POLITIQUE SOCIALE
DE L'UNION EUROPÉENNE

Discussion d'une question orale avec débat
portant sur un sujet européen

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat portant sur un sujet européen n° QE-1 de M. Jacques Genton à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes sur la politique sociale de l'Union européenne :
« Constatant que, en France comme chez nos partenaires au sein de l'Union européenne, les citoyens montrent de plus en plus nettement leur souhait que l'Europe place davantage l'aspect social et humain au coeur de ses préoccupations et qu'elle mette l'emploi au rang de ses priorités, M. Jacques Genton demande à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes d'exposer au Sénat quelles doivent être, selon le Gouvernement, les politiques que l'Union européenne doit mener en ce sens, les réformes qu'elle doit mettre en oeuvre, les moyens auxquels elle doit recourir. »
Je rappelle au Sénat que, dans un tel débat, ont droit à la parole, outre l'auteur de la question et le Gouvernement, un représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, un représentant de la commission permanente compétente et un représentant de chaque groupe et, sous réserve de l'accord de la conférence des présidents, un représentant de la commission des affaires étrangères.
Chaque orateur dispose d'un temps de parole de dix minutes et il n'y a pas de droit de réponse au Gouvernement.
La parole est accordée au Gouvernement quand il la demande, sans limitation de durée.
La parole est à M. Genton, auteur de la question.
M. Jacques Genton, auteur de la question et représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vaste chantier de la conférence intergouvernementale ouvert à Turin le 29 mars 1996 vient de se conclure, comme il était prévu, par le Conseil d'Amsterdam du 18 juin dernier.
La construction européenne tient donc ses délais et franchit les étapes, non sans mal, mais, malgré les apparences, en continuant d'avancer sur la voie qu'elle s'est fixée. C'est une première constatation que je fais avec satisfaction.
Nous pourrions joindre nos voix à ceux, de tous bords, qui ont estimé, à juste titre, que les résultats obtenus par cette longue négociation restaient insuffisants et bien inférieurs, en tout état de cause, aux espoirs qu'elle portait.
C'est vrai, les réformes institutionnelles en sortent à peine amorcées et sont, pour l'essentiel, reportées à une étape prochaine.
C'est vrai, je déplore que les propositions françaises, constructives et réalistes, visant à améliorer l'efficacité des institutions de l'Union européenne n'aient pas su retenir l'attention de nos partenaires. Nous en avions été régulièrement informés par votre prédécesseur, monsieur le ministre, et nous les avions presque toutes approuvées à l'unanimité des membres de la délégation.
C'est vrai, l'extension nécessaire du vote à la majorité confine au symbolique.
Mais, pour ma part, et avec le recul et l'expérience que je crois avoir, modestement, de l'histoire de la Communauté, je veux voir dans l'accord d'Amsterdam non pas un constat d'échec, mais une pierre de plus dans la consolidation progressive de l'unité européenne : la monnaie unique n'est pas remise en cause, l'adhésion de certains pays d'Europe centrale et orientale demeure un objectif accessible ; la possibilité de coopération renforcée est un acquis essentiel pour qu'aucun Etat membre ne puisse désormais, à lui seul, bloquer l'évolution d'un processus d'intégration, encore que le dispositif adopté dans le nouveau traité laisse des possibilités de paralysie à un Etat voulant vraiment s'opposer.
Il est, de surcroît, un aspect sur lequel les choses ont avancé un peu plus qu'on ne l'imaginait : celui de la prise en compte du facteur humain et social dans la construction de l'Europe que nous voulons pour demain.
Comme je le disais déjà à cette même tribune, en avril dernier, « nous avons depuis longtemps conscience d'un décalage qui s'amplifie entre les attentes des citoyens vis-à-vis de l'Union et les résultats tangibles dont ils constatent l'effet dans leur vie quotidienne. »
Au premier rang de leurs préoccupations, comme des nôtres, se trouve, à l'évidence, le problème du chômage.
Selon les dernières prévisions semestrielles de l'OCDE, la croissance économique devrait atteindre, en 1997, 3 %, en moyenne, soit le niveau le plus élevé depuis dix ans dans le monde industrialisé.
Mais ces mêmes prévisions nous confirment malheureusement que le chômage restera important en Europe. En 1996, 11,3 % de la population active de l'Union était privée d'emploi ; ce pourcentage resterait du même ordre en 1997, soit 11,2 %.
Comment imaginer, mes chers collègues, que les questions sociales ne soient pas au coeur des défis de la construction européenne ? Qui peut soutenir que l'Europe puisse solidement se construire sur fond de chômage et d'exclusion ?
Mme Danielle Bidard-Reydet et M. Maurice Schumann. Très bien !
M. Jacques Genton, représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Contrairement à ce que l'on entend ici ou là, ce souci de l'humain, cette préoccupation de solidarité ne sont pas une découverte récente : un tel esprit animait déjà en 1957 - je peux en témoigner - les auteurs du traité de Rome, ceux que l'on appelle « les pères fondateurs de la Communauté », même si cet aspect s'est un peu perdu par la suite, face aux nombreuses difficultés et aux nombreux avatars auxquelles la construction européenne s'est trouvée confrontée.
La « solution » retenue in extremis, pourrait-on dire, que nous propose l'accord d'Amsterdam tient, d'une part, à l'adoption d'une résolution sur la croissance et l'emploi et, d'autre part, à l'insertion d'un nouveau titre sur l'emploi dans le traité.
Faut-il voir un certain « rééquilibrage entre l'économique et le monétaire » dans l'adoption d'une résolution sur la croissance et l'emploi comme symétrique à celle qui est relative à la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance ? C'est, en tout cas, l'opinion défendue par M. le Premier ministre devant l'Assemblée nationale voilà quelques jours. Pour reprendre ces propres mots, il a considéré que c'était bien « une autre exigence économique d'égale importance, une exigence fondée sur une perspective de croissance et d'emploi et sur la nécessité d'opérer des concertations entre les gouvernements de l'Europe pour accompagner les processus monétaires ».
Comment ne pas adhérer à une telle exigence de croissance et d'emploi ?
Toutefois, je ne suis pas certain que cette analyse soit tout à fait semblable à celle qui figure dans les conclusions de la présidence du Conseil européen, suivant lesquelles « des politiques macroéconomiques et budgétaires saines vont de pair avec une croissance forte et durable en termes de production et d'emploi ». J'y vois, pour ma part, non pas deux démarches parallèles, mais simplement l'expression d'un effet automatique d'entraînement de l'une sur l'autre.
Quels sont, d'ailleurs, les objectifs retenus à Amsterdam ? Nous n'y trouvons rien de bien novateur.
On y mentionne notamment des actions de formation et de qualification de la main-d'oeuvre, l'adaptation des marchés du travail aux évolutions de l'économie, la modernisation des régimes de protection sociale, l'amélioration de la compétitivité européenne, notamment par l'innovation technologique et la réduction des coûts non salariaux, et la coordination des politiques nationales, puisque la responsabilité de la lutte contre le chômage incombe avant tout aux Etats membres.
Formation, compétitivité, baisse du coût du travail... : n'y a-t-il pas là quelque contradiction entre ces méthodes d'action très classiques et les déclarations du Gouvernement ? Ne se borne-t-on pas à une simple déclaration d'intention ? Quel type de coordination des politiques nationales peut-on imaginer ?
C'est pourquoi nous aimerions apprendre, monsieur le ministre, comment vous comptez utiliser ces « espaces nouveaux, ouverts dans l'ordre économique et social », pour reprendre les mots du Premier ministre ? Nous le savons, les politiques sociales requièrent des moyens budgétaires souvent importants. Quelle foi peut-on avoir dans la résolution sur la croissance et l'emploi alors que, dans le même temps, il a été très clairement affirmé qu'aucun moyen financier supplémentaire ne serait disponible pour cet objectif ?
L'examen du projet de budget de l'Union pour 1998, que nous avons pu faire voilà deux jours sur rapport de notre collègue M. Badré, nous permet de mettre en doute cette appréciation.
Peut-on croire, avec quelque chance d'aboutir, que les politiques économiques de l'Union seront désormais orientées vers des objectifs sociaux, notamment vers l'emploi ?
Plus précisément encore, va-t-on désormais, avant d'arrêter toute politique européenne, apprécier son impact positif sur la cohésion sociale ?
C'est en tout cas ce que semble préciser l'article 3 du nouveau titre sur l'emploi intégré au traité par le sommet d'Amsterdam, qui prévoit que « l'objectif consistant à atteindre un niveau d'emploi élevé est pris en compte dans la définition et la mise en oeuvre des politiques communautaires ».
Si cette interprétation est bonne, une telle disposition ne peut que rencontrer notre entier assentiment. C'est précisément l'idée que je défendais ici même en avril dernier. Je souhaite toujours que les institutions de l'Union apprécient toutes les conséquences sur l'emploi lorsqu'elles prennent leurs décisions, notamment en application des politiques commerciales ou de concurrence.
J'avais déjà donné mon sentiment sur l'évolution de la production automobile européenne et sur le lien que l'on ne peut manquer d'établir entre les fermetures d'usines dans l'Union et la pénétration des entreprises étrangères, notamment asiatiques, sur notre marché, non plus « ouvert » mais « offert » à la concurrence, pour reprendre la formule de notre éminent collègue M. Maurice Schumann.
J'avais également souligné que, lorsque la Commission européenne s'était opposée au rachat de la société canadienne De Havilland par l'Aérospatiale, au nom d'une stricte orthodoxie des règles de concurrence, elle avait fait preuve d'une bien courte vue sur l'essor à venir du secteur de l'aéronautique européenne.
Plus encore, que doit-on penser des positions de la Commission en faveur du quasi-démantèlement du dispositif de protection anti- dumping, déjà bien modeste, qui me semble être le dernier rempart de l'industrie européenne face à des concurrents bien mieux armés ? Que peut faire, que va faire le Gouvernement français pour infléchir ces tendances à mon avis suicidaires ? Qu'on ne nous dise pas qu'une telle protestation de notre part est contraire à la poursuite de la construction de l'Union européenne.
Je serais également heureux d'avoir votre sentiment, monsieur le ministre, sur une voie de réflexion trop partiellement explorée : celle de la relance des grands travaux. Proposée par la commission, alors présidée par Jacques Delors, dans son Livre blanc pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, et supposée permettre la création de pas moins de 15 millions d'emplois d'ici à l'an 2000, cette suggestion est au point mort et bute depuis lors sur des questions de financement.
Doit-on voir dans la récente annulation du projet de Canal Rhin-Rhône le signe de l'abandon définitif de cet ambitieux projet ?
Je voudrais aussi savoir, monsieur le ministre, comment le Gouvernement français compte aborder le sommet exceptionnel sur l'emploi réclamé par le Premier ministre, puisque, à l'évidence, cette initiative n'aura d'intérêt que si l'on y envisage des développements concrets.
Dans une perspective plus vaste, il faut également garder à l'esprit le fait que les questions sociales concernent aussi l'élargissement de l'Union : doit-on considérer qu'un « noyau dur » de normes sociales claires puisse être posé comme conditions à l'adhésion, ce qui suppose que l'Union le définisse pour elle-même ?
En outre, la réalité nous confronte aujourd'hui à la mondialisation de l'économie. Comment déterminer notre « socle social » pour qu'il soit tout à la fois au service de nos concitoyens et qu'il ne constitue pas un obstacle insurmontable pour la compétitivité de notre économie face à celle des pays émergents ?
Bien sûr, on peut se prendre à rêver que l'Union définisse une politique sociale extérieure, une politique qui diffusera progressivement, dans les pays en cours d'industrialisation, les normes sociales en vigueur dans les pays industrialisés. Mais cette diffusion prendra du temps : dix, vingt, cinquante années ? Que restera-t-il de l'économie européenne lorsque les conditions sociales seront égalitaires ? L'échec de ce dossier social à la conférence de Singapour, en décembre 1996, a bien montré les difficultés et les limites de cet exercice.
