EMPLOI DES JEUNES
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 423, 1996-1997),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au
développement d'activités pour l'emploi des jeunes. [Rapport n° 433
(1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, est-il utile de vous rappeler avec quelle
acuité se pose le problème du chômage des jeunes dans notre pays ?
Six cent mille jeunes de moins de vingt-cinq ans et 800 000 jeunes de moins de
vingt-sept ans sont à la recherche d'un emploi. Cela correspond à un taux de
chômage de 26 %, qui place malheureusement la France en avant-dernière position
parmi les grands pays de l'OCDE.
Lutter contre le chômage des jeunes est, vous le savez, l'objectif majeur de
ce projet de loi que j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui au Sénat.
Les riches débats que nous avons pu avoir le 23 septembre dernier avec la
commission des affaires sociales illustrent, s'il en était besoin, le fait que
chacun ici ressente tout à la fois la nécessité et l'urgence d'une réponse
adaptée à l'inquiétude des jeunes et de leurs familles.
La discussion à l'Assemblée nationale a déjà permis de préciser et d'améliorer
le dispositif qui permettra à 350 000 jeunes d'entrer dans la vie active.
Le texte que vous allez examiner constitue, vous le savez, l'un des volets du
programme du Gouvernement en faveur de l'emploi.
Si nous devons tout faire pour que la croissance soit la plus forte possible,
nous ne pouvons tout en attendre, comme nous l'avons trop souvent fait, les uns
et les autres, ces dernières années. Avec une croissance de 3 %, ce que les
économistes prévoient pour les prochaines années, le taux de chômage resterait
malgré tout très élevé, c'est-à-dire autour de 11 ou 12 %.
Aussi le premier axe de notre politique vise-t-il à relancer la croissance,
qui passe prioritairement, aujourd'hui, par une augmentation de la
consommation. Il faut redonner du pouvoir d'achat, particulièrement à ceux qui
en ont besoin.
Nous avons commencé à le faire au mois de juin, avec la revalorisation du SMIC
de 4 %, avec le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, avec la
revalorisation de l'aide personnalisée au logement, l'APL. Nous poursuivons
cette action aujourd'hui avec le basculement des cotisations salariales vers la
contribution sociale généralisée, la CSG, qui va redonner plus de 1 % de
pouvoir d'achat aux salariés et à une grande majorité des actifs, et maintenir
celui des retraités, des fonctionnaires et des chômeurs.
Le deuxième axe de cette lutte contre le chômage sera abordé lors de la
conférence nationale sur l'emploi du 10 octobre. Il concerne principalement la
réduction de la durée du travail, mais aussi les embauches des jeunes dans le
secteur privé ; à cet égard, je pense particulièrement au système de formation
en alternance auquel certains d'entre vous sont très attachés.
Le troisième axe concerne la recherche des métiers de demain et leur
soutien.
Il s'agit tout d'abord des emplois dans les nouvelles technologies comme
celles de l'information, où la France a un retard certain qu'il va falloir
combler. Le prochain projet de loi de finances vise d'ailleurs à aider les
entreprises qui investissent dans ces nouvelles technologies.
Il s'agit bien sûr, également, du soutien aux petites et moyennes entreprises
qui, dans notre pays, plus que les grandes entreprises, créent des emplois.
Il s'agit encore de répondre à des besoins nouveaux et, dans le fond,
d'inventer ensemble les activités et les métiers de demain, donc les emplois de
demain.
Ce projet de loi vise justement à répondre à des besoins émergents ou non
satisfaits par la création d'activités d'utilité sociale, culturelle, sportive,
d'environnement et de proximité.
Il permettra à 350 000 jeunes d'entrer durablement dans la vie active en
faisant d'eux de véritables agents du développement économique.
Au vu des amendements adoptés par la commission et à la lecture du rapport de
M. Souvet, j'aborde ce débat avec la conviction que nous pouvons approfondir
notre réflexion et que nos échanges permettront de mieux cerner ce que doit
être ce projet de développement d'activités pour l'emploi des jeunes.
Si nous savons éviter entre nous les mauvaises querelles, nous pourrons nous
accorder sur la majorité des moyens à mettre en oeuvre pour servir une ambition
qui doit nous être commune.
En effet, chacun ici, je crois, s'accorde sur notre échec collectif à l'égard
du chômage et sur la nécessité d'innover pour réussir.
J'entends bien, ici ou là, l'évocation du coût du chômage pour tenter
d'expliquer nos échecs. Les études économiques réalisées aussi bien en France
que dans des pays qui ont effectué des expériences, comme la Grande-Bretagne,
n'ont jamais mis en évidence l'impact négatif que pourrait avoir le SMIC sur
l'emploi des jeunes. En revanche, il existe bien un problème lié aux charges
qui pèsent aujourd'hui sur les salaires.
Comme vous le savez, le Gouvernement ne compte pas revenir sur les réductions
de charges sociales qui ont été prévues notamment pour les bas salaires, ces
dernières années, mais il poursuivra les réductions de charges qui, en France,
pèsent beaucoup plus sur les salaires que sur les autres revenus. C'est ainsi
que nous prévoyons d'instaurer, dans le projet de loi de financement de la
sécurité sociale, une nouvelle assiette pour les cotisations sociales :
dorénavant, celles-ci seront assises sur l'ensemble des revenus.
De la même manière, nous travaillons pour modifier, dès l'année prochaine, les
cotisations employeurs, afin que celles-ci ne soient pas assises uniquement sur
les salaires.
C'est avec le même objectif que nous entendons rééquilibrer - là aussi, le
projet de budget pour 1998 le montre - les prélèvements entre les revenus du
travail et ceux du capital.
Par conséquent, nous nous appliquons effectivement à réduire les charges
sociales qui pèsent aujourd'hui sur les salaires, notamment les plus bas, et
qui défavorisent l'emploi.
Faut-il, comme certains le font, se tourner vers le système de formation pour
apporter une explication au chômage des jeunes ? Y aurait-il pénurie de
main-d'oeuvre qualifiée dans notre pays ?
Très franchement, je ne le crois pas, à quelques exceptions près, pour des
qualifications très ciblées. Les moyens déployés depuis les années quatre-vingt
ont en effet permis de doubler en quinze ans la proportion d'une classe d'âge
parvenant au niveau du bac, alors même que la proportion des sans-diplômes a,
dans le même temps, été divisée par trois.
Il demeure néanmoins, il faut bien le dire, que 65 000 jeunes sortent
aujourd'hui chaque année de l'éducation nationale sans aucun diplôme. Mais ils
ne constituent que 8 % des jeunes qui sont aujourd'hui au chômage ou qui ont un
emploi aidé !
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas tout faire pour en réduire encore le
nombre et la proportion, mais il n'est donc pas possible de conclure à une
carence globale de main-d'oeuvre qualifiée.
Peut-on alors avancer, comme le font certains, que le chômage des jeunes a
pour cause une inadéquation entre la formation initiale et les besoins des
entreprises ?
Je crois ici que beaucoup de progrès ont été accomplis, notamment grâce à la
formation en alternance, même si nous devons encore avancer, peut-être pour en
simplifier les modalités et pour les rendre plus souples et plus proches de la
réalité des progrès techniques engagés dans les entreprises.
Si personne ne doit négliger la poursuite de notre réflexion pour améliorer
notre système éducatif, comme le fait M. Claude Allègre actuellement, nous
devons chercher d'autres moyens de lutter contre le chômage en ouvrant de
nouveaux horizons de croissance.
Je pense que nous sommes là au coeur du sujet qui nous intéresse aujourd'hui.
En effet, la France vit un curieux paradoxe : notre pays est riche, et même
très riche si on le compare à d'autres pays de la planète ; pourtant, des
besoins essentiels ne sont pas aujourd'hui satisfaits, ou le sont mal. Sans
doute est-ce parce que nos richesses sont mal réparties, ou parfois mal
utilisées, mais nous connaissons un taux de chômage massif.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, et principalement pendant les Trente
Glorieuses, notre croissance a été tirée très largement par la consommation des
ménages en biens individuels et durables : le logement, l'équipement de la
personne, de la maison, l'électroménager, l'acquisition de l'automobile et,
aujourd'hui, de l'audiovisuel dans la majorité des foyers, voilà qui a permis
d'asseoir une croissance forte que nous ne connaissons plus ces dernières
années.
Aujourd'hui, nous connaissons essentiellement des marchés de renouvellement
et, malheureusement, l'apparition de nouveaux produits dans les secteurs de la
micro-informatique ou du multimédia ne remplacera pas la forte demande de biens
durables que nous avons connue depuis la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd'hui, les besoins prioritaires sont ailleurs. Ils résident
principalement dans les services, dans des domaines aussi divers que les
services aux personnes, la protection de l'environnement, la qualité de la vie
ou l'épanouissement de la personne, secteurs où il faut bien reconnaître nos
difficultés à organiser l'offre et à solvabiliser la demande.
Les réponses à ces besoins doivent trouver leur traduction dans des
prestations identifiées, dans des prestations de qualité qui correspondent à de
vrais métiers.
La première étape, qui vise à l'organisation de cette offre, est coûteuse et
présente forcément des risques. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas
l'entamer. Il ne faut pas renoncer et, pour ce qui me concerne, je ne m'y
résous pas.
L'ambition du Gouvernement est bien de mener une politique volontariste,
inscrite dans la durée, afin de répondre à ces besoins et d'améliorer notre vie
collective et notre façon de vivre ensemble. Il s'agit bien évidemment - c'est
notre objectif - de créer des emplois durables, surtout pour les jeunes. Si les
entreprises et les marchés ne sont pas prêts à investir aujourd'hui dans ces
secteurs parce qu'ils ne sont pas directement solvables, il est donc du devoir
de la puissance publique d'engager une politique d'investissement pour préparer
la réalisation de ces activités qui rendront possible, un jour, la transition
vers le marché.
M. Jacques Mahéas.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est le sens et la portée du
texte qui vous est soumis aujourd'hui. A cet égard, je voudrais revenir sur
certaines assertions que j'ai pu entendre parfois ou sur certaines discussions
que nous avons pu avoir, notamment en commission.
Que les choses soient claires ! Et je m'adresse ici en particulier à certains,
peu nombreux il est vrai, qui ont cru pouvoir détecter dans notre programme la
création de 350 000 nouveaux emplois dans la fonction publique. Rien dans ce
texte ne répond à cette logique. D'ailleurs, nous en reparlerons lorsque nous
discuterons d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, à l'article L.
322-4-8, qui précise que ces emplois ne peuvent en aucun cas se situer dans le
champ traditionnel des compétences du secteur public.
Nous n'avons pas l'intention de placer des jeunes comme « bouche-trous » dans
des administrations ou dans des petits boulots que des agents publics ne
voudraient pas remplir. Nous nous situons dans une démarche extrêmement
différente, qui vise à répondre à de nouveaux besoins qui sont aujourd'hui en
dehors du champ des collectivités locales et des services publics. Je le redis
devant vous, ces emplois, dans leur grande majorité, ont pour vocation d'être
pérennisés dans le secteur marchand ou associatif.
Ces emplois, par ailleurs, ne feront pas concurrence au secteur marchand
existant. Dans certains endroits, en effet, et pour certains publics, le marché
a déjà organisé certaines réponses parce que les financements existaient.
Il faudra donc examiner la concurrence, le climat, l'environnement économique
de chaque projet et ne pourront être retenus ceux qui, pour une catégorie
particulière, dans un lieu déterminé, feraient concurrence à des réponses qui
ont déjà été mises en place par le secteur marchand. Cela fait partie des
conditions
sine qua non
pour qu'un projet soit accepté.
D'autres estiment encore que, si ces emplois ne sont pas des emplois de
fonctionnaires, ils viendront s'ajouter à la longue liste des emplois aidés que
nous avons connus ces dernières années.
A ceux-là je réponds que ce projet de loi relève non pas du traitement social
du chômage, dont nous avons tous usé quand nous n'en avons pas, parfois, abusé,
mais bien d'une logique tout à fait nouvelle et originale qui vise, pour
l'Etat, à investir vers un nouveau modèle de développement susceptible de faire
émerger de nouvelles activités qui, demain, seront portées par le secteur
privé.
Nous sortons ainsi d'une logique d'insertion et d'accompagnement du chômage -
qui continue à rester essentielle pour ceux de nos concitoyens qui sont en
difficulté - pour entrer dans une logique de création d'emplois appelés à se
pérenniser.
Nous sortons ainsi d'une logique de guichet, pour promouvoir une action
publique qui valorise la notion de projet.
S'agissant des futurs employeurs, il ne leur suffira pas de demander l'aide de
l'Etat pour l'obtenir ! Les appels à projet seront encadrés par des cahiers des
charges qui, malgré leur simplicité et leur souplesse, exigeront d'eux une
vision réaliste de ce que pourra être l'avenir des métiers créés. Nous
vérifierons qu'il ne s'agit pas d'emplois publics ; nous vérifierons qu'ils ne
font pas concurrence aux emplois privés ; nous retiendrons les projets qui ont
une chance de pérennisation et de professionnalisation.
Voilà toute la démarche suivie au travers de ce projet de loi.
Quant aux bénéficiaires du dispositif, ils seront recrutés par l'employeur
sous réserve de l'adéquation de leur profil aux métiers envisagés.
Ainsi, à l'aide à la personne se substitue une aide au poste. Cette approche
est d'ailleurs sortie renforcée de l'examen du texte par l'Assemblée nationale,
qui a adopté un amendement précisant que, dans l'hypothèse où un jeune
sortirait du dispositif avant le terme de cinq ans, l'employeur ne
bénéficierait de l'aide de l'Etat que pour la durée restant à courir.
Je le répète, ces emplois ne se subsitueront en aucune manière à des emplois
de la fonction publique ou à des emplois similaires qui auraient été créés
localement dans le secteur marchand. Comme je l'ai dit devant de nombreux élus,
notamment devant les grandes associations qui regroupent les maires ou les
conseillers généraux, il n'est pas question ici de remplacer des agents qui
partiraient en retraite ou de conforter des services dans des mairies ou dans
des conseils généraux.
Pour définir ce que seront ces emplois de demain, le Gouvernement a privilégié
la voie de l'efficacité en adoptant une attitude de confiance vis-à-vis des
acteurs locaux, des collectivités locales ou des associations, qui, pour un
certain nombre d'entre eux, comme l'a fort justement relevé votre commission
des affaires sociales, ont déjà réalisé des expérimentations dans ces domaines.
Je pourrais ainsi - mais, rassurez-vous, je ne le ferai pas - décrire les
réalisations que M. Pierre Mauroy a mises en place à Lille, et peut-être M.
Souvet évoquera-t-il dans son intervention ses propres expériences à
Montbéliard. Quoi qu'il en soit, l'aide de l'Etat doit favoriser la
généralisation et la multiplication de telles innovations.
Loin de transférer vers les collectivités locales des contraintes budgétaires
et des responsabilités qu'il ne souhaiterait plus assumer, l'Etat réalise un
effort sans précédent en contribuant au financement de ces emplois à 80 % du
SMIC pendant cinq ans. Cet effort représente aujourd'hui 92 000 francs par an,
qui seront revalorisés chaque année au 1er juillet.
J'ajoute que le Premier ministre a été sensible aux demandes des élus visant à
ne pas accroître les contributions des collectivités locales cette année : vous
l'avez constaté, le projet de budget pour 1998 ne comporte pas de contribution
supplémentaire à cet égard. Ce budget était difficile à boucler, mais j'espère
que le retour de la croissance nous permettra de poursuivre dans cette voie
dans les quatre prochaines années.
L'Etat a entrepris un effort sans précédent en faveur des organismes et des
collectivités qui emploieront ces jeunes. Vous connaissez ces derniers : il
s'agit des jeunes de moins de vingt-six ans ou de ceux qui, âgés de moins de
trente ans, ne remplissent pas les conditions pour bénéficier du régime du
chômage.
Notre plan a en tout cas déjà remporté un premier succès, au moins dans les
esprits, car, alors qu'on nous disait, voilà quelques semaines, que 350 000
emplois c'était beaucoup trop, on nous dit aujourd'hui que ce n'est pas assez.
De même, alors qu'on nous disait, voilà quelques semaines, qu'il s'agissait de
petits boulots, on se demande aujourd'hui si ces emplois ne seraient pas trop
qualifiés et ne laisseraient pas sur le bord de la route les jeunes les moins
qualifiés. Je voudrais répondre très clairement sur ce point : tout d'abord, ce
n'est pas parce qu'on est jeune qu'on a besoin d'insertion, qu'on est malade ou
en difficulté. La plupart de nos jeunes aujourd'hui sont mieux formés que ne
l'étaient leurs parents.
M. Henri Weber.
Très juste !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nombre de ceux qui,
aujourd'hui, n'ont pas de qualification sont en pleine santé physique et
mentale pour occuper un emploi.
M. Josselin de Rohan.
Mais ils sont au chômage !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Oui, ils sont au chômage,
monsieur le sénateur, et c'est bien pourquoi nous essayons de les en sortir
!
Nombre de jeunes non qualifiés, en situation d'échec scolaire, manifestent la
volonté de trouver d'abord un emploi et nous espérons que, lorsqu'ils en auront
trouvé un, ils seront obligés d'intégrer un circuit de formation qui sera
nécessaire pour leur évolution future.
Il en va autrement des nombreux jeunes qui sont aujourd'hui en difficulté soit
parce qu'ils ont connu des situations familiales et sociales difficiles, soit
parce qu'ils sont au chômage depuis longtemps, soit parce qu'ils ont sombré,
souvent par désespérance, dans la délinquance ou même dans la drogue, sortant
peu à peu des marges de notre société. Pour ceux-là, les emplois-jeunes ne sont
pas la réponse, il faut la rechercher dans des emplois d'insertion, qu'ils
prennent la forme de contrats emploi-solidarité - qu'il faudra bien recadrer
vers ces publics en difficulté - ou qu'il s'agisse de l'insertion par
l'économique.
Je dis très clairement les choses, les emplois que nous vous proposons de
créer sont ouverts à tous les jeunes, qualifiés ou non, capables de travailler
et prêts à occuper un emploi à temps plein, car ce sera la règle. Et nous
continuerons à aider individuellement les autres par le biais de processus
d'insertion : il ne faut pas tout mélanger.
Pour favoriser la réinsertion des publics les plus en difficulté, l'Assemblée
nationale a admis le cumul d'un contrat emploi-solidarité avec un emploi
marchand pour une période qui reste à définir.
Par ailleurs, pour les jeunes qui souhaitent prendre des initiatives et créer
leur propre entreprise, l'un des apports essentiels du débat à l'Assemblée
nationale a été d'offrir une aide, qui prendra la forme d'une avance
remboursable mais aussi d'un accompagnement en matière technique et
administrative pendant les premières années.
Tel est donc le dispositif : une aide majeure, un public élargi. Il nous
restera l'essentiel à réaliser, c'est-à-dire imaginer, au terme des cinq ans
prévus pour la durée de ce plan, les moyens d'une pérennisation de ces
emplois.
Il faut dire les choses simplement : dès aujourd'hui, nous savons pertinemment
que certains coûts sociaux sont liés au fait que ces emplois ou ces activités
n'existent pas.
Si l'insécurité est si grande dans les quartiers, dans les transports, dans
les logements, c'est souvent parce que la présence humaine est insuffisante,
parce qu'il n'y a pas ce gardien, cet éducateur qui peut tendre la main au
jeune et l'empêcher de déraper. Nous qui avons des prisons remplies de jeunes,
nous savons le coût pour la collectivité de cette insécurité, qui pourrait être
mieux traitée par la prévention. Les emplois-jeunes y contribueront
abondamment.
