RÉFORME DU SERVICE NATIONAL

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 426, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme du service national. Rapport (n° 4, 1997-1998).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi portant réforme du service national...
M. Emmanuel Hamel. Texte de déclin et de décadence !
M. Alain Richard, ministre de la défense. ... que j'ai l'honneur de vous soumettre aujourd'hui, en espérant un débat serein et rationnel, constitue une des priorités législatives du Gouvernement. Il est également une étape marquante de notre vie publique.
Il s'agit en effet de prendre position par la loi sur la forme que revêtira, dans le processus de réforme de nos armées, le service national.
Nos débats toucheront aussi bien au fondement de la cohésion de la nation qu'à l'enracinement de nos valeurs républicaines ou à la place que la France entend occuper et aux principes qu'elle incarne.
Aussi est-ce avec un sentiment de responsabilité particulièrement élevé que je souhaite poursuivre avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, les débats sur ce projet de loi sur lequel, dans une première lecture, l'Assemblée nationale a travaillé et qu'elle a enrichi. Je ne doute pas que vous contribuerez également, par vos apports et votre vote, à son enracinement dans un consensus national renouvelé.
M. Emmanuel Hamel. Sûrement pas !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le service militaire obligatoire et universel que nous connaissons aujourd'hui date de 1905. Il s'est agi depuis lors de doter la France d'une armée de masse, capable de défendre le territoire national. Cette forme de service national, manifestation la plus directe de la participation de la nation à sa défense, a permis aux appelés, et aux militaires professionnels qui les encadrent, d'accomplir des actions armées et de maintenir une vigilance du temps de paix qui ont garanti notre indépendance nationale. Parce que chaque citoyen y était astreint, il s'inscrivait dans nos principes républicains, que la loi fondatrice de 1798 résumait par cette formule : « Tout Français est soldat et se doit à la patrie ».
Je voudrais ici souligner que toutes celles et tous ceux qui ont donné leur peine et leur sang au sein de cette armée de conscription ont fait des sacrifices qui ont eu une utilité essentielle. Cette armée d'appelés ne disparaît pas parce qu'elle serait victime des événements de la fin de la guerre froide et qu'elle serait ainsi dépassée. Elle peut en sortir avec le sentiment d'avoir participé à la victoire par la dissuasion et non par la force. Notre armée de conscription, partout où elle a été engagée, que ce soit en opérations ou en exercice, a fait l'admiration de nos grands alliés, dont certains avaient déjà fait le choix de la professionnalisation. Les temps ont changé, mais la nation ne peut oublier, et encore moins renier, l'apport des appelés qui ont participé au renom de la France et au succès de ses armes.
Dans les dernières décennies, ce service s'est en outre élargi à des formes civiles variées qui ont apporté et apportent encore au rayonnement extérieur de notre pays et à nombre de services publics un appui humain particulièrement précieux.
Cependant, le bouleversement stratégique que nous avons connu à partir de 1989 remet en cause la justification militaire même de la conscription. Nous ne connaissons plus de menace militaire directe et massive sur le territoire national, menace face à laquelle l'armée de conscription était la réponse cohérente.
En revanche, le développement de conflits régionaux et de dissensions souvent violentes au sein même d'Etats à structure fragile place notre pays devant un nouveau défi. Face à ces crises multiformes où se trouvent mis en jeu les principes politiques auxquels nous tenons, la France a estimé de sa responsabilité d'agir pour la consolidation de la paix, pour la mise en échec des agressions, pour l'établissement de relations pacifiques entre des pays voisins ou des communautés que des aspirations antagonistes avaient fait basculer dans la violence.
Et notre pays a agi : au Liban, au Tchad, auCambodge, au Rwanda, en Bosnie, au Congo-Brazzaville, en Albanie, pour ne citer que quelques cas marquants, nos forces se sont engagées pour contribuer à des solutions politiques et pour mettre fin à des affrontements tragiques. Je tiens ici à rendre tout particulièrement hommage aux militaires des armées et de la gendarmerie morts en opérations depuis 1990 ainsi qu'aux blessés, et aux familles, que nous n'avons pas le droit d'oublier.
Ces engagements se sont faits, chaque fois que c'était possible, en coopération avec d'autres pays et sous l'égide d'organisations internationales ; ils représentent donc le contraire d'une politique interventionniste ou d'une attitude dominatrice. Nous pouvons légitimement penser que cette capacité d'agir pour la paix, en en assumant les risques, fait aujourd'hui partie du statut international de la France.
Depuis le début de cette décennie, la réflexion s'est engagée. Elle a été ponctuée par le Livre blanc de 1994, qui a synthétisé nos objectifs de défense, et elle a abouti en 1996 au choix de la professionnalisation des armées fixé par le Président de la République.
Le lancement de ce projet a constitué un choc, parce qu'il revenait sur près d'un siècle de conceptions de la défense et parce qu'il nous plaçait collectivement devant un choix que nous avions eu tendance à éluder. Ce choix a déclenché, dans le pays et dans la représentation nationale elle-même, de multiples réactions et interrogations, mais il s'est imposé en profondeur, car les objectifs fondamentaux que j'ai brièvement rappelés pouvaient être partagés par une grande majorité. Ainsi, lors des dernières élections législatives, la conscription n'a pas été un enjeu du débat.
C'est en effet dès le printemps 1996 que s'est exprimée la nation à travers ses représentants sur ce que pouvait être le devenir du service national. Certains ont préconisé de le supprimer purement et simplement. C'eût été méconnaître son apport au maintien du lien entre la nation et son armée et à la pérennité de l'esprit de défense. D'autres ont souhaité instituer un service civil obligatoire. Ce choix n'aurait pas permis d'offrir aux jeunes des postes en nombre suffisant pour garantir l'universalité du service national et le respect du principe d'égalité. D'autres enfin ont proposé d'instaurer un « service court » donnant à chaque jeune Français une formation militaire de base. Malgré les avantages de cohésion nationale d'une telle formule, c'était s'imposer une charge d'organisation fort lourde en vue d'un recours purement théorique à de très nombreux jeunes dont la formation de défense se serait rapidement périmée.
Le dispositif souhaitable devait donc renouveler le lien entre l'armée et la nation, jusqu'alors assuré par la conscription, permettre de rétablir l'appel sous les drapeaux si la sécurité du pays venait à l'exiger et enfin nous assurer d'une transition harmonieuse vers l'armée professionnelle.
Avant de vous présenter, mesdames, messieurs les sénateurs, l'économie générale de ce projet de loi, je souhaiterais le replacer dans le cadre plus vaste de la professionnalisation de nos armées.
Comme l'a indiqué le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale le 19 juin 1997, le Gouvernement entend mener à son terme, et en respectant son calendrier, la professionnalisation des armées décidée par le Président de la République.
L'ensemble des armées, au terme de ce processus de professionnalisation, connaîtra une évolution de structure très importante.
Le format des armées - ses effectifs, y compris ceux de la gendarmerie et des services - passera de 570 000 personnels militaires et civils, dont 200 000 appelés, à 440 000 personnels militaires et civils - soit une déflation de près d'un quart - dont 27 000 volontaires.
Cette réduction massive s'assortit d'une nette élévation du taux d'encadrement dans les armées puisque les officiers représenteront, à la fin de la période de transition, 13 % des effectifs militaires et les sous-officiers près de 47 %. C'est la logique même de la professionnalisation et le nouveau ratio ne fait que se rapprocher de celui des grandes armées alliées déjà professionnalisées.
Ces données masquent des évolutions contrastées qui, pour réussir, devront s'inscrire dans la durée.
Le nombre d'appelés incorporés va décroître mécaniquement chaque année puisque les appels sont arrêtés pour ceux qui sont nés depuis le 1er janvier 1979. Cette décroissance régulière de près de 30 000, chacune des années qui nous séparent de 2002, s'accompagne d'une montée en puissance progressive et non moins régulière des effectifs d'engagés de près de 8 000 chaque année. L'équilibre de ces deux mouvements conditionne le succès de la professionnalisation. J'y reviendrai.
Ces transformations de l'édifice humain s'accompagnent, chaque élu ici le sait bien, d'une vaste restructuration de l'organisation militaire sur le territoire. Mon prédécesseur, M. Charles Millon, a préparé de multiples mesures de compensation et d'accompagnement, qui ont été discutées avec les élus de terrain, dans un souci de bonne organisation et de concertation. Je veux saluer ici le travail qu'il a fait à cette fin. Il reste encore de multiples mesures d'adaptation de même nature à mettre au point - j'évalue le travail de restructuration à environ les deux tiers - et il m'incombera de mener à mon tour ce travail difficile dans un esprit de bonne gestion et de totale transparence. Je suis sûr du partenariat vigilant, mais compréhensif, des élus locaux et des parlementaires, dont je peux bien ressentir les préoccupations pour partager leur condition depuis vingt ans.
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur le comportement des jeunes nés avant le 1er janvier 1979, qui restent soumis pendant la période de transition aux obligations actuelles du service national. Ils les accomplissent en faisant preuve d'un esprit civique remarquable. L'annonce de la disparition du service national dans sa forme actuelle n'a pas eu d'effet négatif sur leur comportement à l'égard de cette obligation. Les taux de dispense et d'exemption restent stables et le taux d'insoumission est même en baisse.
M. Nicolas About. Et l'amendement Quilès ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je tiens à saluer ici, devant les élus de la nation, cette attitude essentielle pour le succès de la professionnalisation. Nous avons absolument besoin des appelés du contingent pour réussir une transition harmonieuse vers l'armée professionnelle tout en assurant l'exécution des missions confiées à nos armées.
Ainsi, la mise en place du plan Vigipirate ne peut-elle se concevoir actuellement sans l'apport de la conscription. Sur l'équivalent des 1,2 million de journées de soldat nécessitées par les patrouilles dans le métro parisien, les gares, les aéroports, les trois-quarts, soit plus de 800 000, ont été fournis par les appelés.