Telles sont, monsieur le ministre, quelques-unes des questions que m'inspire ce « tournant social » de la construction européenne et qui sont fréquemment évoquées au cours des travaux de la délégation du Sénat. Croyez que je souhaite, au nom de mes collègues, être rassuré sur les chances de succès de ce projet qui, renouant avec l'esprit communautaire de 1957, pourrait enfin réconcilier l'Europe et ses citoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le ministre, permettez-moi, avant de vous souhaiter la bienvenue, de rendre un bref hommage à votre prédécesseur, M. Michel Barnier, auprès duquel nous avons beaucoup appris sur l'Europe et qui, à mon avis, a joué un rôle extrêmement positif au cours de la période qui vient de s'écouler.
M. Emmanuel Hamel. Il a plaidé une mauvaise cause, même s'il l'a fait avec talent !
M. Pierre Fauchon. Monsieur Hamel, il a plaidé la meilleure des causes,...
M. Emmanuel Hamel. Non !
M. Pierre Fauchon. ... et j'aurai à y revenir. J'ai déjà eu l'occasion de dire que la cause à laquelle vous êtes attaché s'est traduite dans la première moitié de ce siècle par trois guerres mondiales successives et que les années 1870, 1914 et 1940 ne sont pas particulièrement glorieuses dans l'histoire de notre pays (MM. Malécot et Maman applaudissent), contrairement à l'idée que vous vous en faites...
M. Emmanuel Hamel. Non !
M. Pierre Fauchon. ... et à celle que vous voulez nous en donner !
M. Maurice Schumann. Quel rapport ?
M. Pierre Fauchon. Mais j'en reviens à mon propos concernant M. Barnier, qui est de vos amis, si je ne me trompe, pour dire qu'il a bien oeuvré pour la cause européenne.
Il l'a fait par la qualité de son action, par son engagement personnel et par le dynamisme qu'il y a apporté.
Mais il a travaillé aussi à la cause européenne par sa présence sur tous les terrains où il était question de l'Europe, notamment les négociations au sein de la Conférence intergouvernementale, par les nombreuses visites qu'il a rendues à des partenaires modestes qui n'étaient probablement pas habitués à recevoir des ministres français et qui, je crois, y ont été sensibles, par sa présence auprès de nos concitoyens à travers une campagne dans les différentes provinces au cours de laquelle il a tenté d'expliquer le complexe mécanisme de la Conférence intergouvernementale.
M. Barnier a travaillé enfin à la cause européenne par sa présence fréquente au Parlement et sa très grande disponibilité à l'égard des commissions des affaires étrangères, et des délégations pour l'Union européenne,...
M. Jacques Genton, représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est vrai !
M. Pierre Fauchon. ... ce qui nous a permis de suivre pas à pas l'évolution de cette négociation. Je crois qu'il était bon de procéder à ce rappel.
Cela étant dit, monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au nom du groupe de l'Union centriste puisque je suis momentanément son porte-parole et puique les électrices et les électeurs, qui, comme chacun le sait, sont supposés ne jamais se tromper, ont voulu que vous-même et vos collègues du Gouvernement soient désormais nos interlocuteurs.
Je connais, monsieur le ministre, votre ardeur et votre capacité d'action. Ce que nous connaissons moins, c'est le degré de vos convictions européennes et de votre engagement. Nous avons hâte d'être mieux informés sur ce point.
Mon groupe, vous le savez, et M. Genton l'a excellement rappelé tout à l'heure, est de ceux - oui, monsieur Hamel ! - qui sont le plus profondément et le plus intimement convaincus que la construction européenne...
M. Emmanuel Hamel. Laquelle ?
M. Pierre Fauchon. ... est la grande affaire de notre génération, et l'une des plus grandes affaires de l'histoire. (M. Machet applaudit.)
C'est une entreprise nouvelle que de vouloir créer un Etat de droit...
M. Emmanuel Hamel. Lequel ?
M. Pierre Fauchon. ... par des moyens pacifiques à l'échelon de ce qui sera probablement un jour tout un continent. C'est une entreprise admirable (M. Machet applaudit à nouveau) , absolument nécessaire si l'on veut préserver l'autonomie de notre développement économique, et donc notre vitalité culturelle, monsieur Schumann.
M. Maurice Schumann. Je n'ai pas ouvert la bouche ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. Nous savons aussi que c'est une entreprise difficile à laquelle nous devons apporter un concours actif, précisément parce qu'elle est difficile.
Aux yeux de l'histoire, il s'agit d'un défi invraisemblable, mais il est possible que nous parvenions à gagner ce défi, non sans peine.
S'agissant plus spécialement de l'Europe sociale, je suis tout à fait à mon aise pour m'exprimer puisque, m'adressant ici même à votre prédécesseur, voilà deux mois, c'est ce thème que j'avais choisi d'aborder. J'avais alors évoqué des questions comme l'avertissement qui nous était donné par les manifestations syndicales après l'annonce de la fermeture de Vilvorde.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Eh oui !
M. Pierre Fauchon. J'avais aussi évoqué le Livre blanc publié par la Commission, sous la présidence de M. Delors, en regrettant que, en grande partie du fait de la résistance de nos amis allemands, on n'ait jamais pu mettre sur pied aucun de ces projets de grands travaux qui, j'en ai la conviction, pouvaient être engagés sans peser sur les finances des Etats membres. Grâce au crédit de l'Europe, qui est considérable, et à la faveur de faibles taux d'intérêts, les grands travaux auraient eu un important effet mobilisateur sur le front de l'emploi et auraient constitué, au regard d'une certaine citoyenneté et d'une certaine communauté européenne, un signe appréciable.
J'avais aussi évoqué, à l'époque, le Parlement européen. Toutes ces questions ne sont donc pas nouvelles pour moi. Je suis heureux de les retrouver, et je me réjouis de ce que vous avez pu faire, tout en en mesurant les limites.
Quoi qu'il en soit, il était important que la dimension sociale et, au-delà, la dimension citoyenne de l'Europe soient rappelées, car il est bien vrai que la construction européenne souffre d'un certain déficit de démocratie.
Permettez-moi trois brèves observations sur ce sujet.
Tout d'abord, comme l'a rappelé M. Genton il ne faut pas sous-estimer les avancées et les acquis sociaux que nous devons au protocole social du traité de Maastricht. Sa mise en oeuvre a malheureusement été handicapée, la Grande-Bretagne n'ayant pas voulu y souscrire, mais, grâce à ce protocole, le niveau de vie et les conditions d'existence des travailleurs ont été améliorés dans des pays moins développés, ce qui, pour ceux qui en ont profité, n'était pas négligeable.
Certes, puisque nous sommes probablement le pays qui bénéficie du plus grand nombre d'avantages en la matière, nous n'étions pas concernés dès lors qu'il s'agissait de relever un niveau minimal, mais ce qui a pu être fait dans ce domaine est excellent sur le plan humain et permet, de surcroît, de rétablir la nécessaire égalité des chances et des conditions de travail entre les entreprises européennes, ce qui contribue à diminuer les risques de délocalisation. En effet, à partir du moment où le statut social est le même dans les différents pays de l'Europe, les délocalisations se trouvent, en quelque sorte, découragées.
Il s'agit d'un élément sur lequel on n'a pas suffisamment, me semble-t-il, attiré l'attention. Considérons ainsi le cas de l'entreprise Hoover, qui s'est implantée en Grande-Bretagne parce que le coût du travail y est moins élevé : dans la mesure où l'on tendra vers une égalisation des conditions économiques et sociales, le risque sera moins grand de voir se répéter des affaires de ce type.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous en reparlerons !
M. Pierre Fauchon. Je pourrais aussi évoquer le rôle du Fonds social européen, le FSE, qui, pour être peu visible, n'en est pas moins réel, notamment au travers d'activités de formation. Je le constate dans ma propre région, la région Centre : nous bénéficions d'aides qui donnent une chance supplémentaire à certaines personnes qui peuvent ainsi réintégrer le marché du travail. Il s'agit là d'un investissement, et non de dépenses de fonctionnement, comme on a trop tendance à le dire : c'est, en réalité, un investissement humain, c'est-à-dire, selon la formule chère au président de notre assemblée, « le meilleur des investissements ».
Cela étant, vous ne serez pas surpris si je rappelle deux principes auxquels nous sommes absolument attachés et que je résumerai d'une phrase, qui ne fera peut-être pas l'unanimité : il n'y a pas de progrès social possible sans développement économique, pour la simple raison que l'on ne peut distribuer que ce que l'on gagne.
Tous les moyens trouvés par les uns ou par les autres - nous en avons trouvé, ou cru en trouver, nous aussi - et qui permettraient de faire du développement social et de la redistribution sans en avoir véritablement les moyens sont des procédés artificiels qui, finalement, n'aboutissent qu'à des déceptions et qui masquent la réalité des faits. Si l'on veut faire du social, il faut d'abord faire du développement économique, et j'ai éprouvé quelque regret, à cet égard, que, dans sa déclaration de politique générale, M. le Premier ministre n'ait même pas mentionné le rôle de l'entreprise, qui est, tout de même, essentiel.
Il n'y aura pas non plus - c'est ma troisième observation - de développement économique sans assainissement des finances publiques, ayons la franchise de le dire.
Comme elle est bienvenue, la règle des 3 % fixée par Maastricht ! Mais il s'agit de 3 % du PIB, il faut le rappeler, ce qui offre tout de même une assez large possibilité de déficit. Et nous sommes bien contents, finalement, que cette règle nous ait été imposée : sinon, il nous aurait fallu nous l'imposer à nous-mêmes, et nous aurions probablement manqué un peu de courage ! Nous ne sommes donc pas mécontents, au fond, d'avoir à assumer cette discipline.
Rappelons aussi qu'il est tout à fait injuste d'attribuer cette discipline des 3 % ainsi que celle qui concerne le taux d'endettement à l'influence de nos amis Allemands : la vérité historique, dans cette affaire, c'est que, lors des négociations de Maastricht, les Allemands, voyant quelles seraient les conséquences prévisibles de la création d'une unité monétaire, et donc d'une véritable unification économique, avaient proposé de réaliser les réformes institutionnelles correspondantes en créant, dans les domaines concernés, un véritable gouvernement européen par transformation de la Commission. Ainsi réformée et disposant des pouvoirs suffisants, la Commission aurait pu garantir que les politiques économiques nécessaires seraient suivies pour garantir la stabilité de la future monnaie commune.
C'est parce que la France - notamment - n'a pas voulu entrer dans cette voie que l'on a dû mettre en place ces « sécurités automatiques » qui nous paraissent maintenant très contraignantes. Mais nous sommes malvenus de nous plaindre, puisque c'est nous-mêmes - et plus spécialement, d'ailleurs, vos amis, monsieur le ministre ! - qui les avons imaginées à l'époque de la négociation du traité de Maastricht.
Voilà pour ce qui est de l'Europe sociale.
Si j'avais encore une minute,...
M. le président. Vous avez déjà dépassé votre temps de parole, monsieur Fauchon !
M. Pierre Fauchon. Je conclus donc : telles sont les préoccupations sous le signe desquelles, au nom du groupe de l'Union centriste, je vous souhaite non seulement la bienvenue, mais aussi et bien davantage, monsieur le ministre, bonne chance.
Bonne chance, car les temps sont incontestablement très difficiles : vous devez agir avec des partenaires dont le degré de résolution est variable, avec une Grande-Bretagne qui est passée, selon la formule de M. Blair, à l'avant de la voiture - mais parce qu'elle sait qu'à l'avant de la voiture il y a aussi le frein, et pas seulement l'accélérateur - avec une Allemagne en difficulté, avec une France qui ne sait trop comment concilier les engagements que vous venez de prendre - et c'était votre droit de les prendre - et les nécessités d'un assainissement des finances publiques. A ce propos, j'ai d'ailleurs été heureux d'entendre M. Strauss-Kahn dire tout à l'heure : « On fera tout, on fera les deux ». Si j'osais employer une formule anglaise, je dirais : I hope so !
