POLITIQUE SOCIALE
DE L'UNION EUROPÉENNE
Discussion d'une question orale avec débat
portant sur un sujet européen
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat portant
sur un sujet européen n° QE-1 de M. Jacques Genton à M. le ministre délégué
chargé des affaires européennes sur la politique sociale de l'Union européenne
:
« Constatant que, en France comme chez nos partenaires au sein de l'Union
européenne, les citoyens montrent de plus en plus nettement leur souhait que
l'Europe place davantage l'aspect social et humain au coeur de ses
préoccupations et qu'elle mette l'emploi au rang de ses priorités, M. Jacques
Genton demande à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes
d'exposer au Sénat quelles doivent être, selon le Gouvernement, les politiques
que l'Union européenne doit mener en ce sens, les réformes qu'elle doit mettre
en oeuvre, les moyens auxquels elle doit recourir. »
Je rappelle au Sénat que, dans un tel débat, ont droit à la parole, outre
l'auteur de la question et le Gouvernement, un représentant de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne, un représentant de la commission permanente
compétente et un représentant de chaque groupe et, sous réserve de l'accord de
la conférence des présidents, un représentant de la commission des affaires
étrangères.
Chaque orateur dispose d'un temps de parole de dix minutes et il n'y a pas de
droit de réponse au Gouvernement.
La parole est accordée au Gouvernement quand il la demande, sans limitation de
durée.
La parole est à M. Genton, auteur de la question.
M. Jacques Genton,
auteur de la question et représentant de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le vaste chantier de la conférence intergouvernementale ouvert à
Turin le 29 mars 1996 vient de se conclure, comme il était prévu, par le
Conseil d'Amsterdam du 18 juin dernier.
La construction européenne tient donc ses délais et franchit les étapes, non
sans mal, mais, malgré les apparences, en continuant d'avancer sur la voie
qu'elle s'est fixée. C'est une première constatation que je fais avec
satisfaction.
Nous pourrions joindre nos voix à ceux, de tous bords, qui ont estimé, à juste
titre, que les résultats obtenus par cette longue négociation restaient
insuffisants et bien inférieurs, en tout état de cause, aux espoirs qu'elle
portait.
C'est vrai, les réformes institutionnelles en sortent à peine amorcées et
sont, pour l'essentiel, reportées à une étape prochaine.
C'est vrai, je déplore que les propositions françaises, constructives et
réalistes, visant à améliorer l'efficacité des institutions de l'Union
européenne n'aient pas su retenir l'attention de nos partenaires. Nous en
avions été régulièrement informés par votre prédécesseur, monsieur le ministre,
et nous les avions presque toutes approuvées à l'unanimité des membres de la
délégation.
C'est vrai, l'extension nécessaire du vote à la majorité confine au
symbolique.
Mais, pour ma part, et avec le recul et l'expérience que je crois avoir,
modestement, de l'histoire de la Communauté, je veux voir dans l'accord
d'Amsterdam non pas un constat d'échec, mais une pierre de plus dans la
consolidation progressive de l'unité européenne : la monnaie unique n'est pas
remise en cause, l'adhésion de certains pays d'Europe centrale et orientale
demeure un objectif accessible ; la possibilité de coopération renforcée est un
acquis essentiel pour qu'aucun Etat membre ne puisse désormais, à lui seul,
bloquer l'évolution d'un processus d'intégration, encore que le dispositif
adopté dans le nouveau traité laisse des possibilités de paralysie à un Etat
voulant vraiment s'opposer.
Il est, de surcroît, un aspect sur lequel les choses ont avancé un peu plus
qu'on ne l'imaginait : celui de la prise en compte du facteur humain et social
dans la construction de l'Europe que nous voulons pour demain.
Comme je le disais déjà à cette même tribune, en avril dernier, « nous avons
depuis longtemps conscience d'un décalage qui s'amplifie entre les attentes des
citoyens vis-à-vis de l'Union et les résultats tangibles dont ils constatent
l'effet dans leur vie quotidienne. »
Au premier rang de leurs préoccupations, comme des nôtres, se trouve, à
l'évidence, le problème du chômage.
Selon les dernières prévisions semestrielles de l'OCDE, la croissance
économique devrait atteindre, en 1997, 3 %, en moyenne, soit le niveau le plus
élevé depuis dix ans dans le monde industrialisé.
Mais ces mêmes prévisions nous confirment malheureusement que le chômage
restera important en Europe. En 1996, 11,3 % de la population active de l'Union
était privée d'emploi ; ce pourcentage resterait du même ordre en 1997, soit
11,2 %.
Comment imaginer, mes chers collègues, que les questions sociales ne soient
pas au coeur des défis de la construction européenne ? Qui peut soutenir que
l'Europe puisse solidement se construire sur fond de chômage et d'exclusion
?
Mme Danielle Bidard-Reydet et M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. Jacques Genton,
représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Contrairement à ce que l'on entend ici ou là, ce souci de l'humain, cette
préoccupation de solidarité ne sont pas une découverte récente : un tel esprit
animait déjà en 1957 - je peux en témoigner - les auteurs du traité de Rome,
ceux que l'on appelle « les pères fondateurs de la Communauté », même si cet
aspect s'est un peu perdu par la suite, face aux nombreuses difficultés et aux
nombreux avatars auxquelles la construction européenne s'est trouvée
confrontée.
La « solution » retenue
in extremis,
pourrait-on dire, que nous propose
l'accord d'Amsterdam tient, d'une part, à l'adoption d'une résolution sur la
croissance et l'emploi et, d'autre part, à l'insertion d'un nouveau titre sur
l'emploi dans le traité.
Faut-il voir un certain « rééquilibrage entre l'économique et le monétaire »
dans l'adoption d'une résolution sur la croissance et l'emploi comme symétrique
à celle qui est relative à la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de
croissance ? C'est, en tout cas, l'opinion défendue par M. le Premier ministre
devant l'Assemblée nationale voilà quelques jours. Pour reprendre ces propres
mots, il a considéré que c'était bien « une autre exigence économique d'égale
importance, une exigence fondée sur une perspective de croissance et d'emploi
et sur la nécessité d'opérer des concertations entre les gouvernements de
l'Europe pour accompagner les processus monétaires ».
Comment ne pas adhérer à une telle exigence de croissance et d'emploi ?
Toutefois, je ne suis pas certain que cette analyse soit tout à fait semblable
à celle qui figure dans les conclusions de la présidence du Conseil européen,
suivant lesquelles « des politiques macroéconomiques et budgétaires saines vont
de pair avec une croissance forte et durable en termes de production et
d'emploi ». J'y vois, pour ma part, non pas deux démarches parallèles, mais
simplement l'expression d'un effet automatique d'entraînement de l'une sur
l'autre.
Quels sont, d'ailleurs, les objectifs retenus à Amsterdam ? Nous n'y trouvons
rien de bien novateur.
On y mentionne notamment des actions de formation et de qualification de la
main-d'oeuvre, l'adaptation des marchés du travail aux évolutions de
l'économie, la modernisation des régimes de protection sociale, l'amélioration
de la compétitivité européenne, notamment par l'innovation technologique et la
réduction des coûts non salariaux, et la coordination des politiques
nationales, puisque la responsabilité de la lutte contre le chômage incombe
avant tout aux Etats membres.
Formation, compétitivité, baisse du coût du travail... : n'y a-t-il pas là
quelque contradiction entre ces méthodes d'action très classiques et les
déclarations du Gouvernement ? Ne se borne-t-on pas à une simple déclaration
d'intention ? Quel type de coordination des politiques nationales peut-on
imaginer ?
C'est pourquoi nous aimerions apprendre, monsieur le ministre, comment vous
comptez utiliser ces « espaces nouveaux, ouverts dans l'ordre économique et
social », pour reprendre les mots du Premier ministre ? Nous le savons, les
politiques sociales requièrent des moyens budgétaires souvent importants.
Quelle foi peut-on avoir dans la résolution sur la croissance et l'emploi alors
que, dans le même temps, il a été très clairement affirmé qu'aucun moyen
financier supplémentaire ne serait disponible pour cet objectif ?
L'examen du projet de budget de l'Union pour 1998, que nous avons pu faire
voilà deux jours sur rapport de notre collègue M. Badré, nous permet de mettre
en doute cette appréciation.