Nous savons aussi combien les mutuelles, par exemple, sont intéressées par le
développement des services aux personnes à domicile. Si le service à domicile
proprement dit relève d'autres mécanismes, tout ce qui permet d'aider les
personnes âgées, les personnes handicapées à sortir de chez elles, à avoir
accès à la culture, à des loisirs et - pourquoi pas ? - à des actions
collectives pourra être mené par les associations.
Nous savons aujourd'hui combien l'hospitalisation de ces personnes non
seulement coûte cher, mais, de plus, ne correspond pas, dans bien des cas, à
leur souhait. Nous savons aussi combien le maintien à domicile est fortement
créateur d'emploi. Là encore, les mutuelles sont prêtes à aider le financement
des services complémentaires qui pourront être apportés aux personnes âgées et
aux handicapés.
Je pourrais multiplier les exemples. Je pourrais expliquer comment,
aujourd'hui, les bailleurs sociaux sont prêts à financer en partie les emplois
de gardiens d'immeuble ou de ceux qui vont aider les locataires à mieux traiter
leur budget, à mieux résoudre les problèmes de dégradation de leur immeuble, à
faire réaliser des petits travaux avant que ne se posent de graves problèmes de
dégradation. Nous savons que ces investissements rapportent et que ces emplois
permettent des économies considérables. C'est une première réponse à cette
solvabilisation.
Mais il y en a bien d'autres, car nous savons aussi que nombre de services
peuvent être financés par les usagers eux-mêmes, qui, aujourd'hui, ne les
financent pas, faute d'une offre qualifiée, structurée, organisée. Combien de
personnes âgées hésitent à appeler quelqu'un pour sortir ou les accompagner
dans leurs courses parce qu'elles ne sont pas sûres de l'association voisine ou
de la qualification de la personne qui va leur être envoyée ? Dans ce domaine,
comme dans d'autres, il existe des sources de financement.
Je donnerai un dernier exemple pour montrer que le secteur privé peut
également être une source de financement.
A Lille, nous avons créé des médiateurs de lecture dans les bibliothèques,
chargés d'apporter les livres à ceux qui ne peuvent se déplacer. Aujourd'hui,
certains clients particuliers, mais aussi des cliniques privées, des maisons
pour handicapés financent aux trois quarts ce service de médiateurs de
bibliothèque, qui, au départ, a été financé par la Ville de Lille, et ce parce
qu'ils y trouvent leur compte.
C'est donc de notre imagination et de notre capacité à trouver ces sources de
financement, forcément multiples, que dépendra le succès de ce programme.
C'est peut-être, là aussi, une innovation. Nous avons trop l'habitude, dans
notre pays, de considérer que l'on est dans un secteur public financé
totalement par le public ou dans un secteur privé financé totalement par le
privé. Nous devons trouver des circuits de financement croisés qui permettront
à ces emplois d'être solvables.
J'en arrive maintenant - j'en terminerai par là - à la mise en oeuvre du
dispositif.
Comme je l'ai dit devant la commission des affaires sociales, au-delà des
dispositions législatives et réglementaires, la réussite d'un tel programme
dépendra d'abord de l'esprit et des modalités qui présideront à sa mise en
oeuvre.
Nous souhaitons que le dispositif se mette en place au plus près des acteurs
locaux et qu'il soit le plus simple et le plus souple possible.
Il nous faut, bien sûr, recenser les besoins, faire émerger les projets,
envisager leur pérennisation, réfléchir à leur professionnalisation. Cette
démarche doit se faire d'abord avec les élus, puis avec les responsables
associatifs, les partenaires économiques, les responsables des services publics
impliqués directement dans la vie locale.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les appels à projet devront
être lancés au niveau du bassin d'emploi, c'est-à-dire au plus près des
habitants. C'est à ce niveau que nous connaissons véritablement les besoins,
que nous savons s'il y a déjà des réponses dans le secteur privé ou dans le
secteur de l'insertion, que nous pouvons innover en faisant se réunir autour de
la table l'ensemble des acteurs susceptibles d'organiser le service ou de le
financer.
Voilà pourquoi nous avons demandé aux préfets de désigner - en général, ils se
désigneront eux-mêmes - un pilote pour impulser le projet.
Il est bien clair dans notre esprit que, lorsqu'une commune constitue à elle
seule un bassin d'emploi, c'est le maire de la commune, s'il le souhaite, qui
est le leader dans le bassin d'emploi. C'est à lui de signer un contrat
d'objectif avec l'Etat, où il réservera en quelque sorte le nombre d'emplois
qu'il mobilisera autour de sa propre activité ou de celle que pourront soutenir
les acteurs économiques et sociaux de sa ville qu'il mettra autour de la
table.
Dans le cas où le bassin d'emploi est composé de petites communes, nous avons
demandé au préfet de voir qui sera le mieux à même de mobiliser les différents
acteurs. Cela pourra être un maire, là encore, reconnu par ses collègues, mais
aussi un président d'association, voire le sous-préfet. Dans tous les cas, il
faudra trouver la personne idoine, celle qui sera apte à entrer dans cette
logique à la fois innovante et souple.
Deuxième impératif, je l'ai dit, la simplicité qui devra présider à la mise en
oeuvre du dispositif.
Les appels à projet seront permanents ; les réponses devront faire l'objet
d'une demande sous la forme d'un cahier des charges général, qui répondra
d'abord aux objectifs que j'ai évoqués tout à l'heure : montrer que nous ne
sommes pas dans le secteur public, définir l'environnement économique, préciser
les grands axes de la pérennisation et de la professionnalisation.
Je souhaite que le Sénat confirme la volonté des députés de garder des
dispositifs souples et simples.
Je l'ai dit, les collectivités locales - communes conseils régionaux, conseils
généraux - pourront passer un contrat d'objectif avec l'Etat, contrat qui
définira le contingent d'emplois souhaitable.
J'ai salué tout à l'heure le président du conseil général du Pas-de-Calais,
avec qui nous avons déjà commencé à travailler en vue d'élaborer un contrat
d'objectif.
Les conseils généraux et régionaux pourront, bien sûr, élaborer eux-mêmes des
projets dans le cadre de leurs missions : activités nouvelles dans l'action
sociale pour les conseils généraux, par exemple ; activités nouvelles dans le
domaine de l'environnement pour les conseils régionaux.
Ils pourront, en outre, aider les communes qui ont des difficultés pour
financer les 20 % restants ; je pense aux communes rurales, aux communes les
plus pauvres, notamment parce qu'elles ont des quartiers en difficulté. Là
aussi, il m'apparaît qu'il serait souhaitable de substituer au guichet ouvert à
tous une sélection des communes qui ont besoin d'être aidées pour financer les
emplois-jeunes.
Enfin, il serait bon - l'Assemblée nationale l'a reconnu - que les conseils
régionaux, dans le cadre des missions qui leur ont été confiées par la
décentralisation, puissent aider au financement de la formation, voire à
l'évaluation, qui sera réalisée dans les différents métiers.
Je tiens, enfin, à préciser que le circuit de paiement sera aussi rapide que
possible. Une fois n'est pas coutume, l'Etat essaiera de payer non seulement à
temps mais en avance, au début de chaque mois.
C'est le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations
agricoles, le CNASEA, qui gérera le dispositif, dispositif que nous sommes
d'ailleurs en train de mettre en place puisque nous souhaitons pouvoir démarrer
dès le 15 octobre prochain.
De la même manière, nous avons déjà préparé un projet de décret, qui évolue au
fur et à mesure des débats parlementaires, et une circulaire, qui s'amplifie,
elle aussi, au fur et à mesure des questions qui nous sont posées, afin que
l'ensemble des textes puissent être publiés en même temps et aussi rapidement
que possible après le vote de la loi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateures, je conclurai mon
propos en insistant sur le caractère novateur de ce projet.
Celui-ci innove dans le mode d'intervention de l'Etat. Vous l'avez vu, l'Etat
ne se contente pas d'accompagner socialement les chômeurs ; il investit dans
les emplois de demain. Cela me paraît important.
Il y a innovation, également, dans les rapports entre l'Etat, le secteur
public, le secteur associatif et le secteur privé. Nous devons nouer des
collaborations entre ces différents secteurs, et, pour ma part, je ne vois
aucun inconvénient à ce que les entreprises privées se joignent d'ores et déjà
au tour de table de certains projets en cours d'élaboration.
Il y a innovation, enfin, dans la démarche d'appel à projet. La mise en place
des projets n'a rien de bureaucratique, avec des documents à remplir, des
tampons à obtenir. La démarche est souple, innovante, on fait confiance aux
acteurs sur le terrain, en particulier aux élus.
Cette piste - je le dis comme je le pense - est sans doute parmi les plus
novatrices. Elle pourrait d'ailleurs - je vois que l'Europe commence à s'y
intéresser - constituer la base d'une réflexion au sein même de l'Europe
puisqu'il s'agit, au fond, de reconnaître que, si l'industrie doit évidemment
être défendue partout où elle existe, si elle doit être développée dans le
secteur des nouvelles technologies, où nous avons du retard, elle ne permettra
pas, à elle seule, de créer des emplois, qu'il convient donc d'accélérer le
passage vers une société de services nous permettant de mieux vivre tous
ensemble, avec une qualité de vie plus sûre dans une société plus ouverte, mais
apte aussi à redonner de l'espoir à nombre de nos concitoyens, notamment aux
jeunes, grâce aux emplois qui seront créés.
Il me paraît tout à fait essentiel de proposer à ces jeunes, qui depuis des
années ont des emplois précaires ou qui sont au chômage, de vrais métiers, qui
sont les métiers de demain et qui contribueront à ce que notre société soit
finalement moins dure et plus solidaire.
Et comment ne pas faire confiance à la jeunesse, à sa générosité, à ses
capacités de solidarité, pour nous aider à construire cette société ?
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons
aujourd'hui un signal fort à lancer à notre jeunesse. Elle l'attend ; on le
voit dans ses premières réactions. Nous ne pouvons la décevoir ; c'est notre
responsabilité.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame le ministre, mes chers collègues, nous voici de nouveau face à nos
responsabilités, face à un problème social majeur, celui du chômage des jeunes
et, finalement, celui de la confiance que nos concitoyens mettent en
l'avenir.
Les chiffres montrent que jusqu'à présent nous n'avons pas réussi à combattre
ce fléau, que notre pays, contrairement à d'autres, n'a pas su - nous y avons
notre part, hélas ! - trouver la voie d'une forte croissance en emplois.
Je me bornerai à rappeler trois chiffres : plus de 600 000 jeunes de moins de
vingt-six ans inscrits comme demandeurs d'emploi, ce qui représente 20 % des
chômeurs, et un taux de chômage des jeunes actifs de 25,1 %, taux qui ne tient
pas compte des jeunes poursuivant leurs études uniquement pour échapper au
chômage.
Alors, face à ces chiffres, nous comprenons tous l'immense espoir social que
suscite l'annonce d'un plan d'embauche de 700 000 jeunes sur trois ans. Cela
explique les demandes dont les maires ou les chefs d'établissement scolaire
sont assaillis.
Face à cet espoir qu'il a lui-même suscité, que nous propose le Gouvernement ?
Un projet de loi dont l'objectif est de créer 350 000 emplois-jeunes dans le
secteur public et associatif, emplois ayant un caractère d'utilité sociale. Je
ferai une remarque en passant : sur les 350 000 autres emplois-jeunes à créer
dans le secteur privé, nous n'avons guère d'informations !
Qu'il y ait des besoins nouveaux - on dit, plus savamment, « émergents » -
susceptibles de créer des emplois est chose possible. Les élus n'ont d'ailleurs
pas attendu le projet de loi actuel pour s'y intéresser : la liste de
vingt-deux métiers, publiée il y a quelque temps, n'est, me semble-t-il, que le
recensement de ce qui a été fait ici et là depuis des années. Pour ma part,
j'ai déjà créé, à Montbéliard, des emplois d'agent d'entretien ou de médiation
dans le domaine du logement, des agents de prévention et d'ambiance dans le
domaine des transports, des médiateurs de justice, des emplois d'aide aux
victimes, et je passe sur tous les emplois liés à l'environnement.
J'aimerais vous rappeler, madame le ministre, une tentative de la région
Franche-Comté, alors sous la présidence du regretté Edgar Faure, qui
s'intitulait: « Les emplois vocationnels ». A l'époque, les URSSAF nous
pénalisaient de 26 millions de francs, et c'est une certaine Martine Aubry,
déjà ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, qui
avait réglé le problème. Comme quoi votre souci de l'emploi des jeunes est
partagé depuis longtemps par les élus !
Cette démarche qui consiste à favoriser les initiatives locales, à susciter de
nouvelles activités, s'inscrit dans la logique de la politique de l'emploi
suivie ces dernières années. On constate en effet que l'Etat confie de plus en
plus souvent à d'autres collectivités locales ou partenaires sociaux le soin de
mettre en oeuvre et de gérer des actions qui relevaient jusqu'alors de sa
compétence. Je citerai le transfert de l'allocation formation reclassement,
l'AFR, ou de l'inscription des demandeurs d'emploi sur l'UNEDIC, le financement
par le secteur privé, au travers, là encore, de l'UNEDIC, des préretraites avec
l'allocation de remplacement pour l'emploi ou l'allégement du coût du travail
et l'assouplissement - timide, il est vrai - du cadre juridique de l'exécution
du contrat de travail.
Cette déconcentration, voire cette décentralisation, de la politique de
l'emploi a deux raisons essentielles : se rapprocher du terrain et des réalités
de l'emploi et alléger les contraintes pesant sur le budget de l'Etat en les
transférant à d'autres. Nous avons prêté la main à cette politique de
transfert, car elle a, bien évidemment, ses vertus.
Le projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes
s'inscrit donc dans cette logique et la pousse encore un peu plus loin. En
fait, si je résume à grands traits la philosophie du projet, l'Etat cherche à
inciter les collectivités locales, directement ou indirectement, par le biais
de leurs établissements publics ou du monde associatif, à se transformer en
pépinières sinon d'entreprises, du moins d'activités et d'idées nouvelles.
Cependant, comme ces activités ne sont pas rentables, que la demande
potentielle n'est pas solvable, l'Etat financera partiellement ces emplois
pendant une durée et dans des conditions fixées par décret, soit 80 % d'un SMIC
avec ses charges sociales pendant cinq ans, le reste étant payé par qui pourra
ou par qui voudra. Cela n'est pas choquant, dans la mesure où l'on parvient à
la pérennisation. Quant aux jeunes concernés, ils doivent avoir entre dix-huit
et vingt-cinq ans, exceptionnellement moins de trente ans lorsqu'ils
connaissent de graves difficultés d'insertion. Les employeurs sont les mêmes
que pour les contrats emploi-solidarité. L'Etat et le secteur privé marchand ne
peuvent être employeurs, sinon, pour le premier, dans le cadre très spécifique
de l'article 2 du projet de loi concernant les missions d'adjoints de sécurité.
Autrement dit, mis à part quelques grands établissements publics, comme la SNCF
ou La Poste, les principaux employeurs devraient être les collectivités
territoriales ; c'est une donnée qu'il faut garder à l'esprit.
Ces emplois, Mme le ministre nous l'a dit, ont vocation à être pérennisés.
Aussi, pour professionnaliser ces activités, l'Etat s'engagera à apporter des
aides et des conseils. Enfin, pour composer avec les règles des fonctions
publiques, le projet de loi innove en instituant un contrat de droit privé à
durée déterminée de cinq ans susceptible d'être rompu chaque année. C'est un
bel exemple de flexibilité que les entreprises privées envieront sans doute,
surtout dans la version retenue par l'académie de Paris qui prévoit un CDD d'un
an « éventuellement renouvelable ». Le texte est dans mon rapport, vous l'avez
sans doute lu, madame le ministre.
Maintenant que j'ai rappelé le contexte dans lequel s'inscrivait le projet de
loi et que j'en ai décrit à grands traits le dispositif, il convient de
l'analyser et de nous prononcer.
Une fois passé l'effet d'annonce portant sur les 350 000 créations d'emplois,
une analyse objective du dispositif qui nous est proposé révèle, selon nous, sa
grande ambiguïté - vos propos se voulaient plus rassurants, madame le ministre
- quant à la nature des activités qui seront mises en place et ainsi
subventionnées. S'agit-il d'activités relevant de la sphère privée, du secteur
marchand des services, ou s'agit-il d'activités relevant de la sphère publique,
voire d'un secteur mixte qui, bien que privé, ne peut survivre qu'avec des
aides publiques ? A cet égard, la liste non exhaustive des vingt-deux nouveaux
métiers révèle clairement le danger : nombre de métiers concernant
l'environnement, ou l'entretien et la maintenance des logements et de leurs
équipements, appartiennent à l'évidence à la sphère privée. Subventionner ces
emplois, c'est sans doute et surtout susciter une concurrence déloyale pour
nombre d'entreprises du secteur privé, notamment dans le cadre des gestions
déléguées, avec pour conséquence des menaces pour l'emploi. Cela entraînerait,
selon les sources, de 45 000 à 100 000 destructions d'emplois, et vous avez
insisté, madame le ministre, sur votre souci de ne pas concurrencer le secteur
marchand.
S'il peut paraître judicieux de faciliter la germination d'activités
nouvelles, pour reprendre l'image de la pépinière, encore faut-il, madame le
ministre, veiller à ce que ces activités n'étouffent évidemment pas celles qui
existent.
La liste de ces emplois, comme celle plus complète qui figure dans le rapport
Nouveaux services, nouveaux emplois,
recèle aussi de graves dangers
potentiels : d'abord, parce que certains de ces métiers nouveaux ne me semblent
pas faits pour des jeunes de moins de vingt-six ans, sans expérience
professionnelle et sans expérience humaine ; médiation familiale, réinsertion
des détenus, prévention de la violence, par exemple, sont autant d'activités
qui nécessitent une connaissance de la nature humaine que n'auront pas ces
jeunes. D'ailleurs, de façon plus générale, il semble à la commission des
affaires sociales que, quand on crée des activités nouvelles, il est préférable
de faire appel à des professionnels expérimentés ; inversement, l'insertion est
plus facile dans des activités déjà rodées. Dire que l'on va professionnaliser
ces métiers ne paraît pas suffisant, car le résultat de cette formation se fera
sentir trop tard : l'échec sera déjà survenu. La commission des affaires
sociales, madame le ministre, craint que nombre de ces métiers ne soient, hélas
! sans perspectives, et cela lui paraît grave au regard des espoirs
suscités.
Cette ambiguïté est encore accentuée par les annonces intempestives de
différents ministères visant à créer qui 3 000, qui 5 000, qui 40 000
emplois-jeunes. D'ailleurs, les organisations syndicales de la fonction
publique redoutent déjà la mise en place d'une fonction publique
bis
,
une fonction publique à l'économie, lourde de dangers de tous ordres pour les
années à venir.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Serge Vinçon.
Très juste remarque !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Que dire également des emplois envisagés à la SNCF ou à La
Poste, qui nous semblent, à l'évidence, être des « résurgences de métiers »,
autrefois assurés par ces organismes ?
Pour la commission des affaires sociales, madame le ministre, mes chers
collègues, ce texte va, dans certains secteurs et non des moindres, générer de
forts effets d'aubaine, qui se révéleront très vite désastreux, on le craint,
et contagieux : c'est ainsi que j'ai entendu hier, à la radio, que Renault,
anticipant sur la demande de printemps de sa clientèle, envisagerait l'embauche
de jeunes dans le cadre de ce dispositif. J'espère, bien évidemment, qu'on
l'arrêtera suffisamment tôt, pour autant que j'aie bien compris.
Autre faiblesse du projet de loi : il n'aborde pas les vrais problèmes de
l'exclusion des jeunes du marché du travail. Si, à l'évidence, la conjoncture
économique y est pour beaucoup, il existe d'autres raisons : la rigidité du
code du travail et aussi, et peut-être surtout, la médiocre qualité ou
l'inadaptation aux besoins des entreprises de la formation initiale. Sans aller
jusqu'à proposer une réforme du système éducatif, sans doute aurait-il été
opportun de coordonner la création de ces activités nouvelles avec des mesures
de formation professionnelle. Or, il n'y avait rien en ce sens dans le projet
de loi initial.