Qui plus est, nous n'en sommes qu'au début de la phase de transition : à ce jour, sur les cent régiments que compte l'armée de terre, seuls quinze sont entièrement professionnalisés.
L'équilibre entre la montée en puissance des effectifs d'engagés ainsi que l'adaptation mesurée des effectifs de sous-officiers et officiers et la transformation des unités mixtes en unités entièrement professionnelles sont très directement conditionnés par la présence des appelés en nombre et en qualité pendant cette période cruciale.
Je veux m'inscrire, par ailleurs, en faux contre les déclarations intempestives de ceux qui ne voient dans les appelés que des supplétifs de faible utilité. Cela est injuste pour ces jeunes qui, conscients de leur rôle, assurent la vigilance armée et soutiennent par leur savoir-faire l'évolution vers la défense de demain. C'est également inexact à l'encontre des cadres qui les commandent et qui, je le vérifie à chaque déplacement dans une unité, attachent la plus grande importance au rôle des appelés jusqu'à la fin de la période de transition. Ce n'est donc qu'avec leur apport que la réforme en cours se poursuivra dans les conditions satisfaisantes que nous connaissons aujourd'hui.
Je souhaiterais maintenant vous rappeler la démarche qui a présidé à l'élaboration du projet de réforme du service national qui en est le corollaire.
Dès l'annonce de la professionnalisation des armées, il y a donc un an et demi, un important débat national s'est organisé pour connaître les attentes des Français sur l'avenir du service national. Nous avons tous pu y participer, comme citoyens ou comme élus.
A la suite de ce débat, le précédent gouvernement avait élaboré un projet de loi réformant le service national. Comme vous le savez, l'une des principales innovations de ce texte était la création d'un rendez-vous citoyen obligatoire, d'une durée de cinq jours et destiné à l'ensemble des jeunes Français. Votre assemblée s'était largement exprimée pour considérer d'ailleurs que cette durée était excessive.
Sur un sujet de cette importance, il est apparu au Gouvernement que je représente qu'il lui incombait de rouvrir le débat législatif dans un souci de transparence et de concertation.
Dès ma prise de fonctions, j'ai donc décidé de poursuivre et d'approfondir ce débat. Cela m'a conduit à rencontrer, au cours du mois de juillet, l'ensemble des groupes parlementaires des deux assemblées, afin de recueillir les avis et les propositions de chacun. Les entretiens que j'ai eus avec beaucoup d'entre vous ont très largement contribué à forger ma conviction et je vous remercie de cet apport.
J'ai aussi souhaité rassembler toutes les familles d'esprit de notre pays autour d'un projet où puisse se reconnaître l'ensemble de notre communauté nationale. Le projet de loi portant réforme du service national, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 22 septembre, a l'ambition de répondre à cet objectif.
Je ne ferai qu'en présenter les principes, prévoyant d'en justifier plus en détail les différentes dispositions dans ma réponse aux intervenants de la discussion générale, puis lors de l'examen des articles. Il me sera d'autant plus aisé de m'en tenir aux grandes lignes de ce projet de loi que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous a présenté, dans son rapport écrit, une analyse de grande qualité, réalisée à la suite d'un travail approfondi, dont je tiens à remercier le président, M. Xavier de Villepin, et le rapporteur, M. Serge Vinçon.
Les dispositions de ce projet de loi visent à satisfaire trois exigences majeures : tout d'abord, renouveler le lien entre la nation et son armée, ensuite, permettre le rétablissement de l'appel sous les drapeaux si de nouveaux besoins de sécurité l'exigeaient ; enfin, organiser la transition vers l'armée professionnelle en assouplissant le régime des reports d'incorporation et des dispenses.
Le projet de loi prévoit la suspension de l'appel sous les drapeaux pour les jeunes nés depuis le 1er janvier 1979, suspension qui s'est opérée, en fait, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début de cette année sans le support d'un texte et qui marque ainsi la fin du service national dans sa forme actuelle.
Il nous appartient donc aujourd'hui de concevoir autrement le lien entre la nation et son armée. Pour cela, nous souhaitons définir les nouvelles modalités d'un véritable « parcours citoyen » pour que les jeunes restent partie prenante de la notion de défense globale.
Le projet de loi qui vous est présenté doit être vu comme un ensemble cohérent qui comprend, notamment, des obligations, parce que le devoir civique est un pilier majeur de toute société démocratique, comme un ensemble cohérent qui repose aussi sur le volontariat, car la prise de responsabilité est une valeur essentielle à l'esprit de défense.
C'est donc l'ensemble du parcours offert aux jeunes depuis l'enseignement des principes de défense à l'école dès avant seize ans au volontariat entre dix-huit et vingt-cinq ans qui constitue la nouvelle trame des rapports entre les jeunes et la défense.
Le Gouvernement a tout d'abord clairement manifesté sa volonté de revitaliser l'enseignement de l'instruction civique et de l'histoire pour que les adolescents soient formés, dès leur scolarité, aux fondements de notre pacte républicain.
M. Emmanuel Hamel. Il serait temps !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Dans ce contexte, ils seront initiés aux principes de la défense sous la responsabilité du corps enseignant. C'est en effet l'un des rôles qui doit revenir à l'éducation nationale, chacun en convient.
L'éducation nationale remplira ainsi pleinement sa mission de cohésion républicaine, sur laquelle toutes les familles de pensée se rassemblent. La complexité des débats de forme en première lecture à l'Assemblée nationale sur ce sujet n'a fait - me semble-t-il - que refléter le consensus existant sur le fonds de cette évidence.
Un « appel de préparation à la défense » d'une journée s'inscrira dans la continuité de cet enseignement avec lequel il forme un tout. Le choix d'une formule peu contraignante pour les jeunes, organisée à proximité de leur domicile, dans des sites le plus souvent militaires, répond très directement aux critiques formulées ici même sur le rendez-vous citoyen. Juste avant leur majorité, un à deux ans après avoir été recensés, les jeunes auront un contact direct avec la communauté militaire.
L'entrée dans la citoyenneté sera marquée par cette journée au cours de laquelle la nécessaire implication de chacun dans la défense sera rappelée. Les garçons y seront convoqués à partir de la rentrée scolaire de 1998 et les jeunes filles dès l'an 2000.
Placées sous la responsabilité du ministre de la défense, organisées par les autorités militaires du département en liaison avec les préfets, les sessions se tiendront le mercredi ou le samedi, afin de ne pas perturber l'activité scolaire ou professionnelle des jeunes.
L'information sera assurée par des cadres militaires, d'active et de réserve, servant dans des unités géographiquement proches. Je n'exclus pas que des personnalités de la société civile y soient associées. Seront ainsi présentés les enjeux de la défense, son organisation, ses missions et ses moyens, ainsi que les opportunités de participer à une préparation militaire, à une forme de volontariat, ou de souscrire un engagement dans la réserve.
M. Emmanuel Hamel. Tout ça en un seul jour !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le devoir de mémoire sera évoqué, avec la participation du secrétariat d'Etat aux anciens combattants. Enfin, la journée permettra la détection de l'illettrisme.
Après l'appel de préparation à la défense, les jeunes auront la possibilité, s'ils le désirent, de participer à des préparations militaires. C'est une démarche volontaire qui leur permettra d'acquérir, lors de périodes compatibles avec leur engagement universitaire ou professionnel, des savoir-faire militaires élémentaires et de découvrir concrètement l'activité quotidienne des armées.
La mise en présence dans les unités des femmes et des hommes qui ont choisi de faire de la défense leur métier avec les jeunes participants contribuera directement à l'établissement de relations de confiance entre la jeunesse et l'armée, gage de respect mutuel, ainsi qu'au recrutement de réservistes et de volontaires.
La préparation militaire sera ainsi un moyen utile de pérenniser le lien entre la nation et son armée et constituera un instrument privilégié de la réforme des réserves, dont le rôle devient déterminant aux côtés de l'armée professionnelle.
Ce parcours préparation militaire-réserve constitue une réponse réaliste à la demande largement exprimée, en particulier au Parlement, d'une formation militaire de base pour les jeunes désireux d'apporter une participation directe à la défense sans toutefois embrasser une carrière dans les forces armées.
En outre, par une démarche librement consentie, les jeunes pourront également choisir de servir dans les forces armées en qualité de volontaires.
La mise en oeuvre de ce volontariat s'inscrit, avec compatibilité et cohérence, dans la priorité nationale que constitue l'emploi des jeunes et contribue à l'action globale du Gouvernement en la matière.
Sa durée initiale sera de douze mois, mais le volontariat pourra être renouvelé et atteindre jusqu'à soixante mois.
La rémunération, compte tenu des avantages matériels accordés aux volontaires, leur permettra de disposer de ressources au moins égales au SMIC net.
Bien loin d'être des « valets d'armes », selon l'expression malheureuse que certains ont employée, ces volontaires exerceront un métier à part entière, souvent de niveau technique élevé, en remplacement de la ressource très qualifiée que pouvait offrir le service national - je pense notamment aux scientifiques du contingent.
La loi de programmation militaire votée l'année dernière prévoit la création de 27 171 postes de volontaires d'ici à 2002, dont 16 232 dans la gendarmerie, ce qui accroît les moyens de ce corps pendant la période considérée. Ces volontaires seront l'une des composantes de l'armée professionnelle aux côtés des militaires de carrière ou engagés, des réservistes et des civils.
Il restait cependant à définir le cadre juridique du volontariat. Le texte qui vous est présenté y pourvoit en faisant des volontaires des militaires en droits et en devoirs.
Ces volontaires placés sous statut militaire contribueront directement à la pérennité du lien entre l'armée et la jeunesse. Ils serviront dans les armées pendant une période limitée, sans faire de cette activité leur métier. Ils constitueront l'un des viviers de la réserve.