Peut-on croire, avec quelque chance d'aboutir, que les politiques économiques
de l'Union seront désormais orientées vers des objectifs sociaux, notamment
vers l'emploi ?
Plus précisément encore, va-t-on désormais, avant d'arrêter toute politique
européenne, apprécier son impact positif sur la cohésion sociale ?
C'est en tout cas ce que semble préciser l'article 3 du nouveau titre sur
l'emploi intégré au traité par le sommet d'Amsterdam, qui prévoit que «
l'objectif consistant à atteindre un niveau d'emploi élevé est pris en compte
dans la définition et la mise en oeuvre des politiques communautaires ».
Si cette interprétation est bonne, une telle disposition ne peut que
rencontrer notre entier assentiment. C'est précisément l'idée que je défendais
ici même en avril dernier. Je souhaite toujours que les institutions de l'Union
apprécient toutes les conséquences sur l'emploi lorsqu'elles prennent leurs
décisions, notamment en application des politiques commerciales ou de
concurrence.
J'avais déjà donné mon sentiment sur l'évolution de la production automobile
européenne et sur le lien que l'on ne peut manquer d'établir entre les
fermetures d'usines dans l'Union et la pénétration des entreprises étrangères,
notamment asiatiques, sur notre marché, non plus « ouvert » mais « offert » à
la concurrence, pour reprendre la formule de notre éminent collègue M. Maurice
Schumann.
J'avais également souligné que, lorsque la Commission européenne s'était
opposée au rachat de la société canadienne De Havilland par l'Aérospatiale, au
nom d'une stricte orthodoxie des règles de concurrence, elle avait fait preuve
d'une bien courte vue sur l'essor à venir du secteur de l'aéronautique
européenne.
Plus encore, que doit-on penser des positions de la Commission en faveur du
quasi-démantèlement du dispositif de protection anti-
dumping,
déjà bien
modeste, qui me semble être le dernier rempart de l'industrie européenne face à
des concurrents bien mieux armés ? Que peut faire, que va faire le Gouvernement
français pour infléchir ces tendances à mon avis suicidaires ? Qu'on ne nous
dise pas qu'une telle protestation de notre part est contraire à la poursuite
de la construction de l'Union européenne.
Je serais également heureux d'avoir votre sentiment, monsieur le ministre, sur
une voie de réflexion trop partiellement explorée : celle de la relance des
grands travaux. Proposée par la commission, alors présidée par Jacques Delors,
dans son
Livre blanc pour la croissance, la compétitivité et l'emploi,
et supposée permettre la création de pas moins de 15 millions d'emplois
d'ici à l'an 2000, cette suggestion est au point mort et bute depuis lors sur
des questions de financement.
Doit-on voir dans la récente annulation du projet de Canal Rhin-Rhône le signe
de l'abandon définitif de cet ambitieux projet ?
Je voudrais aussi savoir, monsieur le ministre, comment le Gouvernement
français compte aborder le sommet exceptionnel sur l'emploi réclamé par le
Premier ministre, puisque, à l'évidence, cette initiative n'aura d'intérêt que
si l'on y envisage des développements concrets.
Dans une perspective plus vaste, il faut également garder à l'esprit le fait
que les questions sociales concernent aussi l'élargissement de l'Union :
doit-on considérer qu'un « noyau dur » de normes sociales claires puisse être
posé comme conditions à l'adhésion, ce qui suppose que l'Union le définisse
pour elle-même ?
En outre, la réalité nous confronte aujourd'hui à la mondialisation de
l'économie. Comment déterminer notre « socle social » pour qu'il soit tout à la
fois au service de nos concitoyens et qu'il ne constitue pas un obstacle
insurmontable pour la compétitivité de notre économie face à celle des pays
émergents ?
Bien sûr, on peut se prendre à rêver que l'Union définisse une politique
sociale extérieure, une politique qui diffusera progressivement, dans les pays
en cours d'industrialisation, les normes sociales en vigueur dans les pays
industrialisés. Mais cette diffusion prendra du temps : dix, vingt, cinquante
années ? Que restera-t-il de l'économie européenne lorsque les conditions
sociales seront égalitaires ? L'échec de ce dossier social à la conférence de
Singapour, en décembre 1996, a bien montré les difficultés et les limites de
cet exercice.
Telles sont, monsieur le ministre, quelques-unes des questions que m'inspire
ce « tournant social » de la construction européenne et qui sont fréquemment
évoquées au cours des travaux de la délégation du Sénat. Croyez que je
souhaite, au nom de mes collègues, être rassuré sur les chances de succès de ce
projet qui, renouant avec l'esprit communautaire de 1957, pourrait enfin
réconcilier l'Europe et ses citoyens.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le ministre, permettez-moi, avant de vous souhaiter la bienvenue, de
rendre un bref hommage à votre prédécesseur, M. Michel Barnier, auprès duquel
nous avons beaucoup appris sur l'Europe et qui, à mon avis, a joué un rôle
extrêmement positif au cours de la période qui vient de s'écouler.
M. Emmanuel Hamel.
Il a plaidé une mauvaise cause, même s'il l'a fait avec talent !
M. Pierre Fauchon.
Monsieur Hamel, il a plaidé la meilleure des causes,...
M. Emmanuel Hamel.
Non !
M. Pierre Fauchon.
... et j'aurai à y revenir. J'ai déjà eu l'occasion de dire que la cause à
laquelle vous êtes attaché s'est traduite dans la première moitié de ce siècle
par trois guerres mondiales successives et que les années 1870, 1914 et 1940 ne
sont pas particulièrement glorieuses dans l'histoire de notre pays
(MM. Malécot et Maman applaudissent),
contrairement à l'idée que vous
vous en faites...
M. Emmanuel Hamel.
Non !
M. Pierre Fauchon.
... et à celle que vous voulez nous en donner !
M. Maurice Schumann.
Quel rapport ?
M. Pierre Fauchon.
Mais j'en reviens à mon propos concernant M. Barnier, qui est de vos amis, si
je ne me trompe, pour dire qu'il a bien oeuvré pour la cause européenne.
Il l'a fait par la qualité de son action, par son engagement personnel et par
le dynamisme qu'il y a apporté.
Mais il a travaillé aussi à la cause européenne par sa présence sur tous les
terrains où il était question de l'Europe, notamment les négociations au sein
de la Conférence intergouvernementale, par les nombreuses visites qu'il a
rendues à des partenaires modestes qui n'étaient probablement pas habitués à
recevoir des ministres français et qui, je crois, y ont été sensibles, par sa
présence auprès de nos concitoyens à travers une campagne dans les différentes
provinces au cours de laquelle il a tenté d'expliquer le complexe mécanisme de
la Conférence intergouvernementale.
M. Barnier a travaillé enfin à la cause européenne par sa présence fréquente
au Parlement et sa très grande disponibilité à l'égard des commissions des
affaires étrangères, et des délégations pour l'Union européenne,...
M. Jacques Genton,
représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
C'est
vrai !
M. Pierre Fauchon.
... ce qui nous a permis de suivre pas à pas l'évolution de cette négociation.
Je crois qu'il était bon de procéder à ce rappel.
Cela étant dit, monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au nom du
groupe de l'Union centriste puisque je suis momentanément son porte-parole et
puique les électrices et les électeurs, qui, comme chacun le sait, sont
supposés ne jamais se tromper, ont voulu que vous-même et vos collègues du
Gouvernement soient désormais nos interlocuteurs.
Je connais, monsieur le ministre, votre ardeur et votre capacité d'action. Ce
que nous connaissons moins, c'est le degré de vos convictions européennes et de
votre engagement. Nous avons hâte d'être mieux informés sur ce point.
Mon groupe, vous le savez, et M. Genton l'a excellement rappelé tout à
l'heure, est de ceux - oui, monsieur Hamel ! - qui sont le plus profondément et
le plus intimement convaincus que la construction européenne...
M. Emmanuel Hamel.
Laquelle ?
M. Pierre Fauchon.
... est la grande affaire de notre génération, et l'une des plus grandes
affaires de l'histoire.
(M. Machet applaudit.)
C'est une entreprise nouvelle que de vouloir créer un Etat de droit...
