les personnels militaires continueront de
percevoir leur solde tout en suivant, sous statut militaire, une formation
professionnelle destinée à préparer leur retour dans la vie civile. Ces congés
pouvant durer entre six et douze mois, il devient incohérent d'en faire
bénéficier des personnels dont la durée de service pourrait être limitée à deux
ans. En revanche, la commission a jugé pertinent de permettre aux volontaires
l'accès aux dispositifs d'évaluation et d'orientation professionnelle prévus
par le statut général des militaires.
Toujours pour conforter la spécificité du statut des futurs volontaires au
sein des armées, la commission propose de rétablir le système de fractionnement
que le précédent projet de loi avait créé, en accord avec les armées, pour que
certains volontariats militaires puissent s'insérer dans un cursus
universitaire et afin que les armées puissent ainsi recruter les éventuels
successeurs des actuels scientifiques du contingent.
En ce qui concerne la période de transition, la commission a estimé plus
équitable de soumettre les jeunes gens nés en 1979 à l'obligation d'effectuer
le service national rénové alors que ces jeunes gens sont, je le rappelle,
dispensés de toute obligation. La commission a souhaité, ce faisant, rétablir
l'égalité entre les futurs appelés.
Comprenant toutefois qu'il convient de ménager les conditions d'une entrée en
vigueur harmonieuse du nouveau système, elle propose, en contrepartie de
l'extension du service national rénové aux jeunes gens nés en 1979, de revenir
au texte du Gouvernement pour l'application du nouveau système aux jeunes
filles afin de reculer celle-ci d'un an par rapport au texte adopté à
l'Assemblée nationale. Cette mesure ne remettrait aucunement en cause
l'universalité du futur service national.
La commission s'est également interrogée sur la situation complexe des jeunes
gens incorporables selon les modalités actuellement en vigueur jusqu'en 2002 et
qui, titulaires d'un emploi, perçoivent le service national obligatoire comme
une contrainte. Cette difficulté avait été soulevée lors de l'examen du
précédent projet de loi. En effet, comment admettre facilement, à un moment où
le chômage des jeunes atteint les proportions que nous savons, que des jeunes
gens qui ont un emploi quittent celui-ci pour accomplir une obligation vouée à
une disparition prochaine ? La solution consistant à dispenser purement et
simplement du service national obligatoire les jeunes gens titulaires d'un
contrat de travail avait alors été écartée car elle conduit à violer le
principe d'égalité devant la loi.
De surcroît, une telle mesure aurait probablement compromis la période de
montée en puissance de la professionnalisation en ne garantissant plus
nécessairement aux armées la présence d'un nombre d'appelés prévisible, voire
suffisant.
La professionnalisation constitue l'objectif majeur de la réforme en cours ;
elle est au coeur du projet du Président de la République pour les armées.
En revanche, l'Assemblée nationale et le Sénat étaient convenus de la
nécessité d'aménager la législation en vigueur jusqu'en 2002 en élargissant les
cas de dispense aux jeunes gens que leur incorporation aurait placés dans une «
situation sociale grave » et en garantissant aux appelés qui travaillaient
avant d'être incorporés la réintégration dans leur emploi dès leur libération.
Ces deux dispositions ont été reprises dans le projet de loi qui nous est
soumis.
Souhaitant aujourd'hui aller plus loin, l'Assemblée nationale propose de créer
une nouvelle catégorie de reports d'incorporation pour les personnes titulaires
d'un contrat de travail de droit privé, qu'il soit à durée déterminée ou
indéterminée. Cette initiative pourrait être retenue dans son principe, à
condition que soient préservés tant l'égalité devant la loi que les besoins des
armées pour assurer efficacement la défense du pays jusqu'au terme de la
période de transition.