Il n'y a rien non plus qui permette de faire le lien avec la question de
l'exclusion générale du marché du travail. Or, je l'ai déjà dit, créer des
activités nouvelles suppose de l'expérience. Il est regrettable que le projet
de loi ne fasse pas appel à ceux qui ont cette expérience et qui, très souvent,
pour une part d'entre eux, se trouvent exclus du marché du travail par les
restructurations et autres effets de la compétition économique. De plus,
s'engager dans cette voie aurait permis de commencer à rationaliser et à
réduire le nombre des dispositifs emplois dont l'empilement atteint aujourd'hui
des proportions rédhibitoires. Cette simplification avait été annoncée, elle
n'a pas été faite. Pourtant, une vision plus globale de la politique de
l'emploi aurait très certainement un effet d'entraînement extrêmement
favorable.
Enfin, et ce n'est pas le moindre des dangers de ce projet de loi tel que nous
l'avons lu, il fait peser une lourde menace sur les finances des collectivités
locales et sur les finances de l'Etat. Le coût pour l'Etat est peut-être
supportable pendant les cinq ans prévus s'il est financé par des économies.
Mais qu'en sera-t-il pour les collectivités locales, qui seront au coeur du
dispositif, mes chers collègues, et qui, au bout des cinq ans, subiront une
pression sociale considérable pour maintenir ces emplois alors que l'aide de
l'Etat aura disparu ?
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La sortie du dispositif est la grande inconnue. Comment être
sûr que, dans quelques années, tout cela ne débouchera pas sur une pression
fiscale accrue, avec tous les effets négatifs que l'on sait sur l'emploi ? Nous
pensons en particulier aux emplois créés par l'éducation nationale.
M. Alain Gournac.
C'est la fuite en avant !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Autre danger pour les collectivités locales, celui d'une
perte d'autonomie, car elles se verront imposer des choix qu'elles n'auraient
peut-être pas faits spontanément, elles subiront des contraintes sans en avoir
la maîtrise. Les maires seront les principaux interlocuteurs de l'Etat. Mais
seront-ils entendus ?
De tout cela, me semble-t-il, l'Assemblée nationale a eu conscience : les
modifications apportées au texte en témoignent. Ainsi, a-t-elle posé le
principe d'une pérennisation, mais sans en préciser ni les modalités ni les
moyens, a-t-elle parlé de formation, mais là encore sans en définir les moyens,
a-t-elle prévu l'intervention d'autres collectivités territoriales que les
communes, mais de façon marginale. Et surtout, elle n'a pas su éviter les
risques de dérapage vers une fonction publique
bis.
En fait, nombre des
amendements adoptés à l'Assemblée nationale sont des ajustements techniques,
utiles certes, mais insuffisants pour corriger les défauts les plus criants du
texte, comme celui par exemple de la concurrence déloyale faite au secteur
privé ou celui du financement des emplois au-delà des cinq ans, question que
certains élus eux-mêmes pourraient négliger de traiter, puisqu'elle ne se
posera véritablement qu'après les prochaines élections municipales.
M. Alain Gournac.
Tiens, tiens !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Notre méconnaissance de ces métiers nouveaux donne naissance
à des doutes et à des hésitations. Risques et craintes de concurrence déloyale,
métiers apparemment inadaptés, effets d'aubaine, préparation insuffisante,
encadrement inexistant, menace pour l'autonomie des collectivités locales et
leur équilibre financier, tels sont donc les grands dangers que nous croyons
déceler dans ce texte.
A ce stade de l'analyse, que devons-nous faire, mes chers collègues ?
La commission des affaires sociales, pour des raisons évidentes, n'a pas
souhaité rejeter le texte, d'autant que nombre d'entre nous, maires ou
présidents de conseils généraux, ont déjà exploré la voie retenue par le projet
de loi et qu'il nous est difficile de le rejeter
a priori.
Pour avoir
entendu les présidents d'associations d'élus locaux à l'occasion des
consultations auxquelles j'ai procédé, je sais que nombre de maires et d'élus
locaux partagent ce point de vue.
Les maires ont créé ces activités après les avoir financées sur le long terme,
sans artifice, après s'être assurés de leur pérennité sur des fondements
solides, en collaboration avec d'autres partenaires ayant pris des engagements
fermes. Or, tel n'est pas le cas du projet de loi : certes, l'Etat s'est engagé
sur cinq ans, du moins peut-on l'espérer - car que penser de la remise en cause
des aides aux emplois familiaux, de la suppression de l'exonération d'impôt sur
les constructions neuves ou du changement de fiscalité sur certains produits de
l'épargne ? - mais qu'en sera-t-il au-delà de cette durée, alors que les
besoins seront toujours là, sans doute encore plus pressants puisqu'ils auront
pu être satisfaits pendant cette période ? Nous sommes dans l'inconnu le plus
total et cette sortie du dispositif constitue - j'y reviens - la crainte la
plus sérieuse pour le système.
Ayant formulé ce constat, la seule solution qui a semblé opportune à la
commission des affaires sociales était d'amender significativement le texte. En
témoignent les 127 amendements que vous avez déposés, mes chers collègues,
auxquels s'ajoutent les 22 amendements de la commission. Je puis affirmer ici
que vous avez suivi la même voie. Ces amendements contiennent toute une mine
d'idées nouvelles et de précisions certes utiles mais que nous ne pouvions pas
toutes incorporer dans le projet de loi.
Les amendements que la commission vous proposera ne répondront pas à toutes
les objections que j'ai formulées, simplement parce que c'est la politique
globale de l'emploi qu'il faudrait revoir, à commencer par la façon dont notre
système scolaire prépare les jeunes à l'emploi, Néanmoins, ces amendements
devraient permettre de corriger les défauts les plus criants du projet de
loi.
Tout d'abord, il convient de mieux cerner les activités afin d'éviter tout
risque de concurrence déloyale. Pour cela, la commission des affaires sociales
propose de confier un rôle de conseil et de suggestion au comité départemental
de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi, le
CODEF, composé de représentants des pouvoirs publics et de parlementaire, et
qui est assisté, je vous le rappelle, d'un conseil départemental de la
formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi où siègent -
et cela est d'importance - les partenaires sociaux.
Ces instances interviendront à trois moments, et, en premier lieu, avant la
signature de la convention par le préfet, pour lui donner un avis sur la
viabilité dans le temps et dans l'espace du projet et sur son articulation avec
les secteurs public ou privé. Le CODEF pourra d'ailleurs déléguer son rôle aux
missions locales pour l'emploi, plus proches du terrain.
Ces instances interviendront ensuite pour suivre l'application de la
convention dans le temps à la demande du préfet chargé de la contrôler, mais
surtout elles devront, chaque année, procéder à une évaluation des activités et
des emplois créés afin de déterminer les conditions de leur passage progressif
vers le secteur privé, ou de leur pérennisation dans le secteur public, ou
encore de leur abandon.
Pour la commission des affaires sociales, ce point est d'importance. Les
activités créées n'ont, pour leur plus grande part, pas vocation à rester dans
le secteur public : elles doivent migrer et être pérennisées au sein du secteur
marchand.
Le CODEF formulera donc ses recommandations à l'attention du préfet et de
l'employeur. Le préfet pourra alors décider de supprimer l'aide de l'Etat. Mais
il pourra, aussi, subventionner pour une durée limitée le passage au secteur
privé avec ce qui restera de l'enveloppe initiale. En outre, diverses
dispositions sont insérées dans le projet de loi, telles que la mention d'une
contribution des usagers aux services rendus, pour préparer ce transfert.
J'ajoute que, pour faciliter l'encadrement de l'activité et son glissement
éventuel vers le privé, il serait opportun que les partenaires sociaux
participent au dispositif par l'intermédiaire du fonds paritaire d'intervention
en faveur de l'emploi après avoir négocié un système d'aides qui s'inspirerait
de l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE, ou des conventions de
coopérations. Pour cela, il convient d'autoriser le fonds paritaire
d'intervention en faveur de l'emploi à affecter une partie de ses ressources au
financement de l'encadrement de ces nouvelles activités.
Ainsi, les collectivités territoriales n'auraient pas systématiquement la
charge de ces nouvelles activités, ce qui serait sans doute le cas à défaut
d'un tel mécanisme d'évaluation et de transfert. Une solution est donc ainsi
apportée au problème de la sortie du dispositif. Certes, elle ne sera pas
totale puisqu'une partie des activités nouvelles pourrait rester à la charge
des collectivités.
De plus, une passerelle serait ainsi jetée avec d'autres catégories de
personnes exclues du marché du travail, par exemple les cadres au chômage ou
susceptibles de partir en préretraite. Cette globalisation a semblé importante
à la commission pour redonner confiance. Mais c'est semble-t-il encore
insuffisant.
Pour faciliter cette migration vers le secteur marchand et éviter qu'elles ne
débouchent sur des désillusions, il faut professionnaliser ces activités
nouvelles. Pour cela, la commission des affaires sociales vous propose
d'adosser leur création au recours à l'apprentissage au sein des collectivités
locales et des entreprises partenaires, recours à l'apprentissage qui pourrait
être fortement encouragé en étant financé dans les mêmes conditions que les
emplois-jeunes.
MM. Alain Gournac et Emmanuel Hamel.
Très bonne idée !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission tient d'ailleurs à souligner que le recours à
l'apprentissage au sein des emplois-jeunes permettra de lutter contre l'effet
d'éviction que risque de susciter ces emplois à l'égard de l'apprentissage :
pourquoi, pourraient se dire certains jeunes, se fatiguer à suivre un
apprentissage peu rémunéré quand on peut être embauché pour cinq ans avec une
rémunération bien supérieure ?
Le dispositif que propose la commission des affaires sociales permet donc
d'aborder la question de fond de l'emploi des jeunes, même si cela n'est fait
que partiellement, à savoir leur qualification. Il permet aussi de ne pas
réserver les emplois-jeunes aux plus qualifiés, ce qui aurait pour conséquence
d'exclure encore davantage ceux qui le sont moins, ou ne le sont pas du
tout.
Enfin, pour éviter la confusion entre des activités de natures différentes, la
commission des affaires sociales a souhaité que les emplois relevant des
missions de l'Etat, comme ceux de l'éducation nationale, restent sous un régime
de droit public et soient financés à 100 % par l'Etat, ainsi que le projet de
loi le prévoit déjà pour les adjoints de sécurité. Cela lèvera l'ambiguïté
savamment entretenue sur la question de savoir qui financera ces emplois.
Ce point a donné lieu à de longs débats. Partant du constat largement partagé
au sein de la majorité sénatoriale, et même au-delà, m'a-t-il semblé, que les
emplois relevant des missions fondamentales de l'Etat - police, justice,
éducation, notamment - n'avaient pas à figurer dans un tel projet de loi et
que, s'il y avait des besoins, ceux-ci devaient être satisfaits dans le respect
des règles de la fonction publique, y compris budgétaires, la solution la plus
logique aurait été de supprimer les dispositions les concernant et d'interdire
aux ministères de profiter des effets d'aubaine générés par le projet de
loi.
Néanmoins, étant donné l'attente suscitée par ces propositions d'emplois
auprès des jeunes et de leur famille et tout en déplorant les effets
d'annonces, ainsi que la publication de fiches d'inscription par l'éducation
nationale - elles figurent en annexe du rapport - qui anticipe le vote de la
loi, la commission n'est pas allée jusqu'à supprimer les dispositifs qu'elle
réprouve. Elle les a cependant détachés du dispositif de l'article 1er du
projet de loi pour en faire une catégorie à part relevant du droit public.
Malheureusement, la question du sort de ces emplois au terme des cinq ans reste
en suspens et tout se passe comme si le Gouvernement d'aujourd'hui « repassait
» le problème à l'un de ses successeurs.
Naturellement, à côté de ces modifications lourdes ou d'importance, la
commission en proposera d'autres, qui en sont la conséquence, ou qui sont
d'ordre technique ou rédactionnel.
Voilà, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les
orientations que vous suggère la commission des affaires sociales. Ces
orientations s'apparentent, je le reconnais volontiers, à un changement de
philosophie du texte que je résumerai ainsi : le secteur public, les
collectivités locales en premier lieu, jouent, avec l'aide de l'Etat, un rôle
de pépinières d'activités nouvelles, mais la plupart de ces activités nouvelles
doivent migrer vers le secteur privé marchand, dès qu'elles sont suffisamment
consolidées, grâce au recours éventuel à l'apprentissage et à un encadrement
performant. Quant aux emplois relevant des missions de l'Etat, ils doivent être
cantonnés dans un dispositif spécifique relevant du droit public et ne pas
interférer avec ceux qui ont vocation à passer dans le privé.
C'est sous réserve de ces modifications fondamentales que la commission des
affaires sociales vous propose d'adopter le projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, dans notre société, le chômage des
jeunes est une question angoissante face à laquelle tous les gouvernements qui
se sont succédé depuis vingt ans n'ont pas su ou pas pu répondre de manière
efficace. De nombreuses initiatives ont été prises dans de nombreux endroits -
les collectivités locales ont fait de grands progrès dans ce domaine - mais les
statistiques sont formelles : en France, le chômage des jeunes est nettement
plus élevé que dans tous les autres pays de l'Union européenne.
C'est donc avec une certaine humilité que nous devons aborder le débat
d'aujourd'hui.
Nous ne l'entamons pas non plus sans un certain malaise. Indubitablement, le
projet de loi du Gouvernement, maintes et maintes fois annoncé, a fait naître
chez les jeunes une vague d'espoir. Pour que cet espoir ne se transforme pas en
déception, deux conditions devraient être réunies, à savoir que les jeunes ne
retrouvent pas au bout de cinq ans le chômage ou la précarité et que la
génération qui aura dix-huit ans dans cinq ans ne trouve pas alors porte
close.
En vous écoutant, madame la ministre, j'ai eu le sentiment que vous étiez
proche de notre analyse sur la détection de ces métiers émergents qui vont
progressivement remplacer des métiers anciens, mais les moyens que vous
proposez pour y parvenir sont critiquables. Si ce que je vous ai entendue dire
à la tribune allait dans le sens de notre analyse, le texte, quand on l'examine
mot après mot, s'en écarte très largement.
M. Claude Estier.
Mais non !
M. Jacques Mahéas.
Vous l'avez mal lu, monsieur Fourcade !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Mes chers collègues, je le répète, ce texte
s'écarte de son objectif.
(Mme Joëlle Dusseau s'exclame.)
Pour fournir un emploi à 700 000 jeunes, le Gouvernement fait deux parts
égales : 350 000 jeunes seront embauchés dans le secteur public et parapublic
et vous essaierez de faire en sorte - plus tard - que 350 000 jeunes soient
également embauchés dans le secteur marchand.
Or la part de l'emploi public dans notre pays atteint déjà le quart de
l'emploi total.
C'est le taux le plus élevé des pays de l'Union européenne, si l'on excepte le
Danemark et la Suède où ce taux dépasse 30 %. La moyenne des emplois publics se
situe à moins de 18 % pour l'ensemble de l'Union européenne et à 15,5 % en
Allemagne, c'est-à-dire chez notre principal partenaire et concurrent.
Ce taux est donc très élevé, trop élevé même.
Simplement, pour le maintenir, c'est-à-dire pour ne pas accroître notre
divergence avec nos partenaires européens, le plan emplois-jeunes aurait dû
cantonner les emplois dans le secteur public et parapublic à 175 000 et viser
plus de 500 000 emplois dans le secteur marchand.
Par ailleurs, compte tenu des emplois-ville institués par le gouvernement
précédent, et qui seront repris dans l'ensemble du dispositif, l'ordre de
grandeur devrait être le recrutement de 150 000 jeunes d'ici à la fin de
l'année prochaine.
Or nous en sommes loin. Au surplus, le maintien du taux d'emploi public à
l'identique n'est pas, en soi, un objectif raisonnable ; il conviendrait de le
réduire.
Mes chers collègues, il existe en effet une corrélation évidente entre le
poids des emplois publics et celui des prélèvements obligatoires. La Suède et
le Danemark, qui détiennent le ruban bleu de l'emploi public en Europe, battent
également les records en matière de prélèvement obligatoire, avec des taux
nettement supérieurs à 50 %, à savoir 52 % pour le Danemark et 55 % pour la
Suède. La France n'en est encore - si l'on peut dire - qu'à 46 %. De plus, la
moyenne européenne est de 42 %.
M. Alain Gournac.
Triste record !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Les vingt dernières années ont été marquées
par une mondialisation spectaculaire de l'économie, l'ouverture de nos
frontières, une compétition internationale accrue, le développement
considérable de marchés et de produits nouveaux, notamment dans le domaine de
l'information et de la communication. Cela a déjà été dit et notre excellent
rapporteur, M. Louis Souvet, l'a indiqué. Mais, le constat le plus important
est, selon moi, que, depuis vingt ans, dans notre pays, les emplois du secteur
marchand n'ont augmenté que de 7 %, alors que les emplois du secteur non
marchand ont progressé de 40 %.
Une telle évolution est inquiétante.
Certes, la demande de biens de consommation durables ne tire plus la
croissance. Mais il y a d'autres marchés, d'autres besoins : nous sommes non
pas devant un monde qui finit, mais face à un monde qui change, et l'idée que
le secteur marchand ne créerait plus d'emplois - comme j'ai pu le lire sous
quelques plumes célèbres depuis quelques mois - est à l'évidence une idée
fausse.
(Très bien ! sur les travées du RPR).
Notre pays s'est-il tourné à temps vers les vrais gisements d'emplois
marchands ? Notre pays a-t-il fait les efforts suffisants d'adaptation de son
appareil productif, de son système de formation, de son mode d'organisation du
travail pour répondre efficacement à l'évolution tant de la demande intérieure
que des marchés à l'étranger ? Telles sont les vraies questions que tout
responsable politique doit se poser aujourd'hui.
Pour ma part, comme vient de le préciser M. le rapporteur - et nous sommes
d'accord sur ce constat - je ne crois pas que les marchés émergents et les
emplois correspondants soient nécessairement insolvables ni que le secteur des
services, dont l'importance ne cesse de croître dans les économies modernes,
doive coïncider avec le service public ou le secteur associatif.
Je ne considère pas pour autant que le développement d'emplois d'utilité
sociale soit une piste à négliger. Les élus locaux que nous sommes se sont
d'ailleurs largement engagés dans cette voie, et le bon démarrage des emplois
de ville en témoigne.
Mais face à ce constat, madame la ministre, le volet public du plan
emplois-jeunes que nous propose aujourd'hui le Gouvernement souffre de deux
contradictions.
Promouvoir le développement d'activités créatrices d'emplois présentant un
caractère d'utilité sociale, selon les termes du projet de loi, d'intérêt
général proposons-nous, est une démarche nécessairement très qualitative.
Or, et c'est la première contradiction du texte qui nous est présenté, cette
démarche a été immédiatement assortie d'un effet d'annonce et d'un objectif
quantitatif : créer 350 000 emplois dans les trois ans qui viennent. La
réussite politique du plan repose désormais sur la nécessité de « faire du
chiffre ».
Il en résulte, tout d'abord, que les premières annonces d'emplois vont, à
l'évidence, à rebours de la philosophie du dispositif telle que nous avons cru
la comprendre. Ainsi, 20 000 emplois sont annoncés dans la police nationale, 45
000 dans l'éducation nationale et 3 500 à la justice. Voilà donc déjà près de
70 000 emplois qui seront financés à 100 % par le budget général, et 20 % de
l'objectif des 350 000 emplois sont atteints.