Par ailleurs, en complément de ce corps de volontaires, dont la création est inscrite dans la loi de programmation militaire, les unités de la sécurité civile, notamment celles des sapeurs-pompiers, qui sont des unités militaires, pourront également avoir recours au volontariat.
Le service militaire adapté sera maintenu en faveur de nos jeunes concitoyens recensés outre-mer. Il sera proposé sous la forme d'un volontariat de douze mois qui conservera son identité militaire. Les jeunes y recevront d'abord une formation civique et morale, qui sera suivie par ce qui fait la spécificité de la formule actuelle, à savoir une formation militaire et professionnelle adaptée à laquelle les élus d'outre-mer sont très attachés - ils ont eu l'occasion de me le redire pendant la concertation.
Le projet de loi crée en outre la possibilité d'effectuer un volontariat civil, notamment dans les domaines de la coopération internationale et de l'action humanitaire.
Le Gouvernement a souhaité que la loi énonce dès maintenant le principe de ce futur volontariat de manière à clairement indiquer qu'il n'y aurait pas de discontinuité lors de la fin progressive de l'utilisation des jeunes appelés dans la coopération. L'action bénéfique pour le rayonnement de la France, et pour les pays et les organismes qui en bénéficient, accomplie aujourd'hui par les coopérants du service national sera ainsi poursuivie.
Le principe de l'existence de ces volontariats étant posé, leur organisation et leurs statuts seront précisés par une loi ultérieure dont la préparation incombera plus directement aux départements ministériels utilisateurs de ces jeunes. Il n'y a en effet pas urgence, parce que les besoins de la coopération sont couverts pendant encore plusieurs années grâce au recours à des jeunes en report d'incorporation.
Initiation aux principes de défense dès l'école, appel de préparation à la défense, préparations militaires et volontariat, telles sont donc les étapes de ce « parcours citoyen » qui pérennise et renouvelle le lien entre la nation et son armée.
Mais ce n'est pas là le seul objectif du projet de loi. Il est en effet de notre devoir de préserver la sécurité de notre pays quelles que soient les évolutions futures du contexte géostratégique. Nous maintenons donc la possibilité de recourir à un recrutement plus massif pour le cas où de nouveaux besoins de sécurité l'exigeraient. Tel est l'objet de l'obligation de recensement ainsi d'ailleurs que l'appel de préparation à la défense.
Le recensement interviendra dès l'âge de seize ans, au lieu de dix-sept actuellement. Il sera étendu aux jeunes filles à partir de 1999, sur la demande de l'Assemblée nationale. C'est d'ailleurs le terme le plus proche qui nous soit accessible. Le recensement deviendra ainsi véritablement universel.
Il constituera la deuxième étape des obligations civiques, après l'instruction civique et avant l'appel de préparation à la défense.
Les données relatives à chaque jeune recensé seront actualisées et suivies par la direction du service national jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de vingt-cinq ans. La convocation à l'appel de préparation à la défense permettra, entre autres, de les valider.
Ainsi sera effectivement préservée une capacité de montée en puissance rapide des effectifs si le législateur décidait de rétablir l'appel sous les drapeaux.
L'obligation de recensement et celle de participer à l'appel de préparation à la défense seront assorties de sanctions administratives qui nous ont paru les plus pragmatiques possible. Le certificat de satisfaction à ces obligations sera en effet exigé pour s'inscrire aux examens et concours soumis au contrôle de l'autorité publique. Mais les jeunes auront la possibilité de régulariser à tout moment leur situation.
Renouvellement du lien armée-nation, préservation de notre sécurité quelle que soit l'évolution du contexte géostratégique, tels sont donc les deux premiers objectifs de cette réforme.
Le projet de loi organise enfin la transition vers l'armée professionnelle en simplifant le système des reports d'incorporation et en assouplissant le régime des dispenses.
Pour cet aspect du projet de loi, les dispositions largement débattues lors de l'examen du texte du Gouvernement précédent ont été reprises et étendues en première lecture. Je tiens toutefois à insister sur un point fondamental, à savoir la cohérence que nous devons rechercher pour assurer la crédibilité et le bon déroulement de l'appel sous les drapeaux des jeunes nés avant le 1er janvier 1979, qui continueront à effectuer leur service, comme les garçons de leur âge qui n'ont pas bénéficié de reports d'incorporation.
Cela répond à un souci de justice et d'équité que nous partageons tous ; c'est en outre, je l'ai dit précédemment, un élément nécessaire de la stabilité de nos armées. La matière est rendue délicate par le changement que crée, dans l'esprit de tous, la fin annoncée du service national. Nous devons en débattre avec le sens de l'intérêt général, qui, je le sais, anime tous les parlementaires sur cette question des reports.
La formule née sous l'éclairage des débats de première lecture me semble un compromis équitable et satisfaisant entre les besoins cruciaux des armées pendant la phase de transition, que je vous ai exposée, et le souci qui est le mien de participer pleinement à l'élan en faveur de l'emploi donné par le Gouvernement.
L'amendement voté sur ma proposition par l'Assemblée nationale ne fait ainsi, sous les conditions restrictives examinées par une commission régionale, que reporter l'incorportation des jeunes concernés de manière à concilier au mieux les besoins des armées et le souci de ne pas compromettre leur insertion professionnelle.
Cette dernière sera d'ailleurs, si vous acceptez le dispositif, protégée par le projet de loi. En effet, une modification du code du travail a pour objet de préciser notamment que la réintégration dans l'entreprise devient de droit à l'issue de l'obligation militaire, le contrat de travail n'étant que suspendu et non plus rompu comme c'était le cas dans la législation antérieure.
M. Emmanuel Hamel. Il y a progrès !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Dans la version du projet proposée en première lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement demandait par ailleurs une habilitation pour modifier par voie d'ordonnance, comme l'y autorise l'article 38 de la Constitution, le code de justice militaire.
Ce choix technique du Gouvernement, guidé par un souci de rapidité et d'efficacité, visait uniquement à introduire les dispositions de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 - vieille déjà de près de cinq ans ! - portant réforme de la procédure pénale. L'article 229 de cette loi avait en effet prévu, au titre des dispositions transitoires, qu'une loi ultérieure, devant initialement intervenir avant le 1er janvier 1995, rendrait ces mesures applicables aux juridictions militaires. Deux lois postérieures, la dernière étant celle du 22 juillet 1996, ont reporté cette date limite au 1er janvier 1997.
Nous savons tous qu'il est difficile de faire tenir tous les souhaits du législateur dans le calendrier législatif. La formule de l'ordonnance me semblait donc utile pour régler cette question, s'agissant - je tiens à être parfaitement clair sur ce point - de transposer purement et simplement les dispositions déjà approuvées par le législateur dans le code de procédure pénale.
Il est en effet nécessaire, à mes yeux, de faire bénéficier les militaires, sans plus attendre, des dispositions protectrices des droits de la défense instaurées par le nouveau code de procédure pénale. Je citerai, à titre d'exemple, l'instauration d'un droit d'appel des jugements rendus en matière contraventionnelle et délictuelle, qui n'existait pas avant, le meilleur encadrement des conditions de la garde à vue, avec une information du prévenu de son droit de faire alerter sans délai un membre de sa famille, d'être examiné par un médecin et de s'entretenir avec un avocat dès la vingtième heure.
Il s'agit donc, sur tous ces plans, d'une progression de l'état de droit, chacun admettant, me semble-t-il, que les militaires, justiciables des tribunaux militaires, ne peuvent plus rester la seule catégorie de Français à ne pas bénéficier d'une protection juridique.
L'Assemblée nationale, dans un souci louable de préservation des prérogatives du Parlement, a rejeté cette demande. Le Gouvernement, par voie d'amendement, vous proposera donc de repousser une nouvelle fois, et ce jusqu'au 1er janvier 1999, la date d'adaptation du code de justice militaire, sauf si le Sénat, lui, estimait possible de nous autoriser à procéder par ordonnance.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme qui va vous être proposée dans quelques instants s'inscrit de façon cohérente dans un dispositif législatif plus vaste refondant intimement les rapports entre la nation et ses forces armées.
La professionnalisation de ces dernières, conséquence maintenant largement reconnue de leur adaptation au nouveau contexte, s'est déjà traduite par l'adoption de deux textes législatifs : la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 et la loi d'accompagnement de la professionnalisation du 19 décembre 1996.
La cohérence de l'ensemble vous amènera à vous prononcer encore sur deux autres textes dans les prochains mois.
Tout d'abord, dès le premier semestre de 1998, il conviendra de doter d'un statut propre les réservistes de demain, véritables professionnels à temps partiel de la défense. L'article L. 111-2 du code du service national dispose en effet clairement que ces réservistes sont partie intégrante des effectifs de nos forces armées. Aussi leur statut doit-il être précisé.
Dans un second temps, comme je vous l'ai déjà exposé, il conviendra de doter les volontaires civils d'un encadrement juridique. En effet, contrairement au volontariat militaire, dont le statut existe déjà - c'est celui du statut général des militaires - il apparaît nécessaire, pour établir le statut du volontariat civil, que soit fixé exactement le champ d'application de ce volontariat.
L'ensemble de ce dispositif législatif posera, à terme, les bases d'un consensus renouvelé entre la nation et ses forces armées.
Notre responsabilité, la mienne singulièrement, ne s'arrête toutefois pas là. Il est en effet impossible de prévoir toutes les implications, morales notamment, du changement profond que nous sommes en train d'opérer aujourd'hui.
Nombre de militaires, particulièrement, s'inquiètent de la rupture possible...
M. Emmanuel Hamel. A juste titre !
M. Alain Richard, ministre de la défense. ... entre ceux qui assureront la défense, parfois au péril de leur vie, et une société ayant délégué le fardeau de sa sécurité à des professionnels.