M. Emmanuel Hamel.
Lequel ?
M. Pierre Fauchon.
... par des moyens pacifiques à l'échelon de ce qui sera probablement un jour
tout un continent. C'est une entreprise admirable
(M. Machet applaudit à nouveau)
, absolument nécessaire si l'on veut
préserver l'autonomie de notre développement économique, et donc notre vitalité
culturelle, monsieur Schumann.
M. Maurice Schumann.
Je n'ai pas ouvert la bouche !
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon.
Nous savons aussi que c'est une entreprise difficile à laquelle nous devons
apporter un concours actif, précisément parce qu'elle est difficile.
Aux yeux de l'histoire, il s'agit d'un défi invraisemblable, mais il est
possible que nous parvenions à gagner ce défi, non sans peine.
S'agissant plus spécialement de l'Europe sociale, je suis tout à fait à mon
aise pour m'exprimer puisque, m'adressant ici même à votre prédécesseur, voilà
deux mois, c'est ce thème que j'avais choisi d'aborder. J'avais alors évoqué
des questions comme l'avertissement qui nous était donné par les manifestations
syndicales après l'annonce de la fermeture de Vilvorde.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Eh oui !
M. Pierre Fauchon.
J'avais aussi évoqué le Livre blanc publié par la Commission, sous la
présidence de M. Delors, en regrettant que, en grande partie du fait de la
résistance de nos amis allemands, on n'ait jamais pu mettre sur pied aucun de
ces projets de grands travaux qui, j'en ai la conviction, pouvaient être
engagés sans peser sur les finances des Etats membres. Grâce au crédit de
l'Europe, qui est considérable, et à la faveur de faibles taux d'intérêts, les
grands travaux auraient eu un important effet mobilisateur sur le front de
l'emploi et auraient constitué, au regard d'une certaine citoyenneté et d'une
certaine communauté européenne, un signe appréciable.
J'avais aussi évoqué, à l'époque, le Parlement européen. Toutes ces questions
ne sont donc pas nouvelles pour moi. Je suis heureux de les retrouver, et je me
réjouis de ce que vous avez pu faire, tout en en mesurant les limites.
Quoi qu'il en soit, il était important que la dimension sociale et, au-delà,
la dimension citoyenne de l'Europe soient rappelées, car il est bien vrai que
la construction européenne souffre d'un certain déficit de démocratie.
Permettez-moi trois brèves observations sur ce sujet.
Tout d'abord, comme l'a rappelé M. Genton il ne faut pas sous-estimer les
avancées et les acquis sociaux que nous devons au protocole social du traité de
Maastricht. Sa mise en oeuvre a malheureusement été handicapée, la
Grande-Bretagne n'ayant pas voulu y souscrire, mais, grâce à ce protocole, le
niveau de vie et les conditions d'existence des travailleurs ont été améliorés
dans des pays moins développés, ce qui, pour ceux qui en ont profité, n'était
pas négligeable.
Certes, puisque nous sommes probablement le pays qui bénéficie du plus grand
nombre d'avantages en la matière, nous n'étions pas concernés dès lors qu'il
s'agissait de relever un niveau minimal, mais ce qui a pu être fait dans ce
domaine est excellent sur le plan humain et permet, de surcroît, de rétablir la
nécessaire égalité des chances et des conditions de travail entre les
entreprises européennes, ce qui contribue à diminuer les risques de
délocalisation. En effet, à partir du moment où le statut social est le même
dans les différents pays de l'Europe, les délocalisations se trouvent, en
quelque sorte, découragées.
Il s'agit d'un élément sur lequel on n'a pas suffisamment, me semble-t-il,
attiré l'attention. Considérons ainsi le cas de l'entreprise Hoover, qui s'est
implantée en Grande-Bretagne parce que le coût du travail y est moins élevé :
dans la mesure où l'on tendra vers une égalisation des conditions économiques
et sociales, le risque sera moins grand de voir se répéter des affaires de ce
type.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous en reparlerons !
M. Pierre Fauchon.
Je pourrais aussi évoquer le rôle du Fonds social européen, le FSE, qui, pour
être peu visible, n'en est pas moins réel, notamment au travers d'activités de
formation. Je le constate dans ma propre région, la région Centre : nous
bénéficions d'aides qui donnent une chance supplémentaire à certaines personnes
qui peuvent ainsi réintégrer le marché du travail. Il s'agit là d'un
investissement, et non de dépenses de fonctionnement, comme on a trop tendance
à le dire : c'est, en réalité, un investissement humain, c'est-à-dire, selon la
formule chère au président de notre assemblée, « le meilleur des
investissements ».
Cela étant, vous ne serez pas surpris si je rappelle deux principes auxquels
nous sommes absolument attachés et que je résumerai d'une phrase, qui ne fera
peut-être pas l'unanimité : il n'y a pas de progrès social possible sans
développement économique, pour la simple raison que l'on ne peut distribuer que
ce que l'on gagne.
Tous les moyens trouvés par les uns ou par les autres - nous en avons trouvé,
ou cru en trouver, nous aussi - et qui permettraient de faire du développement
social et de la redistribution sans en avoir véritablement les moyens sont des
procédés artificiels qui, finalement, n'aboutissent qu'à des déceptions et qui
masquent la réalité des faits. Si l'on veut faire du social, il faut d'abord
faire du développement économique, et j'ai éprouvé quelque regret, à cet égard,
que, dans sa déclaration de politique générale, M. le Premier ministre n'ait
même pas mentionné le rôle de l'entreprise, qui est, tout de même,
essentiel.
Il n'y aura pas non plus - c'est ma troisième observation - de développement
économique sans assainissement des finances publiques, ayons la franchise de le
dire.
Comme elle est bienvenue, la règle des 3 % fixée par Maastricht ! Mais il
s'agit de 3 % du PIB, il faut le rappeler, ce qui offre tout de même une assez
large possibilité de déficit. Et nous sommes bien contents, finalement, que
cette règle nous ait été imposée : sinon, il nous aurait fallu nous l'imposer à
nous-mêmes, et nous aurions probablement manqué un peu de courage ! Nous ne
sommes donc pas mécontents, au fond, d'avoir à assumer cette discipline.
Rappelons aussi qu'il est tout à fait injuste d'attribuer cette discipline des
3 % ainsi que celle qui concerne le taux d'endettement à l'influence de nos
amis Allemands : la vérité historique, dans cette affaire, c'est que, lors des
négociations de Maastricht, les Allemands, voyant quelles seraient les
conséquences prévisibles de la création d'une unité monétaire, et donc d'une
véritable unification économique, avaient proposé de réaliser les réformes
institutionnelles correspondantes en créant, dans les domaines concernés, un
véritable gouvernement européen par transformation de la Commission. Ainsi
réformée et disposant des pouvoirs suffisants, la Commission aurait pu garantir
que les politiques économiques nécessaires seraient suivies pour garantir la
stabilité de la future monnaie commune.
C'est parce que la France - notamment - n'a pas voulu entrer dans cette voie
que l'on a dû mettre en place ces « sécurités automatiques » qui nous
paraissent maintenant très contraignantes. Mais nous sommes malvenus de nous
plaindre, puisque c'est nous-mêmes - et plus spécialement, d'ailleurs, vos
amis, monsieur le ministre ! - qui les avons imaginées à l'époque de la
négociation du traité de Maastricht.
Voilà pour ce qui est de l'Europe sociale.
Si j'avais encore une minute,...
M. le président.
Vous avez déjà dépassé votre temps de parole, monsieur Fauchon !
M. Pierre Fauchon.
Je conclus donc : telles sont les préoccupations sous le signe desquelles, au
nom du groupe de l'Union centriste, je vous souhaite non seulement la
bienvenue, mais aussi et bien davantage, monsieur le ministre, bonne chance.
Bonne chance, car les temps sont incontestablement très difficiles : vous
devez agir avec des partenaires dont le degré de résolution est variable, avec
une Grande-Bretagne qui est passée, selon la formule de M. Blair, à l'avant de
la voiture - mais parce qu'elle sait qu'à l'avant de la voiture il y a aussi le
frein, et pas seulement l'accélérateur - avec une Allemagne en difficulté, avec
une France qui ne sait trop comment concilier les engagements que vous venez de
prendre - et c'était votre droit de les prendre - et les nécessités d'un
assainissement des finances publiques. A ce propos, j'ai d'ailleurs été heureux
d'entendre M. Strauss-Kahn dire tout à l'heure : « On fera tout, on fera les
deux ». Si j'osais employer une formule anglaise, je dirais :
I hope so
!