Quoi qu'il en soit, bon courage, monsieur le ministre ! Votre responsabilité est considérable. C'est l'une des plus grandes, me semble-t-il, au sein de ce gouvernement. Bonne chance, donc, car il y va sans doute de notre avenir et, au-delà de notre génération, monsieur Hamel, du destin de la France. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, en premier lieu, au nom de mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants, remercier M. Genton d'avoir suscité l'organisation de ce débat européen, peu de temps après le Conseil d'Amsterdam. Sans cette initiative, le Sénat aurait achevé cette session sans avoir pu aborder des enjeux qui ont largement occupé la scène politique et médiatique française et européenne immédiatement après le changement de majorité et de gouvernement en France.
Dans ce contexte politique ouvrant une nouvelle période de cohabitation, le sommet européen d'Amsterdam a pris, d'emblée, un supplément de signification.
Le temps vous était certes compté, monsieur le ministre, pour faire valoir vos nouvelles orientations politiques, et vous n'avez ni attendu ni tergiversé pour les affirmer. Je me dois de vous dire que nous l'avons pas déploré, du moins pas totalement.
S'agissant du pacte de stabilité, le Premier ministre avait tenu à souligner, en son temps, que la parole de la France était engagée et qu'elle serait tenue. Ce pacte est en effet nécessaire pour réaliser l'euro avec la crédibilité nécessaire vis-à-vis de la communauté financière internationale.
Vous aviez reproché au précédent gouvernement d'avoir, à Dublin, trop facilement accepté la procédure des sanctions. En adoptant le pacte, à Amsterdam, vous vous êtes tout de même inclinés.
S'agissant de la résolution sur la croissance et l'emploi, que vous avez fini par obtenir de nos partenaires, puis-je me permettre de vous dire, ou de vous rappeler, monsieur le ministre, que le mémorandum rédigé en mars 1996 par le gouvernement d'Alain Juppé appelait déjà l'Union européenne à faire du modèle social européen sa priorité ? Je le cite : « Faire de l'emploi le critère déterminant des interventions et des politiques de l'Union ; renforcer la dimension humaine de l'Europe ; développer le dialogue social ». Il me semble qu'ici, au Parlement, lieu privilégié du débat démocratique, si j'en crois le Premier ministre, il convient de rétablir la part de vérité.
Cette résolution sur l'emploi et la croissance n'est qu'un premier pas dans une direction que, je dois le dire, nous approuvons, mais elle reste pour l'instant une déclaration de bonnes intentions. Nous y voyons le souci louable de faire avancer une cause d'intérêt national transcendant les clivages de politique intérieure. Depuis le récent sommet du G 8, à Denver, où les Etats-Unis ont encore une fois mené une offensive d'auto-satisfaction, nous prenons conscience que la défense de notre modèle social est également un intérêt commun à tous les pays européens.
Un mot cependant, monsieur le ministre, sur la méthode utilisée pour parvenir à vos fins. Nous savons bien que l'adoption de ces résolutions passait par une entente avec l'Allemagne, ou tout du moins une approbation tacite de celle-ci. Je dois dire que nous avons eu, au départ, quelques inquiétudes. Nous avons vu, malgré le bon accueil du président Monory à Poitiers, et les efforts du Président de la République pour les rassurer, le moment où nos amis allemands prendraient leur distance, et où les chances d'aboutir à Amsterdam seraient gâchées par votre précipitation. La suite a levé nos craintes, mais, dans ces affaires de construction européenne, qui ne sont pas « un long fleuve tranquille », il faut prendre garde de ne pas compliquer l'équilibre de nos relations avec l'Allemagne.
Ce pays est notre partenaire historique, et prendre le risque d'affaiblir l'un des meilleurs tenants d'une construction européenne dynamique et l'un des piliers des coopérations renforcées n'est pas une bonne méthode.
Il faut également éviter, monsieur le ministre, des déclarations par trop ambiguës sur le passage à l'euro, qui continuent d'entretenir, ici et là, un climat de suspicion chez nos voisins. Tant que nous n'aurons pas passé le cap de 1999, nos exigences doivent demeurer réalistes, aussi bien sur le plan national que sur le plan européen.
Vous vous en rendrez compte vous-même : les faits sont têtus, et les finances ne sont pas extensibles. Il faudra bien que vous vous donniez les moyens de remplir les conditions que vous avez vous-même acceptées lors du conseil d'Amsterdam. Les conclusions de la présidence précisent bien, en effet, qu'une meilleure coordination des politiques nationales de lutte contre le chômage passe par une croissance non inflationniste et un assainissement des finances publiques.
L'Europe sociale aura donc un premier rendez-vous en octobre prochain à Luxembourg. D'ici au mois de septembre, des propositions nationales sont attendues par la Commission. Etes-vous en mesure de nous dire, monsieur le ministre, si le Gouvernement a fixé les orientations qu'il entendra défendre à cette occasion ? En particulier, des projets pilotes pourront-ils être définis, dont certains sont déjà cadrés avec des villes et des régions d'Europe ? Quels redéploiements des crédits communautaires la France préconisera-t-elle pour les financer ? Comment ces axes européens pourront-ils s'articuler avec le plan français d'emploi pour les jeunes ?
L'avenir immédiat appelle, en outre, d'autres questions et interrogations !
S'agissant des interrogations, tout d'abord, nous ne manquons pas d'avoir quelques doutes sur la cohérence des actes du Gouvernement. Est-il bien opportun, en effet, de demander à l'Europe la poursuite d'une politique de grands travaux, dans la lignée d'Essen - même si vous avez dû finalement renoncer à les faire mentionner dans la résolution finale - alors qu'en même temps vous annoncez l'arrêt de grands travaux au plan national ? L'Europe, en dépit de son environnement budgétaire restrictif, saurait-elle mieux faire dans ce domaine que le nouveau gouvernement français, qui prône pourtant l'intervention de l'Etat pour préserver l'emploi ?
M. Maurice Schumann. Très bien !
M. James Bordas. Est-ce là votre vision du principe de subsidiarité ? Est-ce là votre méthode pour éviter malgré tout la suppression de 75 000 emplois annoncée dans les travaux publics, si vous remettez en cause le canal Rhin-Rhône, Superphénix, les autoroutes, le bouclage de la francilienne ou l'extension de l'aéroport de Roissy ?
J'en viens aux questions.
Comment le Gouvernement s'y prendra-t-il pour respecter les orientations définies par le Conseil européen ? J'en rappelle quelques-unes : la modernisation des systèmes de protection sociale, notamment par la transformation des systèmes d'allocation en systèmes volontaristes ; la baisse des coûts salariaux des travailleurs les moins qualifiés ; l'encouragement à développer la simplification administrative ; la modération salariale, telle que celle qui est prônée par les partenaires sociaux européens.
Comment le Gouvernement engagera-t-il les négociations sur le temps de travail, alors que la Commission européenne travaille, de son côté, sur un livre vert, en 1997, qui pourrait aboutir à une proposition de directive ? Comment vos échéances s'articuleront-elles avec les siennes ?
Quant au dialogue social en Europe, vous entendez, je suppose, le soutenir et le favoriser. Serez-vous disposé à appuyer la demande des organisations européennes de petites et moyennes entreprises et de cadres pour la représentativité syndicale ?
Je terminerai, monsieur le ministre, sur un satisfecit et sur un regret.
Le satisfecit concerne l'intégration du protocole social dans le futur traité d'Amsterdam, signé, entre autres, par le Royaume-Uni. C'était l'un des objectifs du précédent gouvernement pour la conclusion de la Conférence intergouvernementale, et je suis heureux qu'il ait pu aboutir.
Le regret, c'est l'échec des pays européens à s'entendre sur la réforme des institutions de l'Union. Nous avons toujours plaidé, pour ce qui nous concerne, en faveur d'un approfondissement des institutions avant tout élargissement. Nous savons tous que les phases avancées de cet élargissement vont s'engager dès le début de l'année 1998. Il nous semblait indispensable de parvenir à s'entendre à quinze, avant cette échéance, sur les bases de révision de la majorité qualifiée et de pondération des voix précédemment proposées par la France.
Il convient désormais de travailler à de nouvelles propositions susceptibles d'éviter que l'Union européenne ne soit condamnée à l'inertie par faiblesse ou division, à la veille d'un élargissement historique à l'Est. Sur cet enjeu majeur, quelles solutions votre gouvernement encouragera-t-il ?
En conclusion, je tiens à rendre justice également au Gouvernement d'avoir accepté ce débat légitime au sein de notre Haute Assemblée. Le groupe des Républicains et Indépendants exercera sa vigilance au sein d'une opposition qu'il souhaite constructive sur les sujets européens.
Je vous remercie, monsieur le ministre, des réponses que vous voudrez bien m'apporter. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques jours de la clôture des travaux de notre assemblée, la question dont nous débattons aujourd'hui devrait nous permettre de faire le point sur la période « charnière » que vit la construction européenne à l'issue de cette laborieuse renégociation du traité de Maastricht.
Les termes du débat à propos de cette renégociation étaient les suivants : comment aller vers plus d'intégration de nos économies, au travers d'une monnaie unique avec ce que sous-entend et laisse espérer son instauration, et comment fonctionner dans l'Union, aujourd'hui à quinze, et à laquelle certains entendent donner rapidement la dimension de notre vieux continent ?
Dans ce débat particulièrement technique, et souvent volontairement opaque, les citoyens entendent désormais exprimer avec force leurs aspirations en faveur d'une Europe qui place la dimension sociale, et donc l'homme, au coeur de son évolution, au centre de ses priorités, comme le souligne M. Genton.
Cette exigence s'exprime de différentes manières mais avec constance et de plus en plus de détermination, que ce soit dans le cadre d'échéances électorales, de référendums ou de manifestations. Dernièrement, ils étaient plus de 50 000 dans les rues de Paris, portant cette revendication pour l'emploi.
Il est évident que l'adhésion des citoyens au projet européen dépendra essentiellement de la réponse qu'apporteront les gouvernements européens à cette exigence.
Comment, aujourd'hui, ne pas être inquiets face à la distanciation des citoyens par rapport à ce projet ? Comment ne pas comprendre leur anxiété, voire leur colère, à l'égard de son déficit social ?
Reconnaissons tout d'abord que, à l'exception de quelques rares mesures concrètes relatives à la sécurité des travailleurs, aux comités d'entreprise européens, l'Europe sociale s'apparente davantage à une incantation rituelle qu'à un véritable projet politique.
M. Maurice Schumann. C'est malheureusement vrai !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Nos textes fondateurs parlaient, certes, de liberté de circulation des travailleurs, de promotion du dialogue social, d'égalité entre les hommes et les femmes, de formation professionnelle. Mais, durant plus de trente ans, la concrétisation de cette dimension sociale fut occultée par les grandes manoeuvres autour de l'édification d'un marché intérieur ; parfois, même, elle fut instrumentalisée à son profit.
Plus récemment, la démarche qui a inspiré la réglementation édictée dans le prolongement de l'Acte unique n'a pas renforcé, tant s'en faut, la perception d'un volontarisme dans le domaine social.
En effet, l'harmonisation de normes nationales autour d'un socle de droits sociaux a minima est loin d'être un projet enthousiasmant et mobilisateur dans des pays comme le nôtre.
Un exemple précis me vient à l'esprit, celui du texte sur le congé maternité. Ce texte ne représentait, en fait, une réelle avancée que pour les femmes de deux pays en Europe, la Grande-Bretagne et le Portugal, la majorité des Etats, dont la France, ayant déjà adopté des dispositifs plus avantageux.