Mais ces emplois relèvent à l'évidence de la fonction publique la plus
classique et des missions les plus traditionnelles de l'Etat. Ils ne donnent
pas une « image exacte » du dispositif annoncé et personne ne doute - beaucoup
d'amendements seront présentés dans ce sens - qu'ils seront, à terme, intégrés
dans la fonction publique.
Aussi, pour lever toute ambiguïté, la commission des affaires sociales, dans
sa majorité, a décidé de leur faire un sort à part et de dire nettement que ces
contrats seront de droit public. Dans les faits, c'est une nouvelle sorte de
fonction publique et il ne faut pas mélanger ces emplois avec les emplois
émergents qui répondent à des besoins nouveaux.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Mais un grand nombre d'entre nous sont
inquiets de cette démarche qui consiste à recruter massivement de nouveaux
futurs fonctionnaires, en marge des règles traditionnelles de la fonction
publique. De surcroît, il y a là, pour une classe d'âge, un effet d'aubaine
dont la génération suivante ne profitera pas, sauf à poursuivre ces
recrutements sur une longue période, ce qui reviendrait à s'orienter
délibérément vers un gonflement continu des fonctions publiques de notre
pays.
Il résulte ensuite de cet effet d'annonce et de cet objectif quantitatif que,
naturellement, on est peu « regardant » sur le caractère véritablement nouveau
des activités créées.
Les effets de substitution et d'éviction que comporte tout mécanisme
volontariste de création d'emplois s'en trouveront accrus : effet d'aubaine
pour les employeurs publics ou parapublics, mais également destruction
parallèle d'emplois dans le secteur marchand, notamment pour toutes les petites
entreprises qui s'étaient lancées dans ce secteur des métiers nouveaux.
La seconde contradiction du texte qui nous est présenté tient à l'ambition de
pérenniser dans le secteur marchand les « vrais » emplois d'utilité sociale et
à l'absence de mesures concrètes permettant de préparer cette évolution.
Madame la ministre, je ne mets pas en doute votre intention et celle du
Gouvernement de faire évoluer un certain nombre d'emplois financés sur fonds
publics vers de futurs métiers du secteur marchand - sur ce point, nous sommes
très largement d'accord avec vous - mais le texte va à l'encontre de cette
intention.
(M. Alain Gournac approuve.)
Tout d'abord, vous allez confronter des jeunes sans expérience
professionnelle à des activités nouvelles, parfois dans des domaines sensibles,
vous allez les mettre en présence de personnes isolées, âgées, en difficulté,
en bas âge.
En l'absence d'un dispositif renforcé d'encadrement et de formation, je ne
vois pas comment ces activités pourront être exercées correctement, voire sans
danger, pour les titulaires comme pour les usagers ; je ne vois pas comment
elles pourront être professionnalisées, c'est-à-dire transformées en métiers
susceptibles d'évoluer vers le secteur marchand.
Par ailleurs - et c'est le point le plus préoccupant du projet de loi - tout
est organisé pour faire évoluer ces jeunes pendant cinq ans dans le cadre
exclusif du secteur public, parapublic et associatif sans y associer, sinon
marginalement, les entreprises et les professionnels. Là encore, je doute que
les conditions dans lesquelles se déroulera cette expérience soient le prélude
à une bonne intégration dans le secteur marchand.
Enfin, comme l'a souligné M. Chérioux, aucune référence n'est faite quant à
une éventuelle participation de l'usager au financement des prestations
envisagées.
Il est vrai, madame le ministre, que nombre de métiers évoqués ne «
rencontrent » pas aujourd'hui un usager déterminé. Le dispositif s'inscrit donc
dans une stratégie d'offre publique gratuite.
Je suis sceptique sur la possibilité de demander dans cinq ans aux usagers ou
aux familles de financer un service dont, précédemment, ils auront bénéficié
gratuitement.
La pression sera à l'évidence forte sur nos collectivités locales, sur les
caisses d'allocations familiales, sur les associations subventionnées par des
fonds publics, pour qu'elles continuent de satisfaire les besoins qui auront «
émergé » sans avoir rencontré pour autant une demande « solvabilisée ».
M. Henri de Raincourt.
Evidemment !
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
MM. Alain Vasselle et Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Sur ces trois points, la majorité de la
commission des affaires sociales, comme l'a indiqué notre excellent rapporteur,
M. Louis Souvet, s'est efforcée de mettre le texte en harmonie avec vos
intentions et avec les nôtres...
M. Jacques Mahéas.
Vous êtes trop bons !
M. Henri Weber.
Quelle condescendance !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
... et d'y insérer les mécanismes permettant,
d'une part, de favoriser la professionnalisation de ces métiers nouveaux,
l'encadrement et la formation des jeunes qui les occuperont et, d'autre part,
sinon de garantir - mais c'est impossible - du moins de donner une chance à ces
emplois d'évoluer dans les meilleurs délais vers le secteur marchand.
Il reste que, dans une économie moderne ouverte sur le monde et donc
confrontée à la concurrence, la création d'emplois publics pour résorber le
chômage - fût-il le chômage des jeunes - est un instrument inadéquat qui se
retourne rapidement contre l'objectif poursuivi.
Le projet dont nous allons débattre est évidemment marqué par cette idée. Mais
il faut reconnaître qu'il tente d'orienter les jeunes vers des métiers
émergents et des besoins non satisfaits ; il faut donc conjurer le risque de le
voir se transformer en un simple recrutement d'une fonction publique au
rabais.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales, dans sa
majorité, s'est efforcée de valoriser la partie du texte qui pourrait éviter la
déception, voire l'échec.
Déjà, nous constatons que la croissance que nous connaissons en ce moment est
plus riche en emplois qu'elle ne l'était il y a quelques années. C'est dans
cette voie qu'il faut poursuivre : l'adaptation du marché du travail,
l'allégement des charges des entreprises, la réforme du système de formation,
la décentralisation des aides au premier emploi, voilà les réformes qu'il
convient de poursuivre pour rejoindre le petit groupe des pays industrialisés
qui ont su réduire le chômage et favoriser l'insertion professionnelle des
jeunes.
Mes chers collègues, la France ne peut pas aller à l'encontre de ce que font
ses partenaires et ses concurrents. Au début de mon propos, j'ai fait référence
à l'esprit d'humilité qui doit nous imprégner dans ce débat difficile : je
conclus en disant que l'acceptation des réalités est toujours préférable à
l'affirmation de dogmes.
Nous n'avons pas le droit de décevoir les jeunes. Nous devons répondre
favorablement à leur demande, mais nous avons le devoir de ne pas les engager
dans des impasses. Mes chers collègues, c'est entre ces deux exigences que doit
s'inscrire notre débat.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gournac.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac.
Madame le ministre, je vous ai écoutée avec attention exposer votre plan de
création de 350 000 emplois-jeunes. Sachez que l'emploi est bien évidemment
notre préoccupation majeure, notamment celui des jeunes touchés par le chômage.
Cependant, nous refusons la politique de faux-semblants que vous nous proposez
de suivre.
(Rires sur les travées socialistes.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Tout en nuances, M. Gournac !
M. Alain Gournac.
C'est pourquoi nous ne voterons pas en l'état votre projet de loi.
Quelle que soit la manière d'examiner votre texte et malgré vos nombreux
efforts pour tenter de le camoufler, cela reste de l'emploi public, de l'emploi
subventionné.
M. Guy Fischer.
Vous trouvez normal de subventionner les patrons !
M. Alain Gournac.
On peut aider à créer des emplois avec l'argent public, c'est vrai, mais à une
seule condition : que ces emplois soient créés dans le secteur marchand ou
susceptible d'y entrer, car ce sont les seuls qui génèrent de la richesse et
donc de la croissance.
M. André Vezinhet.
C'est dépassé !
M. Alain Gournac.
C'est la politique que nous avons menée.
Nous avons créé les emplois de ville, qui ont très bien fonctionné. Les
contrats initiative-emploi ont été étendus aux jeunes sortis du système
éducatif sans qualification...
M. Gérard Delfau.
Quelle réussite !
M. Claude Estier.
Oui, c'est une réussite !
M. le président.
Mes chers collègues, laissez M. Gournac s'exprimer !
M. Alain Gournac.
Cela les gêne !
... et nous avons aidé le développement de l'apprentissage, mais toujours dans
le secteur marchand.
Dans votre projet, vous avez choisi une autre voie. Vous nous présentez un
texte qui ne concerne que la sphère publique, avec une dépense, au minimum, de
35 milliards de francs en année pleine, sans qu'il y ait un véritable projet
pour les jeunes sans formation, sans issue, mais j'y reviendrai.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Cela s'adresse à des jeunes déjà formés, allons !
M. Jean Chérioux.
Voilà bien l'intolérance de la gauche !
M. Alain Gournac.
Ainsi, vous avez fait le choix de nous faire entrer dans ce cercle vicieux que
vous vous appliquez à nouveau à tracer : plus de dépenses, plus de déficits,
plus d'impôts, plus de charges, et donc moins de richesses créées, moins
d'emplois.
C'est une voie diamétralement opposée à celle qui est pratiquée par nos
partenaires européens depuis quelques années.
Je prends l'exemple hollandais. Les Pays-Bas sont, parmi les pays européens,
celui qui présente les meilleurs indicateurs, avec un taux de chômage
extrêmement bas et une excellente compétitivité.
Les cotisations patronales sur les bas salaires ont notamment baissé, avec le
résultat que l'on connaît : on réduit massivement le chômage tout en continuant
à créer de l'emploi public pour satisfaire les besoins sociaux ou ceux qui sont
liés à la protection de l'environnement, mais dans des proportions raisonnables
: de l'ordre de 40 000 de 1996 à 1998.
Mme Joëlle Dusseau.
Ils sont moins peuplés que la France !
M. Alain Gournac.
On connaît donc les recettes qui donnent de bons résultats. Elles ont été
expérimentées avec succès. Alors pourquoi nous proposer de faire le contraire
?
Madame le ministre, je voudrais néanmoins saluer chez vous une double
performance.
Dans votre texte, il est admis que la difficulté de créer de nouveaux emplois
réside, premièrement, dans la rigidité du code du travail et, deuxièmement,
dans des coûts salariaux trop élevés.
Or, lorsque les coûts salariaux sont trop élevés, vous, en bonne socialiste,
vous réagissez en créant de l'emploi subventionné, hors du secteur marchand,
et, qui plus est, sans organiser aucune passerelle vers le secteur privé. Il
serait donc bien plus efficace d'alléger les charges pesant sur les
salaires.
Quant à la rigidité du code du travail, quel ne fut pas mon étonnement lorsque
j'ai découvert ce CDD de cinq ans, contrat hybride empruntant les
caractéristiques du CDD comme du CDI ! Quelle ironie que ce soit vous, madame
le ministre, qui écorniez si fortement les garanties que le code du travail
offre aux salariés !
Je suis persuadé que beaucoup aimeraient voir étendre ce nouveau contrat à
l'ensemble des employeurs privés ou publics, sans aide publique, bien entendu.
Mais j'empiète peut-être sur votre second plan pour le secteur privé.
Ayant toujours considéré le problème du chômage des jeunes comme un problème
crucial, j'ai donc examiné votre texte avec le plus grand intérêt. Je vous
avoue être allé de surprises en indignation.
Première surprise : on ne connaît pas la nature des emplois créés. Ces emplois
sont très vaguement définis dans le texte. En gros, vous comptez sur des
besoins tout aussi peu clairement identifiés pour les préciser.
Ayant lu avec attention la liste de ces emplois, je vous avoue avoir mieux
compris pourquoi elle n'avait pas fait l'objet d'une large publicité dans la
presse !
Il y a dans
Alice au pays des merveilles
une forêt où les animaux, en y
entrant, perdent leur nom. Dans votre forêt, madame le ministre, parce qu'il y
a du conte de fée dans tout cela, les pseudo-emplois, eux, trouvent un nom : «
animateur de nature », « agent d'écoute », « promoteur des pays », « agent
d'aménagement des haies et des fossés », « assistant de convivialité à domicile
»...
D'autres emplois sont plus porteurs. Mais se pose alors le problème de la
formation des jeunes.
Puisque vous avez pour objectif l'absorption de ces emplois par le domaine
privé, comme je vous ai entendu l'affirmer ce matin, n'aurait-il pas mieux valu
aller chercher les nouveaux métiers ou les métiers à rénover, non encore
solvables, mais pouvant le devenir, auprès des entreprises ? Pourquoi ne rien
leur avoir demandé ?
On ne crée pourtant pas d'emplois sans employeur. Tout au plus crée-t-on un
poste. Mais celui-ci ne crée aucune richesse. Un gros travail d'imagination
doit donc être effectué avec les professionnels concernés.
La deuxième surprise a trait aux employeurs concernés. Ainsi que l'a affirmé
le Président de la République, « c'est l'entreprise qui crée la richesse et
l'emploi, c'est l'emploi privé qu'il convient de développer pour faire reculer
le chômage, tout le reste est fallacieux ».
C'est dans le secteur marchand qu'il aurait fallu créer ces emplois.
Mme Hélène Luc.
Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Alain Gournac.
Vous restez prisonnière, pardonnez-moi de vous le dire, madame le ministre,
d'une conception dépassée de l'entreprise faisant des profits au détriment de
ses salariés, et qu'il ne faut donc pas aider.
Mais, si on utilisait l'argent que vous voulez consacrer à ce plan pour créer
des emplois nouveaux, le résultat serait sans doute bien meilleur et
apporterait une solution au problème de la passerelle de l'emploi public à
l'emploi privé que notre pays rencontrera inéluctablement dans cinq ans.
En outre, êtes-vous consciente de la concurrence déloyale que vous risquez de
créer, malgré les contrôles que vous dites vouloir imposer, car j'imagine mal
que les autorités compétentes chargées de contrôler votre dispositif refusent
des créations d'emplois ?
Certains ont évalué cette destruction de l'emploi dans le secteur marchand à
près de 100 000.
Enfin, vous nous avez dit que c'est le particulier qui devra payer plus tard
quand les emplois seront solvables. Croyez-vous sincèrement que les usagers,
après en avoir pris l'habitude, accepteront de payer ce qui aura été gratuit
pendant cinq ans ? J'en doute. Sauf si le jeune a appris un vrai métier
correspondant à un vrai besoin. Or, cette vraie compétence, il ne peut pas
l'acquérir dans la plupart des emplois publics que vous proposez.
La troisième surprise a trait au public concerné par votre dispositif. Vous
avez choisi de centrer vos efforts sur les jeunes, sans autre critère que la
date couperet de leur 26e ou 30e anniversaire s'ils ne touchent pas
d'allocation chômage.
Et les autres, madame le ministre ?
Vous n'avez pas inscrit ce plan en faveur des jeunes dans une politique
globale de l'emploi. Et les chômeurs de plus de deux ans d'ancienneté, les
RMistes, les personnes handicapées ? J'en oublie !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il fallait vous en occuper !
M. Pierre Mauroy.
Qu'avez-vous fait, vous ? Vous exagérez ! Vous avez eu le pouvoir, quand même
!
M. Alain Gournac.
Vous, vous l'avez eu pendant quatorze ans !
M. le président.
Mes chers collègues, laissez parler l'orateur, s'il vous plaît.
M. Jean-Louis Carrère.
Parler, mais pas crier !
M. Alain Gournac.
Ne croyez-vous pas que vous allez les repousser encore un peu plus loin et
leur donner le sentiment que notre société aujourd'hui les rejette ?
Par ailleurs, vous allez assister arbitrairement une classe d'âge. Ceux qui
vont venir après, quand il n'y aura plus d'argent, pourquoi seraient-ils pas à
leur tour aidés ?
Vous allez créer la « génération Aubry », celle des assistés qui ne
connaîtront jamais l'économie de marché.
M. Pierre Mauroy.
C'est mieux que la « génération Juppé » !
M. Alain Gournac.
Pourquoi ne pas accepter un critère relatif à la qualification ? Je sais bien
que les jeunes diplômés ont eux aussi des difficultés à trouver des emplois
qualifiés, mais ils sont loin de connaître les mêmes difficultés que ceux qui
ont été exclus du système scolaire.
L'emploi des jeunes diplômés, c'est un problème d'emploi différent. Ce que
l'on constate, c'est l'inadéquation entre les diplômes et le monde du travail.
C'est donc là un problème qui touche notre système d'enseignement.
Ce sont donc surtout les exclus du système scolaire qu'il faut aider en
priorité afin de leur apporter la qualification nécessaire à une meilleure
insertion dans le monde du travail.
Par ailleurs, comment imaginer que certains emplois dont vous nous avez parlé
- médiateurs pénaux, agents d'ambiance dans les transports ou les cités - qui
réclament une grande maturité et une longue expérience puissent être occupés
par des jeunes de dix-huit à vingt-six ans, même diplômés ?
En revanche, certains emplois ne sont pas qualifiés. N'allez-vous pas décevoir
les jeunes qui, qualifiés, vont les occuper ?
M. Jean-Louis Carrère.
Moins que vous !
M. Alain Gournac.
Enfin, parmi tous ceux qui se proposent d'accueillir des emplois-jeunes, je
n'entends parler que de jeunes ayant bac + 2 ou + 4.
Les jeunes non diplômés auront-ils leur chance ? Vous allez nécessairement
créer une nouvelle discrimination envers eux.
Enfin, ce texte est particulièrement imprévoyant puisque, à aucun moment, vous
n'envisagez la sortie du contrat à l'issue des cinq ans. Or, il paraît, madame
le ministre, que gouverner, c'est prévoir.
Vous espérez, vous souhaitez, vous imaginez, mais rien de concret n'est venu
compléter votre texte. Les jeunes - il ne faut pas les tromper - sont l'avenir
de notre pays, or vous leur préparez un drôle d'avenir !
Ce que nous voulons, c'est que ces emplois débouchent sur une véritable
insertion dans le marché du travail par la pérennisation de l'emploi, qui doit
être transféré au secteur marchand.
Nous savons tous que la seule chance de ces jeunes, c'est d'être qualifiés
pour un métier, c'est d'être formés. Comment avez-vous pu présenter un projet
de loi initial sans prévoir cette formation ? C'est un mystère ! L'amendement
que vous avez fait adopter à l'Assemblée nationale demeure largement
insuffisant. La proposition de M. Louis Souvet d'appliquer le système de
l'apprentissage dans l'emploi des jeunes est excellente. J'espère que vous y
souscrirez, car cela permet notamment de sauver la filière de la formation par
alternance, dont la mort est programmée par ce texte.
Comment imaginez-vous qu'un jeune accepte d'être payé entre 50 % et 75 % du
SMIC, même si on le forme à un métier, alors qu'il pourrait être payé 100 % du
SMIC, sans faire l'effort de se former ?
Enfin, j'insiste sur la nécessité du tutorat, que nous avons exploité dans le
département des Yvelines avec le plan « Mille Emplois », dont on parle
beaucoup.
M. Pierre Mauroy.
Dans les Yvelines !
M. Alain Gournac.
C'est le seul moyen efficace d'assurer une formation qualifiante du jeune, et
j'applaudis à l'idée de notre rapporteur de créer un dispositif d'encadrement
par les demandeurs d'emplois sans condition d'âge afin que cesse enfin ce que
je dénonce depuis de nombreuses années comme la perte du savoir de ceux qui
sont exclus du marché du travail, notamment en raison de leur âge, alors même
qu'ils sont parfaitement aptes à remplir les missions d'encadrement
envisagées.
Enfin, se pose la question de la fonction publique territoriale
bis
qui
sera ainsi peu ou prou créée. Vous m'objecterez qu'il s'agit de contrats de
droit privé. Ce que je constate, c'est que ce seront des emplois peu onéreux
pour les collectivités. Les effets d'aubaine seront donc énormes.