M. Emmanuel Hamel. Eh oui !
M. Alain Richard, ministre de la défense. A cette crainte légitime de dérive, j'oppose les relations fortes qui existent aujourd'hui entre notre peuple, profondément attaché à son armée, dont il soutient moralement le courage et le professionnalisme, et notre défense. A ces inquiétudes, j'oppose tout ce qui, dans le projet de loi, tend au renouvellement des liens entre la nation et ses forces armées.
Ce ne sont là toutefois que des bases de départ, à l'origine d'une évolution qui sera longue et guettée par la facilité.
Je suis sûr que vous tous, membres de la représentation nationale, serez porteurs d'idées et d'exigences neuves pour développer ce nouveau contrat moral. C'est un échange que nous poursuivrons année après année. Vous pouvez compter sur moi, responsable de la gestion de notre outil militaire, pour rester en éveil devant tous les risques à conjurer et tous les progrès à accomplir.
Pendant tout ce processus de réorganisation, nous sommes tenus à un devoir de continuité et de responsabilité pour garantir la bonne marche des armées, instrument décisif de notre sécurité et de notre présence dans le monde. Chacun, ici, aura à coeur de préserver l'efficacité et la motivation de ceux qui concourent à défendre notre sol, à agir pour nos intérêts et à servir nos ambitions de progrès et de paix dans le monde.
Les sacrifices qu'ont consentis nos soldats constituent un cadre moral qui nous oblige, Gouvernement et Parlement, à la recherche exigeante de l'intérêt général et au dépassement de désaccords secondaires, que les familles de ceux qui sont tombés au service de notre pays, au nom d'un idéal de paix, ne pourraient comprendre.
En vous disant à nouveau la détermination du Gouvernement à réussir cette réforme au service de notre nation, sans esprit partisan, j'espère contribuer, mesdames, messieurs les sénateurs, à faire de cette loi nouvelle sur le service national une synthèse de nos ambitions de défense et de nos aspirations de cohésion civique.
Je suis sûr de votre volonté de mener ce débat avec la hauteur de vues qu'il mérite, et je vous soumets en toute confiance le projet de loi que le conseil des ministres m'a chargé de défendre devant vous. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. Funeste discours de déclin national programmé !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Vinçon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il y a quelques mois, nous avons été saisis d'un premier projet de loi portant réforme du service national, dont le contenu avait tiré les conséquences des travaux organisés au Parlement au printemps de 1996 et, plus particulièrement, des propositions alors formulées par votre commission des affaires étrangères et de la défense.
En quoi consistaient ces propositions ?
Il s'agissait, tout d'abord, de fonder sur des bases nouvelles l'esprit de défense, parallèlement à la disparition du service national obligatoire. Dans cet esprit, notre commission avait estimé souhaitable de renforcer, dès la scolarité, l'enseignement de l'histoire et de l'instruction civique.
Il s'agissait aussi d'inventer un nouveau lien entre l'armée et la nation, conformément à un souci unanimement exprimé lors du débat organisé dans le pays à la suite de la déclaration par laquelle le Président de la République avait, en février 1996, annoncé le passage à une armée professionnalisée.
Nous avions alors conclu à la nécessité d'inventer une institution inspirée des « trois jours », et dont l'objet serait notamment de présenter à la jeunesse les enjeux et les métiers de la défense. Il nous avait également paru souhaitable de tirer parti de cette obligation d'un type nouveau pour offrir une deuxième chance aux jeunes en difficulté, auxquels aurait pu être proposé l'accès à des dispositifs personnalisés d'insertion sociale et professionnelle. C'est en partie dans cet esprit qu'avaient été conçus le bilan de la situation scolaire et le bilan de santé des jeunes, à l'occasion de ce qui devait être par la suite dénommé le « rendez-vous citoyen », moment fort du pacte républicain.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale, comme le Sénat, avaient alors unanimement souhaité maintenir le recensement et, avec celui-ci, les compétences et les responsabilités de l'administration chargée du service national. Le recensement, en effet, garantit la possibilité de rétablir l'appel au contingent, au cas où la résurgence d'une menace rendrait nécessaire le retour à la conscription.
Enfin, l'ensemble de la représentation nationale avait conclu à l'opportunité de préserver l'héritage du service national, à travers la création de volontariats du service national. Prévu dans tous les domaines où sont actuellement accueillis des appelés, c'est-à-dire dans les armées, dans la gendarmerie et aussi dans tous les services civils - police, aide technique, coopération, protocoles, etc. -, le volontariat devait tout d'abord permettre l'exercice d'une activité où auraient dominé la solidarité et le dévouement à la collectivité. A cet égard, en effet, nous avions choisi de faire confiance à la générosité de notre jeunesse. Ce volontariat devait aussi être l'occasion d'acquérir d'une première expérience, susceptible d'être valorisée dans une perspective professionnelle.
La formule du volontariat est par ailleurs apparue comme la seule solution envisageable, juridiquement et financièrement, par rapport aux autres hypothèses qui avaient alors été avancées et, plus particulièrement, par rapport à la création d'un service militaire court et obligatoire pour tous.
Que reste-t-il de ces diverses propositions dans le texte qui nous est aujourd'hui soumis ?
Celui-ci préserve, en apparence du moins, l'essentiel de la réforme du service national précédemment engagée, et dont l'examen était très avancé au moment de la formation de l'actuel Gouvernement.
Voyons en quoi le présent projet emprunte assez largement au texte que nous avons voté il y a quelques mois.
Tout d'abord il confirme - et c'est fondamental - le choix de la professionnalisation proposé par le chef de l'Etat en février 1996, et dont la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 a tiré les conséquences. Ce texte ne remet donc pas en cause le rôle désormais majeur des forces professionnelles dans notre système de défense, et nous nous en félicitons.
Un autre trait commun entre les deux projets portant réforme du service national tient au souci de préserver le lien entre l'armée et la nation, et de renforcer l'esprit de défense parallèlement à la suspension du service national obligatoire. Le projet qui nous est aujourd'hui soumis tend à refonder les relations entre l'armée et la jeunesse à travers la création de « l'appel de préparation à la défense », inspiré de feu le « rendez-vous citoyen », mais dont la durée est réduite, cette fois, à une seule journée.
Celle-ci devrait être consacrée à une sensibilisation des jeunes aux enjeux de la défense, à travers quelque quatre heures d'exposés qui seront présentés par des officiers d'active et de réserve, et qui auront aussi pour objet de présenter aux jeunes les perspectives qui leur seront ouvertes par les carrières militaires, par les volontariats et par les possibilités de servir dans la réserve.
L'appel de préparation à la défense est conçu comme le prolongement d'un enseignement qui sera dispensé dans le cadre de l'éducation nationale pour initier les élèves aux questions de défense. Cela correspond aux voeux que nous avons exprimés dès le printemps 1996.
Pour ma part, je souhaite le succès de cet enseignement, tout en sachant que sa mise en oeuvre sera délicate. Les enseignants seront-ils aujourd'hui les hussards du pacte républicain, comme ils étaient naguère les hussards de la République ?
Comme le précédent projet de loi, le texte dont nous sommes saisis s'appuie sur la possibilité de faire à nouveau appel au contingent, si la défense de la nation l'exigeait, c'est-à-dire si une menace majeure affectait nos intérêts vitaux, notre indépendance nationale ou notre intégrité territoriale.
C'est dans cette hypothèse que ce projet maintient, comme le précédent, et conformément aux propositions formulée par le Parlement au printemps 1996, l'obligation du recensement. C'est, en effet, sur le recensement que devrait s'appuyer, si besoin était, le rétablissement de la conscription.
Enfin, le présent projet atteste le souci de préserver l'héritage du service national, en faisant, lui aussi, place à la notion de volontariat.
Tous ces points communs entre le précédent projet et celui qui nous est aujourd'hui proposé ne doivent toutefois pas occulter le fait que ce texte repose, en réalité, sur une logique très différente de celle qui sous-tendait le précédent.
En ce qui concerne, tout d'abord l'appel de préparation à la défense - dont le nom suscite mes plus expresses réserves - on remarque un décalage sensible par rapport aux objectifs du rendez-vous citoyen, dû, pour l'essentiel, à l'abandon de toutes les extensions du rendez-vous citoyen prévues en faveur des jeunes en difficulté, auxquels il visait à donner une deuxième chance.
Nous avons tout particulièrement, au sein de la commission des affaires étrangères et de la défense, déploré la mise à l'écart du bilan de santé, dont les travaux parlementaires du printemps 1996 avaient pourtant souligné l'importance.
A cet égard, je rappelle que le Sénat a soutenu le bilan de santé qui devait être effectué à l'occasion du rendez-vous citoyen, non seulement dans une logique de santé publique, mais aussi parce que ce bilan pourrait permettre de compléter le dossier de chaque jeune recensé et, ainsi, d'accélérer l'éventuelle remontée en puissance de la conscription.
Qu'est-ce donc que l'appel de préparation à la défense ?
Cette journée, comprise entre huit heures trente et dix-sept heures, devrait consister à présenter aux jeunes, tout d'abord, les enjeux de la défense en deux heures, puis à consacrer quarante-cinq minutes à des tests de détection de l'illettrisme, à présenter, ensuite, en deux heures, l'organisation, les moyens et les métiers de la défense ; puis, un film de trente minutes sur le « devoir de mémoire », préparé par le secrétariat d'Etat aux anciens combattants, serait visionné avant que trois quarts d'heure de bilan et d'entretien ne viennent clore cette journée, en réalité très brève.
M. Emmanuel Hamel. C'est tragiquement grotesque !
M. Serge Vinçon, rapporteur. On peut donc relever une ambition considérablement réduite par rapport aux objectifs qui avaient été ceux du rendez-vous citoyen. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a estimé que toutes les solutions n'avaient pas été examinées pour qu'il puisse être procédé à un bilan de santé à l'occasion de l'appel de préparation à la défense. Il est apparu à certains de nos collègues que ce bilan de santé pouvait éventuellement résulter d'un examen médical effectué avant l'appel de préparation à la défense. Je pense, pour ma part, que l'appel de préparation à la défense devrait intégrer le temps nécessaire à l'accomplissement de cet examen.