Dans cet esprit, nous proposons de limiter à une durée maximale de deux ans
les reports susceptibles d'être accordés aux titulaires d'un contrat de travail
à durée indéterminée. La loi concilierait ainsi la possibilité de profiter
pleinement d'une première expérience professionnelle et le respect du principe
d'égalité puisque notre proposition exclut que les jeunes concernés par des
reports successifs soient, de fait, dispensés du service national. Cette
première expérience sera d'ailleurs seulement interrompue temporairement par
l'appel, dans la mesure où le présent projet de loi modifie le code du travail
pour mettre en oeuvre un droit effectif à réintégration dans l'entreprise à
l'issue du service.
Quant à la capacité des armées à prévoir le nombre exact des appelés qui
effectueront un service national pendant la période de transition, elle s'en
trouvera améliorée.
Nous pensons soumettre ainsi au Sénat un dispositif plus équilibré sur ce
point important du projet de loi.
Enfin, la commission s'est inspirée du précédent projet de loi en proposant
l'institution d'un Haut Conseil du service national, instance chargée de donner
des avis sur la mise en oeuvre du nouveau système. La commission a jugé
souhaitable de requérir l'avis de ce Haut Conseil sur le contenu de la
Rencontre armées-jeunesse et sur les programmes de l'enseignement relatif aux
principes de la défense qui sera dispensé dans le cadre scolaire.
Par ailleurs, la commission a souhaité rappeler les avis susceptibles d'être
requis du Conseil supérieur des Français de l'étranger à l'égard des modalités
d'accomplissement de la Rencontre armées-jeunesse par nos jeunes compatriotes
établis hors de France, même si la disposition ouvrant la possibilité de
sessions aménagées « en fonction des contraintes du pays de résidence » paraît
prudemment atténuer les difficultés susceptibles de résulter de cette
obligation dans certains pays.
Mes chers collègues, compte tenu de l'urgence réelle qu'il y a à mettre en
oeuvre la réforme du service national et à apporter des solutions aux problèmes
posés par la période de transition, décisive pour nos armées, la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté le présent
projet de loi, modifié par les amendements que je viens de présenter en son
nom.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées a examiné ce nouveau projet de loi portant réforme du service national
dans un état d'esprit qu'elle a voulu réaliste.
Une majorité d'entre nous souhaitait, bien entendu, la reprise du projet de
loi, marqué par plus de souffle et d'ambition, qu'avait présenté le précédent
gouvernement, projet sur lequel nous avions beaucoup travaillé et dont la
discussion était presque parvenue à son terme.
Il nous a toutefois semblé que l'importance du sujet et son urgence technique
imposaient à notre commission d'étudier ce nouveau projet de loi sans
a priori,
sinon celui de la cohérence des positions sénatoriales, et avec
le souci majeur d'apporter une contribution utile à la mise au point du
meilleur dispositif possible, au service d'une défense efficace et d'un lien
renouvelé entre la nation et son armée.
Malgré ses lacunes, le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre,
présente pour caractéristique essentielle d'entériner la professionnalisation
de nos forces armées, montrant par là que c'est un choix définitif que le
nouveau gouvernement assume et dont il souhaite réussir la mise en oeuvre.
La décision proposée par M. le Président de la République, que nous avons
approuvée, ne pouvait être remise en cause. Elle ne le sera pas.
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Nous nous réjouissons d'autant plus de ce
ralliement élargi à la professionnalisation que celle-ci est au coeur de la
rénovation globale de notre système de défense entreprise en février 1996 et
dont la loi de programmation militaire pour la période 1997-2002 a constitué la
première traduction législative.
Cette réforme vise à répondre à l'évolution radicale qu'a connue
l'environnement international au cours de la dernière décennie et à la
nécessité pour notre pays de disposer de forces modernes, plus disponibles et
projetables, si nécessaire, loin du territoire national. La
professionnalisation constitue, c'est en tout cas ma conviction, la réponse
cohérente à cet impératif.