Je ne reviendrai pas sur l'utilisation polémique qu'en ont faite certains dans la campagne sur le référendum de Maastricht. Je me souviens simplement des hésitations sincères de parlementaires européens sollicités pour l'adoption d'un texte qui n'aurait pas de réelle traduction concrète dans leur pays.
Par ailleurs, sans entrer dans les détails, les obstacles institutionnels - règles de majorité, procédures devant le Parlement - qui ont jalonné le processus décisionnel des directives sociales ont entravé le plein épanouissement des potentialités que recelait la charte des droits sociaux fondamentaux initiée par François Mitterrand.
On a évalué qu'il fallait en moyenne deux ans pour aboutir à un compromis, et au pire vingt-cinq ans, à l'exemple du texte, d'une actualité brûlante, relatif à l'information et à la consultation des salariés. J'ajoute que notre Parlement l'a transcrit dans notre législation l'année dernière, deux ans après son adoption par le Conseil.
Bref, s'il fallait schématiser ce qu'un responsable de la Confédération européenne des syndicats appelle « le tango de l'Europe sociale », c'est-à-dire deux pas en avant, un pas en arrière, il faudrait parler d'interventions parcellaires, de mesures a minima difficilement élaborées et votées, et laborieusement appliquées dans les Etats membres.
Aujourd'hui, une autre urgence apparaît : alors qu'il y a deux décennies à peine l'essentiel de nos préoccupations portait sur le renforcement des droits des travailleurs, l'augmentation massive du chômage partout en Europe - il frappe près de 20 millions de personnes, plus particulièrement les jeunes - l'exclusion qu'il génère, la charge de violence qu'il comporte, nous font obligation de placer l'emploi au centre du projet européen.
Les gouvernements ont, certes, arrêté une première plate-forme de propositions lors du sommet d'Essen, en 1994. Mais comment ne pas être sceptique sur les orientations et les résultats de cette plate-forme, qui préconisait, notamment, une flexibilisation du marché du travail, la modération salariale et la réduction des coûts non salariaux ?
C'est pourquoi le récent sommet d'Amsterdam marque une nouvelle étape.
Tout d'abord, la signature par la Grande-Bretagne du protocole social ouvre de nouvelles perspectives en matière de législation sociale européenne.
Mais, surtout, le protocole permet d'intégrer dans le traité un véritable chapitre sur l'emploi. Il est envisagé, notamment, la mise en place de projets pilotes financés par l'Union et la création d'un comité de l'emploi pour coordonner les politiques des Etats membres ; le concours de la Banque européenne d'investissement est également prévu afin de financer des projets innovants et à haute technologie, en particulier dans les PME et les PMI.
Par ailleurs, les fonds structurels, spécialement le fonds social européen, le FSE, et le fonds européen de développement régional, le FEDER, doivent pouvoir concourir plus activement à une politique de l'emploi.
Certes, mes chers collègues, ces engagements peuvent paraître d'une trop grande modestie.
Certes, nous aurions pu aussi ne rien avoir concernant l'emploi dans la renégociation du traité, car rien ne laissait présager, voilà tout juste un mois, que le sujet serait abordé dans des termes aussi positifs. En effet, les textes quasi définitifs auxquels - sans enthousiasme, il est vrai - les pays avaient finalement souscrit étaient étrangement, voire intentionnellement, silencieux et timorés sur ce thème de l'emploi.
Démonstration a été faite que le volontarisme politique peut faire échec à cet autre volontarisme des apôtres de la dérégulation et de la flexibilité. Il a été démontré également qu'il existe une autre ligne de conduite que le fatalisme face à certains poids lourds du libéralisme.
Comment peut-on espérer dynamiser les travailleurs européens en ne leur offrant pour toute perspective que le remboursement de la dette publique, la flexibilité subie, la précarité et la pauvreté, alors que, parallèlement, nous vivons un moment historique où la volonté politique existe - en tout cas chez certains - et alors que, en dépit de l'actuelle atonie de l'activité, les facteurs principaux qui déterminent les perspectives de croissance ne sont pas défavorables puisque la rentabilité des investissements est correcte, l'inflation est maîtrisée, les échanges extérieurs sont excédentaires et la baisse des taux d'intérêts porte ses fruits ?
Il faut noter, cependant, que ces éléments porteurs auront des effets minorés en raison d'une évolution des salaires plus faible que la productivité, ce qui, bien entendu, pénalise la demande et nuit à la croissance.
Je regrette donc la frilosité de certains de nos partenaires face à tout engagement financier concret.
Aujourd'hui, les réseaux transeuropéens, qui concernent les infrastructures, mais aussi les télécommunications, semblent en panne.
Le sommet d'Essen s'était déjà conclu par un blocage sur le projet de « grands travaux » qu'avait proposé M. Jacques Delors.
Par ailleurs, si certains étaient prompts à évoquer la baisse des coûts non salariaux, aucune solution n'avait été avancée pour assurer la compensation budgétaire de ces allégements, bien que l'on ait à un certain moment parlé de taxe sur le CO².
Bien sûr, il n'est pas question pour l'Union européenne d'intervenir dans les politiques sociales, telles que la santé ou la vieillesse. Les systèmes mis en place dans les années trente sont ancrés sur des conceptions différentes et leur rapprochement précipité provoquerait une confusion dans laquelle viendrait se dissoudre tout sentiment d'identité ou d'appartenance pour les citoyens.
Mais l'Union européenne dispose, en matière d'emploi, d'atouts précieux et de marges d'initiative incontestables.
Sous l'impulsion, notamment, de M. Jacques Delors, l'Union a désormais une « culture » de dialogue social à l'échelle européenne. Depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, la consultation des partenaires sociaux et la prise en compte de leurs propositions sont des éléments moteurs pour la dynamique européenne, à l'image de ce qui s'est fait pour le texte relatif au congé parental ou les discussions qui se déroulent sur l'encadrement du temps partiel.
En matière de formation professionnelle, l'Union a depuis longtemps mis en place des programmes d'échanges dans le cadre scolaire et universitaire. Elle a également une formidable capacité de mobilisation grâce aux réseaux qu'elle encourage.
La formation professionnelle tout au long de la vie joue un rôle clé pour améliorer la compétitivité de nos entreprises et exploiter les nouveaux gisements d'emplois.
Sur initiative du Gouvernement français, les Européens se sont engagés, à Amsterdam, à prolonger leurs discussions lors d'un sommet qui sera consacré à l'emploi, dès la rentrée prochaine.
J'en viens à mes questions.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, dans quel esprit vous participerez à cette rencontre et quelles orientations vous entendez promouvoir ?
Ne serait-ce pas l'occasion de moraliser le circuit des primes communautaires octroyées à certains employeurs qui n'hésitent pas à délocaliser leur production d'un pays bénéficiant d'une protection sociale forte en direction d'un Etat membre où les salaires et cette protection sociale sont plus faibles ?
Pourquoi ne pas soutenir la proposition du commissaire Van Miert de lier l'octroi des aides au respect des directives européennes ?
Quelle stratégie globale entendez-vous préconiser face au dumping des pays émergeants ?
Monsieur le ministre, bien d'autres questions devraient vous être posées.
Nous partageons tous la conviction que l'Europe en mutation doit être celle de tous les citoyens, et non pas celle des seuls financiers. C'est pourquoi nous estimons que la réalisation de cette Europe sociale est la clé de la pérennité de l'Union européenne.
Espérons que la rencontre de Luxembourg, voulue par notre Premier ministre, M. Lionel Jospin, concrétisera les déclarations d'intention du sommet d'Amsterdam.
Nous connaissons votre détermination sur ce point. Nous vous assurons de tout notre soutien dans cette phase délicate et déterminante de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. le représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne et M. Pierre Fauchon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, entre l'outrance de l'Europe du libéralisme et des capitaux et l'Europe du chômage et de la régression, il semble qu'aujourd'hui nous ayons adopté un mode de comportement plus raisonnable. En effet, quelles que soient les difficultés de notre système européen, l'Union des Quinze compte indéniablement dans le monde comme l'une des plus grandes puissances économiques et exportatrices.
Quoi qu'en disent ses plus ardents détracteurs, l'Europe occidentale demeure un des hauts lieux de culture, de création et de liberté. L'Europe figure aussi parmi les acteurs mondiaux majeurs tant du point de vue du volume, de sa population que de son produit intérieur brut, et de son niveau de revenu par habitant. Le rapport de la CNUCED - conférence des Nations unies sur le commerce et le développement - est à cet égard révélateur. Ne vient-il pas de classer la France deuxième pays du monde, après le Canada, pour le niveau de bien-être offert à sa population ?
Cependant, le prix à payer pour cette indéniable réussite pèse lourd. Ce poids nous affaiblit, il nous désoriente et nous confine à l'impuissance. En effet, l'Europe des Quinze, c'est aussi dix-huit millions de chômeurs, des sites industriels en perpétuelle restructuration, un nombre d'exclus intolérables, des systèmes de sécurité sociale ruineux et inadaptés aux besoins, et des démographies dangereusement vieillissantes.
Là réside le problème. L'insupportable différence entre ces deux Europe - celle du bien-être individuel et économique et celle de la régression et de l'impuissance - nous renvoie à un sentiment de fatalisme qui gagne peu à peu les acteurs les plus dynamiques de nos économies.
Beaucoup de choses ont été dites sur la politique sociale européenne : facteur de ruine de l'Europe pour les uns, cache-misère pour les autres. Les textes européens en la matière ne font cependant pas défaut, car le souhait d'instaurer une politique sociale européenne a toujours été présent dans l'Union des Quinze.
M. Jacques Genton, représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est vrai !
M. Bernard Joly. Le traité de Rome de 1957 prévoyait déjà, dans son article 117, la nécessité de procéder à l'amélioration des conditions de vie et de travail. Dès 1960, le Fonds social européen, le FSE, visait à l'élargissement des possibilités d'emploi ainsi qu'au relèvement du niveau de vie. L'année 1972 permit la révision du FSE avec l'objectif d'aboutir au plein emploi. La mise en place d'un ensemble de directives dont l'objet était de protéger l'emploi s'égrena pendant quinze ans jusqu'à l'Acte unique, qui tentera de relancer la politique sociale européenne et la cohésion économique et sociale. Vint enfin, en 1987, la signature de la charte sociale européenne, dont le Royaume-Uni jugea bon de s'exonérer jusqu'au récent sommet d'Amsterdam.
Les textes signés tout au long de l'histoire sociale européenne prévoient notamment des dispositions favorables à la mise en oeuvre de mesures d'harmonisation et de convergence relatives à la libre circulation des travailleurs, aux relations dans le travail, au chômage, à l'emploi et à la sécurité sociale, ainsi que des dispositions sociales générales relatives aux conditions de vie et de travail et aux personnes défavorisées et des programmes concrets, dans le cadre du fonds social européen.
Cependant, malgré ces textes dont on ne peut contester l'existence, il faut noter que la plupart des Etats membres n'ont jamais envisagé autre chose qu'une harmonisation sociale minimale, et force est de constater que l'avancement de cette harmonisation n'est, à ce jour, qu'à peine entamée. Si des réussites ont pu voir le jour en matière de politique sociale européenne, comme la création du comité d'entreprise européen, l'essentiel de cette politique reste à matérialiser.
Comment alors s'étonner qu'un fort sentiment de désillusion à l'encontre des promesses européennes prévale parmi nos concitoyens ? D'espoirs déçus en sacrifices ressentis comme inutiles, un fort sentiment de scepticisme et de désintérêt a pris la place des idéaux d'espérance initiaux.
Voilà dix jours se tenait le sommet d'Amsterdam. Moment attendu, moment redouté et décisif, la Conférence intergouvernementale devait nous permettre d'assister à l'effacement de l'Europe de Maastricht devant une authentique Union européenne. Cette nouvelle Union née de ses cendres devait, grâce à une nouvelle appréciation de la dimension sociale de l'Europe communautaire, voir l'avènement d'une conception européenne plus respectueuse de ses populations, plus attentive à leur existence et à leur prospérité.