Plus préoccupante, à mon avis, est l'ambiguïté de la signification de l'appel de préparation à la défense, qui tient au caractère inadapté d'une dénomination sur laquelle se sont interrogés certains députés de l'actuelle majorité. Comment imaginer, en effet, qu'une quelconque préparation à la défense puisse être dispensée aux jeunes en quatre heures d'exposés ? Il ne saurait résulter de cette toute petite journée, dans le meilleur des cas, qu'une sensibilisation des jeunes aux enjeux de la défense. Je me rappelle les critiques exprimées par certains membres de l'actuelle majorité à l'encontre du rendez-vous citoyen : la question nous était posée de savoir comment nous pouvions imaginer qu'en cinq jours pourrait être conforté l'esprit de défense. On peut, aujourd'hui, retourner le compliment : comment espérer préparer notre jeunesse à la défense en quatre heures de discours ?
MM. Philippe Marini et Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Serge Vinçon, rapporteur. Je rappellerai que la commission s'était interrogée, lors de l'examen du précédent projet de loi, sur la pertinence de la durée de cinq jours prévue pour le rendez-vous citoyen. Nous avions donc proposé que cette durée de cinq jours ne soit qu'un maximum, afin de ne pas exclure d'emblée une éventuelle réduction de la durée du rendez-vous citoyen, si l'expérimentation de celui-ci justifiait une telle évolution. C'est pour les mêmes raisons que, face au projet d'appel de préparation à la défense, nous n'avons pas été convaincus par l'excessive brièveté de cette nouvelle obligation, dont la réalité ne sera probablement pas à la hauteur de sa trop ambitieuse dénomination.
M. Emmanuel Hamel. Certainement pas !
M. Serge Vinçon, rapporteur. Une illustration des conséquences de la brièveté extrême de l'appel de préparation à la défense consiste en l'idée, exprimée à l'Assemblée nationale au cours de l'examen du présent projet de loi, selon laquelle le recensement constituerait désormais l'élément essentiel du service national rénové. Cette constatation a conduit l'Assemblée nationale à aggraver les sanctions afférentes au non-accomplissement du recensement par rapport à celles qu'encourrait celui qui n'aurait pas effectué l'appel de préparation à la défense.
Cette interprétation conduit à un certain déséquilibre entre la signification de l'appel de préparation à la défense et celle du recensement, alors même que c'est par le biais de l'appel de préparation à la défense que doit être renforcé l'esprit de défense et que devra être refondé le lien armées-nation. Une telle conception du service national rénové est encouragée par la brièveté de l'appel de préparation à la défense et donc par le caractère extrêmement bénin de cette nouvelle obligation. Celle-ci risque, en effet, de n'avoir d'autre importance pour les jeunes que celle d'une démarche administrative sans réelle portée.
J'aborderai maintenant le volontariat, qui ne présente qu'une ressemblance apparente, voire illusoire, avec le précédent projet de loi.
Ce nouveau volontariat traduit, en réalité, un renversement d'objectif très sensible, en raison de la confusion qui est encouragée entre les emplois-jeunes et le volontariat. En effet, celui-ci a été défini selon les mêmes modalités que les emplois-jeunes, qu'il s'agisse de sa durée - jusqu'à cinq ans - ou de sa rémunération, désormais assise sur le SMIC et non plus sur une indemnité qui avait été évaluée, lors de l'examen du précédent projet de loi, à environ 2 000 francs par mois.
Le volontariat est donc conçu, avant tout, comme un premier emploi. Il obéit à une logique de carrière et non plus à la logique de générosité sur laquelle se fondait le précédent projet de loi, confiant en l'esprit de dévouement de notre jeunesse, sans toutefois négliger l'aspect « première expérience professionnelle » qu'auraient pu revêtir certains types de volontariat.
Cette confusion entre volontariat et emploi se retrouve dans la définition du volontariat militaire à laquelle renvoie le présent projet de loi. En effet, la durée de service d'un an renouvelable cinq fois proposée aux volontaires contribue à brouiller les différences entre volontaires et engagés, dont le premier contrat est de trois ou cinq ans, soit la même durée que celle de certains volontariats.
Les engagés ne pourraient-ils être conduits de ce fait à considérer les volontaires comme des concurrents et à percevoir leur propre situation comme comparativement moins attractive que celle qui sera offerte aux volontaires ? Cette incertitude est renforcée par l'extension aux futurs volontaires d'importantes dispositions du statut général des militaires de 1972 qui figure dans le texte tel qu'il nous est transmis par l'Assemblée nationale.
De manière générale, cette convergence d'objectifs et de moyens entre les emplois-jeunes et le volontariat contribue à faire de celui-ci non pas un service rendu par les jeunes à la collectivité, mais un service rendu par la collectivité aux jeunes. Comment concilier cette interprétation du volontariat avec la logique du service national, dont le volontariat demeure pourtant un élément ?
Comment confondre la volonté d'atténuer la courbe du chômage et la noble démarche de servir son pays en concourant notamment à sa défense ?
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est également interrogée sur la signification impartie par le présent projet de loi à « l'appel sous les drapeaux », termes qui recouvrent le rétablissement de la conscription.
L'appel sous les drapeaux est, en effet, présenté comme une modalité normale d'accomplissement du service national rénové, sur le même plan que le recensement et l'appel de préparation à la défense.
Cette rédaction induit une certaine banalisation du rétablissement de la conscription, alors que cette décision ne saurait constituer qu'une réponse exceptionnelle à la résurgence d'une menace majeure qui viserait à porter atteinte à nos intérêts vitaux, donc à l'essentiel.
Dans le même ordre d'idée, le premier article qui composera le futur code du service national pose le principe d'un devoir de concourir à la défense du pays qui s'imposerait à tous les citoyens.
Bien sûr, chaque citoyen doit se sentir mobilisé pour la défense de son pays, mais la formulation qui nous est présentée peut paraître contradictoire avec le choix de la professionnalisation et sembler motivée particulièrement par une certaine nostalgie pour le service national obligatoire.
Enfin, alors que le précédent projet de loi avait fondé la transition entre l'ancien et le nouveau service national sur une date de naissance à partir de laquelle serait suspendue la conscription - en l'occurrence la date du 31 décembre 1978 - ce dispositif ayant le mérite de la clarté, le présent projet de loi introduit une inégalité flagrante entre les jeunes, en faisant échapper à toute obligation, que ce soit dans le cadre de l'ancien système ou dans celui du nouveau, tous les jeunes gens nés en 1979.
Il est donc regrettable que le précédent projet de loi, plus ambitieux et plus complet, n'ait pas été retenu de préférence à celui-ci.
J'en arrive maintenant aux modifications proposées par la commission. Ses propositions traduisent non seulement l'esprit positif dans lequel elle a abordé l'examen de ce texte, mais aussi son souci de cohérence avec les positions déjà affirmées par le Sénat dans le cadre de l'examen du précédent projet de loi, ainsi que la volonté de proscrire toute nostalgie pour le système du service national obligatoire à l'heure où nous devons définir les contours d'un système totalement inédit et au moment où prime la nécessité de la professionnalisation.
Ainsi, pour limiter les lacunes de l'« appel de préparation à la défense », la commission a tout d'abord proposé une autre dénomination, plus adaptée à la vocation première de cette obligation, dont l'objectif est avant tout de maintenir un lien privilégié entre la jeunesse et notre armée. La dénomination proposée, « Rencontre armées-jeunesse », présente quant à elle le mérite d'être plus conforme à l'objet du nouveau service national, qui ne saurait être en réalité de préparer véritablement les jeunes à la défense.
D'autre part, la commission a souhaité enrichir le contenu de l'appel de préparation à la défense, que je dénommerai désormais « Rencontre armées-jeunesse », d'un bilan de santé. Même si le texte qu'elle propose n'exclut pas que ce bilan soit effectué à partir d'un examen médical accompli en dehors de la Rencontre armées-jeunesse, la commission a souhaité que le présent projet de loi ménage l'avenir en permettant que la durée de la Rencontre armées-jeunesse ne se limite pas à la seule et modeste journée prévue par le texte.
La commission propose également de modifier la définition du contenu du service national rénové de manière à souligner que, si la conscription - terme préférable à celui d'« appel sous les drapeaux » moins rigoureux juridiquement - peut être considérée comme un élément du futur service national, elle ne saurait être assimilée aux modalités normales d'accomplissement du service national que sont le recensement et la Rencontre armées-jeunesse. Une telle mesure en effet ne doit pouvoir être prise qu'à titre exceptionnel, « si la défense de la nation l'exige ».
En ce qui concerne le volontariat, la commission a souhaité en souligner la spécificité, à la fois par rapport aux emplois-jeunes et par rapport aux engagés. Elle a ainsi voulu tirer les conséquences du fait que la démarche conduisant un jeune à souscrire un contrat de volontaire du service national a peu de choses en commun avec les motivations de ceux qui briguent un emploi-jeunes et de ceux qui décident de s'engager dans les armées. En suggérant de limiter à deux années la durée maximale du volontariat militaire, la commission souhaite clairement séparer le statut des volontaires de celui des engagés, sachant qu'aux plus motivés des volontaires seront proposés des contrats d'engagement qui leur permettront, s'ils le souhaitent, de rester plus longtemps sous les drapeaux.