De surcroît, il était de toute façon devenu inéluctable, nous le savons bien,
de réformer radicalement un service national qui ne répondait plus à ses
objectifs fondamentaux, que ce soit en termes d'efficacité militaire ou au
regard des principes d'universalité et d'égalité qui étaient supposés en
constituer le fondement.
M. Philippe Marini.
Tout à fait !
M. Emmanuel Hamel.
Il fallait le réformer, et non le détruire !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
L'objet de ce projet de loi est donc de
donner à notre défense les moyens de réussir cette indispensable
professionnalisation.
Mais cette réforme délicate doit aussi garantir la réversibilité de la
suspension de la conscription dès lors que la sécurité de notre pays
l'imposerait. Car, si la réforme que nous mettons en oeuvre répond pleinement à
la nouvelle donne internationale, qui peut dire avec assurance quelle sera la
situation géostratégique dans vingt ans, dans trente ans, dans quarante ans ou
dans cinquante ans ?
Enfin, l'organisation de la période de transition jusqu'en 2002 doit garantir
tout à la fois, d'ici là, la montée en puissance du nouveau régime et les
modalités d'appel des jeunes gens pour satisfaire, à tout moment, les besoins
de nos armées ; cela est, à nos yeux, essentiel.
Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, met l'accent sur les
questions proprement militaires. Il rejoint en cela une préoccupation que le
Sénat avait exprimée à l'occasion de l'examen du précédent projet de loi.
J'évoquerai, à cet égard, deux de vos propositions.
D'abord, le développement de l'information des jeunes sur les questions de
défense dans l'enseignement dispensé dans nos établissements scolaires doit
constituer un élément important de la préservation de l'esprit de défense ;
cela correspond d'ailleurs à l'une des conclusions prioritaires émises par
notre commission, dès mai 1996, dans l'excellent rapport d'information de M.
Serge Vinçon sur l'avenir du service national. Mais nous savons bien que
l'efficacité de cette démarche, qui est au coeur de la réussite du projet,
dépendra des modalités de sa mise en oeuvre.
Comment appréciez-vous à cet égard, monsieur le ministre, l'idée émise par
certains de nos collègues d'élaborer un nouveau protocole éducation-défense
afin d'organiser, de la manière la plus efficace possible, cette
sensibilisation de l'ensemble de la jeunesse aux problèmes de défense ?
Nous approuvons, d'autre part, l'idée de permettre aux jeunes Français qui le
souhaiteront de suivre une préparation militaire, au cours de laquelle une
instruction militaire de base leur sera dispensée. Cette préparation militaire
viendra renforcer la professionnalisation en favorisant à la fois la mise en
place de forces de réserve efficaces et le renforcement du lien entre les
armées et la jeunesse.
Ces points positifs étant relevés, il reste que la réforme qui nous est
aujourd'hui proposée nous est apparue, sinon minimaliste, du moins
singulièrement dépourvue d'ambition et beaucoup moins complète que le précédent
projet de loi. Je donnerai à cette égard quelques exemples concernant les deux
volets principaux de la réforme élaborée par votre prédécesseur, à savoir le «
rendez-vous citoyen » et les volontariats.
Sur le premier point, vous nous proposez l'abandon d'un rendez-vous ambitieux
au profit d'un modeste - le mot est faible ! - « appel de préparation à la
défense », réduit à une petite journée.
Je tiens d'abord à rappeler que, si notre commission n'avait pas plaidé pour
un rendez-vous citoyen trop long et si elle avait mesuré les difficultés de
l'entreprise, elle avait approuvé la raison d'être de ce projet et apprécié son
ambition : donner une seconde chance aux jeunes en difficulté et participer
ainsi à la réduction de la fracture sociale.
Cette ambition est aujourd'hui abandonnée, ce qui m'étonne de vous, monsieur
le ministre. Nous déplorons et nous craignons que l'objectif fondamental de ce
rendez-vous - préserver le lien armée-nation - ne puisse pas être atteint avec
les quelques heures que vous nous proposez.