Le Premier ministre avait affirmé au préalable que la France saurait faire entendre sa voix, pour dire aux quatorze autres Etats de l'union qu'il fallait mettre l'Union économique et monétaire au service de la croissance et de l'emploi. Monsieur le ministre, estimez-vous avoir réalisé cet objectif dont M. Lionel Jospin avait fait l'un de ses thèmes de campagne ?
Le sommet d'Amsterdam nous a également donné l'occasion d'assister à la décision du Royaume-Uni d'adhérer à la politique sociale de l'Union et d'accepter l'ensemble des directives adoptées dans ce cadre. Il faut s'en réjouir.
Cependant, étant donné l'attitude de recul de la Grande-Bretagne à l'égard de mesures en faveur de l'emploi et de la protection des travailleurs, ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, de ne voir nos voisins britanniques freiner à l'avenir les progrès de la politique sociale européenne ?
Voilà peu d'années, la France a dû procéder à la relecture d'un texte législatif relatif aux conditions de travail de nuit pour les femmes trop favorable dans le cadre de l'égalité professionnelle stricto sensu. Notre position était pourtant la bonne, celle d'une approche non mathématique.
Par ailleurs, dès lors qu'un socle social minimum semble recueillir l'adhésion des Quinze, est-il envisageable d'assortir l'attribution des soutiens financiers européens au respect de ces règles minimales ?
S'agissant de la résolution du Conseil européen d'Amsterdam sur la croissance et l'emploi, une distinction a été faite entre la lutte contre le chômage, qui est « de la responsabilité des Etats », et la coordination des politiques pour l'emploi, qui semble s'insérer dans une démarche européenne.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous expliquer clairement ce que les demandeurs d'emplois peuvent attendre de telles considérations ?
Je souhaiterais savoir dans quels délais et sous quelles formes seront réalisées les actions entreprises dans ce cadre. Pouvons-nous espérer des mesures rapides et concrètes, par exemple, une baisse de la TVA sur les activités de restauration et de tourisme, afin d'améliorer la compétitivité d'un secteur essentiel à l'économie des provinces françaises ? Le Parlement européen a adopté un amendement dans ce sens et cette taxation fait partie des renégociations prochaines.
Il convient d'être clair. Laisser le temps au temps est un luxe que certains de nos concitoyens ne peuvent plus s'offrir.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une semaine après le sommet du G 8 de Denver, je crois que les Etats de l'Union ont pris conscience que le modèle social européen ne peut en aucune façon s'aligner sur le système américain.
La France et l'Union européenne sont donc aujourd'hui plus que jamais appelées à réfléchir sur le fondement de leur politique sociale. De cette définition, il faudra élaborer des objectifs clairs à court, moyen et long termes. Il faudra expliquer le coût et les sacrifices d'une telle politique, une politique qui entend ne laisser personne sur le bord du chemin, mais qui ne dispensera personne de prendre en charge sa juste part de responsabilités, qu'elles soient financières, civiques ou économiques. C'est au prix d'un tel effort que les pays de l'Union européenne pourront enfin trouver la voie de la convergence entre union économique et monétaire et union sociale européenne. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Schumann.
M. Maurice Schumann. Monsieur le ministre, ce débat que je vous remercie, vous, d'avoir accepté, et mon ami M. Jacques Genton, d'avoir provoqué et brillamment ouvert, me fournit l'occasion de vous poser une question précise.
Ne soyez pas étonné si je tiens un langage très comparable à celui que j'ai tenu le 19 avril dernier à cette même tribune, la dernière fois que j'ai rencontré votre prédécesseur et le ministre des affaires étrangères de l'époque. Les majorités changent, les gouvernements se succèdent, mais nous sommes en droit de toujours attacher notre char à la même étoile !
On a beaucoup dit ces derniers temps, on a redit aujourd'hui encore, on a trop dit peut-être, mais on a dit à bon droit, que la parole de la France était engagée, qu'elle avait signé le traité de Maastricht, que les électeurs français s'étaient prononcés - à une faible majorité sans doute mais à une majorité incontestable.
Vous ne serez pas étonné de m'entendre dire que je n'ai pas la moindre intention de critiquer ce vocabulaire ou de revenir sur cette assertion ; on peut regretter un constat, on ne peut pas refuser de le faire. Malebranche a dit : « Le passé, Dieu lui-même n'y pourrait rien changer ».
Cela étant, il importe de se rappeler que, si les électeurs français, dans leur faible majorité, ont approuvé un traité, ils n'ont pas pour autant approuvé ce qui a été ajouté à ce traité depuis lors. Et voilà bien le fond de la question !
Je viens d'entendre et d'écouter avec la plus grande attention Mme Dieulangard, porte-parole du parti politique auquel appartiennent le Premier ministre et la majorité de ses ministres. Qu'a-t-elle dit ? A trois reprises, elle a employé le mot « renégociation ». S'il y a eu en effet renégociation, c'est bien qu'il y avait eu adjonction, c'est bien qu'il y avait eu novation, adjonction et novation sur lesquelles, à ma connaissance, le citoyen français n'a pas eu à se prononcer...
M. Emmanuel Hamel. Pas encore !
M. Maurice Schumann. Je cite les deux exemples essentiels.
Le premier, c'est l'euro.
Chacun parle de l'euro comme s'il était le synonyme de la monnaie unique. Mais l'euro, tel qu'il se présente, ce n'est pas la monnaie unique pour laquelle la majorité des électeurs français s'est prononcée. La majorité des électeurs français s'est prononcée pour la substitution aux monnaies nationales d'une nouvelle monnaie dans les quinze pays membres de l'Union européenne.
Aujourd'hui, l'euro, tel qu'il se présente, soit qu'un certain nombre de pays ne veuillent pas y adhérer, soit qu'un certain nombre d'Etats membres soient considérés comme ne remplissant pas les conditions nécessaires, voire - je pense à l'Italie - soient considérés comme indésirables, l'euro est une monnaie unique mutilée.
La différence est considérable. Les commentateurs, les historiens de l'avenir seront étonnés, j'en suis sûr, d'avoir à constater que l'on parle de l'euro ou de la monnaie unique, à l'heure actuelle, absolument comme s'il s'agissait de la même chose.
Or, il y a deux différences essentielles : dès lors que l'euro ne s'appliquera pas aux quinze Etats membres, les Etats qui ne seront pas membres auront la possibilité - je ne dis pas qu'à coup sûr ils s'en serviront, mais ils en disposeront - de recourir à ces dévaluations compétitives dont chacun sait et dont chacun dit qu'elles ont fait tant de mal.
Ainsi, le premier résultat d'un euro, c'est-à-dire, dans l'état présent des choses, d'une monnaie unique mutilée et partielle, sera de dresser une frontière monétaire au milieu d'un espace économique qui, lui, est un espace sans frontières.
Je passe au second exemple, qui est peut être plus flagrant et peut-être plus important encore : le pacte de stabilité.
On a le droit d'être partisan du pacte de stabilité, comme on a le droit d'être favorable au passage à la troisième étape du traité de Maastricht, bien que l'euro ne reproduise pas la monnaie unique telle qu'elle figurait dans le traité de Maastricht et telle qu'elle a été approuvée par une faible majorité des Français, mais personne ne conteste - à mon avis, ou selon les constatations que nous sommes tous appelés à faire - que le pacte de stabilité comporte des abandons de souveraineté très importants dans le domaine fiscal, dans le domaine monétaire, dans le domaine budgétaire, dans le domaine économique et dans le domaine qui - on peut le dire - a dominé ce débat, à savoir le domaine social.
Or, qui est détenteur de la souveraineté ? C'est le peuple français ! Il a bien entendu le droit d'utiliser sa souveraineté pour la limiter, voire pour la limiter gravement et considérablement. Mais personne ne peut dire qu'à l'heure actuelle il ait approuvé cette novation fondamentale, cet élément essentiel de la renégociation à laquelle faisait allusion tout à l'heure Mme Dieulangard, et qui s'appelle le pacte de stabilité.
Cette constatation est d'ailleurs d'autant plus importante que, jusqu'à présent, on l'a dit - c'est très regrettable mais c'est vrai - l'expérience paraît démontrer qu'un certain nombre de pays européens, en particulier l'Allemagne et la France, peuvent perdre sur les deux tableaux, c'est-à-dire, d'une part, consentir des limitations de souveraineté sérieuses, graves, importantes et, d'autre part, appliquer, pour remplir les conditions posées par les critères de convergence, une politique de rigueur non discriminée et excessive qui, à cause de la diminution des rentrées fiscales et des cotisations sociales, a comme résultat de creuser les déficits bien loin de les combler.
Devant une situation comme celle-là, quelle conclusion importe-t-il de tirer ? C'est l'objet même de la question que je vous pose.
Cette conclusion, c'est que vous avez le droit de signer un pacte de stabilité, comme vous l'avez fait, de même qu'un gouvernement antérieur avait le droit de signer le traité de Maastricht. Mais après avoir signé le traité de Maastricht, ce gouvernement a consulté les Français, et il a eu une réponse. Après le pacte de stabilité, qui est en réalité un nouveau traité, votre gouvernement a le devoir, l'obligation, l'obligation constitutionnelle de procéder à une nouvelle consultation.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Maurice Schumann. C'est vrai du pacte de stabilité, c'est vrai aussi de l'euro tel qu'il est devenu dans la mesure même où il s'éloigne de la monnaie unique telle qu'elle avait été primitivement conçue.
Dès lors, ma conclusion est très simple, mais elle est en même temps très claire : vous êtes enfermé dans une alternative et, comme toute alternative, celle-là comporte deux branches.
La première, celle qui emporte de loin ma préférence parce qu'elle est la seule qui soit en définitive incontestable et même indiscutable, c'est une nouvelle consultation du peuple français par voie de référendum, qui complète et qui, le cas échéant, corrige la réponse primitivement donnée. Cela est d'autant plus important d'ailleurs que, par la même occasion, les Français pourraient avoir la faculté de proclamer dans la construction de l'Europe la primauté du social à laquelle semblent être attachés aujourd'hui tous les orateurs qui se sont succédé à cette tribune.
Il y a, je le reconnais, une autre branche à l'alternative : c'est la procédure parlementaire, c'est la consultation des élus de la nation. Je vous demande clairement quelle est celle de ces deux branches que vous choisissez.
Mais à l'alternative elle-même, monsieur le ministre, vous ne pourriez pas échapper, vous ne ne pourriez pas vous soustraire sans porter atteinte au principe fondamental de la République : le droit des Français à disposer d'eux-mêmes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un débat portant sur la politique sociale de l'Union européenne est au coeur de l'actualité.
Les récentes élections législatives ont en effet été marquées, au-delà des prévisions et des sondages, par l'exigence des Français d'affirmer leur volonté d'une rupture avec les politiques d'austérité antérieures, qui étaient placées sous le signe du libéralisme. Ils ont clairement opté pour un véritable changement.
Oui, l'Europe sociale est de toute évidence au coeur de ce débat. Comment en serait-il autrement alors que la construction actuelle de l'Europe suscite le rejet ou de fortes interrogations de la grande majorité de nos compatriotes ? Si 58 % des Français souhaitent aujourd'hui une renégociation du traité de Maastricht, c'est également le rejet du libéralisme qui les motive plus ou moins consciemment.
Le libéralisme, ce n'est pas ce beau concept de liberté. Bien au contraire, c'est l'écrasante prédominance de la finance sur les valeurs humaines, c'est la remise en cause de principes démocratiques élémentaires au service d'un mécanisme autoritaire et technocratique tourné vers un seul but, le profit, c'est la dure loi du plus fort imposée au plus faible.