Dans le même esprit, la commission a estimé prématuré d'étendre d'ores et déjà aux volontaires certains articles du statut général des militaires de 1972. Je citerai notamment l'article relatif aux rémunérations : la rémunération des volontaires peut, en effet, relever d'un régime spécifique sans préjudice pour cette nouvelle catégorie. Je citerai encore les articles relatifs aux congés de reconversion pendant lesquels les personnels militaires continueront de percevoir leur solde tout en suivant, sous statut militaire, une formation professionnelle destinée à préparer leur retour dans la vie civile. Ces congés pouvant durer entre six et douze mois, il devient incohérent d'en faire bénéficier des personnels dont la durée de service pourrait être limitée à deux ans. En revanche, la commission a jugé pertinent de permettre aux volontaires l'accès aux dispositifs d'évaluation et d'orientation professionnelle prévus par le statut général des militaires.
Toujours pour conforter la spécificité du statut des futurs volontaires au sein des armées, la commission propose de rétablir le système de fractionnement que le précédent projet de loi avait créé, en accord avec les armées, pour que certains volontariats militaires puissent s'insérer dans un cursus universitaire et afin que les armées puissent ainsi recruter les éventuels successeurs des actuels scientifiques du contingent.
En ce qui concerne la période de transition, la commission a estimé plus équitable de soumettre les jeunes gens nés en 1979 à l'obligation d'effectuer le service national rénové alors que ces jeunes gens sont, je le rappelle, dispensés de toute obligation. La commission a souhaité, ce faisant, rétablir l'égalité entre les futurs appelés.
Comprenant toutefois qu'il convient de ménager les conditions d'une entrée en vigueur harmonieuse du nouveau système, elle propose, en contrepartie de l'extension du service national rénové aux jeunes gens nés en 1979, de revenir au texte du Gouvernement pour l'application du nouveau système aux jeunes filles afin de reculer celle-ci d'un an par rapport au texte adopté à l'Assemblée nationale. Cette mesure ne remettrait aucunement en cause l'universalité du futur service national.
La commission s'est également interrogée sur la situation complexe des jeunes gens incorporables selon les modalités actuellement en vigueur jusqu'en 2002 et qui, titulaires d'un emploi, perçoivent le service national obligatoire comme une contrainte. Cette difficulté avait été soulevée lors de l'examen du précédent projet de loi. En effet, comment admettre facilement, à un moment où le chômage des jeunes atteint les proportions que nous savons, que des jeunes gens qui ont un emploi quittent celui-ci pour accomplir une obligation vouée à une disparition prochaine ? La solution consistant à dispenser purement et simplement du service national obligatoire les jeunes gens titulaires d'un contrat de travail avait alors été écartée car elle conduit à violer le principe d'égalité devant la loi.
De surcroît, une telle mesure aurait probablement compromis la période de montée en puissance de la professionnalisation en ne garantissant plus nécessairement aux armées la présence d'un nombre d'appelés prévisible, voire suffisant.
La professionnalisation constitue l'objectif majeur de la réforme en cours ; elle est au coeur du projet du Président de la République pour les armées.
En revanche, l'Assemblée nationale et le Sénat étaient convenus de la nécessité d'aménager la législation en vigueur jusqu'en 2002 en élargissant les cas de dispense aux jeunes gens que leur incorporation aurait placés dans une « situation sociale grave » et en garantissant aux appelés qui travaillaient avant d'être incorporés la réintégration dans leur emploi dès leur libération. Ces deux dispositions ont été reprises dans le projet de loi qui nous est soumis.
Souhaitant aujourd'hui aller plus loin, l'Assemblée nationale propose de créer une nouvelle catégorie de reports d'incorporation pour les personnes titulaires d'un contrat de travail de droit privé, qu'il soit à durée déterminée ou indéterminée. Cette initiative pourrait être retenue dans son principe, à condition que soient préservés tant l'égalité devant la loi que les besoins des armées pour assurer efficacement la défense du pays jusqu'au terme de la période de transition.
Dans cet esprit, nous proposons de limiter à une durée maximale de deux ans les reports susceptibles d'être accordés aux titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée. La loi concilierait ainsi la possibilité de profiter pleinement d'une première expérience professionnelle et le respect du principe d'égalité puisque notre proposition exclut que les jeunes concernés par des reports successifs soient, de fait, dispensés du service national. Cette première expérience sera d'ailleurs seulement interrompue temporairement par l'appel, dans la mesure où le présent projet de loi modifie le code du travail pour mettre en oeuvre un droit effectif à réintégration dans l'entreprise à l'issue du service.
Quant à la capacité des armées à prévoir le nombre exact des appelés qui effectueront un service national pendant la période de transition, elle s'en trouvera améliorée.
Nous pensons soumettre ainsi au Sénat un dispositif plus équilibré sur ce point important du projet de loi.
Enfin, la commission s'est inspirée du précédent projet de loi en proposant l'institution d'un Haut Conseil du service national, instance chargée de donner des avis sur la mise en oeuvre du nouveau système. La commission a jugé souhaitable de requérir l'avis de ce Haut Conseil sur le contenu de la Rencontre armées-jeunesse et sur les programmes de l'enseignement relatif aux principes de la défense qui sera dispensé dans le cadre scolaire.
Par ailleurs, la commission a souhaité rappeler les avis susceptibles d'être requis du Conseil supérieur des Français de l'étranger à l'égard des modalités d'accomplissement de la Rencontre armées-jeunesse par nos jeunes compatriotes établis hors de France, même si la disposition ouvrant la possibilité de sessions aménagées « en fonction des contraintes du pays de résidence » paraît prudemment atténuer les difficultés susceptibles de résulter de cette obligation dans certains pays.
Mes chers collègues, compte tenu de l'urgence réelle qu'il y a à mettre en oeuvre la réforme du service national et à apporter des solutions aux problèmes posés par la période de transition, décisive pour nos armées, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté le présent projet de loi, modifié par les amendements que je viens de présenter en son nom. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné ce nouveau projet de loi portant réforme du service national dans un état d'esprit qu'elle a voulu réaliste.
Une majorité d'entre nous souhaitait, bien entendu, la reprise du projet de loi, marqué par plus de souffle et d'ambition, qu'avait présenté le précédent gouvernement, projet sur lequel nous avions beaucoup travaillé et dont la discussion était presque parvenue à son terme.
Il nous a toutefois semblé que l'importance du sujet et son urgence technique imposaient à notre commission d'étudier ce nouveau projet de loi sans a priori, sinon celui de la cohérence des positions sénatoriales, et avec le souci majeur d'apporter une contribution utile à la mise au point du meilleur dispositif possible, au service d'une défense efficace et d'un lien renouvelé entre la nation et son armée.
Malgré ses lacunes, le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, présente pour caractéristique essentielle d'entériner la professionnalisation de nos forces armées, montrant par là que c'est un choix définitif que le nouveau gouvernement assume et dont il souhaite réussir la mise en oeuvre.
La décision proposée par M. le Président de la République, que nous avons approuvée, ne pouvait être remise en cause. Elle ne le sera pas.
M. Emmanuel Hamel. Hélas !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. Nous nous réjouissons d'autant plus de ce ralliement élargi à la professionnalisation que celle-ci est au coeur de la rénovation globale de notre système de défense entreprise en février 1996 et dont la loi de programmation militaire pour la période 1997-2002 a constitué la première traduction législative.
Cette réforme vise à répondre à l'évolution radicale qu'a connue l'environnement international au cours de la dernière décennie et à la nécessité pour notre pays de disposer de forces modernes, plus disponibles et projetables, si nécessaire, loin du territoire national. La professionnalisation constitue, c'est en tout cas ma conviction, la réponse cohérente à cet impératif.
De surcroît, il était de toute façon devenu inéluctable, nous le savons bien, de réformer radicalement un service national qui ne répondait plus à ses objectifs fondamentaux, que ce soit en termes d'efficacité militaire ou au regard des principes d'universalité et d'égalité qui étaient supposés en constituer le fondement.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Emmanuel Hamel. Il fallait le réformer, et non le détruire !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. L'objet de ce projet de loi est donc de donner à notre défense les moyens de réussir cette indispensable professionnalisation.
Mais cette réforme délicate doit aussi garantir la réversibilité de la suspension de la conscription dès lors que la sécurité de notre pays l'imposerait. Car, si la réforme que nous mettons en oeuvre répond pleinement à la nouvelle donne internationale, qui peut dire avec assurance quelle sera la situation géostratégique dans vingt ans, dans trente ans, dans quarante ans ou dans cinquante ans ?
Enfin, l'organisation de la période de transition jusqu'en 2002 doit garantir tout à la fois, d'ici là, la montée en puissance du nouveau régime et les modalités d'appel des jeunes gens pour satisfaire, à tout moment, les besoins de nos armées ; cela est, à nos yeux, essentiel.
Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, met l'accent sur les questions proprement militaires. Il rejoint en cela une préoccupation que le Sénat avait exprimée à l'occasion de l'examen du précédent projet de loi. J'évoquerai, à cet égard, deux de vos propositions.
D'abord, le développement de l'information des jeunes sur les questions de défense dans l'enseignement dispensé dans nos établissements scolaires doit constituer un élément important de la préservation de l'esprit de défense ; cela correspond d'ailleurs à l'une des conclusions prioritaires émises par notre commission, dès mai 1996, dans l'excellent rapport d'information de M. Serge Vinçon sur l'avenir du service national. Mais nous savons bien que l'efficacité de cette démarche, qui est au coeur de la réussite du projet, dépendra des modalités de sa mise en oeuvre.
Comment appréciez-vous à cet égard, monsieur le ministre, l'idée émise par certains de nos collègues d'élaborer un nouveau protocole éducation-défense afin d'organiser, de la manière la plus efficace possible, cette sensibilisation de l'ensemble de la jeunesse aux problèmes de défense ?
Nous approuvons, d'autre part, l'idée de permettre aux jeunes Français qui le souhaiteront de suivre une préparation militaire, au cours de laquelle une instruction militaire de base leur sera dispensée. Cette préparation militaire viendra renforcer la professionnalisation en favorisant à la fois la mise en place de forces de réserve efficaces et le renforcement du lien entre les armées et la jeunesse.