Nous avions, hier, défendu l'idée d'une limitation éventuelle de la durée du
rendez-vous citoyen. Nous regrettons, aujourd'hui, l'excessive brièveté de
l'appel que vous nous proposez et nous redoutons fort que cette journée unique,
si elle est finalement retenue, ne puisse atteindre son but, qu'elle ne soit
rapidement considérée comme une formalité, trop vite expédiée, bientôt
oubliée.
M. Emmanuel Hamel.
C'est évident !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Je souligne, enfin, que notre commission a
fait preuve, dans cette affaire, d'une grande constance - même si elle n'a pas
été totalement entendue - puisque le rapport d'information de M. Vinçon
concluait déjà, voilà presque dix-huit mois, à la nécessité d'un « système
inspiré des trois jours », qui seraient rénovés et éventuellement élargis.
Je formulerai trois observations sur le dispositif qui nous est soumis.
En premier lieu, monsieur le ministre, sans attacher une importance excessive
à cette question de terminologie, nous souhaitons, je ne vous le cacherai pas,
que les travaux législatifs conduisent à l'adoption d'une appellation plus
satisfaisante que celle d'« appel de préparation à la défense », l'APD, qui
nous paraît à la fois peu convaincante et quelque peu fallacieuse.
M. Philippe Marini.
De plus, ça ne sonne pas très bien !
(Sourires.)
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Laisser entendre que les jeunes de ce pays
bénéficieront, en quelques heures - en quelques minutes, serais-je tenté de
dire -, d'une véritable « préparation à la défense » me semble trompeur.
M. Emmanuel Hamel.
C'est grotesque, tragiquement grotesque !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
De surcroît, nous estimons essentiel de
souligner l'objet central de ce rendez-vous : préserver le lien armée-nation.
C'est pourquoi nous proposons de retenir la dénomination - j'en rends hommage à
son auteur - de « Rencontre armées-jeunesse ».
En deuxième lieu, sur le fond, nous déplorons qu'aucun bilan médical ne soit
prévu à l'occasion de cette journée, contrairement à ce qui était envisagé dans
le « rendez-vous citoyen » comme, d'ailleurs, dans les propositions de notre
commission sur l'avenir du service national. Cette disparition de tout bilan de
santé nous paraît dommageable à la fois quant à l'information des jeunes
intéressés eux-mêmes, au regard de la fiabilité des données sur l'état
sanitaire de la jeunesse et, éventuellement, pour nos armées, dans l'hypothèse
d'une réactivation de la conscription, qui exigerait non seulement un
recensement fiable mais aussi une capacité opérationnelle de sélection médicale
et psychotechnique.
Pour cette raison aussi, nous craignons, en troisième lieu, que la durée de
l'« appel » envisagé ne soit beaucoup trop courte pour permettre d'atteindre
les objectifs visés. Faut-il d'ailleurs inscrire d'ores et déjà cette durée
dans le marbre législatif ? Ne devons-nous pas, plutôt que de figer d'emblée
les choses, laisser la porte ouverte aux adaptations que l'expérience imposera
? Je crois, d'une manière générale, que nous devons, pour réussir la réforme
proposée, faire preuve de tout le pragmatisme nécessaire. Vous me permettrez,
monsieur le ministre, de vous redire ici, mot pour mot, ce que j'affirmais
devant votre prédécesseur, le 4 mars dernier : « Le cadre législatif que nous
devons mettre au point aujourd'hui ne doit pas être trop rigide mais doit au
contraire avoir pour principale caractéristique la souplesse, de manière à
permettre les adaptations et les améliorations que sa mise en oeuvre suggérera.
»
Pour conclure sur les modalités de cette « Rencontre armées-jeunesse », je
souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez donner au Sénat votre
sentiment sur deux points.