Le débat sur la politique sociale européenne n'est donc pas relancé sans raisons en France comme en Europe.
Il est le résultat d'une contestation de plus en plus vive des fondements du traité de Maastricht, contestation exprimée dans les urnes en France, mais aussi en Grande-Bretagne. Il est aussi le résultat des interrogations fortes dans d'autres pays européens, notamment en Allemagne.
L'exigence d'une Europe au service du progrès social, et non pas des financiers, s'est construite sur un constat grave et incontestable : l'Europe d'aujourd'hui, loin de favoriser le respect, voire l'amélioration des droits sociaux, les met en cause ou tend à les supprimer.
Comment faire confiance à cette Europe qui, alors qu'on nous promettait croissance et développement de l'emploi, a produit près de 20 millions de chômeurs et généralise la précarité, pudiquement appelée « flexibilité » ? Aujourd'hui, 50 millions d'Européens sont frappés par la pauvreté.
Nous avons assisté à une véritable prise de conscience européenne de la nécessité d'une autre Europe, qui doit être autre pour être véritablement sociale. L'annonce de la fermeture de l'usine de Vilvorde a été, de ce point de vue, un temps fort dans la prise de conscience de la nécessité de changement.
Cette froide décision a suscité la révolte et la colère de tous ceux qui n'acceptent pas qu'au nom d'intérêts exclusivement financiers la vie de femmes, d'hommes, de familles tout entières soit brisée.
Cette annonce terrible a suscité la réflexion, partout en Europe, sur les gâchis du capitalisme qui, pour favoriser une orientation spéculative de la politique financière de Renault, choisit de détruire l'énergie, la créativité et la dignité humaine. Comment parler de politique sociale européenne si l'on accepte cette fermeture ?
Le maintien du site de Vilvorde aurait une portée symbolique : le choix de la croissance et de l'emploi contre celui de l'austérité et de la spéculation.
Vilvorde, malheureusement, n'est pas le seul exemple de cette politique antisociale qui prévaut aujourd'hui en Europe et qui est impulsée par la monnaie unique, les critères de convergence et le pacte de stabilité.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet. Peugeot, dès le lendemain des élections législatives, a annoncé la suppression de 2 800 emplois en France. Le groupe suédois Electrolux vient d'annoncer la suppression de 12 000 emplois, alors que, quarante-huit heures plus tard, il informait de l'augmentation de 27 % du cours de son action. Cette année, ce groupe a réalisé 2,6 milliards de francs de bénéfices.
Monsieur le ministre, chaque jour nous confirme le lien entre la mise au chômage de milliers de personnes et l'accroissement des profits. Comment peut-on continuer d'accepter les pleins pouvoirs de dirigeants sur l'avenir de l'entreprise et de ses salariés ?
Nous nous étions prononcés pour l'instauration d'un contrôle non seulement de l'administration mais aussi et surtout des salariés sur les licenciements. Nous avons pris note de l'annonce de M. Jospin d'une nouvelle législation sur ce point. Nous y sommes favorables et nous serons très attentifs à son contenu.
Cette pression du chômage, ce dogme de la réduction du coût du travail favorisent la mise en cause globale des acquis sociaux.
Nous regrettons d'ailleurs que la résolution sur l'emploi adoptée récemment à Amsterdam se situe toujours et pleinement dans cette logique.
M. Santer, président de la Commission européenne, lie l'Europe sociale et la flexibilité. Or, ces concepts sont pour nous antinomiques.
La flexibilité est synonyme de mise en cause du droit à l'emploi à temps plein et d'exploitation renforcée.
Une conception sociale de l'Europe doit être, selon nous, d'améliorer la condition des salariés, et non pas de destructurer progressivement non seulement les conditions de travail, mais aussi le travail. C'est au nom d'une certaine idée de l'égalité que la Commission européenne a tenté de remettre en cause les dispositions de notre législation concernant le travail de nuit des femmes ; il y a déjà été fait allusion.
Une politique sociale européenne, c'est aussi le développement de la protection sociale. Or l'une des conséquences essentielles de la recherche des critères de convergence, c'est la volonté affichée clairement par maintes recommandations de la Commission de Bruxelles de réduire les dépenses de santé.
De même, un récent Livre vert de la Commission relatif au développement des fonds de pensions confirme la volonté de mettre en cause le système de retraite par capitalisation.
Je ne développerai pas ces points précis, car le temps me manque. La politique sociale européenne est directement dépendante de la volonté d'accéder à la monnaie unique et d'appliquer le pacte de stabilité.
Malgré la volonté des peuples, fortement exprimée, de réorienter la construction européenne vers plus de justice sociale, les négociations d'Amsterdam ont abouti à la confirmation du pacte de stabilité.
Nous le regrettons fortement, monsieur le ministre, car il n'y aura pas d'Europe sociale dans le cadre de ce carcan du pacte de stabilité.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet. Le pacte de stabilité, c'est une excroissance de Maastricht qui vise à renforcer l'application des critères de convergence en concrétisant le système des sanctions déjà engagé par le traité lui-même.
Le pacte de stabilité est aussi contradictoire avec l'idée même de relance économique qui seule peut permettre le progrès social. Il s'inscrit dans une logique économique financière et non pas dans celle d'un développement de l'emploi.
Relancer ce défi - celui de l'emploi, celui dont nous parlons tous aujourd'hui - nécessite en Europe comme en France une autre utilisation de l'argent. C'est une question incontournable. Si l'on souhaite honorer nos engagements - et nous le souhaitons, monsieur le ministre, j'en suis persuadé - pour réussir le changement de politique, nous devons sortir de la pensée unique. Nous avons des propositions pour agir en ce sens dans notre pays : baisse de la TVA, redistribution de la fiscalité, accroissement du produit de l'impôt sur les grandes fortunes, taxation des revenus de la spéculation, taxation des délocalisations, et bien d'autres... Nous aurons l'occasion de les présenter et de les soumettre au débat.
Le mouvement social, les diverses prises de position, les fortes manifestations du 10 juin en France, le succès de la marche pour l'emploi à Amsterdam sont révélateurs d'une volonté d'intervenir dans les choix politiques.
Nous apprécions également la réflexion et l'action engagées par de nombreux économistes et syndicalistes qui se sont retrouvés le 22 juin à la Sorbonne pour débattre et proposer pour l'automne des mesures en faveur d'une alternative au libéralisme et pour le renouveau du plein emploi.
Nous serons vigilants pour que le sommet européen prévu sur l'emploi puisse effectivement constituer une véritable nouvelle étape pour l'Europe sociale.
Ce débat intense sur la politique sociale européenne a été porté par les peuples. On ne pourra pas éviter de consulter les Français sur leur avenir européen et sur le passage à la monnaie unique, comme ils le souhaitent. Nous continuons avec eux à vouloir un référendum et j'ai bien cru comprendre que nous n'étions pas les seuls, monsieur le ministre.
M. Emmanuel Hamel. Vous n'êtes pas les seuls, madame.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont attachés à la construction d'une Europe du progrès social, de la sécurité et de la paix, à une Europe qui respecte les hommes. Pour cela, justice sociale et démocratie sont intimement liées et notre souveraineté nationale doit être sauvegardée.
C'est bien sur la démocratie, sur l'intervention des peuples, des formations politiques, syndicales et associatives que nous comptons pour rappeler que l'avenir ne se fera pas contre l'homme, mais qu'il se fera pour lui !
Un grand espoir est né, monsieur le ministre. Personne ne nie la difficulté de la tâche ni la complexité de la situation. Ensemble, donnons-nous les moyens efficaces pour réussir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Pierre Moscovici, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux commencer par vous remercier de votre invitation, remercier le Sénat tout entier et, au premier chef, M. Genton et la délégation du Sénat pour l'Union européenne de m'avoir posé aujourd'hui cette question orale avec débat.
Cette invitation ainsi que votre accueil augurent bien des relations qu'aura ce Gouvernement avec votre délégation et avec la Haute Assemblée tout entière.
M. Fauchon m'a interrogé tout à l'heure sur la nature de mes convictions européennes en rappelant l'action de mon prédécesseur, M. Michel Barnier, que je connais bien. Il a ses convictions, son style ; j'aurai le mien, vous le découvrirez.
Mes convictions sont celles d'un Européen qui est depuis longtemps un militant de l'Europe, d'un socialiste - chacun sait que ce parti a été associé depuis l'origine à la construction européenne - d'un homme qui est né l'année où a été signé le traité de Rome, d'un élu d'une circonscription ouvrière qui voit bien, par rapport à cet enjeu, que les citoyens ont aujourd'hui une attitude à la fois très positive et probablement très exigeante. C'est ainsi que mes convictions s'exprimeront à travers l'action de ce Gouvernement ou, en tout cas, à travers mon action en son sein.
Je me sens en phase avec nombre des appréciations qui ont été exprimées avant moi à cette tribune et qui témoignent de bien d'exigences qui sont aussi les miennes.
Les peuples de notre continent ont sans doute trop longtemps eu le sentiment que l'Europe se bâtissait sans eux et que des approches techniciennes ou exclusivement financières l'emportaient sur la vision politique et la dimension humaine de la construction européenne, qui avaient justement inspiré les pères fondateurs de l'Union européenne. Beaucoup de nos concitoyens sans doute ont encore cette sensation et éprouvent cette réserve. C'est justement le rôle du politique que de faire reculer ce sentiment par l'action et par l'explication, car il est essentiel de convaincre nos concitoyens de tout ce que peut apporter l'Europe.
M. Genton a eu raison de le souligner, les citoyens veulent que les choses changent, que l'Europe place davantage les aspects social et humain au coeur de ses préoccupations et qu'elle mette l'emploi au rang de ses priorités, au moins au même titre que la construction monétaire et que la réduction, certes nécessaire, des déficits publics.
Comment en serait-il autrement dès lors que, comme plusieurs orateurs l'ont rappelé, le chômage frappe dix-huit millions d'Européens et que l'Europe est bien, comme Mme Dieulangard l'a souligné, une Europe du déficit social, une Europe, comme le disait M. Joly, frappée à certains égards de régression et d'impuissance ?
Le Gouvernement partage entièrement cette conception d'une Europe plus sociale et plus humaine, et il s'emploiera à la traduire en actes. Il a d'ailleurs commencé à le faire, comme le prouvent les résultats du Conseil européen d'Amsterdam.
Certes, ceux-ci peuvent paraître insuffisants. Il est vrai qu'ils sont à bien des égards - je reprends là l'expression commune au Président de la République, au Premier ministre et au ministre des affaires étrangères - frustrants, mitigés, et j'ajouterai contrastés.
M. Genton s'interrogeait sur le bilan que l'on pouvait en tirer. S'agissant des aspects institutionnels, ce bilan est décevant, voire inquiétant.
Il est en effet inquiétant que nous n'ayons pu avancer suffisamment pour préparer l'élargissement - des décisions, pourtant nécessaires, sur la repondération des voix ou sur la réduction du nombre de commissaires n'ayant pas été adoptées - même si nous avons progressé s'agissant des coopérations renforcées, coopérations qui seront sans doute un élément positif pour les Etats qui veulent avancer ensemble.
D'autres éléments ont été positifs ; je pense aux approfondissements dans les domaines de l'emploi - j'y reviendrai - de la politique sociale, de la politique étrangère et de sécurité commune, qui devrait pouvoir prendre corps.
Des demandes françaises ont également été satisfaites ; je pense à la reconnaissance du rôle de Strasbourg comme siège du Parlement européen, de la spécificité de nos départements et territoires d'outre-mer, de nos services publics, ainsi que du rôle des parlements nationaux. Ainsi ces derniers seront-ils, demain, associés davantage à la décision européenne. Le Sénat peut, j'en suis certain, s'en réjouir.