Quoi qu'il en soit, bon courage, monsieur le ministre ! Votre responsabilité
est considérable. C'est l'une des plus grandes, me semble-t-il, au sein de ce
gouvernement. Bonne chance, donc, car il y va sans doute de notre avenir et,
au-delà de notre génération, monsieur Hamel, du destin de la France.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite,
en premier lieu, au nom de mes collègues du groupe des Républicains et
Indépendants, remercier M. Genton d'avoir suscité l'organisation de ce débat
européen, peu de temps après le Conseil d'Amsterdam. Sans cette initiative, le
Sénat aurait achevé cette session sans avoir pu aborder des enjeux qui ont
largement occupé la scène politique et médiatique française et européenne
immédiatement après le changement de majorité et de gouvernement en France.
Dans ce contexte politique ouvrant une nouvelle période de cohabitation, le
sommet européen d'Amsterdam a pris, d'emblée, un supplément de
signification.
Le temps vous était certes compté, monsieur le ministre, pour faire valoir vos
nouvelles orientations politiques, et vous n'avez ni attendu ni tergiversé pour
les affirmer. Je me dois de vous dire que nous l'avons pas déploré, du moins
pas totalement.
S'agissant du pacte de stabilité, le Premier ministre avait tenu à souligner,
en son temps, que la parole de la France était engagée et qu'elle serait tenue.
Ce pacte est en effet nécessaire pour réaliser l'euro avec la crédibilité
nécessaire vis-à-vis de la communauté financière internationale.
Vous aviez reproché au précédent gouvernement d'avoir, à Dublin, trop
facilement accepté la procédure des sanctions. En adoptant le pacte, à
Amsterdam, vous vous êtes tout de même inclinés.
S'agissant de la résolution sur la croissance et l'emploi, que vous avez fini
par obtenir de nos partenaires, puis-je me permettre de vous dire, ou de vous
rappeler, monsieur le ministre, que le mémorandum rédigé en mars 1996 par le
gouvernement d'Alain Juppé appelait déjà l'Union européenne à faire du modèle
social européen sa priorité ? Je le cite : « Faire de l'emploi le critère
déterminant des interventions et des politiques de l'Union ; renforcer la
dimension humaine de l'Europe ; développer le dialogue social ». Il me semble
qu'ici, au Parlement, lieu privilégié du débat démocratique, si j'en crois le
Premier ministre, il convient de rétablir la part de vérité.
Cette résolution sur l'emploi et la croissance n'est qu'un premier pas dans
une direction que, je dois le dire, nous approuvons, mais elle reste pour
l'instant une déclaration de bonnes intentions. Nous y voyons le souci louable
de faire avancer une cause d'intérêt national transcendant les clivages de
politique intérieure. Depuis le récent sommet du G 8, à Denver, où les
Etats-Unis ont encore une fois mené une offensive d'auto-satisfaction, nous
prenons conscience que la défense de notre modèle social est également un
intérêt commun à tous les pays européens.
Un mot cependant, monsieur le ministre, sur la méthode utilisée pour parvenir
à vos fins. Nous savons bien que l'adoption de ces résolutions passait par une
entente avec l'Allemagne, ou tout du moins une approbation tacite de celle-ci.
Je dois dire que nous avons eu, au départ, quelques inquiétudes. Nous avons vu,
malgré le bon accueil du président Monory à Poitiers, et les efforts du
Président de la République pour les rassurer, le moment où nos amis allemands
prendraient leur distance, et où les chances d'aboutir à Amsterdam seraient
gâchées par votre précipitation. La suite a levé nos craintes, mais, dans ces
affaires de construction européenne, qui ne sont pas « un long fleuve
tranquille », il faut prendre garde de ne pas compliquer l'équilibre de nos
relations avec l'Allemagne.
Ce pays est notre partenaire historique, et prendre le risque d'affaiblir l'un
des meilleurs tenants d'une construction européenne dynamique et l'un des
piliers des coopérations renforcées n'est pas une bonne méthode.
Il faut également éviter, monsieur le ministre, des déclarations par trop
ambiguës sur le passage à l'euro, qui continuent d'entretenir, ici et là, un
climat de suspicion chez nos voisins. Tant que nous n'aurons pas passé le cap
de 1999, nos exigences doivent demeurer réalistes, aussi bien sur le plan
national que sur le plan européen.
Vous vous en rendrez compte vous-même : les faits sont têtus, et les finances
ne sont pas extensibles. Il faudra bien que vous vous donniez les moyens de
remplir les conditions que vous avez vous-même acceptées lors du conseil
d'Amsterdam. Les conclusions de la présidence précisent bien, en effet, qu'une
meilleure coordination des politiques nationales de lutte contre le chômage
passe par une croissance non inflationniste et un assainissement des finances
publiques.
L'Europe sociale aura donc un premier rendez-vous en octobre prochain à
Luxembourg. D'ici au mois de septembre, des propositions nationales sont
attendues par la Commission. Etes-vous en mesure de nous dire, monsieur le
ministre, si le Gouvernement a fixé les orientations qu'il entendra défendre à
cette occasion ? En particulier, des projets pilotes pourront-ils être définis,
dont certains sont déjà cadrés avec des villes et des régions d'Europe ? Quels
redéploiements des crédits communautaires la France préconisera-t-elle pour les
financer ? Comment ces axes européens pourront-ils s'articuler avec le plan
français d'emploi pour les jeunes ?
L'avenir immédiat appelle, en outre, d'autres questions et interrogations !
S'agissant des interrogations, tout d'abord, nous ne manquons pas d'avoir
quelques doutes sur la cohérence des actes du Gouvernement. Est-il bien
opportun, en effet, de demander à l'Europe la poursuite d'une politique de
grands travaux, dans la lignée d'Essen - même si vous avez dû finalement
renoncer à les faire mentionner dans la résolution finale - alors qu'en même
temps vous annoncez l'arrêt de grands travaux au plan national ? L'Europe, en
dépit de son environnement budgétaire restrictif, saurait-elle mieux faire dans
ce domaine que le nouveau gouvernement français, qui prône pourtant
l'intervention de l'Etat pour préserver l'emploi ?
M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. James Bordas.
Est-ce là votre vision du principe de subsidiarité ? Est-ce là votre méthode
pour éviter malgré tout la suppression de 75 000 emplois annoncée dans les
travaux publics, si vous remettez en cause le canal Rhin-Rhône, Superphénix,
les autoroutes, le bouclage de la francilienne ou l'extension de l'aéroport de
Roissy ?
J'en viens aux questions.
Comment le Gouvernement s'y prendra-t-il pour respecter les orientations
définies par le Conseil européen ? J'en rappelle quelques-unes : la
modernisation des systèmes de protection sociale, notamment par la
transformation des systèmes d'allocation en systèmes volontaristes ; la baisse
des coûts salariaux des travailleurs les moins qualifiés ; l'encouragement à
développer la simplification administrative ; la modération salariale, telle
que celle qui est prônée par les partenaires sociaux européens.
Comment le Gouvernement engagera-t-il les négociations sur le temps de
travail, alors que la Commission européenne travaille, de son côté, sur un
livre vert, en 1997, qui pourrait aboutir à une proposition de directive ?
Comment vos échéances s'articuleront-elles avec les siennes ?
Quant au dialogue social en Europe, vous entendez, je suppose, le soutenir et
le favoriser. Serez-vous disposé à appuyer la demande des organisations
européennes de petites et moyennes entreprises et de cadres pour la
représentativité syndicale ?
Je terminerai, monsieur le ministre, sur un
satisfecit
et sur un
regret.
Le
satisfecit
concerne l'intégration du protocole social dans le futur
traité d'Amsterdam, signé, entre autres, par le Royaume-Uni. C'était l'un des
objectifs du précédent gouvernement pour la conclusion de la Conférence
intergouvernementale, et je suis heureux qu'il ait pu aboutir.