Comment une collectivité territoriale ne serait-elle pas tentée de remplacer
les départs à la retraite par des emplois-jeunes ? Il suffit de créer de
nouveaux postes et de leur affecter des missions sociales ou liées à
l'environnement
Par ailleurs, je n'ose imaginer la pression qui va s'exercer sur les
collectivités territoriales et le clientélisme qui risque d'en découler.
Comment les communes vont-elles financer les 20 % restant à leur charge, voire
souvent bien plus en raison des coûts liés à l'équipement d'un poste de
travail, à l'encadrement, aux fournitures et à l'éventuel dépassement du SMIC
dans le cas où le jeune est qualifié ?
Les budgets des collectivités locales vont nécessairement augmenter, à moins
que les dépenses en investissement, déjà si rares, ne soient réduites, avec les
conséquences sur l'emploi privé que l'on sait. Certaines communes trop pauvres
ne pourront pas alourdir la fiscalité locale et n'auront donc pas la
possibilité d'embaucher des jeunes.
Dangereux et pervers, le système ouvre la porte à tous les abus. Je redoute
les conséquences qui en découleront.
Enfin, vous allez créer plusieurs dizaines de milliers d'emplois dans la
police, l'éducation nationale et la justice.
Mise à part la dérogation prévue pour les adjoints de sécurité de la police,
ces jeunes n'auront aucun statut, aucune garantie de l'emploi et ne recevront
pas la rémunération correspondant à leur qualification. On se demande qui est
l'exploiteur ? Est-ce vraiment les entreprises ?
(Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Joëlle Dusseau.
Tout de même !
M. Pierre Mauroy.
Comment peut-on tenir de tels propos ?
M. Alain Gournac.
Ces emplois seront pérennisés dans la fonction publique. En effet, comment
refuser de titulariser ceux qui auront bien travaillé pendand cinq ans et
acquis de l'expérience ?
Comment expliquerons-nous aux autres jeunes, qui n'auront pas eu la chance
d'être de la « génération Aubry », qu'ils doivent, eux, passer les concours de
la fonction publique ?
En outre, quel scandale que M. Allègre, avant le début des travaux du
Parlement, ait annoncé le recrutement de 40 000 personnes ! C'est très facile
de proposer Noël en septembre, c'est très populaire !
M. Pierre Mauroy.
Vous en savez quelque chose !
M. André Vezinhet.
Vous êtes expert, vous vous y connaissez !
M. Alain Gournac.
Mais prenez garde, l'enthousiasme que vous avez attisé ne va-t-il pas se
transformer en amertume chez tous ceux qui ne seront pas acceptés en raison du
trop grand nombre de candidats ou qui découvriront la nature fantaisiste de ces
emplois que vous leur proposez ?
(Brouhaha sur les travées socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, laissez parler l'orateur !
M. Pierre Mauroy.
Ces propos sont renversants !
M. Alain Gournac.
De plus, je redoute que vous ne détourniez les jeunes de leurs études en leur
offrant une voie facile, mais médiocre.
Si je prends l'exemple de l'éducation nationale, je me demande qui va les
encadrer, les former. Les professeurs ne travaillant pas trente-neuf heures,
va-t-on appliquer à ces jeunes les horaires de l'éducation nationale et leur
octroyer les vacances scolaires ? De plus, quelle sera leur autorité de tutelle
?
Pour ce qui est du ministère de la justice, ces mêmes inquiétudes prévalent :
qui va encadrer ces jeunes ? Comment va-t-on assurer la confidentialité,
indispensable dans ce milieu ?
Voilà autant de questions sans réponse, qui ne doivent pas occulter le fond du
problème.
Avons-nous les moyens financiers de recruter des fonctionnaires pour effectuer
certaines missions qui pourraient peut-être améliorer les services publics,
mais qui demeurent secondaires ? A cette question, je réponds : non !
Les Français entretiennent un des Etats les plus chers du monde, a rappelé
tout à l'heure le président de la commission, et on ne peut indéfiniment
augmenter les prélèvements, bien qu'apparemment les premières annonces faites
sur le projet de loi de finances semblent montrer que vous souhaitiez relever
le défi.
Comme vous savez que vous n'en avez pas les moyens, vous créez cette fonction
publique au rabais. Mais les conséquences seront graves. Vous allez grever les
finances publiques pour de nombreuses années. Peut-être pensez-vous que vous ne
serez plus aux commandes quand cela explosera et qu'il importe peu !...
M. Jean-Louis Carrère.
Tout dépend quand le Président de la République décidera de dissoudre !
(Rires sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac.
Parce que ces emplois sont un mirage que l'on fait scintiller devant les yeux
des jeunes, mais qui finira par s'évanouir et ne laissera que le désert, nous
sommes contre la création de ces emplois dans le secteur public.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Puisque ces emplois - vos emplois, en l'état du projet - n'auront jamais
vocation à créer des richesses et à entrer dans le secteur marchand, nous
considérons qu'il ne peut s'agir de vrais emplois et qu'ils s'ajoutent aux 350
000 emplois que vous vous êtes engagée à créer. Il serait bien trop facile,
madame le ministre, de créer des emplois à coup de milliards. Tant qu'ils ne
seront pas solvables, ils ne pourront entrer dans vos comptes comme promesse
tenue.
Je voudrais, à présent, saluer le remarquable travail de réécriture du texte
auquel s'est livré notre excellent rapporteur, M. Souvet.
(Murmures ironiques sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Carrère.
Cireur de pompes !
M. Alain Gournac.
Si la philosophie de ce nouveau texte ne correspond toujours pas à la nôtre -
un projet de loi visant à alléger les charges sociales aurait été préférable -
il n'a plus aucun point commun avec le projet de loi initial.
Pour conclure, je dirai que ce projet de loi tel qu'il nous a été présenté par
Mme le ministre va entraîner des discriminations intolérables au moment où il
faudrait resserrer le lien social. Toute une classe d'âge risque de se
considérer en dehors de l'économie de marché. C'est vouloir refaire le lit
d'une idéologie catastrophique.
Par ailleurs, comment pouvez-vous concilier ce nouveau plan d'aide avec la
réduction des avantages fiscaux pour les emplois à domicile, qui va alimenter
le chômage et le travail au noir ?
Il vaudrait mieux dépenser cet argent pour alléger la charge des artisans et
des petites entreprises, qui pourraient alors créer, en bien plus grand nombre,
des emplois durables et créateurs de vraies richesses.
Telle est notre philosophie ; c'est la seule possible pour un pays qui se veut
moderne et a grand besoin de rattraper ses retards.
Notre groupe ne votera pas le projet de loi du Gouvernement. Il votera le
contre-projet de la majorité sénatoriale, proposé par notre rapporteur, M.
Louis Souvet, complété par les amendements que le groupe du RPR a déposés.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc.
Allez le dire aux jeunes que vous ne voulez pas de ces emplois-jeunes !
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est donc dès
son installation que le gouvernement de Lionel Jospin a souhaité lancer son
ambitieux projet en faveur de l'emploi des jeunes.
Il en fait une priorité et entend mobiliser l'ensemble des acteurs pour livrer
cette bataille contre un chômage frappant désormais près d'un demi-million de
nos jeunes, qui représentent plus de 20 % des chômeurs, ce pourcentage étant
supérieur à 40 % dans certains départements d'outre-mer ; notre collègue Claude
Lise y reviendra.
Au-delà de ce chiffre dramatique, nous voyons tous les visages de femmes et
d'hommes jeunes qui démarrent leur vie d'adulte avec pour toute perspective des
refus polis en réponse à leurs innombrables lettres de candidature, au mieux,
une succession de petits contrats, une pénible course d'obstacles pour obtenir
un revenu qui leur permette de vivre décemment de façon autonome.
Voilà des jeunes qui, déjà, renoncent à former des projets d'avenir, qui
doutent désormais de l'utilité de poursuivre des études.
M. le rapporteur, vous avez fort justement souligné que nous étions placés
face à nos responsabilités. A nous donc de les assumer, en tant que
législateurs bien sûr, en tant qu'élus locaux aussi, puisque telle est notre
spécificité dans cette assemblée.
Le dispositif que nous propose le Gouvernement repose sur une démarche
audacieuse : initier des emplois d'une nouvelle génération, susceptibles de
satisfaire des besoins émergents et affectés notamment aux services aux
personnes et à l'amélioration de la qualité de vie.
Belle utopie, nous dirons certains !
Mais les attentes sont pressantes : je pense ici à l'allongement de la vie
qui, sans aide appropriée, se transforme trop souvent en drames, mais aussi à
des besoins qui résultent du temps libéré autour de la culture, du sport, des
loisirs ; je pense encore à tout ce qui ressort de la préservation et de la
requalification de notre environnement.
Ces emplois font parfois l'objet de railleries dans certains milieux réputés
sérieux.
Je ne pense pas qu'il y ait lieu de plaisanter lorsque l'on constate que ces
emplois auront justement pour cible les carences, les perversions que sécrète
notre société, qui génère l'exclusion sous toutes ses formes, la solitude et
met en danger notre environnement.
Ces préoccupations rencontrent justement les aspirations des plus jeunes de
nos concitoyens qui délaissent certaines formes traditionnelles d'engagement et
entendent s'investir dans des actions concrètes de solidarité et de
proximité.
Ces besoins nouveaux, ou non satisfaits, peu de collectivités ont déjà eu les
moyens d'y répondre, ou simplement l'audace de le faire.
Le monde associatif, bien que particulièrement imaginatif, ne peut seul
assumer cette responsabilité. Quant au secteur marchand, il ne s'est pas tourné
vers des activités qui ne sont pas encore solvables, et donc tout simplement
non rentables.
Il fallait donc la conviction et l'engagement massif de l'Etat pour créer une
dynamique nouvelle originale.
Nous savons que c'est principalement sur ce point que se cristallisent les
critiques. M. Gournac vient de nous présenter un joli couplet sur la question.
Ces critiques déplorent l'investissement de fonds publics dans une telle
opération ; il faudrait, paraît-il, limiter au seul secteur marchand la
création de richesses et d'emplois ; est dénoncée la création d'une fonction
publique
bis.
Nous estimons pour notre part que, sur des enjeux de cette taille, l'Etat doit
jouer un rôle indispensable de levier pour combattre une situation aussi
anachronique qu'injuste. En effet, la France est riche, vous l'avez rappelé,
madame la ministre, et nous relevons chaque jour des besoins non satisfaits
alors que, parallèlement, le nombre de chômeurs va croissant.
Sans reprendre de façon détaillée le dispositif qui nous est proposé, je
soulignerai quelques-unes des différences saillantes qu'il présente avec les
systèmes de lutte contre le chômage imaginés antérieurement.
Ce dispositif vise un large public quel que soit son parcours scolaire. Nos
collègues de l'Assemblée nationale ont, à juste titre, insisté sur la nécessité
d'assurer un équilibre des profils dans les procédures de recrutement.
En attachant au contrat de travail des garanties importantes, celles du code
du travail tout simplement, notamment en cas de conflit entre l'employé et son
employeur, on évitera certaines des dérives qui sont intervenues dans d'autres
dispositifs.
La création de ces 350 000 emplois devra se faire de façon décentralisée et
concertée puisque ce sont les futures structures d'accueil publiques,
parapubliques ou associatives qui seront à l'origine des projets soumis à
l'agrément du préfet. Je reviendrai sur cet aspect de la question un peu plus
tard.
Les travaux de l'Assemblée nationale ont permis d'identifier les écueils qu'il
convenait d'éviter à tout prix.
Il s'agit tout d'abord d'éviter que ces emplois ne se substituent à des
emplois déjà existants dans la fonction publique ou dans le secteur
marchand.
C'est une question complexe, qui porte en elle des germes de dévoiement du
dispositif. Le texte nous parvient donc amendé sur ce point.
En ce qui concerne les collectivités, nos collègues députés ont finalement
retenu la référence aux « compétences traditionnelles » pour exclure de ce
champ les nouveaux emplois et prévenir les dérives du dispositif.
Monsieur le rapporteur, vous nous proposez sur ce point une notion certes plus
précise mais également plus restrictive.
J'ai cru comprendre que, lors de l'instruction des dossiers, il serait demandé
au préfet d'apprécier les embauches au cas par cas, selon la spécificité de
chaque collectivité. Cette ligne directrice exige donc de la souplesse et, dès
lors, elle exclut un encadrement trop strict des critères de référence dans
l'appréciation de la substitution.
En ce qui concerne les associations, l'Assemblée nationale a précisé utilement
que la nouvelle embauche ne pouvait correspondre à la fin du contrat d'un
salarié, quel qu'en soit le motif : un licenciement, un départ en retraite,
etc.
Je relève que, sur cette question cruciale de l'évaluation du risque de
substitution, le rôle du représentant de l'Etat est primordial.
Le groupe socialiste suggérera, dans un amendement, la mise en place d'un
comité de proximité compétent pour aider le préfet dans sa mission.
Les débats à l'Assemblée nationale ont, par ailleurs, mis l'accent sur les
risques de voir les plus qualifiés des candidats être choisis au détriment de
ceux qui le sont moins ; c'est ce que l'on appelle, de façon un peu brutale,
l'effet d'éviction.
Deux remarques s'imposent d'emblée.
D'une part, la liste indicative des emplois à créer fait appel à des profils
totalement différents selon les secteurs d'intervention ; les formations
initiales requises seront de ce fait variées.
D'autre part, ces nouveaux emplois, vous l'avez rappelé, madame la ministre,
ne sont pas
a priori
des emplois d'insertion, pour lesquels il existe
normalement des dispositifs mieux adaptés, qu'il convient à l'évidence de
recentrer sur leurs objectifs originels, et je salue votre engagement sur ce
point.
Pour maintenir un équilibre et une certaine justice, il est précisé que les
procédures d'agrément devront tenir compte de l'exigence de recruter des jeunes
qu'il conviendra de former. Nous retrouvons ici l'importance primordiale
qu'aura cette procédure.
Il faudra également définir un cursus de formation adapté à ces nouveaux
métiers ainsi que les conditions du tutorat dans la structure d'accueil. Ce
sont des exigences fondamentales, sur lesquelles reposent le succès de ces
nouveaux métiers et qui ont trop souvent fait défaut dans le cas des CES.
Toutefois, il faut le dire, des imprécisions demeurent sur les contenus, les
lieux et le financement de cette formation. Sur toutes ces questions, il
conviendra d'apporter des réponses aussi précises que possible, madame la
ministre.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, apporté des aménagements afin de jeter
des passerelles entre les emplois-jeunes et d'autres dispositifs.
Elle a prévu le passage des CES, des emplois-ville, mais aussi des
allocataires du RMI vers les emplois-jeunes.
Une telle opportunité sera également offerte aux jeunes qui ont choisi une
formule de formation en alternance. Nous devrons nous assurer qu'un tel passage
se fera bien à l'issue du contrat de qualification ou d'apprentissage.
Les députés ont également prévu des passerelles vers le secteur marchand : en
rétablissant l'ACCRE, l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'entreprise,
au profit des jeunes qui aspirent à créer leur propre entreprise, d'une part ;
en autorisant la possibilité de cumuler un CES avec un emploi à mi-temps
rémunéré, d'autre part.
Les sénateurs socialistes approuvent ces options nouvelles, qui ouvrent d'ores
et déjà ce dispositif vers le secteur marchand et permettent d'en envisager la
consolidation.
En revanche, nous ne partageons pas la volonté de notre rapporteur et de la
majorité de la commission des affaires sociales de faire un amalgame entre,
d'une part, ce qui relève de l'initiative du Gouvernement et des structures
d'accueil visées dans ce projet de loi et, d'autre part, le deuxième volet du
programme « 700 000 emplois pour les jeunes », qui visera à intégrer des jeunes
dans les entreprises privées. Ce deuxième volet ressortira des négociations
avec les partenaires sociaux qui se dérouleront lors de la toute prochaine
conférence sur l'emploi et les salaires. C'est pourquoi nous estimons que ce
qui nous est proposé par la commission constitue un dévoiement du
dispositif.
Le groupe socialiste souscrit aux orientations inscrites dans le projet de loi
modifié par l'Assemblée nationale. Nous proposerons cependant de l'amender sur
les points qui nous semblent particulièrement sensibles.
Je me permettrai d'insister sur certains de ces points.
Nous pensons que la réussite de ce texte ambitieux repose sur la mobilisation
de l'ensemble des acteurs locaux, sur la viabilité des projets retenus et sur
le respect des objectifs définis dans les conventions, notamment en termes de
formation.
Madame la ministre, vous avez déjà indiqué que les services des directions
départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle
seraient naturellement amenées à exercer un contrôle sur la réalisation des
conventions.
Il serait judicieux d'encourager la création de comités de pilotage de
proximité - à l'échelle d'un bassin d'emplois, par exemple - composés des
acteurs de terrain, tels que des intervenants dans les ANPE ou les missions
locales, des élus, des représentants des partenaires sociaux, des membres des
chambres consulaires. Ces différents acteurs, par leur connaissance des
réalités locales, sont mieux à même d'appréhender la pertinence d'un projet,
ses chances d'intégration dans le tissu économique local, le suivi du parcours
des jeunes, la sortie du dispositif à l'issue du contrat de travail. Ils sont
en outre susceptibles d'assurer - et ce n'est pas le moins important - une
veille permanente sur le non - dévoiement de ce dispositif, notamment en termes
de substitution.
Toujours dans le souci de favoriser la réussite de ces projets, et
singulièrement l'accueil des jeunes dans les structures publiques ou
parapubliques, nous estimons que la consultation des institutions
représentatives telles que les comités techniques paritaires devrait avoir lieu
préalablement à la signature de la convention. C'est une nuance importante que
nous souhaiterions voir figurer dans la loi.
Ce sont en effet ces agents qui assurent au quotidien l'exercice d'un service
auprès du public et qui, de ce fait, mesurent les demandes de ce public ainsi
que les carences existantes. Ce sont eux qui assureront l'accueil et le plus
souvent la formation de base de ces jeunes dont ils seront les collègues ; il
existe à cet égard une difficulté que nous ne devons pas sous-estimer : la
coexistence au sein d'un même service de plusieurs salariés sous statuts
différents.
De l'articulation entre leur travail et celui des nouveaux emplois dépendra
vraisemblablement la réussite du dispositif ; d'où la nécessité de solliciter
leur adhésion.
Madame la ministre, vous avez rappelé à plusieurs reprises que la liste des
vingt-deux métiers, largement médiatisée, n'était pas exhaustive.
Le groupe socialiste vous saisit donc de deux nouvelles propositions que nous
avons choisi de vous soumettre sous forme d'amendements. Je laisse à mes deux
collègues et amis, Monique Cerisier-ben Guiga et Georges Mazars, le soin d'en
présenter la philosophie. J'espère que la discussion que nous aurons à propos
de ces propositions portera ses fruits lors de l'entrée en vigueur de ce
texte.
L'ensemble des débats met en évidence le rôle primordial que joueront les
collectivités et leurs établissements, de même que les associations.
Les députés ont souhaité à juste titre que, dans une proportion des trois
quarts, les emplois ainsi créés résultent d'initiatives locales. Il est évident
que c'est à ce niveau que les acteurs sont le mieux à même de proposer des
projets correspondant à de nouveaux métiers, propres à satisfaire des besoins
émergents, et des activités nouvelles liées à l'évolution de notre société.
Plus que quiconque, ils ont la capacité d'inventorier une large panoplie des
emplois possibles entrant dans le champ du développement économique et marquant
ainsi une rupture avec des dispositifs anciens qui ont trop souvent une
connotation de « petits boulots ».
Les collectivités et les associations revendiquent une place en première ligne
sur les emplois-jeunes. Vous engagez très significativement l'Etat auprès
d'elles par une contribution financière importante et régulière durant cinq
ans.