De ce bilan contrasté, on pourrait tirer un sentiment quelque peu dubitatif. Il n'en reste pas moins que le nouveau Gouvernement, qui a pris ses fonctions dans des circonstances particulières qu'il n'avait pas provoquées lui-même et, disons-le, dans une certaine urgence, ce Gouvernement, qui n'a pourtant eu finalement que peu de temps depuis sa prise de fonctions pour s'immerger dans les dossiers européens, a pu néanmoins donner au Conseil européen à Amsterdam une tonalité nouvelle dont j'ai la conviction - plusieurs d'entre vous l'ont confirmé - qu'elle est plus proche des aspirations des citoyens européens.
Cela se traduit par le fait que l'Union économique et monétaire commence à se rééquilibrer et que le Conseil européen d'Amsterdam a remis l'emploi au coeur des priorités de la construction européenne.
Cela se manifeste, au premier chef, par une résolution sur la croissance et sur l'emploi qui a été adoptée en même temps - je réponds ainsi à M. Schumann - que le pacte de stabilité. Ce résultat a été atteint, nul n'en doute, grâce à l'action déterminée du gouvernement français. En effet, à l'ouverture du sommet d'Amsterdam, seule la question de la discipline budgétaire était initialement prévue, en matière économique et sociale, à l'ordre du jour. Chacun l'a constaté : s'il n'y avait pas eu de changement de majorité, on n'aurait parlé que de cette question. Le président Jacques Chirac lui-même a souligné à Amsterdam que, de ce point de vue-là, il lui semblait que le changement de gouvernement avait été une bonne chose. C'est dire qu'une inflexion positive a été marquée !
Le nouveau gouvernement, qui en avait discuté la veille, ou presque, avec le gouvernement allemand à l'occasion du sommet de Poitiers, a obtenu que soient mises sur le même plan politique la stabilité budgétaire et la lutte pour l'emploi. Je crois que c'est un succès important.
On a pu critiquer ici ou là la méthode - M. Bordas y faisait allusion - mais nous avons réussi à faire comprendre à nos partenaires, et d'abord aux Allemands, que notre préoccupation d'infléchir la construction européenne dans le sens de la croissance et de l'emploi était une préoccupation forte. Nous avons réussi non seulement à faire comprendre cette préoccupation, mais aussi à la faire partager par beaucoup de gouvernements et, j'en suis sûr, au-delà des gouvernements, par bien des peuples.
Cette résolution, qui doit être placée sur le même plan que le pacte de stabilité, permet désormais à l'Europe de marcher sur deux pieds, car ce sont - je réponds à la question de M. Schumann - deux instruments complémentaires et non substituables.
Vous avez ouvert sur l'euro et sur le pacte de stabilité une discussion importante, sur laquelle je voudrais vous donner mon sentiment, sans me permettre de vous contredire en tout, car il est des éléments de votre intervention que je partage.
S'agissant de l'euro, je ne puis adhérer entièrement à votre vision. Le traité de Maastricht a bien prévu une sorte de similitude entre l'euro, vers lequel nous allons, et la monnaie unique.
En effet, dans l'article 109 J de ce traité, il est précisé que si la décision avait été prise en 1996, la monnaie unique aurait juste rassemblé la moitié des Etats. A l'origine, il n'était donc pas prévu - c'est peut-être dommage, car je suis, moi aussi, favorable à une monnaie unique pour l'Europe entière - que l'euro, la monnaie unique, concerne tous les Etats.
A l'inverse de votre argument, si l'euro est décidé en 1998, il n'est même plus besoin de cette moitié d'Etats membres. Cela figure dans le traité. Deux Etats pourraient décider d'adopter cette monnaie unique qui, reconnaissons-le, dans ce cas de figure-là, ne mériterait en aucun cas ce qualificatif d'« unique ».
S'agissant des dévaluations compétitives, il y aura, à côté de la monnaie unique, un SME bis, et les articles du traité prévoient une convergence forte.
Sur l'euro, je veux le redire à cette tribune, l'engagement du Gouvernement est fort : nous voulons faire l'euro, faire la monnaie unique, et nous voulons le faire à temps, car j'ai la conviction qu'un report aurait des conséquences dramatiques et signifierait, de fait, un renoncement.
Nous acceptons le traité tel qu'il a été voté par les Français, à une courte majorité, mais il a été voté.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Donc 3 % de déficit ?
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je vais y venir, madame.
M. Emmanuel Hamel. Il ne serait plus adopté aujourd'hui !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Le peuple a déjà tranché, et il n'y a pas lieu de le consulter à nouveau aujourd'hui sur cette question qui risquerait, comme hier, de le diviser, même si - M. Fabius d'ailleurs l'a suggéré voilà quelque temps - le Parlement pouvait être consulté le moment venu.
S'agissant du pacte de stabilité, en revanche, il est un point indubitable dans l'argumentation de M. Schumann : ce pacte-là n'avait pas été prévu par le traité.
M. Maurice Schumann. Ah !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. C'est d'ailleurs au nom de cette réalité que, pendant la campagne électorale, M. Lionel Jospin avait exprimé des réticences importantes sur le pacte de stabilité signé à Dublin.
Monsieur Schumann, vous avez été la voix de la France, et cela vous acquiert, pour l'éternité, le respect de nos concitoyens : je le dis avec une très profonde sincérité.
La voix de la France, aujourd'hui, dans notre système qui est celui de la Ve République, système auquel vous avez adhéré, c'est celle du Président de la République. Or la parole de la France a été donnée à Dublin. Il s'agit donc d'un engagement international signé par le précédent gouvernement et par le Président de la République, engagement au nom de la France et avec nos partenaires étrangers qui nous a fait mesurer la responsabilité qui est la nôtre.
Croyez que renoncer à la parole de la France en période de cohabitation aurait eu des implications extraordinairement fortes dans nos relations avec nos partenaires, et d'abord avec les Allemands, on a rappelé ici l'importance de cette relation.
C'est pourquoi nous n'avons pas entendu remettre en cause le pacte de stabilité, en demander la renégociation ou le report ; nous avons souhaité le compléter, y ajouter une nouvelle dimension, l'infléchir : tel est le sens de la résolution qui a été adoptée.
Que nul, en effet, ne doute de notre conviction politique ! Si, pour ce Gouvernement, la stabilité monétaire et financière peut constituer l'une des conditions d'un développement durable de l'activité économique et de l'emploi, elle n'est pas une fin en soi ; il faut des compléments politiques et économiques extraordinairement puissants pour éviter que cette logique ne finisse par se tourner contre les peuples.
Dans les mois qui viennent, la France ne ménagera pas ses efforts pour faire vivre ce texte et pour en exploiter toutes les potentialités. « Déclaration d'intention ! », disiez-vous tout à l'heure. Peut-être ! mais, dans ce genre, rappelez-vous, justement, le mémorandum social de MM. Juppé et Chirac, que vous évoquiez et dont je regrette que la France n'ait jamais réussi à le faire examiner par les Quinze.
Cependant, les déclarations d'intention ont aussi du bon, dès lors qu'elles sont également des déclarations politiques. Cette résolution sur la croissance et l'emploi en est une au sens noble, au sens fort du terme, car elle entraînera des conséquences. Lesquelles ?
Ce texte, qui ne correspond pas tout à fait à ce qu'étaient les exigences françaises initiales - je réponds là à une question posée par plusieurs d'entre vous - se traduira par des mesures concrètes pour l'emploi, grâce au renforcement de l'action de la Banque européenne d'investissement en faveur des projets d'infrastructures, de l'innovation technologique dans les PME, dans les domaines de l'éducation, de la santé et de l'environnement urbain, grâce à l'adoption, demain, de lignes directrices et à la possibilité d'adresser des recommandations particulières à chacun des Etats membres.
J'y reviendrai, ce n'est pour nous qu'un début, mais il doit entraîner des conséquences concrètes.
Le deuxième élément que je voulais souligner au titre du rééquilibrage de l'Union économique et monétaire, c'est l'insertion d'un nouveau chapitre consacré à l'emploi dans le traité.
Ce chapitre pose les bases d'une meilleure coordination des politiques nationales contre le chômage avec, en particulier, la création d'un comité de l'emploi qui travaillera en étroite coordination avec le comité de politique économique. Ce comité permettra d'éviter par exemple que des aides publiques pour l'emploi servent à financer des délocalisations à l'intérieur de l'Union.
Par ailleurs, des projets pilotes seront financés par l'Union dans le cadre des fonds communautaires existants.
Ces mécanismes seront mis en oeuvre immédiatement - et c'est important - sans même attendre la ratification du traité.
Ce matin, au conseil « Affaires générales » qui se tenait à Luxembourg, nous avons progressé en ce sens, même s'il faudra examiner les modalités juridiques d'application du texte.
Enfin - troisième point - une réunion extraordinaire du Conseil européen consacrée à l'emploi a été décidée, sur l'initiative de la France. Elle se tiendra sous la présidence luxembourgeoise à l'automne prochain, peut-être en octobre, plus sûrement en novembre.
Que peut-on en attendre ? Je ne suis pas en mesure aujourd'hui, bien évidemment, de vous dire très exactement ce que le Gouvernement inscrira dans ses propositions, mais je peux vous donner quelques éléments d'éclaircissement sur la démarche que nous allons adopter.
La Commission a mis en place les outils nécessaires d'analyse et de suivi pour comparer les politiques de l'emploi menées par les différents Etats membres. Il s'agira pour nous d'en tirer des conclusions opérationnelles.
Ce sommet pourra également permettre de nourrir le dialogue social sur le plan européen, par exemple dans le prolongement du récent accord entre partenaires sociaux intervenu sur la question du travail à temps partiel.
Il pourrait être également envisagé l'organisation de rencontres tripartites au niveau européen sur certains thèmes liés à l'emploi.
Notre démarche plus spécifique, je tiens à le souligner, comme j'ai été amené à le rappeler ce matin-même au conseil « Affaires générales » - consiste à marquer l'extrême importance qu'attache la France à ce Conseil européen consacré à l'emploi.
On ne devra pas y retrouver les sempiternelles petites phrases générales autour de tel ou tel mot soigneusement pesé au trébuchet, qu'il s'agisse de « l'adaptabilité », de « la flexibilité » ou de « l'employabilité ». Si tel était le résultat, il serait décevant pour tous.
Le Conseil doit déboucher sur des mesures concrètes, tangibles et effectives. Je l'ai dit avec fermeté ce matin : le Gouvernement français demande que chaque nation fasse des propositions qui répondent à ses besoins. Nous présenterons les nôtres, et ce dans des délais très brefs. Nous souhaitons que la préparation de ce Conseil obéisse à des modalités originales et qu'il ne s'agisse pas d'un rituel de plus.
A côté de ces avancées sociales, je veux également souligner l'importance donnée, dans la résolution du Conseil d'Amsterdam à la coordination des politiques économiques entre Etats membres. L'Union économique et monétaire ne repose pas seulement sur la monnaie ; elle vise aussi la solidarité économique entre les Etats. Elle est l'expression d'une volonté commune de favoriser la croissance, de maintenir l'emploi au premier plan des préoccupations politiques. Ainsi, la coordination des politiques économiques, le renforcement de ce qu'on appelle le pilier économique sont également inscrits en filigrane dans cette résolution sur la croissance et l'emploi.
Sur ce point, sachez que le Gouvernement considère le compromis d'Amsterdam non pas comme un aboutissement mais comme un point de départ. Non, monsieur Joly, nous n'avons évidemment pas rempli intégralement à Amsterdam, hélas ! l'objectif que se fixait M. Lionel Jospin de rééquilibrer la construction économique et monétaire.
Nous avons ouvert une porte, une brèche dans un certain mur - peut-être celui de l'orthodoxie - mais cela ne nous dispense pas d'aller beaucoup plus loin.
Cela suppose évidemment de dégager des moyens financiers en procédant éventuellement par redéploiements. Or certains de nos partenaires y sont opposés.