Tout d'abord, pourquoi n'envisagez-vous pas d'organiser les premières sessions
de cette rencontre avant le mois d'octobre 1998, ce qui permettrait, en
particulier, de résoudre de façon plus satisfaisante la question de la classe
d'âge des jeunes nés en 1979, qui se trouvent écartés, dans votre projet de
loi, à la fois de l'ancien et du nouveau système ?
Ensuite, quelles modalités précises d'accomplissement de l'obligation
prévoyez-vous pour les jeunes Français résidant à l'étranger ?
J'en viens maintenant aux volontariats, qui constituent le second défi majeur
à relever dans l'optique de la réforme du service national, celui sur lequel
les incertitudes restent les plus grandes. Le projet de loi nous laisse, à cet
égard, sur notre faim. En effet, la question du volontariat y est à peine
esquissée, en tout cas pour les volontariats civils, dont la définition des
conditions d'exécution est renvoyée à une loi ultérieure, qui me paraît
d'ailleurs tomber déjà dans l'oubli.
S'agissant des volontaires dans les armées et la gendarmerie, le nombre de
postes, qui est de 21 171, doit être conforme aux dispositions de la loi de
programmation, et nous nous en félicitons. Un certain nombre de dispositions,
prévues dans le projet de loi ou annoncées par le Gouvernement, ont été prises
pour modifier la situation de ces volontaires militaires par rapport à ce qui
avait été envisagé au printemps dernier, qu'il s'agisse de la durée des
volontariats, du statut ou des missions confiées aux volontaires et, enfin, de
la rémunération et des avantages en nature dont ils bénéficieraient. Ceux-ci
seraient beaucoup plus substantiels que ce qui était initialement envisagé.
La logique des emplois-jeunes semble l'avoir emporté sur la logique de
générosité et de première expérience qui caractérisait le précédent projet de
loi. Ainsi, la spécificité du volontariat du service national disparaît, et
nous nous interrogeons, dans ces conditions, sur le maintien d'une
différenciation entre la situation de ces volontaires militaires et le statut
des engagés. Le risque de confusion nous paraît réel, et justifie en
particulier, à nos yeux, une limitation de la durée de ces volontariats
militaires. Il faut aussi souligner le surcoût très substantiel qui résultera
pour le budget de la défense - lequel se serait bien passé de cette charge
supplémentaire, monsieur le ministre - de ce doublement de la rémunération des
volontaires.
M. Philippe Marini.
Tout à fait !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
La définition du statut des volontaires
civils est, quant à elle, explicitement reportée à un projet de loi ultérieur.
Or il aurait été plus cohérent de fixer toutes les dispositions législatives
relatives aux volontariats par une même loi, dès lors que le texte que vous
nous présentez inclut dans le périmètre du service national les activités
d'intérêt général que des volontaires pourront accomplir.
Je crois en effet indispensable de prévoir les dispositions nécessaires pour
assurer la pérennité d'actions actuellement exercées dans le cadre de la
conscription et qui gardent un lien étroit avec le service de la nation. La
commission tient à souligner, dès aujourd'hui, l'importance que revêtent, pour
nos jeunes et pour notre pays, les volontariats qui pourront être effectués à
l'étranger, lesquels sont particulièrement utiles à la présence et à
l'influence de la France dans le monde.
A cet égard, je rappelle le rôle précieux joué aujourd'hui par des appelés au
sein de notre réseau d'établissements scolaires à l'étranger. Nous sommes
également très attachés à ce que les modalités qui seront retenues permettent
de maintenir, et si possible de développer, sous les formes les plus adaptées,
les missions des actuels CSNE, les coopérants du service national en
entreprise.