Vous n'ignorez pas, cependant, que certaines parmi les plus pauvres - et qui
sont donc aussi parmi celles qui comptent le plus de chômeurs - rencontreront
d'énormes difficultés pour trouver les 20 % restant à leur charge.
Au-delà de la possibilité de constituer des groupements d'employeurs, le
projet de loi prévoit le recours au partenariat, notamment avec les régions et
départements. Mon collègue Roland Huguet évoquera cet aspect du dispositif.
D'autres partenariats sont possibles. Vous pourrez nous préciser, madame la
ministre, quelles pistes vous allez dégager pour aider les collectivités dans
leur recherche de fonds complémentaires.
Madame la ministre, nous avons la conviction que l'engagement des socialistes
concernant l'emploi des jeunes durant la dernière campagne électorale a été
déterminant dans le choix des Français. Nous savons que ce projet de loi ne
représente qu'un volet d'un dispositif d'ensemble, lequel comprend notamment
une importante négociation avec les partenaires sociaux, qui devrait aboutir à
la création d'autres emplois pour les jeunes dans les entreprises mais aussi à
une réduction du temps de travail suffisamment significative pour générer
d'autres emplois.
Votre détermination, l'engagement d'une majorité de parlementaires, des
collectivités et du monde associatif doivent assurer la réussite des
dispositions législatives que nous examinons aujourd'hui. Celles-ci sont
certainement perfectibles et demanderont un suivi sérieux, une évaluation que
nous ferons avec vigilance.
Nous savons que, au-delà des 350 000 jeunes qui vont pouvoir se projeter dans
l'avenir, ce sont de très nombreuses familles françaises qui vont sentir se
desserrer l'étau de l'angoisse du lendemain, et nous croyons que les nouvelles
portes ainsi ouvertes contribueront à redonner confiance et à provoquer un
élément déclencheur face à des comportements de consommation aujourd'hui très
frileux.
Madame la ministre, nous sommes collectivement soumis à l'obligation de
résultats. Nous considérons que ceux-ci ne sauraient être obtenus si l'on
suivait les propositions de notre rapporteur.
En revanche, sur vos propositions, vous pouvez être assurée du soutien des
socialistes.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi,
en introduction, de dire la satisfaction que j'éprouve à constater que le
premier texte d'origine gouvernementale dont la commission des affaires
sociales se trouve saisie depuis les dernières élections législatives est
relatif à l'emploi, en particulier à l'emploi des jeunes.
Avant la tenue de la Conférence sur l'emploi, la réduction du temps de travail
et les salaires, avec le futur texte sur l'emploi des jeunes dans les
entreprises, deuxième volet de la lutte contre le chômage des jeunes, le
présent projet de loi s'inscrit dans la mise en oeuvre des engagements que la
nouvelle majorité de gauche a pris devant les électeurs.
En fait, c'est bien sur la capacité de ce dispositif à apporter des solutions
durables au drame du chômage, à la montée de la précarité et de l'exclusion que
nous serons jugés.
La situation actuelle est catastrophique. Plus de cinq millions de personnes
sont, de fait, à la recherche d'un véritable emploi. Chez les jeunes de moins
de vingt-six ans, 630 000 chômeurs étaient officiellement comptabilisés par
l'ANPE en juillet dernier. Mais ce chiffre n'inclut pas les centaines de
milliers de jeunes qui alternent petits boulots, CES ou stages plus ou moins
qualifiants et périodes de chômage.
Ces jeunes connaissent un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne
du pays. Si 190 000 d'entre eux sont diplômés, titulaires du baccalauréat ou
d'un diplôme bac + 2, 340 000 n'ont pout tout bagage qu'un CAP ou un BEP et 65
000 sortent de l'école sans qualification aucune.
L'urgence est là et le manque d'emplois accessibles à cette génération se fait
chaque jour cruellement sentir. A preuve, l'incroyable ruée vers les guichets
des rectorats depuis l'annonce de la mise en place du plan emploi- jeunes dans
l'éducation nationale. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, les étudiants
et les hauts diplômés sont prêts à accepter des postes ne correspondant pas à
leur qualification, alors que les non-diplômés ressentent véritablement les
effets de l'exclusion.
Le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade,
a affirmé que l'échec des politiques de l'emploi menées jusqu'à présent était
un « échec collectif ».
Sans vouloir polémiquer, je crois pouvoir dire qu'il s'agit avant tout de
l'échec d'une logique, celle de la baisse du coût du travail par une subvention
directe à l'emploi et l'exonération des charges sociales. Cette logique conduit
à l'impasse.
Car, de loi quinquennale pour l'emploi en CES ou en CIP, toutes ces politiques
d'aide, qui ne sont assorties d'aucun contrôle quant à la baisse du coût du
travail, à défaut de faire baisser le chômage, auront largement contribué à
propager la précarité par simple effet de substitution et finalement participé
à la destruction d'emplois. Cette politique a abouti à tirer vers le bas toute
la structure des salaires, alimentant ainsi l'insuffisance de la demande et des
qualifications, favorisant la course vers les placements financiers au
détriment, en fin de compte, de la croissance réelle et de l'emploi.
Face à ce constat d'échec, je ne peux que me féliciter, madame la ministre,
que vous annonciez vouloir « inverser la logique ».
Votre projet de loi affiche en effet l'ambition de rompre avec le type d'aides
à l'emploi qui s'est développé jusqu'à présent avec les CES, les CEC et autres
emplois-ville, et d'aller vers une professionnalisation de l'emploi, avec une
réelle efficacité sociale.
Votre texte tend ainsi à favoriser l'essor de nouvelles activités
correspondant à des demandes dont l'émergence serait entravée par les
conditions actuelles du marché.
A cette fin, le Gouvernement s'engage à assurer la prise en charge sur cinq
ans, à hauteur de 80 % du SMIC, charges comprises, du financement de chaque
emploi répondant aux critères d'utilité sociale.
L'employeur, qui pourra être une collectivité territoriale, un établissement
public ou une association, devra verser les 20 % restants ou aller au-delà,
cette part pouvant faire l'objet d'un cofinancement.
Deux formes de contrat de droit privé sont prévues : il pourra s'agir soit
d'un CDI, soit d'un CDD de cinq ans, pouvant être rompu chaque année par
l'employeur en cas de motif « réel et sérieux », c'est-à-dire, je le rappelle,
de motif permettant le licenciement d'un salarié employé sous contrat à durée
indéterminée.
Pour ma part, je pense qu'il est nécessaire d'éviter certains écueils et de
lever certaines des ambiguïtés qui peuvent subsister dans un texte que, par
ailleurs, le groupe communiste républicain et citoyen soutient globalement.
Je crois que vous avez vous-même conscience, madame la ministre, de certaines
insuffisances, puisque vous avez souscrit à une amélioration déjà sensible du
texte lors de son examen par l'Assemblée nationale.
Je me félicite, en particulier, que nombre des propositions faites par mes
amis du groupe communiste de l'Assemblée nationale aient été adoptées. Je pense
notamment à des amendements permettant une meilleure prise en compte de la
dimension démocratique du dispositif. Ainsi, les conventions prévues à
l'article L. 322-4-18 du code du travail seront « établies en concertation avec
les partenaires sociaux », et les comités techniques paritaires en seront
informés.
Je pense encore à l'inscription, dans les conventions, des modalités de
qualification et de formation professionnelle. Il s'agit là d'une amélioration
importante.
La formation est en effet un élément essentiel de la pérennisation : répondre
à des besoins non satisfaits implique l'expérimentation, donc un travail de
construction et de définition des nouveaux emplois qui réclame, à l'évidence,
un effort important en termes de qualification et de formation. Nous pensons
d'ailleurs qu'il faut aller plus loin à cet égard.
Le projet de loi évoque ainsi des métiers nouveaux. Mais tant que l'on ne les
aura pas consolidés en assurant la qualité du service rendu, on ne pourra pas
faire en sorte que de vrais emplois durables apparaissent et que de nouvelles
entreprises se créent. Il faut donc que tous les jeunes concernés soient formés
et qualifiés : s'ils ne devaient être employés que durant cinq ans, sans
qu'aucune formation leur soit donnée, il ne s'agirait que d'emplois
d'insertion. Nous devons, par conséquent, privilégier la
professionnalisation.
Nous notons également avec satisfaction l'inscription dans le texte de la
possibilité de verser une rémunération supérieure au SMIC.
Il est nécessaire, à mon sens, pour offrir des débouchés d'avenir aux jeunes,
de tenir compte, en matière salariale, de leur qualification de départ et de
leur progression durant les cinq ans. C'est pourquoi nous nous réjouissons de
l'inclusion de ces contrats de travail dans les grilles de classification des
conventions collectives nationales.
Il s'agit, là encore, d'un aspect important de la réussite du dispositif. En
effet, l'institution de contrats de travail de cinq ans assortis d'une
rémunération égale au SMIC pourrait constituer un progrès pour ceux d'entre les
jeunes qui sont faiblement qualifiés, mais je crains que les emplois prévus par
le projet de loi ne soient inaccessibles à la plupart des 250 000 jeunes en
grande difficulté, parmi lesquels les plus pauvres, les très pauvres.
(M. Gournac approuve.)
La question est posée : ces jeunes peuvent-ils attendre une prochaine loi
contre l'exclusion ? A mon sens non, car il y a urgence.
En revanche, pour les plus qualifiés, il faut prendre garde que le contrat de
cinq ans au SMIC ne constitue une régression.
En effet, selon l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement
économiques, parmi les travailleurs ayant constamment été employés en France au
cours de la période 1986-1991, ceux dont le salaire était bas en début de
période étaient restés, en moyenne, pendant deux à trois ans dans cette
situation. Je me félicite qu'une disposition nouvelle essaie de répondre à ce
problème, en ouvrant la possibilité de suspendre le contrat, le temps pour le
jeune d'effectuer une période d'essai suite à une offre d'emploi. Peut-être
s'agit-il là d'une porte de sortie.
J'ai parlé des améliorations apportées au texte, mais il nous semble cependant
que certains ajouts, comme la possibilité de conclure des contrats « à temps
partiel sur dérogation accordée par le représentant de l'Etat », présentent des
aspects dangereux.
Ne risque-t-on pas, en effet, de retomber justement dans la précarité que vous
souhaitez combattre, madame la ministre ?
En outre, faut-il ouvrir la possibilité au préfet, ou à son représentant, de
déroger à une règle générale ? Ne risque-t-on pas de constater une application
du code du travail modulable selon les départements ?
Nous nous proposons de revenir sur ces innovations introduites par les
députés, peu opportunes à notre sens.
Par ailleurs, nous mettrons en débat plusieurs propositions destinées à
enrichir le texte et à permettre de lever certaines ambiguïtés qui, à mes yeux,
subsistent çà et là.
Nous pensons, en particulier, qu'il est nécessaire de clarifier les rapports
entre emplois-jeunes et fonction publique : la mise en place de ces emplois ne
doit freiner ni l'évolution et la rénovation nécessaires du service public - je
pense notamment au développement des nouvelles filières correspondant aux
besoins publics, qui évoluent sans cesse - ni le recrutement sous statut.
Ne pas aller dans ce sens risquerait, par le déploiement de toute activité
nouvelle correspondant à l'évolution des besoins vers les secteurs marchand ou
associatif, d'interdire toute modernisation du service public.
En effet, contrairement à ce qu'affirme, par exemple, M. le rapporteur, les
vrais emplois du futur se trouvent et dans le secteur marchand et dans le
secteur public.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Guy Fischer.
C'est l'une des raisons pour lesquelles nous proposons que, lorsque
l'employeur est une personne morale de droit public, les jeunes recrutés le
soient par la voie de contrats de droit public. Cela permettrait en outre aux
jeunes de bénéficier de l'ensemble des droits des contractuels, et de leur
ouvrir dans les mêmes conditions, par la voie interne, les concours
administratifs.
A ce propos, je voudrais évoquer certaines questions que soulèvent les
dispositions de l'article 2 concernant les missions d'adjoint de sécurité.
Certes, ceux-ci bénéficieront d'un contrat de droit public, mais je crains que
la période de formation de deux mois ne soit insuffisante, car ils devront
assurer des missions de surveillance, d'îlotage et de relations avec les
victimes, missions qui exigent une vraie formation et une réelle expérience
professionnelle. En outre, une formation de deux mois, est-ce suffisant et
raisonnable lorsque l'on nous annonce que certains de ces jeunes seront armés ?
Nous proposerons donc de porter cette période à six mois.
(Mme Luc
opine.)
S'agissant du dispositif général prévu à l'article 1er, nous souhaiterions
aller dans le sens d'une plus grande transparence favorisant l'intervention
démocratique, qui constitue l'une des conditions du succès du plan
emploi-jeunes.
Plus généralement, nous pensons que l'efficacité commande de rompre jusqu'au
bout avec les politiques précédemment suivies en matière d'emploi. Ne
pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il serait nécessaire de réfléchir à des
propositions nouvelles visant à une meilleure efficacité des financements et,
par conséquent, à un abaissement des charges financières ?
D'ailleurs, le coût de la création de 350 000 emplois pour les jeunes
représente non pas seulement le paiement des salaires, mais également le
financement des investissements en matière de formation et d'encadrement.
Pour parvenir à une véritable pérennisation, il faudra donc dégager de
nouveaux financements. Une réforme de la fiscalité locale apportant des moyens
nouveaux aux collectivités territoriales s'impose, comme s'impose également une
relance économique.
Ne pourrait-on organiser, avec les institutions financières, une
solvabilisation et une pérennisation de nouvelles activités et de nouveaux
emplois ?
Il s'agirait de définir d'autres principes de financement, en s'appuyant sur
les fonds publics, afin de faire baisser les charges financières qui étranglent
bien souvent les collectivités locales et les offices d'HLM. Notre groupe fera
bien sûr d'autres propositions, que nous développerons au cours du débat
parlementaire.
Je voudrais, pour conclure - et j'espère que vous pourrez nous rassurer,
madame la ministre - insister sur les pièges dans lesquels certains voudraient
nous faire tomber.
M. Gournac, dans son intervention, nous a d'ailleurs montré le visage réel de
la droite la plus libérale.
(Rires et exclamations sur les travées du RPR.)
M. Roland Huguet.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Tant mieux !
M. Josselin de Rohan.
Vous n'imaginez tout de même pas que nous allons utiliser votre langage ?
M. Guy Fischer.
Je pense également, à ce propos, à plusieurs amendements de M. le
rapporteur.
Selon nous, la création d'un nouveau CDD de cinq ans ne doit pas servir de
prétexte au CNPF pour imposer, dans le privé, les « contrats de mission » ou «
contrats d'activité », comme certains les appellent, qu'il préconise, et qui
lui permettraient, d'une part, de faire du CDD la norme d'embauche et
d'introduire une nouvelle flexibilité, et, d'autre part, de vider ce contrat de
garanties que, du fait de son caractère précaire, il offre au salarié.
M. Nicolas About.
C'est Mme Aubry qui crée les emplois précaires, ce n'est pas le CNPF !
M. Guy Fischer.
Je pense en particulier à la difficulté de rompre avant terme ce type de
contrat.
Nous tenons à réaffirmer que, en ce qui nous concerne, nous refusons que le
dispositif prévu dans le secteur public puisse servir de base au système
destiné aux jeunes, qui devrait se mettre en place dans le secteur privé. Nous
comptons sur le Gouvernement pour faire preuve, dans ce domaine, de la plus
grande vigilance.
C'est pour ces raisons que nous refuserons de voter les amendements de la
commission des affaires sociales, qui prévoient le maintien de l'aide publique
aux emplois transférés dans le secteur marchand avant le terme du contrat de
cinq ans. Nous en reparlerons !
En conclusion, je crois que, avec ce texte, nous sommes tous placés devant une
grande responsabilité. Allons-nous pouvoir répondre aux espoirs exprimés par
les jeunes et par leurs familles ? Allons-nous permettre que s'ouvre enfin,
pour les jeunes, un avenir moins sombre que celui auquel ils croyaient être
promis ? A nos yeux, madame la ministre, le texte relatif aux emplois-jeunes
constitue une piste d'envol, et non une ligne d'arrivée.
Pour sa part, et tel est le sens de nos interventions et de nos propositions,
le groupe communiste républicain et citoyen est décidé à ne laisser passer
aucune chance.
C'est pourquoi nous agirons pour assurer la réussite du formidable pari engagé
au travers de ce texte : offrir un véritable emploi à tous les jeunes de notre
pays.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes. - Mme Joëlle Dusseau applaudit
également.)
Mme Hélène Luc et M. Ivan Renar.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Madame la ministre, c'est peu dire que votre initiative forte est la
bienvenue. Parmi nos 3 200 000 chômeurs, le nombre de jeunes de moins de
vingt-cinq ans est d'au moins 600 000, soit pratiquement un chômeur sur
cinq.
La France présente la triste caractéristique d'enregistrer un des plus fort
taux de chômage de jeunes au sein des pays membres de l'OCDE, malgré un nombre
record de jeunes en formation ou poursuivant des études. En outre, on sait à
quel point l'emploi des jeunes, quand il existe, est scandé par les contrats à
durée déterminée, par la crainte omniprésente de se retrouver au chômage et par
le « slalom » entre le CDD, le stage « bidon » et l'ANPE.
Oui, il faut lutter contre la désespérance, redonner aux jeunes le minimum de
stabilité, de confiance et d'espoir qui leur est nécessaire pour se lancer dans
la vie avec quelque chance d'y réussir. Aussi donné-je fortement mon
approbation à la création de ce que l'on appelle déjà les « emplois Aubry ».
Certes, dans ce premier volet visant à la création de 350 000 emplois sur
fonds publics que vous nous présentez en urgence, un certain nombre
d'interrogations subsistent. La plus importante concerne les emplois prévus par
votre texte dans l'éducation nationale et dans la police.
Sur le plan financier, tout d'abord, ces deux ministères se comportent comme
des collectivités territoriales, prenant sur leur budget le complément au
financement à 80 % que vous apportez, madame la ministre : l'Etat complète
l'Etat. Il y a déjà là une distorsion qui pose problème.
Mais, surtout, il est difficile de voir dans les emplois ainsi proposés des
métiers émergents. L'animateur scolaire, dans un collège ou un lycée où l'on
manquera de surveillants, aura du mal à ne pas faire de surveillance ; il sera
un surveillant recruté sans concours, payé au SMIC et travaillant trente-neuf
heures par semaine. Il y a là, pour aujourd'hui et pour demain, un vrai
problème.
Il en est de même pour les auxiliaires de police. L'importance du manque
d'effectifs dans ces deux secteurs ajoutée aux problèmes actuels des jeunes
justifie aujourd'hui cette démarche. Elle ouvre cependant, pour demain, en
termes de carrière, de pérennisation d'emplois, de menace de ce qu'il faut bien
appeler une fonction publique
bis,
des difficultés qui seront à résoudre
et qu'il ne faut pas sous-estimer. En ce qui concerne d'ailleurs la police, je
suis opposée à ce que les jeunes ainsi recrutés soient armés, car cela me
paraît à la fois dangereux pour les autres et pour eux-mêmes. Aussi ai-je
déposé un amendement visant à faire en sorte que le port d'armes leur soit en
tout état de cause interdit.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
Mme Joëlle Dusseau.
Je poserai aussi des questions et formulerai des remarques sur les métiers
émergents. J'ai bien compris qu'il ne faut pas prendre la liste au pied de la
lettre et qu'il s'agit bien plus ici de pistes de recherches que d'exemples
forcément à suivre. Il en est d'ailleurs d'autres, toute une série, qui sont
encore un champ à explorer et qui sont, j'en suis sûre, porteurs d'avenir,
qu'on puisse ou non envisager leur entière solvabilité future.