Le regret, c'est l'échec des pays européens à s'entendre sur la réforme des
institutions de l'Union. Nous avons toujours plaidé, pour ce qui nous concerne,
en faveur d'un approfondissement des institutions avant tout élargissement.
Nous savons tous que les phases avancées de cet élargissement vont s'engager
dès le début de l'année 1998. Il nous semblait indispensable de parvenir à
s'entendre à quinze, avant cette échéance, sur les bases de révision de la
majorité qualifiée et de pondération des voix précédemment proposées par la
France.
Il convient désormais de travailler à de nouvelles propositions susceptibles
d'éviter que l'Union européenne ne soit condamnée à l'inertie par faiblesse ou
division, à la veille d'un élargissement historique à l'Est. Sur cet enjeu
majeur, quelles solutions votre gouvernement encouragera-t-il ?
En conclusion, je tiens à rendre justice également au Gouvernement d'avoir
accepté ce débat légitime au sein de notre Haute Assemblée. Le groupe des
Républicains et Indépendants exercera sa vigilance au sein d'une opposition
qu'il souhaite constructive sur les sujets européens.
Je vous remercie, monsieur le ministre, des réponses que vous voudrez bien
m'apporter.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques
jours de la clôture des travaux de notre assemblée, la question dont nous
débattons aujourd'hui devrait nous permettre de faire le point sur la période «
charnière » que vit la construction européenne à l'issue de cette laborieuse
renégociation du traité de Maastricht.
Les termes du débat à propos de cette renégociation étaient les suivants :
comment aller vers plus d'intégration de nos économies, au travers d'une
monnaie unique avec ce que sous-entend et laisse espérer son instauration, et
comment fonctionner dans l'Union, aujourd'hui à quinze, et à laquelle certains
entendent donner rapidement la dimension de notre vieux continent ?
Dans ce débat particulièrement technique, et souvent volontairement opaque,
les citoyens entendent désormais exprimer avec force leurs aspirations en
faveur d'une Europe qui place la dimension sociale, et donc l'homme, au coeur
de son évolution, au centre de ses priorités, comme le souligne M. Genton.
Cette exigence s'exprime de différentes manières mais avec constance et de
plus en plus de détermination, que ce soit dans le cadre d'échéances
électorales, de référendums ou de manifestations. Dernièrement, ils étaient
plus de 50 000 dans les rues de Paris, portant cette revendication pour
l'emploi.
Il est évident que l'adhésion des citoyens au projet européen dépendra
essentiellement de la réponse qu'apporteront les gouvernements européens à
cette exigence.
Comment, aujourd'hui, ne pas être inquiets face à la distanciation des
citoyens par rapport à ce projet ? Comment ne pas comprendre leur anxiété,
voire leur colère, à l'égard de son déficit social ?
Reconnaissons tout d'abord que, à l'exception de quelques rares mesures
concrètes relatives à la sécurité des travailleurs, aux comités d'entreprise
européens, l'Europe sociale s'apparente davantage à une incantation rituelle
qu'à un véritable projet politique.
M. Maurice Schumann.
C'est malheureusement vrai !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Nos textes fondateurs parlaient, certes, de liberté de circulation des
travailleurs, de promotion du dialogue social, d'égalité entre les hommes et
les femmes, de formation professionnelle. Mais, durant plus de trente ans, la
concrétisation de cette dimension sociale fut occultée par les grandes
manoeuvres autour de l'édification d'un marché intérieur ; parfois, même, elle
fut instrumentalisée à son profit.
Plus récemment, la démarche qui a inspiré la réglementation édictée dans le
prolongement de l'Acte unique n'a pas renforcé, tant s'en faut, la perception
d'un volontarisme dans le domaine social.
En effet, l'harmonisation de normes nationales autour d'un socle de droits
sociaux
a minima
est loin d'être un projet enthousiasmant et
mobilisateur dans des pays comme le nôtre.
Un exemple précis me vient à l'esprit, celui du texte sur le congé maternité.
Ce texte ne représentait, en fait, une réelle avancée que pour les femmes de
deux pays en Europe, la Grande-Bretagne et le Portugal, la majorité des Etats,
dont la France, ayant déjà adopté des dispositifs plus avantageux.
Je ne reviendrai pas sur l'utilisation polémique qu'en ont faite certains dans
la campagne sur le référendum de Maastricht. Je me souviens simplement des
hésitations sincères de parlementaires européens sollicités pour l'adoption
d'un texte qui n'aurait pas de réelle traduction concrète dans leur pays.
Par ailleurs, sans entrer dans les détails, les obstacles institutionnels -
règles de majorité, procédures devant le Parlement - qui ont jalonné le
processus décisionnel des directives sociales ont entravé le plein
épanouissement des potentialités que recelait la charte des droits sociaux
fondamentaux initiée par François Mitterrand.
On a évalué qu'il fallait en moyenne deux ans pour aboutir à un compromis, et
au pire vingt-cinq ans, à l'exemple du texte, d'une actualité brûlante, relatif
à l'information et à la consultation des salariés. J'ajoute que notre Parlement
l'a transcrit dans notre législation l'année dernière, deux ans après son
adoption par le Conseil.
Bref, s'il fallait schématiser ce qu'un responsable de la Confédération
européenne des syndicats appelle « le tango de l'Europe sociale », c'est-à-dire
deux pas en avant, un pas en arrière, il faudrait parler d'interventions
parcellaires, de mesures
a minima
difficilement élaborées et votées, et
laborieusement appliquées dans les Etats membres.
Aujourd'hui, une autre urgence apparaît : alors qu'il y a deux décennies à
peine l'essentiel de nos préoccupations portait sur le renforcement des droits
des travailleurs, l'augmentation massive du chômage partout en Europe - il
frappe près de 20 millions de personnes, plus particulièrement les jeunes -
l'exclusion qu'il génère, la charge de violence qu'il comporte, nous font
obligation de placer l'emploi au centre du projet européen.
Les gouvernements ont, certes, arrêté une première plate-forme de propositions
lors du sommet d'Essen, en 1994. Mais comment ne pas être sceptique sur les
orientations et les résultats de cette plate-forme, qui préconisait, notamment,
une flexibilisation du marché du travail, la modération salariale et la
réduction des coûts non salariaux ?
C'est pourquoi le récent sommet d'Amsterdam marque une nouvelle étape.
Tout d'abord, la signature par la Grande-Bretagne du protocole social ouvre de
nouvelles perspectives en matière de législation sociale européenne.
Mais, surtout, le protocole permet d'intégrer dans le traité un véritable
chapitre sur l'emploi. Il est envisagé, notamment, la mise en place de projets
pilotes financés par l'Union et la création d'un comité de l'emploi pour
coordonner les politiques des Etats membres ; le concours de la Banque
européenne d'investissement est également prévu afin de financer des projets
innovants et à haute technologie, en particulier dans les PME et les PMI.
Par ailleurs, les fonds structurels, spécialement le fonds social européen, le
FSE, et le fonds européen de développement régional, le FEDER, doivent pouvoir
concourir plus activement à une politique de l'emploi.
Certes, mes chers collègues, ces engagements peuvent paraître d'une trop
grande modestie.
Certes, nous aurions pu aussi ne rien avoir concernant l'emploi dans la
renégociation du traité, car rien ne laissait présager, voilà tout juste un
mois, que le sujet serait abordé dans des termes aussi positifs. En effet, les
textes quasi définitifs auxquels - sans enthousiasme, il est vrai - les pays
avaient finalement souscrit étaient étrangement, voire intentionnellement,
silencieux et timorés sur ce thème de l'emploi.
Démonstration a été faite que le volontarisme politique peut faire échec à cet
autre volontarisme des apôtres de la dérégulation et de la flexibilité. Il a
été démontré également qu'il existe une autre ligne de conduite que le
fatalisme face à certains poids lourds du libéralisme.
Comment peut-on espérer dynamiser les travailleurs européens en ne leur
offrant pour toute perspective que le remboursement de la dette publique, la
flexibilité subie, la précarité et la pauvreté, alors que, parallèlement, nous
vivons un moment historique où la volonté politique existe - en tout cas chez
certains - et alors que, en dépit de l'actuelle atonie de l'activité, les
facteurs principaux qui déterminent les perspectives de croissance ne sont pas
défavorables puisque la rentabilité des investissements est correcte,
l'inflation est maîtrisée, les échanges extérieurs sont excédentaires et la
baisse des taux d'intérêts porte ses fruits ?