Mais de nombreuses questions restent à trancher. Dès lors que vous avez choisi
de ne pas reprendre les solutions soigneusement élaborées voilà quelques mois,
pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, l'état actuel des réflexions
gouvernementales ? Pouvez-vous nous préciser, en particulier, si les conditions
d'exécution des volontariats civils - je pense notamment à leur durée et à leur
rémunération - doivent être, dans votre esprit, analogues à celles des
volontariats militaires ? Comment concevez-vous, de manière générale, les
relations entre le volontariat civil et l'emploi des jeunes ? Il y a là aussi,
à nos yeux, un risque de confusion regrettable.
Enfin, qui financera la rémunération et la protection sociale de ces
volontaires civils ? Il ne se passera pas longtemps avant que l'on ne regrette
le rôle joué par nos armées dans ce domaine...
M. Emmanuel Hamel.
Eh oui, c'est sûr !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Je conclurai d'un mot, mes chers collègues,
en soulignant que le texte sur le service national dont nous débattons
aujourd'hui, s'il a une particulière importance, n'est qu'un élément du vaste
dispositif législatif nécessaire à la mise en oeuvre de la réforme, complète et
cohérente, de notre système de défense. La réussite de cette réforme, voulue et
engagée par le Président de la République, et celle du processus de
professionnalisation exigent de disposer des moyens financiers adaptés.
Le respect de la loi de programmation militaire 1997-2002, dont la mise en
oeuvre commence bien mal, monsieur le ministre,...
M. Emmanuel Hamel.
Très mal !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
... constitue de ce fait, à nos yeux, un
impératif qui ne saurait être remis en cause, parce qu'il conditionne
précisément le succès et la cohérence de la réforme entreprise.
Vous savez, monsieur le ministre, que le Sénat et sa commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées sont fermement attachés à la
réussite de celle-ci. Ne doutez pas que nous serons, sur ce point,
particulièrement vigilants.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 44 minutes ;
Groupe socialiste : 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe :
8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes
remarques s'inscriront dans l'optique fort opportunément définie par M. le
rapporteur et par M. le président de la commission des affaires étrangères, de
la défense et des forces armées.
M. de Villepin nous a appelés à la vigilance ; cette vigilance, nous devrons
l'exercer avec soin au cours des années à venir, pour observer les évolutions
et pour, s'il le faut, alerter l'opinion.
Je souhaite, monsieur le ministre, rendre hommage, d'entrée de jeu, à la
qualité des travaux effectués sous votre autorité, notamment par la direction
centrale du service national, qui, sur ce sujet délicat, dans ce débat ô
combien périlleux, s'est efforcée de trouver des solutions, de faire preuve
d'imagination et de s'adapter à une situation mouvante, à des circonstances
évolutives.
Nous savons tous, mes chers collègues, que le thème que nous abordons
aujourd'hui est éminemment délicat ; il s'agit d'un sujet de société, d'un
sujet fondamental en termes de valeurs républicaines.
Nous savons aussi que, en pareille matière, nous cheminons toujours sur un
chemin de crête, et que l'équilibre est difficile à trouver entre des objectifs
différents et des préoccupations diverses.
Vous avez assumé, monsieur le ministre, le choix de la professionnalisation ;
il n'y a pas lieu d'y revenir. Pour ma part, sans pour autant me dissimuler les
difficultés ou les embûches qu'il recèle, je comptais parmi ceux qui étaient
intellectuellement acquis à ce choix.
L'équilibre est très délicat à trouver ; nous pensions y être parvenus, mais
j'estime quant à moi que cet équilibre est aujourd'hui quelque peu perturbé par
le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre.
En effet, l'armée professionnelle est une option qu'il nous faut prendre pour
des raisons géostratégiques et pour garantir l'efficacité de notre outil de
défense, dans le cadre des possibilités présentes de notre pays en Europe.
Mais, ce choix étant fait, il faut tâcher de maintenir et de valoriser au moins
trois choses essentielles : l'esprit de défense, le volontariat et les
réserves.
Sur ce point, je souscris tout à fait aux doutes et au souci d'amélioration
qui ont été exprimés par la commission.