Mais il est tout aussi évident qu'un certain nombre de ces exemples, je pense
notamment à l'accompagnement des chômeurs de longue durée, de malades du sida
ou à d'autres activités de ce type, requièrent l'emploi de personnes qui ont à
la fois une expérience professionnelle et une expérience de vie que ne peut
avoir le public ciblé ici. Faut-il pour autant s'adresser à des personnes plus
âgées et ouvrir l'éventail au-delà de trente ans ? Je ne le crois pas. Une trop
grande dilution de la mesure la rendrait inefficace.
Il en serait de même si elle était ciblée trop exclusivement sur des publics
en difficulté. Pour autant, il ne faut pas oublier ces publics et il convient,
dans un avenir proche, de leur consacrer la même dose d'efforts financiers et
d'imagination. En effet, nombre de ces « nouveaux métiers » vont être occupés -
et c'est une bonne chose - par des jeunes ayant un niveau de diplômes élevé :
bac + 2 souvent, mais peut-être parfois bac + 3 ou bac + 4 et même plus. Ne
pourrait-on envisager dans ce dernier cas, c'est-à-dire lorsque les jeunes ont
un niveau supérieur à bac + 2, d'inciter fortement les collectivités et les
associations à majorer leur rémunération, soit financièrement, soit par une
réduction du temps de travail ? Un des amendements que j'ai déposés va dans ce
sens.
Je me trouve, madame la ministre, dans une situation particulière devant votre
projet de loi. En effet, y étant favorable, je serai peut-être dans
l'obligation de ne pas le voter si jamais les amendements de la commission des
affaires sociales étaient retenus par notre assemblée. J'espère, bien sûr, ne
pas être dans une telle situation.
Plusieurs sénateurs socialistes.
Nous aussi !
Mme Joëlle Dusseau.
Mais, je l'avoue, j'ai été un peu surprise par les arguments qui ont été
présentés au cours de nos longues heures de discussion en commission et par
certains aspects du rapport et certaines propositions de M. le rapporteur.
M. Alain Gournac.
Elles sont bonnes !
Mme Joëlle Dusseau.
Une partie des amendements qu'il propose détourne complètement la loi de son
sens.
Je ne comprends pas la volonté d'alourdissement tatillon qui semble convenir à
mes collègues de la commission. Je les ai connus en d'autres temps moins
administratifs. Le contrôle préalable des dossiers par le CODEF, dont on
connaît la lourdeur, ne peut que retarder des embauches. Nous sommes dans de
l'innovant. Il faut garder de la souplesse. Je ne suis pas sûre que ceux de mes
collègues qui voteraient cet amendement n'en sentiraient pas les premiers les
effets de ralentissement une fois revenus dans leur collectivité, quand ils
passeraient de l'état de législateur à celui d'usager de la loi.
M. Gérard Delfau.
C'est juste !
Mme Joëlle Dusseau.
Il en est de même du rapport annuel que préconise la commission. Je sais que
le bilan est à la mode et croyez bien que je ne sous-estime pas son importance.
Mais c'est parce que je trouve la notion de bilan importante que j'estime qu'on
ne doit pas en faire une tarte à la crème, le mettre dans toutes les lois, le
rendre annuel - et pourquoi pas semestriel tant qu'on y est ? - bref s'en
servir comme un habillage ou comme un obstacle.
Le fait d'imposer dans la convention initiale, celle que les associations, les
élus, nous-mêmes allons signer demain, une référence à la solvabilité de
l'emploi me paraît relever aussi de l'obstacle initial volontairement posé.
Certains de ces emplois pourront devenir parfois totalement ou partiellement
solvables, d'autres non. Faut-il les écarter pour autant comme vous le
proposeriez
a priori
? Je ne le crois pas.
Il y a surtout une confusion entre les deux volets des emplois-jeunes, d'une
part, le volet public et associations et, d'autre part, le volet privé. Le
volet création d'emplois dans le secteur privé doit venir, et nous l'étudierons
avec attention. Nous ne le connaissons pas encore mais ce n'est pas une raison
pour faire bénéficier des aides publiques, ou plus exactement des salaires
apportés par l'Etat, des entreprises privées. Rappelons d'ailleurs au passage
que la France a le record de l'OCDE des aides à la création d'emplois privés,
avec le plus fort pourcentage d'aide par rapport au PIB. Les piteux résultats
sont connus.
M. Gérard Delfau.
C'est du gaspillage !
Mme Joëlle Dusseau.
D'ailleurs cette proposition est totalement illogique au regard de votre
préoccupation de solvabilité des emplois, monsieur le rapporteur. D'un côté
vous exigez que l'on envisage la solvabilité de l'emploi dès la convention
initiale, de l'autre, vous proposez qu'après un certain temps l'aide de l'Etat
aille à l'entreprise privée. Cela me paraît relativement incohérent, surtout si
l'emploi est devenu solvable. De quelle garantie disposons-nous que, après
avoir payé pendant deux ou trois ans le jeune avec les deniers publics,
l'entreprise ne le jette pas purement et simplement à la rue, lorsque le
contrat de cinq ans sera achevé ?
Tout cela n'est pas sérieux, même si des pistes doivent être recherchées pour
le passage à l'autonomie financière et à l'entreprise, notamment individuelle,
des services que l'on aura ainsi créés. J'espère d'ailleurs que sur ce point, à
savoir les toutes petites entreprises à domicile, le deuxième volet que vous
nous présenterez sur le secteur privé, madame la ministre, apportera des
réponses et des innovations.
Il en est de même en ce qui concerne l'amendement relatif à l'apprentissage.
Il n'a pas sa place dans ce texte pour deux raisons. D'abord, il n'a avec lui
aucune articulation réelle. Vous en convenez d'ailleurs volontiers, monsieur le
rapporteur. Ensuite et surtout, les types d'emploi par nature émergents et
créatifs n'ont dans l'ensemble rien à voir avec l'apprentissage. Il s'agit ici
bien plus souvent de bac + 2, en tout cas d'hommes et de femmes ayant des
diplômes d'animateurs, de travailleurs sociaux, de savoirs humains dont la
technicité, nécessaire, ne relève en rien de l'apprentissage actuel. Je ne
crois pas que l'on serve l'apprentissage en le mettant, si vous me permettez
l'expression, monsieur le rapporteur, à toutes les sauces.
J'espère donc vivement que la sagesse des représentants des collectivités
locales que nous sommes, mes chers collègues, nous évitera de nous mettre en
porte à faux devant nos mandants, les élus et notamment les maires, tous
utilisateurs très prochains de ces dispositifs, quelle que soit leur couleur
politique.
M. Souvet a parlé, je crois le citer correctement, de changement de
philosophie du texte avec les amendements qu'il présente.
Gardons-nous, mes chers collègues, d'apparaître aux yeux de l'opinion publique
comme des opposants de principe à une loi qui répond, certes imparfaitement,
certes partiellement...
M. Alain Gournac.
Alors, il faut l'améliorer !
Mme Joëlle Dusseau.
...mais fortement à la préoccupation essentielle de nos concitoyens : l'avenir
de leurs enfants.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi sur lequel j'interviens aujourd'hui au nom de mes collègues sénateurs non
inscrits nous a, reconnaissons-le, laissés longuement perplexes.
L'équation n'est pas simple : il s'agit de créer, par la dépense, c'est-à-dire
l'impôt, 350 000 emplois permettant, selon vos propos, madame le ministre, à
des jeunes « d'entrer durablement dans la vie active en véritables agents de
développement économique » dans les secteurs public et associatif, et ce en
dépit de la logique qui veut que dans le reste du monde l'interventionnisme de
l'Etat en matière d'emplois et l'assistance étatique ne font plus recette
depuis longtemps !
Toutefois, malgré ces considérations politiques générales, je tiens ici à
souligner, à titre personnel, que, en tant que maire d'une petite commune de
moins de 5 000 habitants, et comme nombre de mes collègues ici présents, je
n'ai pas attendu ce texte de loi pour embaucher des jeunes en difficulté dans
ma municipalité.
Votre texte, madame le ministre, de toute apparence nécessaire et qui vise à
répondre à la demande pressante de notre jeunesse, est probablement pavé des
meilleures intentions mais il aboutit à une voie sans issue, celle de la
création de nouveaux emplois publics.
M. Alain Vasselle.
C'est vrai !
M. Philippe Darniche.
En effet, s'ils correspondent à une attente forte de nos jeunes concitoyens,
les emplois publics que vous prévoyez s'adressent en priorité aux personnes en
difficulté. Or le public visé dans le dispositif du texte de loi est à la fois
trop large et trop restreint.
Il est trop large parce qu'il s'adresse à l'ensemble des jeunes, sans
discrimination aucune. Mais les jeunes les plus qualifiés vont, de fait,
évincer ceux qui sont les moins diplômés, alors qu'ils n'ont pas besoin d'un
tel dispositif législatif. En effet, le taux de chômage des jeunes d'un niveau
bac + 2 est de 7 % dans notre pays, tandis que celui des jeunes non qualifiés
s'élève lui, à 47 %.
Au lieu d'enrichir de leurs compétences le secteur concurrentiel et privé, ces
jeunes diplômés vont alourdir notre secteur public déjà trop important.
Trop restreint, ce projet de loi joue contre son propre camp !
En effet, trop restrictif dans son article 1er, alinéa 7, il oublie les
adultes et fixe un seuil d'âge totalement arbitraire, à savoir trente ans. Or
les emplois d'utilité sociale que vous souhaitez voir créés pour des jeunes
uniquement demandent souvent maturité et expérience et doivent être ciblés en
priorité sur les personnes adultes.
Pour ma part, je suis sûr que l'avenir jugera qu'il s'agissait, dans les
faits, d'un texte coûteux, inadapté et injuste.
Le dispositif que vous proposez, madame le ministre, s'avère très coûteux dans
les faits. Il nécessite 35 milliards de francs - 2 milliards de francs en 1997
pour la création de 50 000 emplois et 10 milliards de francs en 1998 pour le
financement de 150 000 emplois supplémentaires - mais il s'affirme avant tout
comme une énième « recette administrative » au problème de l'emploi des jeunes
dans notre pays.
M. Alain Vasselle.
C'est exact !
M. Philippe Darniche.
Le mode de financement de ces nouveaux emplois publics pour les jeunes ne
procède, en réalité, d'aucun redéploiement de crédits, mais repose bel et bien
sur des dépenses supplémentaires.
Financer ces emplois par l'impôt va encore alourdir les charges des
entreprises, petites et grandes, et nuire à la création de « vrais emplois »
dans le secteur privé. Ce mode de financement menace donc, dans les faits, la
création d'emplois dans ce secteur privé et concurrentiel qui, lui, crée des
richesses.
D'où le sens de l'amendement que j'ai déposé à l'article 3, et qui a été
cosigné par l'ensemble de mes collègues sénateurs non inscrits. En effet, dans
les cinq prochaines années, il sera indispensable, selon moi, de dresser un
bilan rétrospectif et prospectif de ces mesures pour mieux apprécier leur
impact réel sur l'emploi, leur coût sur les finances publiques et leur
contribution à la satisfaction des besoins couverts.
Le projet de loi est inadapté, car il est source d'exclusion et profondément
catégoriel.
En instaurant des emplois uniquement publics, financés par l'impôt, ces jeunes
vont venir grossir les effectifs de notre fonction publique déjà si importante
et alourdir le poids de nos prélèvements obligatoires déjà prohibitifs.
M. Alain Vasselle.
Eh oui !
M. Philippe Darniche.
Pour ces emplois d'une durée de cinq années, sans formation aucune, sans
contenu sérieux bien souvent, rien, dans votre projet de loi, n'a été prévu
pour mettre en place un dispositif de transition vers un emploi solvable.
Ce projet de loi s'affirme par son injustice, car il exclut de l'aide que vous
tentez d'apporter deux types de catégories de personnes sans emploi.
Il exclut, d'une part, les adultes en difficulté, en les renvoyant à un
hypothétique texte sur l'exclusion dont on ne voit guère comment il serait
financé compte tenu des dépenses déjà engagées pour mettre en place le
dispositif du projet de loi que nous discutons aujourd'hui.
Il exclut, d'autre part, les jeunes en difficulté, en ne faisant aucune
distinction au sein même de cette population. En réalité, n'ayons pas peur de
l'affirmer, ce projet de loi conduit à l'éviction programmée des jeunes en
difficulté par les jeunes qualifiés. Ceux-ci, au lieu d'enrichir le secteur
concurrentiel et marchand, vont venir gonfler les effectifs de notre fonction
publique alors même que les emplois d'utilité sociale sont destinés aux
premiers.
Enfin, et malheureusement, ce texte me paraît injuste car il est
inévitablement source d'insatisfactions.
Votre projet de loi, madame le ministre, ne s'accompagne d'aucune réelle
formation, d'aucune perspective pour ces jeunes. Les conditions très favorables
de l'aide de l'Etat porteront fortement préjudice aux formations en alternance,
seules à même d'insérer durablement les jeunes dans un emploi stable.
Largement attirés par ce type d'emplois à courte vue, les jeunes diplômés
sacrifient, dans les faits et aux dépens de ceux qui se trouvent depuis
longtemps sans qualification, l'approfondissement de leur formation
d'apprentissage ou la prolongation de leur cursus, qui auraient très
certainement pu leur permettre de trouver un emploi à l'horizon des cinq
prochaines années, en priorité dans le secteur privé. Les propositions qu'a
faites la commission des affaires sociales vont d'ailleurs largement dans ce
sens !
Ce texte est injuste pour les fonctionnaires, qui découvrent d'autres moyens
d'accès à la fonction publique que le concours et qui se sentent à juste titre
menacés par le risque de nivellement par le bas de notre fonction publique
actuelle. Il va inévitablement en résulter une sous-fonction publique, source
de rancoeur pour les titulaires de ces emplois et germe de déstabilisation de
la fonction publique territoriale, puisque l'on aboutira probablement, à terme,
à des vagues de titularisations d'office pour que ces jeunes demeurent dans le
giron de la fonction publique.
Ce texte est également injuste pour ces jeunes qualifiés, dont la rémunération
sera identique à celle qui est perçue dans les emplois moins qualifiés. En
effet, en encourageant les jeunes à venir gonfler les effectifs de la fonction
publique, il risque fort malheureusement de dévaloriser l'effort de formation
tant par l'apprentissage que par la poursuite des études supérieures.
Ce texte est injuste, enfin, pour les communes pauvres où le nombre de
chômeurs peu qualifiés reste souvent élevé, car aucune péréquation financière
n'est prévue aujourd'hui entre elles et les communes riches. Un probable et
prévisible désengagement de l'Etat, au bout de cinq ans, risque par ailleurs de
contraindre les collectivités locales à payer l'intégralité des salaires de ces
emplois-jeunes, emplois qu'il faudra bien pérenniser d'une manière ou d'une
autre puisque beaucoup resteront insolvables.
Madame le ministre, plutôt que d'aider les jeunes les plus qualifiés à entrer
activement et durablement dans le secteur marchand, vous les encouragez à
prendre des emplois « protégés » non productifs, au terme desquels ils n'auront
plus les moyens de se réorienter dans les filières créatrices d'emplois. En
effet, rien n'a vraiment été prévu dans les dispositions que vous proposez pour
assurer la pérennisation de ces emplois au-delà de cinq ans ; aucune véritable
transition vers un emploi rentable dans le secteur privé n'est ici ni pensé ni
proposé.
C'est pourquoi, compte tenu des réserves que je viens d'évoquer devant vous,
le groupe des sénateurs non inscrits, dans sa grande majorité, s'abstiendra sur
ce texte. Si, bien entendu, les amendements proposés par la commission des
affaires sociales et défendus par le rapporteur, M. Louis Souvet, étaient
retenus, le projet de loi, profondément remanié, emporterait alors notre
adhésion.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque siècle
de notre histoire est jalonné de conquêtes et de progrès, mais aussi de grands
fléaux - guerres civiles ou religieuses, épidémies - générateurs de drames
individuels ou collectifs.
Notre siècle, malgré les avancées considérables des sciences, des techniques,
des acquis politiques et sociaux, s'achève sur le fléau du chômage.
Ce fléau est d'autant plus dramatique qu'il touche les jeunes, nos garçons et
nos filles, nos enfants, celles et ceux qui sont, comme l'a déclaré Jean-Paul
II, « l'espérance du monde ».
M. Gérard Delfau.
Oh !
M. Jean-Claude Carle.
Cette espérance est aujourd'hui ternie et assombrie par ce cancer qui
constitue la plus grande injustice de cette fin de millénaire.
Nombre de nos enfants n'ont pas cette dignité, cette utilité économique et
sociale que procurent un emploi, une feuille de salaire, qui plus est la
première feuille de paie.
C'est la raison pour laquelle, madame la ministre, toute initiative et toute
proposition visant à rétablir cette dignité méritent intérêt, quelle qu'en soit
l'origine.
Il n'est pas question pour moi de rejeter votre projet de loi pour la simple
raison que j'appartiens à l'opposition. Je sais votre souci, je connais votre
volonté de combattre ce fléau. Ce souci et cette volonté, madame la ministre,
l'ensemble de notre assemblée les partage.
Ce souci et cette volonté étaient également ceux de vos prédécesseurs.
Ce souci - je le reconnais volontiers - vous le vivez comme beaucoup d'entre
nous au quotidien dans votre mission d'élu local, ce qui - permettez-moi cette
digression - montre bien l'utilité pour un ministre ou un parlementaire d'avoir
les deux pieds dans la glaise.
Cette mobilisation pour permettre l'accès au premier emploi doit se garder de
faire naître chez les jeunes de fausses espérances, comme l'ont fait un certain
nombre d'initiatives, de propositions ou de plans précédents, dont j'assume une
partie de l'inventaire. En effet, aujourd'hui, la désespérance des jeunes,
l'angoisse des parents sont telles que la tentation de refuge vers les extrêmes
est réelle.
Je crains, madame la ministre, même si je ne le souhaite évidemment pas, que
votre projet de loi, comme les précédents, n'aille pas dans la bonne direction
: il est mal adapté tant sur le fond que sur la forme ou la méthode.
Vous poursuivez, en effet, simultanément deux objectifs : favoriser l'emploi
des jeunes et développer de nouveaux services. En réalité, c'est la création de
ces nouveaux services qui est pour vous prioritaire. Comme vous souhaitez
assurer leur développement, dans un cadre idéologique nouveau, celui du tiers
secteur, vous déguisez cette intention sous la question angoissante du chômage
des jeunes pour faire passer, en quelque sorte, votre projet de loi. Ce
faisant, vous empêchez qu'un véritable débat ait lieu sur la pertinence ou non
d'un secteur intermédiaire entre le secteur public et le secteur privé.
J'en viens au fond.
Depuis des années, notre pays consacre des sommes considérables à l'emploi :
76 milliards de francs ont été investis en 1990, le chômage atteignant alors 9
%, contre 150 milliards de francs cette année, alors que le chômage dépasse
12,5 %.
Or, madame la ministre, vous allez encore plus loin : vous décrétez -
promesses électorales obligent ! - la création de 700 000 emplois. C'est
stupéfiant ! Comment peut-on décréter l'emploi ? Qui plus est pour cinq ans ?
Permettez-moi de faire cette comparaison avec cette émission célèbre que sont
Les cinq dernières minutes
et cette phrase tout aussi fameuse : « Bon
sang, mais c'est bien sûr ! » Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ?
De surcroît, ces emplois concernent le secteur public. Pourtant, vous savez
mieux que moi que le secteur public n'a de réalité que celle que lui donne le
contribuable, qu'il soit personne physique ou personne morale.
Or, quelle est la réalité ? Nous sommes, parmi les pays modernisés, celui dont
le poids du secteur public pèse le plus sur les finances de la nation, comme M.
le président de la commission l'a rappelé tout à l'heure : sept points de plus
que l'Allemagne et vingt points de plus que les Etats-Unis. Ce n'est pas la
responsable d'entreprise que vous avez été qui peut ignorer que cela pèse dans
la compétitivité de nos entreprises, dans un marché aujourd'hui totalement
mondialisé. Or, qui crée les richesses, et donc l'emploi, si ce n'est le
secteur privé ?