Il faut noter, cependant, que ces éléments porteurs auront des effets minorés
en raison d'une évolution des salaires plus faible que la productivité, ce qui,
bien entendu, pénalise la demande et nuit à la croissance.
Je regrette donc la frilosité de certains de nos partenaires face à tout
engagement financier concret.
Aujourd'hui, les réseaux transeuropéens, qui concernent les infrastructures,
mais aussi les télécommunications, semblent en panne.
Le sommet d'Essen s'était déjà conclu par un blocage sur le projet de « grands
travaux » qu'avait proposé M. Jacques Delors.
Par ailleurs, si certains étaient prompts à évoquer la baisse des coûts non
salariaux, aucune solution n'avait été avancée pour assurer la compensation
budgétaire de ces allégements, bien que l'on ait à un certain moment parlé de
taxe sur le CO².
Bien sûr, il n'est pas question pour l'Union européenne d'intervenir dans les
politiques sociales, telles que la santé ou la vieillesse. Les systèmes mis en
place dans les années trente sont ancrés sur des conceptions différentes et
leur rapprochement précipité provoquerait une confusion dans laquelle viendrait
se dissoudre tout sentiment d'identité ou d'appartenance pour les citoyens.
Mais l'Union européenne dispose, en matière d'emploi, d'atouts précieux et de
marges d'initiative incontestables.
Sous l'impulsion, notamment, de M. Jacques Delors, l'Union a désormais une «
culture » de dialogue social à l'échelle européenne. Depuis l'entrée en vigueur
du traité de Maastricht, la consultation des partenaires sociaux et la prise en
compte de leurs propositions sont des éléments moteurs pour la dynamique
européenne, à l'image de ce qui s'est fait pour le texte relatif au congé
parental ou les discussions qui se déroulent sur l'encadrement du temps
partiel.
En matière de formation professionnelle, l'Union a depuis longtemps mis en
place des programmes d'échanges dans le cadre scolaire et universitaire. Elle a
également une formidable capacité de mobilisation grâce aux réseaux qu'elle
encourage.
La formation professionnelle tout au long de la vie joue un rôle clé pour
améliorer la compétitivité de nos entreprises et exploiter les nouveaux
gisements d'emplois.
Sur initiative du Gouvernement français, les Européens se sont engagés, à
Amsterdam, à prolonger leurs discussions lors d'un sommet qui sera consacré à
l'emploi, dès la rentrée prochaine.
J'en viens à mes questions.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, dans quel esprit vous
participerez à cette rencontre et quelles orientations vous entendez promouvoir
?
Ne serait-ce pas l'occasion de moraliser le circuit des primes communautaires
octroyées à certains employeurs qui n'hésitent pas à délocaliser leur
production d'un pays bénéficiant d'une protection sociale forte en direction
d'un Etat membre où les salaires et cette protection sociale sont plus faibles
?
Pourquoi ne pas soutenir la proposition du commissaire Van Miert de lier
l'octroi des aides au respect des directives européennes ?
Quelle stratégie globale entendez-vous préconiser face au dumping des pays
émergeants ?
Monsieur le ministre, bien d'autres questions devraient vous être posées.
Nous partageons tous la conviction que l'Europe en mutation doit être celle de
tous les citoyens, et non pas celle des seuls financiers. C'est pourquoi nous
estimons que la réalisation de cette Europe sociale est la clé de la pérennité
de l'Union européenne.
Espérons que la rencontre de Luxembourg, voulue par notre Premier ministre, M.
Lionel Jospin, concrétisera les déclarations d'intention du sommet
d'Amsterdam.
Nous connaissons votre détermination sur ce point. Nous vous assurons de tout
notre soutien dans cette phase délicate et déterminante de la construction
européenne.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. le
représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne et M. Pierre
Fauchon applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, entre
l'outrance de l'Europe du libéralisme et des capitaux et l'Europe du chômage et
de la régression, il semble qu'aujourd'hui nous ayons adopté un mode de
comportement plus raisonnable. En effet, quelles que soient les difficultés de
notre système européen, l'Union des Quinze compte indéniablement dans le monde
comme l'une des plus grandes puissances économiques et exportatrices.
Quoi qu'en disent ses plus ardents détracteurs, l'Europe occidentale demeure
un des hauts lieux de culture, de création et de liberté. L'Europe figure aussi
parmi les acteurs mondiaux majeurs tant du point de vue du volume, de sa
population que de son produit intérieur brut, et de son niveau de revenu par
habitant. Le rapport de la CNUCED - conférence des Nations unies sur le
commerce et le développement - est à cet égard révélateur. Ne vient-il pas de
classer la France deuxième pays du monde, après le Canada, pour le niveau de
bien-être offert à sa population ?
Cependant, le prix à payer pour cette indéniable réussite pèse lourd. Ce poids
nous affaiblit, il nous désoriente et nous confine à l'impuissance. En effet,
l'Europe des Quinze, c'est aussi dix-huit millions de chômeurs, des sites
industriels en perpétuelle restructuration, un nombre d'exclus intolérables,
des systèmes de sécurité sociale ruineux et inadaptés aux besoins, et des
démographies dangereusement vieillissantes.
Là réside le problème. L'insupportable différence entre ces deux Europe -
celle du bien-être individuel et économique et celle de la régression et de
l'impuissance - nous renvoie à un sentiment de fatalisme qui gagne peu à peu
les acteurs les plus dynamiques de nos économies.
Beaucoup de choses ont été dites sur la politique sociale européenne : facteur
de ruine de l'Europe pour les uns, cache-misère pour les autres. Les textes
européens en la matière ne font cependant pas défaut, car le souhait
d'instaurer une politique sociale européenne a toujours été présent dans
l'Union des Quinze.
M. Jacques Genton,
représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
C'est
vrai !
M. Bernard Joly.
Le traité de Rome de 1957 prévoyait déjà, dans son article 117, la nécessité
de procéder à l'amélioration des conditions de vie et de travail. Dès 1960, le
Fonds social européen, le FSE, visait à l'élargissement des possibilités
d'emploi ainsi qu'au relèvement du niveau de vie. L'année 1972 permit la
révision du FSE avec l'objectif d'aboutir au plein emploi. La mise en place
d'un ensemble de directives dont l'objet était de protéger l'emploi s'égrena
pendant quinze ans jusqu'à l'Acte unique, qui tentera de relancer la politique
sociale européenne et la cohésion économique et sociale. Vint enfin, en 1987,
la signature de la charte sociale européenne, dont le Royaume-Uni jugea bon de
s'exonérer jusqu'au récent sommet d'Amsterdam.
Les textes signés tout au long de l'histoire sociale européenne prévoient
notamment des dispositions favorables à la mise en oeuvre de mesures
d'harmonisation et de convergence relatives à la libre circulation des
travailleurs, aux relations dans le travail, au chômage, à l'emploi et à la
sécurité sociale, ainsi que des dispositions sociales générales relatives aux
conditions de vie et de travail et aux personnes défavorisées et des programmes
concrets, dans le cadre du fonds social européen.
Cependant, malgré ces textes dont on ne peut contester l'existence, il faut
noter que la plupart des Etats membres n'ont jamais envisagé autre chose qu'une
harmonisation sociale minimale, et force est de constater que l'avancement de
cette harmonisation n'est, à ce jour, qu'à peine entamée. Si des réussites ont
pu voir le jour en matière de politique sociale européenne, comme la création
du comité d'entreprise européen, l'essentiel de cette politique reste à
matérialiser.
Comment alors s'étonner qu'un fort sentiment de désillusion à l'encontre des
promesses européennes prévale parmi nos concitoyens ? D'espoirs déçus en
sacrifices ressentis comme inutiles, un fort sentiment de scepticisme et de
désintérêt a pris la place des idéaux d'espérance initiaux.
Voilà dix jours se tenait le sommet d'Amsterdam. Moment attendu, moment
redouté et décisif, la Conférence intergouvernementale devait nous permettre
d'assister à l'effacement de l'Europe de Maastricht devant une authentique
Union européenne. Cette nouvelle Union née de ses cendres devait, grâce à une
nouvelle appréciation de la dimension sociale de l'Europe communautaire, voir
l'avènement d'une conception européenne plus respectueuse de ses populations,
plus attentive à leur existence et à leur prospérité.