Ces points positifs étant relevés, il reste que la réforme qui nous est aujourd'hui proposée nous est apparue, sinon minimaliste, du moins singulièrement dépourvue d'ambition et beaucoup moins complète que le précédent projet de loi. Je donnerai à cette égard quelques exemples concernant les deux volets principaux de la réforme élaborée par votre prédécesseur, à savoir le « rendez-vous citoyen » et les volontariats.
Sur le premier point, vous nous proposez l'abandon d'un rendez-vous ambitieux au profit d'un modeste - le mot est faible ! - « appel de préparation à la défense », réduit à une petite journée.
Je tiens d'abord à rappeler que, si notre commission n'avait pas plaidé pour un rendez-vous citoyen trop long et si elle avait mesuré les difficultés de l'entreprise, elle avait approuvé la raison d'être de ce projet et apprécié son ambition : donner une seconde chance aux jeunes en difficulté et participer ainsi à la réduction de la fracture sociale.
Cette ambition est aujourd'hui abandonnée, ce qui m'étonne de vous, monsieur le ministre. Nous déplorons et nous craignons que l'objectif fondamental de ce rendez-vous - préserver le lien armée-nation - ne puisse pas être atteint avec les quelques heures que vous nous proposez.
Nous avions, hier, défendu l'idée d'une limitation éventuelle de la durée du rendez-vous citoyen. Nous regrettons, aujourd'hui, l'excessive brièveté de l'appel que vous nous proposez et nous redoutons fort que cette journée unique, si elle est finalement retenue, ne puisse atteindre son but, qu'elle ne soit rapidement considérée comme une formalité, trop vite expédiée, bientôt oubliée.
M. Emmanuel Hamel. C'est évident !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. Je souligne, enfin, que notre commission a fait preuve, dans cette affaire, d'une grande constance - même si elle n'a pas été totalement entendue - puisque le rapport d'information de M. Vinçon concluait déjà, voilà presque dix-huit mois, à la nécessité d'un « système inspiré des trois jours », qui seraient rénovés et éventuellement élargis.
Je formulerai trois observations sur le dispositif qui nous est soumis.
En premier lieu, monsieur le ministre, sans attacher une importance excessive à cette question de terminologie, nous souhaitons, je ne vous le cacherai pas, que les travaux législatifs conduisent à l'adoption d'une appellation plus satisfaisante que celle d'« appel de préparation à la défense », l'APD, qui nous paraît à la fois peu convaincante et quelque peu fallacieuse.
M. Philippe Marini. De plus, ça ne sonne pas très bien ! (Sourires.)
M. Xavier de Villepin, président de la commission. Laisser entendre que les jeunes de ce pays bénéficieront, en quelques heures - en quelques minutes, serais-je tenté de dire -, d'une véritable « préparation à la défense » me semble trompeur.
M. Emmanuel Hamel. C'est grotesque, tragiquement grotesque !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. De surcroît, nous estimons essentiel de souligner l'objet central de ce rendez-vous : préserver le lien armée-nation. C'est pourquoi nous proposons de retenir la dénomination - j'en rends hommage à son auteur - de « Rencontre armées-jeunesse ».
En deuxième lieu, sur le fond, nous déplorons qu'aucun bilan médical ne soit prévu à l'occasion de cette journée, contrairement à ce qui était envisagé dans le « rendez-vous citoyen » comme, d'ailleurs, dans les propositions de notre commission sur l'avenir du service national. Cette disparition de tout bilan de santé nous paraît dommageable à la fois quant à l'information des jeunes intéressés eux-mêmes, au regard de la fiabilité des données sur l'état sanitaire de la jeunesse et, éventuellement, pour nos armées, dans l'hypothèse d'une réactivation de la conscription, qui exigerait non seulement un recensement fiable mais aussi une capacité opérationnelle de sélection médicale et psychotechnique.
Pour cette raison aussi, nous craignons, en troisième lieu, que la durée de l'« appel » envisagé ne soit beaucoup trop courte pour permettre d'atteindre les objectifs visés. Faut-il d'ailleurs inscrire d'ores et déjà cette durée dans le marbre législatif ? Ne devons-nous pas, plutôt que de figer d'emblée les choses, laisser la porte ouverte aux adaptations que l'expérience imposera ? Je crois, d'une manière générale, que nous devons, pour réussir la réforme proposée, faire preuve de tout le pragmatisme nécessaire. Vous me permettrez, monsieur le ministre, de vous redire ici, mot pour mot, ce que j'affirmais devant votre prédécesseur, le 4 mars dernier : « Le cadre législatif que nous devons mettre au point aujourd'hui ne doit pas être trop rigide mais doit au contraire avoir pour principale caractéristique la souplesse, de manière à permettre les adaptations et les améliorations que sa mise en oeuvre suggérera. »
Pour conclure sur les modalités de cette « Rencontre armées-jeunesse », je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez donner au Sénat votre sentiment sur deux points.
Tout d'abord, pourquoi n'envisagez-vous pas d'organiser les premières sessions de cette rencontre avant le mois d'octobre 1998, ce qui permettrait, en particulier, de résoudre de façon plus satisfaisante la question de la classe d'âge des jeunes nés en 1979, qui se trouvent écartés, dans votre projet de loi, à la fois de l'ancien et du nouveau système ?
Ensuite, quelles modalités précises d'accomplissement de l'obligation prévoyez-vous pour les jeunes Français résidant à l'étranger ?
J'en viens maintenant aux volontariats, qui constituent le second défi majeur à relever dans l'optique de la réforme du service national, celui sur lequel les incertitudes restent les plus grandes. Le projet de loi nous laisse, à cet égard, sur notre faim. En effet, la question du volontariat y est à peine esquissée, en tout cas pour les volontariats civils, dont la définition des conditions d'exécution est renvoyée à une loi ultérieure, qui me paraît d'ailleurs tomber déjà dans l'oubli.
S'agissant des volontaires dans les armées et la gendarmerie, le nombre de postes, qui est de 21 171, doit être conforme aux dispositions de la loi de programmation, et nous nous en félicitons. Un certain nombre de dispositions, prévues dans le projet de loi ou annoncées par le Gouvernement, ont été prises pour modifier la situation de ces volontaires militaires par rapport à ce qui avait été envisagé au printemps dernier, qu'il s'agisse de la durée des volontariats, du statut ou des missions confiées aux volontaires et, enfin, de la rémunération et des avantages en nature dont ils bénéficieraient. Ceux-ci seraient beaucoup plus substantiels que ce qui était initialement envisagé.
La logique des emplois-jeunes semble l'avoir emporté sur la logique de générosité et de première expérience qui caractérisait le précédent projet de loi. Ainsi, la spécificité du volontariat du service national disparaît, et nous nous interrogeons, dans ces conditions, sur le maintien d'une différenciation entre la situation de ces volontaires militaires et le statut des engagés. Le risque de confusion nous paraît réel, et justifie en particulier, à nos yeux, une limitation de la durée de ces volontariats militaires. Il faut aussi souligner le surcoût très substantiel qui résultera pour le budget de la défense - lequel se serait bien passé de cette charge supplémentaire, monsieur le ministre - de ce doublement de la rémunération des volontaires.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. La définition du statut des volontaires civils est, quant à elle, explicitement reportée à un projet de loi ultérieur. Or il aurait été plus cohérent de fixer toutes les dispositions législatives relatives aux volontariats par une même loi, dès lors que le texte que vous nous présentez inclut dans le périmètre du service national les activités d'intérêt général que des volontaires pourront accomplir.
Je crois en effet indispensable de prévoir les dispositions nécessaires pour assurer la pérennité d'actions actuellement exercées dans le cadre de la conscription et qui gardent un lien étroit avec le service de la nation. La commission tient à souligner, dès aujourd'hui, l'importance que revêtent, pour nos jeunes et pour notre pays, les volontariats qui pourront être effectués à l'étranger, lesquels sont particulièrement utiles à la présence et à l'influence de la France dans le monde.
A cet égard, je rappelle le rôle précieux joué aujourd'hui par des appelés au sein de notre réseau d'établissements scolaires à l'étranger. Nous sommes également très attachés à ce que les modalités qui seront retenues permettent de maintenir, et si possible de développer, sous les formes les plus adaptées, les missions des actuels CSNE, les coopérants du service national en entreprise.
Mais de nombreuses questions restent à trancher. Dès lors que vous avez choisi de ne pas reprendre les solutions soigneusement élaborées voilà quelques mois, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, l'état actuel des réflexions gouvernementales ? Pouvez-vous nous préciser, en particulier, si les conditions d'exécution des volontariats civils - je pense notamment à leur durée et à leur rémunération - doivent être, dans votre esprit, analogues à celles des volontariats militaires ? Comment concevez-vous, de manière générale, les relations entre le volontariat civil et l'emploi des jeunes ? Il y a là aussi, à nos yeux, un risque de confusion regrettable.
Enfin, qui financera la rémunération et la protection sociale de ces volontaires civils ? Il ne se passera pas longtemps avant que l'on ne regrette le rôle joué par nos armées dans ce domaine...
M. Emmanuel Hamel. Eh oui, c'est sûr !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. Je conclurai d'un mot, mes chers collègues, en soulignant que le texte sur le service national dont nous débattons aujourd'hui, s'il a une particulière importance, n'est qu'un élément du vaste dispositif législatif nécessaire à la mise en oeuvre de la réforme, complète et cohérente, de notre système de défense. La réussite de cette réforme, voulue et engagée par le Président de la République, et celle du processus de professionnalisation exigent de disposer des moyens financiers adaptés.
Le respect de la loi de programmation militaire 1997-2002, dont la mise en oeuvre commence bien mal, monsieur le ministre,...