Ainsi, l'esprit de défense devait être inculqué lors d'un rendez-vous citoyen
qui avait été élaboré à cette fin et qui constituait un mécanisme très délicat,
une pièce fort complexe, laquelle devait permettre de faire la synthèse, en
cinq jours, de divers apports : l'apport éducatif, l'apport sanitaire, l'apport
patriotique. Le composé était extrêmement subtil.
Mais je pense pour ma part que, avant de le condamner, il eût fallu au moins
l'expérimenter, et que la réduction de cette phase en quelque sorte initiale,
voire initiatique, telle qu'on l'avait voulue voilà quelques mois, à quelques
heures regroupées au sein d'une seule journée pose véritablement la question de
savoir si l'esprit de défense pourra être éveillé dans ces conditions.
Par ailleurs, s'agissant du volontariat, la commission a fort bien posé la
question, monsieur le ministre : quel est l'espace laissé au volontariat entre,
d'une part, le dispositif emplois-jeunes, dont nous avons largement débattu sur
ces travées voilà seulement quelques jours, et, d'autre part, les contrats
d'engagement classiques au sein des forces armées ? Ne risquons-nous pas de
perdre sur un terrain ce que nous aurons gagné sur un autre ?
Je prends un exemple. Le service national, tel qu'il est organisé
actuellement, nous permet de disposer, dans nos commissariats de police,
notamment pour les quartiers difficiles, que vous connaissez bien, d'appelés du
service national, en l'occurrence de policiers auxiliaires. Demain, nous
dit-on, des auxiliaires de police seront employés dans le cadre du nouveau
dispositif gouvernemental. Toutefois, y aura-t-il encore des appelés du service
national ? Globalement, la somme sera-t-elle positive en termes de civisme et
de sécurité publique ? Par cet exemple particulier, mais je pourrais en prendre
d'autres, je me permets d'exprimer un doute sérieux sur le caractère de progrès
de ce qui nous est proposé. Il y a donc là un vrai sujet.
Sur le plan financier ou budgétaire, l'économie qui résulte de la suppression
du rendez-vous citoyen me paraît être consommée par le coût des rémunérations
de ces « quasi-emplois » de jeunes qui ne seront plus des appelés et qui ne
seront pas non plus véritablement des volontaires.
L'équilibre du précédent projet, tel qu'il avait été élaboré, dans des
conditions fort délicates, par votre prédécesseur, a été sérieusement perturbé.
Vous me pardonnerez, je l'espère, de préférer le précédent équilibre à celui
qui nous est aujourd'hui soumis.
M. Jean-Louis Carrère.
Chacun a droit à la nostalgie !
M. Emmanuel Hamel.
L'équilibre était déjà funeste, mais il l'était moins !
M. Philippe Marini.
Il y a différence de degré, sinon de nature.
Il s'agit, en troisième lieu, de préserver les réserves. M. le président de la
commission et M. le rapporteur ont évoqué la préparation militaire, qui est une
autre façon de valoriser l'esprit de défense. Je souhaiterais, monsieur le
ministre, que vous puissiez nous dire comment vous voyez l'organisation du
dispositif des réserves dans le cadre du texte que vous nous proposez.
En définitive, les dispositions que vous nous soumettez sont, me semble-t-il,
de nature à accroître le traumatisme déjà profond qu'induit nécessairement une
réforme aussi capitale. Nos officiers sont bien entendu républicains et ils
savent s'adapter à ce qui leur est demandé. Cependant, il ne faut pas
sous-estimer les changements très significatifs et brutaux qui interviennent
dans l'organisation des carrières, voire dans les modes de vie au sein de nos
forces armées.
Ce sont des changements en profondeur, un véritable traumatisme, et le point
d'équilibre, moins satisfaisant que le précédent, que vous nous proposez est de
nature à aggraver encore ce traumatisme.