Le Premier ministre avait affirmé au préalable que la France saurait faire
entendre sa voix, pour dire aux quatorze autres Etats de l'union qu'il fallait
mettre l'Union économique et monétaire au service de la croissance et de
l'emploi. Monsieur le ministre, estimez-vous avoir réalisé cet objectif dont M.
Lionel Jospin avait fait l'un de ses thèmes de campagne ?
Le sommet d'Amsterdam nous a également donné l'occasion d'assister à la
décision du Royaume-Uni d'adhérer à la politique sociale de l'Union et
d'accepter l'ensemble des directives adoptées dans ce cadre. Il faut s'en
réjouir.
Cependant, étant donné l'attitude de recul de la Grande-Bretagne à l'égard de
mesures en faveur de l'emploi et de la protection des travailleurs, ne
craignez-vous pas, monsieur le ministre, de ne voir nos voisins britanniques
freiner à l'avenir les progrès de la politique sociale européenne ?
Voilà peu d'années, la France a dû procéder à la relecture d'un texte
législatif relatif aux conditions de travail de nuit pour les femmes trop
favorable dans le cadre de l'égalité professionnelle
stricto sensu.
Notre position était pourtant la bonne, celle d'une approche non
mathématique.
Par ailleurs, dès lors qu'un socle social minimum semble recueillir l'adhésion
des Quinze, est-il envisageable d'assortir l'attribution des soutiens
financiers européens au respect de ces règles minimales ?
S'agissant de la résolution du Conseil européen d'Amsterdam sur la croissance
et l'emploi, une distinction a été faite entre la lutte contre le chômage, qui
est « de la responsabilité des Etats », et la coordination des politiques pour
l'emploi, qui semble s'insérer dans une démarche européenne.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous expliquer clairement ce que les
demandeurs d'emplois peuvent attendre de telles considérations ?
Je souhaiterais savoir dans quels délais et sous quelles formes seront
réalisées les actions entreprises dans ce cadre. Pouvons-nous espérer des
mesures rapides et concrètes, par exemple, une baisse de la TVA sur les
activités de restauration et de tourisme, afin d'améliorer la compétitivité
d'un secteur essentiel à l'économie des provinces françaises ? Le Parlement
européen a adopté un amendement dans ce sens et cette taxation fait partie des
renégociations prochaines.
Il convient d'être clair. Laisser le temps au temps est un luxe que certains
de nos concitoyens ne peuvent plus s'offrir.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une semaine
après le sommet du G 8 de Denver, je crois que les Etats de l'Union ont pris
conscience que le modèle social européen ne peut en aucune façon s'aligner sur
le système américain.
La France et l'Union européenne sont donc aujourd'hui plus que jamais appelées
à réfléchir sur le fondement de leur politique sociale. De cette définition, il
faudra élaborer des objectifs clairs à court, moyen et long termes. Il faudra
expliquer le coût et les sacrifices d'une telle politique, une politique qui
entend ne laisser personne sur le bord du chemin, mais qui ne dispensera
personne de prendre en charge sa juste part de responsabilités, qu'elles soient
financières, civiques ou économiques. C'est au prix d'un tel effort que les
pays de l'Union européenne pourront enfin trouver la voie de la convergence
entre union économique et monétaire et union sociale européenne.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Schumann.
M. Maurice Schumann.
Monsieur le ministre, ce débat que je vous remercie, vous, d'avoir accepté, et
mon ami M. Jacques Genton, d'avoir provoqué et brillamment ouvert, me fournit
l'occasion de vous poser une question précise.
Ne soyez pas étonné si je tiens un langage très comparable à celui que j'ai
tenu le 19 avril dernier à cette même tribune, la dernière fois que j'ai
rencontré votre prédécesseur et le ministre des affaires étrangères de
l'époque. Les majorités changent, les gouvernements se succèdent, mais nous
sommes en droit de toujours attacher notre char à la même étoile !
On a beaucoup dit ces derniers temps, on a redit aujourd'hui encore, on a trop
dit peut-être, mais on a dit à bon droit, que la parole de la France était
engagée, qu'elle avait signé le traité de Maastricht, que les électeurs
français s'étaient prononcés - à une faible majorité sans doute mais à une
majorité incontestable.
Vous ne serez pas étonné de m'entendre dire que je n'ai pas la moindre
intention de critiquer ce vocabulaire ou de revenir sur cette assertion ; on
peut regretter un constat, on ne peut pas refuser de le faire. Malebranche a
dit : « Le passé, Dieu lui-même n'y pourrait rien changer ».
Cela étant, il importe de se rappeler que, si les électeurs français, dans
leur faible majorité, ont approuvé un traité, ils n'ont pas pour autant
approuvé ce qui a été ajouté à ce traité depuis lors. Et voilà bien le fond de
la question !
Je viens d'entendre et d'écouter avec la plus grande attention Mme
Dieulangard, porte-parole du parti politique auquel appartiennent le Premier
ministre et la majorité de ses ministres. Qu'a-t-elle dit ? A trois reprises,
elle a employé le mot « renégociation ». S'il y a eu en effet renégociation,
c'est bien qu'il y avait eu adjonction, c'est bien qu'il y avait eu novation,
adjonction et novation sur lesquelles, à ma connaissance, le citoyen français
n'a pas eu à se prononcer...
M. Emmanuel Hamel.
Pas encore !
M. Maurice Schumann.
Je cite les deux exemples essentiels.
Le premier, c'est l'euro.
Chacun parle de l'euro comme s'il était le synonyme de la monnaie unique. Mais
l'euro, tel qu'il se présente, ce n'est pas la monnaie unique pour laquelle la
majorité des électeurs français s'est prononcée. La majorité des électeurs
français s'est prononcée pour la substitution aux monnaies nationales d'une
nouvelle monnaie dans les quinze pays membres de l'Union européenne.
Aujourd'hui, l'euro, tel qu'il se présente, soit qu'un certain nombre de pays
ne veuillent pas y adhérer, soit qu'un certain nombre d'Etats membres soient
considérés comme ne remplissant pas les conditions nécessaires, voire - je
pense à l'Italie - soient considérés comme indésirables, l'euro est une monnaie
unique mutilée.
La différence est considérable. Les commentateurs, les historiens de l'avenir
seront étonnés, j'en suis sûr, d'avoir à constater que l'on parle de l'euro ou
de la monnaie unique, à l'heure actuelle, absolument comme s'il s'agissait de
la même chose.
Or, il y a deux différences essentielles : dès lors que l'euro ne s'appliquera
pas aux quinze Etats membres, les Etats qui ne seront pas membres auront la
possibilité - je ne dis pas qu'à coup sûr ils s'en serviront, mais ils en
disposeront - de recourir à ces dévaluations compétitives dont chacun sait et
dont chacun dit qu'elles ont fait tant de mal.
Ainsi, le premier résultat d'un euro, c'est-à-dire, dans l'état présent des
choses, d'une monnaie unique mutilée et partielle, sera de dresser une
frontière monétaire au milieu d'un espace économique qui, lui, est un espace
sans frontières.
Je passe au second exemple, qui est peut être plus flagrant et peut-être plus
important encore : le pacte de stabilité.
On a le droit d'être partisan du pacte de stabilité, comme on a le droit
d'être favorable au passage à la troisième étape du traité de Maastricht, bien
que l'euro ne reproduise pas la monnaie unique telle qu'elle figurait dans le
traité de Maastricht et telle qu'elle a été approuvée par une faible majorité
des Français, mais personne ne conteste - à mon avis, ou selon les
constatations que nous sommes tous appelés à faire - que le pacte de stabilité
comporte des abandons de souveraineté très importants dans le domaine fiscal,
dans le domaine monétaire, dans le domaine budgétaire, dans le domaine
économique et dans le domaine qui - on peut le dire - a dominé ce débat, à
savoir le domaine social.