M. Emmanuel Hamel. Très mal !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. ... constitue de ce fait, à nos yeux, un impératif qui ne saurait être remis en cause, parce qu'il conditionne précisément le succès et la cohérence de la réforme entreprise.
Vous savez, monsieur le ministre, que le Sénat et sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sont fermement attachés à la réussite de celle-ci. Ne doutez pas que nous serons, sur ce point, particulièrement vigilants. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 44 minutes ;
Groupe socialiste : 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes remarques s'inscriront dans l'optique fort opportunément définie par M. le rapporteur et par M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. de Villepin nous a appelés à la vigilance ; cette vigilance, nous devrons l'exercer avec soin au cours des années à venir, pour observer les évolutions et pour, s'il le faut, alerter l'opinion.
Je souhaite, monsieur le ministre, rendre hommage, d'entrée de jeu, à la qualité des travaux effectués sous votre autorité, notamment par la direction centrale du service national, qui, sur ce sujet délicat, dans ce débat ô combien périlleux, s'est efforcée de trouver des solutions, de faire preuve d'imagination et de s'adapter à une situation mouvante, à des circonstances évolutives.
Nous savons tous, mes chers collègues, que le thème que nous abordons aujourd'hui est éminemment délicat ; il s'agit d'un sujet de société, d'un sujet fondamental en termes de valeurs républicaines.
Nous savons aussi que, en pareille matière, nous cheminons toujours sur un chemin de crête, et que l'équilibre est difficile à trouver entre des objectifs différents et des préoccupations diverses.
Vous avez assumé, monsieur le ministre, le choix de la professionnalisation ; il n'y a pas lieu d'y revenir. Pour ma part, sans pour autant me dissimuler les difficultés ou les embûches qu'il recèle, je comptais parmi ceux qui étaient intellectuellement acquis à ce choix.
L'équilibre est très délicat à trouver ; nous pensions y être parvenus, mais j'estime quant à moi que cet équilibre est aujourd'hui quelque peu perturbé par le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre.
En effet, l'armée professionnelle est une option qu'il nous faut prendre pour des raisons géostratégiques et pour garantir l'efficacité de notre outil de défense, dans le cadre des possibilités présentes de notre pays en Europe. Mais, ce choix étant fait, il faut tâcher de maintenir et de valoriser au moins trois choses essentielles : l'esprit de défense, le volontariat et les réserves.
Sur ce point, je souscris tout à fait aux doutes et au souci d'amélioration qui ont été exprimés par la commission.
Ainsi, l'esprit de défense devait être inculqué lors d'un rendez-vous citoyen qui avait été élaboré à cette fin et qui constituait un mécanisme très délicat, une pièce fort complexe, laquelle devait permettre de faire la synthèse, en cinq jours, de divers apports : l'apport éducatif, l'apport sanitaire, l'apport patriotique. Le composé était extrêmement subtil.
Mais je pense pour ma part que, avant de le condamner, il eût fallu au moins l'expérimenter, et que la réduction de cette phase en quelque sorte initiale, voire initiatique, telle qu'on l'avait voulue voilà quelques mois, à quelques heures regroupées au sein d'une seule journée pose véritablement la question de savoir si l'esprit de défense pourra être éveillé dans ces conditions.
Par ailleurs, s'agissant du volontariat, la commission a fort bien posé la question, monsieur le ministre : quel est l'espace laissé au volontariat entre, d'une part, le dispositif emplois-jeunes, dont nous avons largement débattu sur ces travées voilà seulement quelques jours, et, d'autre part, les contrats d'engagement classiques au sein des forces armées ? Ne risquons-nous pas de perdre sur un terrain ce que nous aurons gagné sur un autre ?
Je prends un exemple. Le service national, tel qu'il est organisé actuellement, nous permet de disposer, dans nos commissariats de police, notamment pour les quartiers difficiles, que vous connaissez bien, d'appelés du service national, en l'occurrence de policiers auxiliaires. Demain, nous dit-on, des auxiliaires de police seront employés dans le cadre du nouveau dispositif gouvernemental. Toutefois, y aura-t-il encore des appelés du service national ? Globalement, la somme sera-t-elle positive en termes de civisme et de sécurité publique ? Par cet exemple particulier, mais je pourrais en prendre d'autres, je me permets d'exprimer un doute sérieux sur le caractère de progrès de ce qui nous est proposé. Il y a donc là un vrai sujet.
Sur le plan financier ou budgétaire, l'économie qui résulte de la suppression du rendez-vous citoyen me paraît être consommée par le coût des rémunérations de ces « quasi-emplois » de jeunes qui ne seront plus des appelés et qui ne seront pas non plus véritablement des volontaires.
L'équilibre du précédent projet, tel qu'il avait été élaboré, dans des conditions fort délicates, par votre prédécesseur, a été sérieusement perturbé. Vous me pardonnerez, je l'espère, de préférer le précédent équilibre à celui qui nous est aujourd'hui soumis.
M. Jean-Louis Carrère. Chacun a droit à la nostalgie !
M. Emmanuel Hamel. L'équilibre était déjà funeste, mais il l'était moins !
M. Philippe Marini. Il y a différence de degré, sinon de nature.
Il s'agit, en troisième lieu, de préserver les réserves. M. le président de la commission et M. le rapporteur ont évoqué la préparation militaire, qui est une autre façon de valoriser l'esprit de défense. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous dire comment vous voyez l'organisation du dispositif des réserves dans le cadre du texte que vous nous proposez.
En définitive, les dispositions que vous nous soumettez sont, me semble-t-il, de nature à accroître le traumatisme déjà profond qu'induit nécessairement une réforme aussi capitale. Nos officiers sont bien entendu républicains et ils savent s'adapter à ce qui leur est demandé. Cependant, il ne faut pas sous-estimer les changements très significatifs et brutaux qui interviennent dans l'organisation des carrières, voire dans les modes de vie au sein de nos forces armées.
Ce sont des changements en profondeur, un véritable traumatisme, et le point d'équilibre, moins satisfaisant que le précédent, que vous nous proposez est de nature à aggraver encore ce traumatisme.
Enfin, ce traumatisme s'exprime bien entendu en termes budgétaires. L'une des toutes premières initiatives qui ont été prises cet été dans le cadre du décret d'avance a été l'annulation de deux milliards de francs sur votre budget, monsieur le ministre. Vous avez défendu ce budget avec toute la pugnacité que nous vous connaissons mais, bien sûr, le couperet est tombé. Ce sont deux milliards de francs qui, dans le cours de l'année 1997, eussent été certainement bien utiles pour atténuer certaines difficultés ici ou là.
Parmi ces difficultés, vous comprendrez que je doive évoquer des enjeux d'aménagement du territoire, des problèmes localisés dans l'espace, problèmes très concrets que nous vivons les uns et les autres.
Les sites du rendez-vous citoyen avaient été déterminés par le précédent gouvernement en compensation de restructurations qui avaient été rendues nécessaires par la professionnalisation des forces armées. Je vais les citer : Mâcon, Compiègne, Nîmes - qui étaient les trois centres expérimentaux - Sathonay, dans le Rhône, Montbéliard, Toul, ou plus exactement Ecrouves, Auch, Châteaulin, Limoges, Orléans, sites auxquels s'était ajoutée un peu plus tardivement la ville de Laon.
S'agissant de toutes ces localisations, le gouvernement d'alors avait cherché à proposer des compensations par rapport à la disparition de régiments.
Si je prends, sans y insister excessivement, l'exemple de la ville que j'ai l'honneur d'administrer,...
M. Emmanuel Hamel. Qui a la chance de vous avoir pour maire !
M. Philippe Marini. ... il s'agissait de la compensation pour la dissolution de deux régiments. Donc, deux régiments : un centre de rendez-vous citoyen.
Cela venait d'ailleurs à l'issue de deux opérations successives, qui sont intervenues respectivement en 1993 et en 1995.
En 1993, avait eu lieu un examen très général des enjeux, examen dont il faut saluer le principe et qui avait mobilisé deux chargés de mission, l'un du ministère de l'intérieur, l'autre étant un contrôleur des armées émanant du ministère de la défense. Avaient été définies certaines priorités dans divers domaines. M. Edouard Balladur, à l'époque Premier ministre, avait arbitré en faveur de tous les sites concernés un certain nombre de mesures compensatoires qui n'étaient pas nécessairement toutes militaires.
En 1995, le dispositif avait été conçu de manière plus étroite. Pour le cas qui me préoccupe plus particulièrement, c'était un dispositif de nature militaire : un régiment supprimé, un centre de rendez-vous citoyen. Malgré les incertitudes qui affectaient cette formule, le maintien de l'activité économique et du pouvoir d'achat semblait assuré.
Aujourd'hui, nous sommes en attente de propositions de solution, et c'est le sens de la démarche effectuée en particulier avec notre collègue M. Louis Souvet, maire de Montbéliard. Nous pensons, monsieur le ministre, que vous ne manquerez pas d'examiner avec attention les difficultés qui vous sont signalées.
En conclusion, je voudrais souligner que, dans une telle situation, il faut prendre en compte, vous le savez fort bien, non seulement l'activité, le nombre d'emplois, mais aussi l'espace.
Le fait que, dans une ville, Compiègne, cent hectares, qui sont donc dans le tissu urbain, seraient complètement en déshérence constitue, à l'évidence, un grand point d'interrogation sur l'avenir. Ce point d'interrogation, il faut s'efforcer de le lever. Je souhaiterais vivement que nous puissions le faire ensemble, dans l'esprit toujours constructif qui a régné jusqu'à présent lors de l'examen de tels sujets par le ministère de la défense.
Telles sont les quelques considérations très concrètes et de portée générale que je souhaitais formuler. Bien sûr, je souscrirai aux conclusions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en votant les amendements qu'elle présentera. (Applaudissements sur le travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)

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