Enfin, ce traumatisme s'exprime bien entendu en termes budgétaires. L'une des
toutes premières initiatives qui ont été prises cet été dans le cadre du décret
d'avance a été l'annulation de deux milliards de francs sur votre budget,
monsieur le ministre. Vous avez défendu ce budget avec toute la pugnacité que
nous vous connaissons mais, bien sûr, le couperet est tombé. Ce sont deux
milliards de francs qui, dans le cours de l'année 1997, eussent été
certainement bien utiles pour atténuer certaines difficultés ici ou là.
Parmi ces difficultés, vous comprendrez que je doive évoquer des enjeux
d'aménagement du territoire, des problèmes localisés dans l'espace, problèmes
très concrets que nous vivons les uns et les autres.
Les sites du rendez-vous citoyen avaient été déterminés par le précédent
gouvernement en compensation de restructurations qui avaient été rendues
nécessaires par la professionnalisation des forces armées. Je vais les citer :
Mâcon, Compiègne, Nîmes - qui étaient les trois centres expérimentaux -
Sathonay, dans le Rhône, Montbéliard, Toul, ou plus exactement Ecrouves, Auch,
Châteaulin, Limoges, Orléans, sites auxquels s'était ajoutée un peu plus
tardivement la ville de Laon.
S'agissant de toutes ces localisations, le gouvernement d'alors avait cherché
à proposer des compensations par rapport à la disparition de régiments.
Si je prends, sans y insister excessivement, l'exemple de la ville que j'ai
l'honneur d'administrer,...
M. Emmanuel Hamel.
Qui a la chance de vous avoir pour maire !
M. Philippe Marini.
... il s'agissait de la compensation pour la dissolution de deux régiments.
Donc, deux régiments : un centre de rendez-vous citoyen.
Cela venait d'ailleurs à l'issue de deux opérations successives, qui sont
intervenues respectivement en 1993 et en 1995.
En 1993, avait eu lieu un examen très général des enjeux, examen dont il faut
saluer le principe et qui avait mobilisé deux chargés de mission, l'un du
ministère de l'intérieur, l'autre étant un contrôleur des armées émanant du
ministère de la défense. Avaient été définies certaines priorités dans divers
domaines. M. Edouard Balladur, à l'époque Premier ministre, avait arbitré en
faveur de tous les sites concernés un certain nombre de mesures compensatoires
qui n'étaient pas nécessairement toutes militaires.
En 1995, le dispositif avait été conçu de manière plus étroite. Pour le cas
qui me préoccupe plus particulièrement, c'était un dispositif de nature
militaire : un régiment supprimé, un centre de rendez-vous citoyen. Malgré les
incertitudes qui affectaient cette formule, le maintien de l'activité
économique et du pouvoir d'achat semblait assuré.
Aujourd'hui, nous sommes en attente de propositions de solution, et c'est le
sens de la démarche effectuée en particulier avec notre collègue M. Louis
Souvet, maire de Montbéliard. Nous pensons, monsieur le ministre, que vous ne
manquerez pas d'examiner avec attention les difficultés qui vous sont
signalées.
En conclusion, je voudrais souligner que, dans une telle situation, il faut
prendre en compte, vous le savez fort bien, non seulement l'activité, le nombre
d'emplois, mais aussi l'espace.
Le fait que, dans une ville, Compiègne, cent hectares, qui sont donc dans le
tissu urbain, seraient complètement en déshérence constitue, à l'évidence, un
grand point d'interrogation sur l'avenir. Ce point d'interrogation, il faut
s'efforcer de le lever. Je souhaiterais vivement que nous puissions le faire
ensemble, dans l'esprit toujours constructif qui a régné jusqu'à présent lors
de l'examen de tels sujets par le ministère de la défense.
Telles sont les quelques considérations très concrètes et de portée générale
que je souhaitais formuler. Bien sûr, je souscrirai aux conclusions de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en
votant les amendements qu'elle présentera.
(Applaudissements sur le travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
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