C'est la raison pour laquelle votre projet de loi n'est pas cohérent sur la
méthode. Un second volet de votre plan sera consacré au secteur privé. Pourquoi
alors ne pas avoir commencé par ce dernier, où des avancées et des initiatives
sont souhaitables voire indispensables ?
Madame la ministre, j'affirme cela avec d'autant plus de force que j'ai tenu
ces propos à vos prédécesseurs à cette même tribune, voila quelques mois, car
je suis convaincu qu'il y a des logiques et des réalités incontournables.
Certes, nous traversons une période de faible croissance, et chacun sait
qu'au-dessous du seuil de 3 % de croissance, nous ne créons pas, au sens
économique du terme, d'emplois durables. En revanche, notre rôle est de créer
les conditions favorables au développement de l'entreprise et d'agir sur son
environnement. J'y reviendrai.
Permettez-moi d'ajouter que votre projet de loi risque d'aggraver la fracture
sociale et de laisser encore plus sur le bord du chemin, d'une part, les
chômeurs de longue durée et, d'autre part, les jeunes exclus très tôt du
système éducatif.
Si votre volonté de développer l'apprentissage dans le secteur public est une
mesure que je partage, je m'interroge toutefois sur certains aspects.
L'apprentissage s'étale généralement sur un ou deux ans. Quel sera le sort des
jeunes au terme de cette formation ? La fonction publique leur sera-t-elle
ouverte ? Et dans ce cas, pourquoi ne pas le faire par la voie du concours
interne et pas seulement par le tour extérieur ? Cela constituerait une
reconnaissance pour ces jeunes et une garantie de ne pas voir l'apprentissage
dévié de sa finalité, et ce d'autant plus que j'ai du mal à envisager leur
insertion massive dans le secteur privé.
Votre projet de loi, madame la ministre, est aussi la reconnaissance de la
faillite de notre système éducatif.
Ce système incite à l'allongement croissant des études et fait que,
aujourd'hui, au terme de son cursus, un jeune sur quatre pousse non pas la
porte d'une entreprise, mais celle de l'ANPE.
Ce système constate que 38 % des diplômés bac + 6 déclarent ne pas avoir de
projet professionnel. C'est là que réside notre différence avec la plupart des
autres pays qui, certes, sont confrontés aux même problèmes mais avec moins
d'ampleur. En effet, contrairement à d'autres pays, au fur et à mesure que la
durée des études s'allonge, l'entrée dans la vie active est non seulement
retardée, mais aussi rendue plus difficile. Ces jeunes s'éloignent petit à
petit de toute activité économique viable. Ils ne trouvent donc leur salut que
dans la fonction publique.
En France, en effet, pour des raisons d'origine culturelle, on ne reconnaît
que l'intelligence abstraite. Cependant, un CAP ou un baccalauréat
professionnel sont aussi porteurs d'avenir qu'un bac + 6.
Les chiffres le confirment : j'ai évoqué, voilà un instant, les 25 % de jeunes
qui poussent la porte de l'ANPE. La répartition de ces jeunes chômeurs n'est
pas homogène. Deux populations sont particulièrement exposées : d'une part, les
jeunes garçons et les jeunes filles qui, très tôt, sont exclus du système
éducatif et, d'autre part, ceux qui ont une formation longue, et même trop
longue, mais qui ne maîtrisent pas de métier.
M. Claude Allègre a parfaitement raison d'affirmer qu'une culture générale
sans formation professionnelle est un désastre et inversement. Il est donc
urgent d'opérer une mise en relation plus forte de la jeunesse avec le monde du
travail sous des modes très divers - celui de l'alternance, mais aussi celui
d'un assouplissement du statut de l'étudiant au regard du code du travail -
pour permettre des allers et retours et des coexistences entre études et
travail beaucoup plus fréquents qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Permettez-moi d'évoquer très rapidement vos propositions envers les
associations. Peut-être existe-t-il dans ce domaine des opportunités, à
condition que les actions se limitent à des emplois touchant l'ingénierie et
non pas l'objet même de l'association. En effet, le risque serait grand
d'hypothéquer un bénévolat ou un volontariat déjà précaire. Or la faiblesse des
corps intermédiaires est un handicap de notre pays.
J'en viens à la forme ou la méthode. Je le répète, madame la ministre, vous
inversez l'ordre des priorités dans l'élaboration de votre projet de loi.
Pourquoi ne pas avoir commencé par le secteur privé ? Il est vrai que vous
devez, d'une part, honorer des promesses électorales et, d'autre part, faire
face à l'urgence.
Pour ce qui concerne les promesses électorales, je ne dirai rien : les
Français jugeront.
Pour ce qui concerne l'urgence, je ne la conteste pas. J'ai volontairement
employé préliminairement le terme de fléau, car, malheureusement, c'en est un.
Or, madame la ministre, comment combattre efficacement une telle épidémie ?
Elle nécessite - tous les médecins vous le diraient - un double traitement : le
sérum pour pallier l'urgence, le vaccin sans lequel il n'est plus possible de
faire face à l'urgence.
Or, sur l'urgence, j'ai évoqué les risques, l'inadaptation et les effets
pervers de vos remèdes. C'est cette urgence qui vous a sans doute conduit à
demander cette même procédure devant le Parlement. C'est cette même urgence qui
amène certains de vos collègues à prendre des mesures d'ores et déjà, avant
même le vote de ce projet de loi, bien que, aujourd'hui, si j'en crois
certaines informations, les contraintes budgétaires auxquelles M. le ministre
de l'économie et des finances doit faire face tempèrent quelque peu les
ardeurs. Pour le long terme, vous ne proposez aucune piste, même si je
reconnais que cela n'est pas facile ou évident.
Telles sont les raisons pour lesquelles, madame la ministre, votre projet de
loi ne nous paraît ni réaliste ni efficace.
C'est pourquoi je préfère commettre une erreur politicienne plutôt qu'une
faute politique vis-à-vis de nos enfants, et ce d'autant plus que, comme bon
nombre de mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants, je n'ai
jamais varié dans mes convictions. C'est la raison pour laquelle je ne voterai
pas, en l'état actuel, votre projet de loi.
Je me permets toutefois, de vous soumettre une proposition en trois points.
Il s'agit, premièrement, face à l'urgence, d'inverser l'ordre des priorités et
de commencer par le secteur dans lequel se trouve l'emploi durable,
c'est-à-dire le secteur privé.
Il s'agit, deuxièmement, de s'inscrire dans le long terme, d'une part, avec
une réforme du secteur éducatif fondée sur la maîtrise simultanée, et le plus
tôt possible, d'une culture générale et d'une approche des métiers et, d'autre
part, avec une réforme de l'environnement de l'entreprise et de la législation
sociale, en adoptant, cette dernière aux entreprises qui, aujourd'hui, créent
plus de 70 % des emplois, c'est-à-dire les PME et les PMI. Il est urgent
d'alléger les formalités administratives, juridiques et fiscales qui les
assaillent. J'ai déjà cité très souvent à cette tribune un chiffre significatif
: un dirigeant de PME passe quarante jours de son temps à remplir des
formalités de ce type !
Il s'agit enfin de mettre en oeuvre un projet totalement décentralisé fondé
sur le partenariat et la proximité en conférant aux collectivités locales son
ingénierie.
Permettez-moi, dans ce domaine, de vous faire part des expériences menées dans
la région Rhône-Alpes. En partenariat avec vos services de l'Etat, les
entreprises et les élus locaux, nous avons mis en place le Plan d'accès à la
première expérience professionnelle, le PAPEP, en nous attachant tout
particulièrement aux petites choses qui sont autant de freins à l'emploi des
jeunes. Cela peut être l'achat d'une paire de chaussures de protection ou d'un
bleu de travail pour rendre possible une journée d'essai en entreprise. Sans
résoudre ce genre de détails, rien ne fonctionne.
Avec Charles Millon, nous avons ainsi mené des actions à court terme dans le
cadre du PAPEP, mais aussi des actions de partenariat et de proximité à long
terme dans le cadre du PRDF. Ce n'est donc pas seulement un hasard si, dans la
région Rhône-Alpes, les lycées professionnels et les centres d'apprentissage
sont en croissance continue. Ce n'est pas non plus un hasard - je le dis avec
beaucoup de prudence et de modestie - si le chômage des jeunes dans notre
région a baissé de 11,5 % d'une année sur l'autre.
C'est le sens des amendements que nous avons déposés. C'est à notre avis le
sens de l'Histoire, c'est-à-dire la voie choisie par la plupart des autres
pays. Toute autre voie, monsieur le président, madame la ministre, mes chers
collègues, pour reprendre les propos du Président de la République, nous semble
fallacieuse.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Moinard.
M. Louis Moinard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d'abord,
permettez-moi de vous exprimer un sentiment partagé par bon nombre de
sénateurs.
En effet, alors que nous commençons la discussion du projet de loi relatif au
développement de l'activité pour l'emploi des jeunes, M. le ministre de
l'éducation nationale nous a fait parvenir, et ce avant l'ouverture de cette
session extraordinaire, un exemplaire du document d'information sur
l'application de la loi dite « emploi-jeunes » et diffusé par l'intermédiaire
des rectorats ; de plus, des réunions animées par vos collaborateurs ont été
organisées dans les préfectures de région et, enfin, les inspecteurs d'académie
ont annoncé par voie de presse, dès le 20 septembre dernier, la liste des
emplois créés au titre de l'éducation nationale dans chaque département.
Madame la ministre, votre devise me semble être : « Je décide d'abord,
j'annonce ensuite, et je discute enfin. »
Je comprends l'urgence quand il s'agit de l'emploi des jeunes. Néanmoins, rien
ne peut justifier que la règle démocratique ne soit pas respectée. Les élus
locaux que nous sommes ne se battent-ils pas au quotidien pour l'emploi ? Il ne
suffit pas de réduire le nombre de mandats des élus pour qu'ils soient
respectés !
Madame la ministre, ma question concerne uniquement la loi dite « Robien ». En
effet, j'aimerais avoir de votre part l'assurance que votre plan emploi-jeunes
n'aura aucun impact négatif sur les crédits et les conditions d'application de
cette loi.
Pouvez-vous nous assurer que les avantages liés à cette loi ne seront pas
remis en cause ?
Le 1er mars 1997, on dénombrait 33 000 salariés bénéficiant de la loi Robien
et 235 conventions étaient signées entre les entreprises et l'Etat. De
nouvelles conventions doivent être signées incessamment, notamment avec le
Crédit mutuel Océan.
La loi Robien prévoit une réduction des charges sociales en contrepratie
d'embauches pendant une duré de sept ans. Si cette durée doit permettre une
amélioration de la productivité pour assurer la sortie du dispositif sans
risque excessif, il ne faudrait pas, pour les entrepries qui auraient conclu
aujourd'hui une convention, que de nouvelles dispositions viennent contrecarrer
cette ambition. Or une réduction de la durée d'allégement des charges ne
pourrait avoir pour effet que de provoquer une diminution d'effectifs.
Les articles polémiques publiés dans la presse nationale, ces dernières
semaines, font craindre que ce risque ne soit pas illusoire.
En conséquence, pouvons-nous avoir la certitude que, même en cas de nouveau
dispositif, il n'y aura pas d'effet sur les conditions d'application de la loi
Robien ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis vingt
ans, tous les gouvernements se sont attaqués - hélas, sans succès décisif ! -
au dramatique fléau du chômage, qui ronge notre société française et condamne
notre jeunesse à une désespérante inactivité.
C'est pourquoi, certainement, le gouvernement auquel vous appartenez a décidé
de faire de son action en faveur de l'emploi des jeunes la priorité des
priorités et nous présente aujourd'hui un texte qui comporte de très
importantes dispositions. En effet, il nous est proposé la création d'une
première tranche de 350 000 emplois, lesquels représentent un coût annuel pour
l'Etat de 35 milliards de francs en année pleine.
Vous nous avez indiqué, madame la ministre, que, pour 1998, le coût de ces
mesures serait financé par un redéploiement des dépenses de 10 milliards de
francs. Mais que va-t-il se passer dans les années à venir ?
Proclamer que l'on crée 350 000 emplois est, à l'évidence, un geste
spectaculaire. Mais il convient de s'interroger sur l'efficacité des mesures
proposées, puisqu'il s'agit de favoriser la création d'emplois destinés à
satisfaire des « besoins émergents et non satisfaits » en faisant appel à des
acteurs locaux appartenant uniquement au secteur public ou associatif.
Tout d'abord, les emplois que vous créez vont se traduire par une intégration
dans la fonction publique, vous l'avez d'ailleurs admis, notamment dans
l'éducation nationale - il suffit de lire les déclarations de M. Allègre, et
notre collègue M. Moinard vient de nous faire part de son émotion à ce sujet -
et dans la police. Entre l'éducation nationale, la police et la justice, cela
fait 50 000 emplois qui vont alourdir la dépense publique.
Mais ce qui est au moins aussi inquiétant, c'est la nature même des emplois
que vous prévoyez. La liste qui en a été publiée est édifiante, mais il est
vrai que vous avez précisé vous-même en commission qu'elle n'était pas
exhaustive.
Il n'en demeure pas moins que nombre d'emplois ne pourront jamais déboucher
sur le secteur marchand. En effet, on voit mal des usagers accepter de payer un
service tel que celui d'« agent d'éveil sur les bruits » ou d'« animateur de
promotion de pays » !
De plus, certains autres emplois - je pense aux pseudomédiateurs pénaux et
sociaux, aux agents d'ambiance destinés à prévenir le vandalisme - exigent une
expérience, une formation, une autorité que seront loin de posséder les jeunes
visés par votre projet de loi. C'est ainsi que j'ai appris l'existence, au
cours d'une audition devant la commission des affaires sociales, d'agents
d'ambiance dans les transports en commun, qui possèdent un bac + 2 mais qui ont
suivi 900 heures de formation pour exercer leur métier. Ils perçoivent
d'ailleurs un salaire qui oscille entre douze mille et quatorze mille
francs.
En fait, ce projet de loi, si nous le votions tel qu'il a été adopté par
l'Assemblée nationale, aurait des conséquences graves. Il accroîtrait ainsi les
dépenses publiques par l'intégration dans cinq ans de plus de 60 000 emplois
dans la fonction publique et par la nécessité, pour les collectivités locales,
de subventionner les emplois qui n'auront pu être pris en compte par le secteur
marchand, à moins que ceux-ci aient été purement et simplement supprimés et
leurs titulaires renvoyés vers les guichets de l'ANPE. Imaginez un peu, mes
chers collègues, la déception, voire la colère de milliers de jeunes qui
auraient conscience alors d'avoir été attirés dans une impasse !
Je voudrais, en revanche, vous féliciter, madame la ministre, d'avoir
découvert enfin les vertus du contrat à durée déterminée. Mais ce contrat à
durée déterminée de cinq ans, renouvelable chaque année, que vous envisagez, ce
n'est pas seulement aux collectivités locales ou aux associations qu'il faut le
proposer, c'est aux entreprises elles-mêmes ! Il faut en faire une disposition
permanente du code du travail, parallèlement au contrat à durée déterminée
actuel. Il pourrait être proposé aux petites et moyennes entreprises, ce qui
leur permettrait de faire face au développement de leur activité sans risquer
de s'enfermer dans un cadre trop rigide, comme c'est le cas actuellement. J'ai
d'ailleurs déposé un amendement dans ce sens.
Enfin, il y a quelque chose de vraiment paradoxal à vouloir s'acharner comme
vous le faites à « inventer » des activités pour créer des emplois terriblement
coûteux pour le budget, alors qu'en même temps les dispositions que vous prenez
à l'encontre des familles dites aisées - plafonnement des ressources pour
l'obtention des allocations familiales, réduction de l'allocation pour garde
d'enfant à domicile et, en fait, réduction massive du financement des emplois
familiaux - vont se traduire par la suppression de milliers, pour ne pas dire
de dizaines de milliers d'emplois, tout au moins officiels.
Certes, et je porte cela au crédit du projet qui nous est soumis, l'idée
d'encourager la création d'emplois destinés à faire face aux « besoins
émergents et non satisfaits » est intéressante, à condition qu'il s'agisse de
besoins réels pouvant être pris en compte par le secteur marchand.
Il serait également intéressant que les usagers apprennent à payer pour les
services qu'ils utilisent. Or, il faut le reconnaître, aujourd'hui, la
psychologie de l'usager, c'est plutôt de considérer que tout est gratuit. C'est
une lourde tâche que vous allez avoir à entreprendre, madame la ministre !
Mais il serait facile de créer des emplois susceptible d'être facilement pris
en compte par l'usager. Je n'en donnerai que quelques exemples.
Croyez-vous, madame la ministre, que les automobilistes ne seraient pas
heureux de voir à nouveau le personnel des stations-service faire le plein de
leur réservoir et vérifier leur niveau d'huile, d'eau, etc. ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Absolument !
M. Jean Chérioux.
Assurément ! Alors, pourquoi ne pas engager des négociations avec la
profession pétrolière pour recréer éventuellement ces emplois qui ont été
malheureusement abandonnés depuis des années ?
De même, les locataires d'immeubles collectifs, en particulier dans nos
grandes villes, rêvent de voir à nouveau des gardiens assurer la surveillance
des allées et venues, distribuer le courrier, etc.
Ce serait aussi un excellent moyen de faciliter le maintien à domicile de
nombre de personnes âgées enfermées dans leur isolement ! Ici encore, ce sont
des dizaines et des dizaines de milliers d'emplois qui pourraient être créés.
Vous l'avez d'ailleurs prévu, je vous le concède, pour les offices d'HLM, mais
pourquoi cette timidité ? C'est réellement insuffisant ! Pourquoi ne pas
étendre cette possibilité aux sociétés privées d'HLM, aux compagnies
d'assurance, aux syndicats de copropriétaires, voire aux propriétaires privés
d'immeubles collectifs ?
Bien d'autres voies pourraient sans doute être prospectées. Je me contenterai
de citer encore un seul exemple : pourquoi ne pas envisager, avec les grandes
entreprises du secteur informatique, la création de conseillers en
informatique, dont la formation pourrait être facilitée grâce aux financements
que vous entendez consacrer aux emplois-jeunes ? Cela permettrait de former
réellement des jeunes et trancherait avec bonheur avec ce qui est proposé,
c'est-à-dire, le plus souvent, il faut bien le reconnaître, des « petits
boulots ».
Voilà, madame la ministre, les quelques observations que je souhaitais vous
présenter à l'occasion de la discussion de ce texte. Ces observations, je les
ai voulues mesurées et constructives, car je ne veux pas croire que ce projet
de loi réponde à l'objectif inavoué de gonfler démesurément le secteur public
ou de prendre sciemment le risque de conduire les bénéficiaires de ces emplois
dans une impasse.
Mon souci est avant tout de donner aux mesures que vous proposez un caractère
plus réaliste, qui permette une réelle insertion des jeunes dans le monde du
travail. Vous-même, madame la ministre, avez indiqué que vous souhaitiez mettre
en place un système qui soit une véritable pépinière de futurs emplois
marchands. Je crains malheureusement que les dispositions prévues ne soient pas
à la hauteur de l'ambition manifestée.
M. Alain Vasselle.
Sûrement !
M. Jean Chérioux.
C'est pourquoi je ne voterai ce texte que profondément remanié par les
amendements proposés ou retenus par notre excellent rapporteur de la commission
des affaires sociales, M. Louis Souvet.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste).
M. le président.
Mes chers collègues, le Sénat va interrompre maintenant ses travaux ; il les
reprendra à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à seize heures, sous la
présidence de M. Paul Girod.)