Il faudra renforcer le pilier économique pour aller vers ce pôle économique - j'évite à dessein l'expression de « gouvernement économique » qui semble profondément choquer certains de nos partenaires. La mise en oeuvre d'une politique volontariste pour la croissance et pour l'emploi s'impose.
M. Jacques Genton m'a interrogé sur les rendez-vous futurs. L'un des principaux sera pour nous ce Conseil européen de Luxembourg consacré à l'emploi.
Par ailleurs, nous voulons que la logique des grands travaux, engagée à Essen mais jamais consacrée par la suite, trouve un prolongement.
Sur ce sujet, je répéterai les propos tenus ici même tout à l'heure par M. le Premier ministre : il n'y a pas contradiction entre l'arrêt de certains grands travaux et la volonté de poursuivre des grands travaux en Europe.
L'élu franc-comtois que je suis - je m'adresse à d'autres élus francs-comtois ici présents, M. Dreyfus-Schmidt ou M. Joly - sait que, si nous avons arrêté la construction du grand canal Rhin-Rhône, ce n'est pas en raison d'une hostilité quelconque à l'égard d'un secteur économique comme le bâtiment ou les travaux publics. C'est pour des raisons écologiques, pour des raisons économiques, pour des raisons financières. Croyez-moi - beaucoup d'entre vous le savent bien - il fallait le faire...
M. Emmanuel Hamel. Il fallait faire le canal, très bien ! (Sourires.)
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... il fallait arrêter la construction du canal ; c'est une excellente décision.
Quant à Superphénix, on a également rappelé ici tout à l'heure pourquoi cette fermeture a été décidée et comment elle serait opérée. Il y a tellement d'autres grands travaux à entreprendre ! On a parlé du TGV Est, on pourrait parler du TGV Rhin-Rhône.
Croyez-le, le Gouvernement n'a aucunement la volonté d'arrêter les grands travaux, il a la volonté de les réorienter. Tel est le sens de notre action.
Il est un autre point que je voudrais souligner à propos de l'Europe sociale, à savoir que le contenu social du nouveau traité a été sensiblement étoffé, là encore largement sous l'impulsion de la France.
Madame Bidard-Reydet, vous avez évoqué l'affaire Renault-Vilvorde, à laquelle je suis particulièrement sensible, comme je le suis d'ailleurs au plan social de Peugeot, étant encore pour quelques jours député de la quatrième circonscription du Doubs et demeurant conseiller général de Sochaux, là où seront supprimés 1 500 emplois.
Cette affaire Renault-Vilvorde, ce plan social ont justement et cruellement mis en lumière les insuffisances sociales de la construction européenne, qui ont rendu possible que soit annoncée la décision de fermer un important site de production sans aucune concertation préalable. Vous savez que le Gouvernement a décidé de convaincre l'entreprise Renault, qui l'a accepté, de mandater un expert indépendant pour étudier pendant trois semaines la situation de l'usine. La décision finale appartient, bien entendu, au conseil d'administration de Renault, mais le Gouvernement voulait être sûr que toutes les solutions avaient été examinées en concertation avec les intéressés.
Mais au-delà, il est certain qu'il faut absolument remédier à ces insuffisances. Dans le cadre du prolongement du sommet d'Amsterdam, des travaux sur l'amélioration du dialogue social ainsi que sur l'information et sur la consultation des travailleurs sont déjà en cours. Je crois qu'ils inspireront désormais fortement la priorité sociale du traité.
Il faudra aller plus loin encore et notamment examiner les propositions du commissaire M. Van Miert sur une soumission des aides non plus à telle ou telle logique de concurrence mais à la situation de l'emploi. Ce sera un moment important.
Sur le contenu social du traité, je tiens à souligner encore trois apports nouveaux avant de terminer.
Premier apport : le nouveau gouvernement du Royaume-Uni a adhéré au protocole social annexé au traité, ce qui a permis l'introduction du protocole lui-même dans le traité. Je me réjouis, comme M. Joly, de cette décision qui prouve le rôle positif non seulement du nouveau gouvernement français, mais aussi du gouvernement britannique. Je veux être optimiste pour ma part sur le rôle que peut jouer demain la Grande-Bretagne en Europe.
Comme tout le monde, au Conseil européen d'Amsterdam, j'ai pu observer la persistance de comportements anciens mais aussi l'émergence de comportements nouveaux qui, à mon sens, montrent que l'évolution va bien dans le sens d'une importance accrue de l'Europe en Grande-Bretagne.
Je ne voudrais pas à mon tour évoquer les relations entre MM. Tony Blair et Lionel Jospin, mais nous pouvons être sûrs qu'il s'agit de deux amis qui se parlent et qui sauront sans doute trouver un langage commun.
A partir de cette intégration du protocole dans le traité, les Quinze pourront définir, le plus souvent à la majorité qualifiée - et cela aussi est important - un droit européen relatif aux conditions de travail, d'information, de consultation des salariés de l'entreprise.
Ce dispositif constitue une protection essentielle contre certains risques de dumping social.
Le Conseil européen s'est aussi prononcé avec fermeté en faveur du dialogue social et de l'application intégrale du droit communautaire lors de processus de restructuration dans les entreprises. Il conforte là aussi, me semble-t-il, l'attitude du nouveau gouvernement français à l'égard du projet de fermeture du site de Vilvorde.
Mme Dieulangard a souligné le caractère un peu laborieux du « tango » social en Europe. J'espère qu'avec l'intégration du protocole social dans le traité cet aspect social prendra le rythme lent, mais harmonieux, de la danse sud-américaine que nous aimons tous. (Sourires.)
Deuxième apport : sur l'initiative de la France, le traité mentionne désormais la notion de service public ; un nouvel article 7 D du traité fera référence à la place des services d'intérêt général parmi les valeurs communes de l'Union.
Même si la notion de service public n'est encore évoquée qu'au titre de la réalisation du marché intérieur, ce qui ne correspond pas entièrement, bien sûr, à notre approche, cette référence explicite pourra servir de rempart, demain, contre une déréglementation imposée au nom du droit de la concurrence. C'est, je le souligne, avec les coopérations renforcées, sans doute l'un des acquis les plus importants de la CIG.
Troisième et dernier apport du Conseil d'Amsterdam en matière sociale : le nouveau traité charge la Communauté de promouvoir un niveau élevé d'emplois et de protection sociale ; il consacre - on en a parlé tout à l'heure - l'égalité entre les hommes et les femmes et il affirme son attachement aux valeurs démocratiques. Ces objectifs s'opposent clairement aux tentations de régler tous les problèmes par la concurrence, par la flexibilité.
De même, le renforcement des dispositions relatives à la santé et à l'environnement vont dans le sens d'une meilleure prise en compte par l'Europe des préoccupations des citoyens.
Je voudrais enfin citer l'accord récemment intervenu sur l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes ou encore la déclaration du Conseil sur l'interdiction du clonage humain. Ces déclarations et ces accords s'inscrivent également, à des degrés différents, dans la tradition et la vocation humanistes de l'Europe.
J'en viens à ma conclusion.
Les orientations qui se sont dégagées à Amsterdam, qui rejoignent certaines de vos préoccupations, qui n'y répondent pas bien évidemment - pas plus qu'elles ne répondent aux nôtres - doivent maintenant être pleinement mises en oeuvre et amplifiées pour se traduire par des améliorations tangibles dans le vie quotidienne des citoyens et des salariés.
Je voudrais vous dire que telle est la ferme intention du Gouvernement français.
Nous avons obtenu à Amsterdam une première inflexion, souhaitée, dans les choix des priorités de l'Union européenne. Il faudra veiller, à l'avenir, par la concertation mais aussi par la volonté politique à faire en sorte que les décisions d'Amsterdam constituent bien un point de départ et, je le répète, qu'elles ne soient pas un aboutissement, qu'elles ne se limitent pas à quelques lignes dans un texte resté sans suite. L'Union doit aller plus loin encore vers des mesures concrètes et efficaces en faveur de l'emploi. C'est, je le répète, l'enjeu majeur du Conseil européen extraordinaire de Luxembourg, qui sera consacré à l'emploi et auquel nous allons maintenant vouer tous nos efforts.
M. Maurice Schumann. Ah !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je ne doute pas que, avec le soutien de la représentation nationale, avec l'attention vigilante - et j'ai compris qu'elle le serait - du Sénat mais aussi, je l'espère, avec son concours actif, nous atteindrons le but que nous nous sommes fixé et que la France pourra enfin donner de la substance à une grande ambition, celle de l'Europe des citoyens, celle de l'Europe sociale, celle de l'Europe de l'emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Joly applaudit également.)
M. Maurice Schumann. Je demande la parole.
M. le président. La parole est M. Schumann.
M. Maurice Schumann. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre, mais elles me paraissent appeler deux observations.
Tout d'abord, s'agissant de l'euro, je ne me suis pas référé à la lettre du traité. Je vous ai simplement dit que, comme le prouvaient tous les discours prononcés à l'époque, notamment par le Président de la République, on avait expliqué aux Français que le résultat de la monnaie unique, étendue à l'ensemble des quinze Etats signataires de l'acte constitutif de l'Union européenne, nous mettrait définitivement à l'abri des dévaluations compétitives.
Il est évident que, à partir du moment où nous sommes en présence d'une version mutilée de l'Union européenne, le résultat ne peut pas être le même et que la promesse ne peut pas être tenue.
Mais je ne m'apesantis pas sur cette partie, malgré tout secondaire, de mon argumentation.
Ma seconde observation porte sur le pacte de stabilité. Je ne vous ai nullement reproché de l'avoir signé : c'était votre droit le plus strict. Je ne reproche nullement au gouvernement précédent de l'avoir approuvé à Dublin, même si j'y suis personnellement hostile, car, là encore, c'était son droit.
En revanche, dès lors qu'il s'agit, comme vous l'avez reconnu vous-même, non pas du traité lui-même mais d'un additif au traité, ce n'est pas le droit du Gouvernement de se passer de l'approbation du peuple, soit du peuple dans son ensemble réuni dans ses comices, soit de la représentation nationale constituée par les deux chambres du Parlement.
Je vous réitère donc ma question : puisqu'il est impossible de se soustraire à cette alternative, quelle branche choisissez-vous ? Les Français sont en droit d'obtenir une réponse de votre part et d'avoir le dernier mot.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Monsieur Schumann, s'agissant de l'euro, je crois que nous pouvons être en accord : ainsi que M. Lionel Jospin l'a répété pendant la campagne électorale, nous sommes favorables à une monnaie unique pour l'Europe tout entière.
M. Maurice Schumann. Voilà !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Nous souhaitons notamment, cela a été affirmé à plusieurs reprises, que l'Italie puisse être partie prenante de cette Europe monétaire dès la mise en vigueur de l'euro.
M. Maurice Schumann. Voilà !
M. Jacques Genton, représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. C'est ainsi et seulement ainsi que l'on pourra effectivement éviter toute dévaluation compétitive. Mon argument de tout à l'heure était, vous l'avez compris, de nature plus juridique.
En ce qui concerne le pacte de stabilité, on peut discuter quant à sa nature juridique. Selon moi, ce n'est pas un additif au traité, en tout cas pas formellement, mais il est clair qu'il prévoit des dispositions qui entreront en vigueur postérieurement à la décision d'entrer dans la monnaie unique. Le pacte de stabilité s'appliquera dans la mesure où nous serons dans la troisième phase, c'est-à-dire la phase de l'euro.
Eh bien, je le répète, à ce moment-là, on pourrait concevoir une consultation des Français. Sous quelle forme ? Il est peut-être tôt pour le dire. J'ai indiqué tout à l'heure que, à mon sens, il serait logique de consulter la représentation nationale : par ce biais, le peuple français, que vous représentez, serait associé à ce débat sur l'euro et, donc, sur le pacte de stabilité.
M. le président. Le débat est clos.

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