Or, qui est détenteur de la souveraineté ? C'est le peuple français ! Il a
bien entendu le droit d'utiliser sa souveraineté pour la limiter, voire pour la
limiter gravement et considérablement. Mais personne ne peut dire qu'à l'heure
actuelle il ait approuvé cette novation fondamentale, cet élément essentiel de
la renégociation à laquelle faisait allusion tout à l'heure Mme Dieulangard, et
qui s'appelle le pacte de stabilité.
Cette constatation est d'ailleurs d'autant plus importante que, jusqu'à
présent, on l'a dit - c'est très regrettable mais c'est vrai - l'expérience
paraît démontrer qu'un certain nombre de pays européens, en particulier
l'Allemagne et la France, peuvent perdre sur les deux tableaux, c'est-à-dire,
d'une part, consentir des limitations de souveraineté sérieuses, graves,
importantes et, d'autre part, appliquer, pour remplir les conditions posées par
les critères de convergence, une politique de rigueur non discriminée et
excessive qui, à cause de la diminution des rentrées fiscales et des
cotisations sociales, a comme résultat de creuser les déficits bien loin de les
combler.
Devant une situation comme celle-là, quelle conclusion importe-t-il de tirer ?
C'est l'objet même de la question que je vous pose.
Cette conclusion, c'est que vous avez le droit de signer un pacte de
stabilité, comme vous l'avez fait, de même qu'un gouvernement antérieur avait
le droit de signer le traité de Maastricht. Mais après avoir signé le traité de
Maastricht, ce gouvernement a consulté les Français, et il a eu une réponse.
Après le pacte de stabilité, qui est en réalité un nouveau traité, votre
gouvernement a le devoir, l'obligation, l'obligation constitutionnelle de
procéder à une nouvelle consultation.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Maurice Schumann.
C'est vrai du pacte de stabilité, c'est vrai aussi de l'euro tel qu'il est
devenu dans la mesure même où il s'éloigne de la monnaie unique telle qu'elle
avait été primitivement conçue.
Dès lors, ma conclusion est très simple, mais elle est en même temps très
claire : vous êtes enfermé dans une alternative et, comme toute alternative,
celle-là comporte deux branches.
La première, celle qui emporte de loin ma préférence parce qu'elle est la
seule qui soit en définitive incontestable et même indiscutable, c'est une
nouvelle consultation du peuple français par voie de référendum, qui complète
et qui, le cas échéant, corrige la réponse primitivement donnée. Cela est
d'autant plus important d'ailleurs que, par la même occasion, les Français
pourraient avoir la faculté de proclamer dans la construction de l'Europe la
primauté du social à laquelle semblent être attachés aujourd'hui tous les
orateurs qui se sont succédé à cette tribune.
Il y a, je le reconnais, une autre branche à l'alternative : c'est la
procédure parlementaire, c'est la consultation des élus de la nation. Je vous
demande clairement quelle est celle de ces deux branches que vous
choisissez.
Mais à l'alternative elle-même, monsieur le ministre, vous ne pourriez pas
échapper, vous ne ne pourriez pas vous soustraire sans porter atteinte au
principe fondamental de la République : le droit des Français à disposer
d'eux-mêmes.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un débat
portant sur la politique sociale de l'Union européenne est au coeur de
l'actualité.
Les récentes élections législatives ont en effet été marquées, au-delà des
prévisions et des sondages, par l'exigence des Français d'affirmer leur volonté
d'une rupture avec les politiques d'austérité antérieures, qui étaient placées
sous le signe du libéralisme. Ils ont clairement opté pour un véritable
changement.
Oui, l'Europe sociale est de toute évidence au coeur de ce débat. Comment en
serait-il autrement alors que la construction actuelle de l'Europe suscite le
rejet ou de fortes interrogations de la grande majorité de nos compatriotes ?
Si 58 % des Français souhaitent aujourd'hui une renégociation du traité de
Maastricht, c'est également le rejet du libéralisme qui les motive plus ou
moins consciemment.
Le libéralisme, ce n'est pas ce beau concept de liberté. Bien au contraire,
c'est l'écrasante prédominance de la finance sur les valeurs humaines, c'est la
remise en cause de principes démocratiques élémentaires au service d'un
mécanisme autoritaire et technocratique tourné vers un seul but, le profit,
c'est la dure loi du plus fort imposée au plus faible.
Le débat sur la politique sociale européenne n'est donc pas relancé sans
raisons en France comme en Europe.
Il est le résultat d'une contestation de plus en plus vive des fondements du
traité de Maastricht, contestation exprimée dans les urnes en France, mais
aussi en Grande-Bretagne. Il est aussi le résultat des interrogations fortes
dans d'autres pays européens, notamment en Allemagne.
L'exigence d'une Europe au service du progrès social, et non pas des
financiers, s'est construite sur un constat grave et incontestable : l'Europe
d'aujourd'hui, loin de favoriser le respect, voire l'amélioration des droits
sociaux, les met en cause ou tend à les supprimer.
Comment faire confiance à cette Europe qui, alors qu'on nous promettait
croissance et développement de l'emploi, a produit près de 20 millions de
chômeurs et généralise la précarité, pudiquement appelée « flexibilité » ?
Aujourd'hui, 50 millions d'Européens sont frappés par la pauvreté.
Nous avons assisté à une véritable prise de conscience européenne de la
nécessité d'une autre Europe, qui doit être autre pour être véritablement
sociale. L'annonce de la fermeture de l'usine de Vilvorde a été, de ce point de
vue, un temps fort dans la prise de conscience de la nécessité de
changement.
Cette froide décision a suscité la révolte et la colère de tous ceux qui
n'acceptent pas qu'au nom d'intérêts exclusivement financiers la vie de femmes,
d'hommes, de familles tout entières soit brisée.
Cette annonce terrible a suscité la réflexion, partout en Europe, sur les
gâchis du capitalisme qui, pour favoriser une orientation spéculative de la
politique financière de Renault, choisit de détruire l'énergie, la créativité
et la dignité humaine. Comment parler de politique sociale européenne si l'on
accepte cette fermeture ?
Le maintien du site de Vilvorde aurait une portée symbolique : le choix de la
croissance et de l'emploi contre celui de l'austérité et de la spéculation.
Vilvorde, malheureusement, n'est pas le seul exemple de cette politique
antisociale qui prévaut aujourd'hui en Europe et qui est impulsée par la
monnaie unique, les critères de convergence et le pacte de stabilité.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Peugeot, dès le lendemain des élections législatives, a annoncé la suppression
de 2 800 emplois en France. Le groupe suédois Electrolux vient d'annoncer la
suppression de 12 000 emplois, alors que, quarante-huit heures plus tard, il
informait de l'augmentation de 27 % du cours de son action. Cette année, ce
groupe a réalisé 2,6 milliards de francs de bénéfices.
Monsieur le ministre, chaque jour nous confirme le lien entre la mise au
chômage de milliers de personnes et l'accroissement des profits. Comment
peut-on continuer d'accepter les pleins pouvoirs de dirigeants sur l'avenir de
l'entreprise et de ses salariés ?
Nous nous étions prononcés pour l'instauration d'un contrôle non seulement de
l'administration mais aussi et surtout des salariés sur les licenciements. Nous
avons pris note de l'annonce de M. Jospin d'une nouvelle législation sur ce
point. Nous y sommes favorables et nous serons très attentifs à son contenu.
Cette pression du chômage, ce dogme de la réduction du coût du travail
favorisent la mise en cause globale des acquis sociaux.
Nous regrettons d'ailleurs que la résolution sur l'emploi adoptée récemment à
Amsterdam se situe toujours et pleinement dans cette logique.
M. Santer, président de la Commission européenne, lie l'Europe sociale et la
flexibilité. Or, ces concepts sont pour nous antinomiques.
La flexibilité est synonyme de mise en cause du droit à l'emploi à temps plein
et d'exploitation renforcée.
Une conception sociale de l'Europe doit être, selon nous, d'améliorer la
condition des salariés, et non pas de destructurer progressivement non
seulement les conditions de travail, mais aussi le travail. C'est au nom d'une
certaine idée de l'égalité que la Commission européenne a tenté de remettre en
cause les dispositions de notre législation concernant le travail de nuit des
femmes ; il y a déjà été fait allusion.
Une politique sociale européenne, c'est aussi le développement de la
protection sociale. Or l'une des conséquences essentielles de la recherche des
critères de convergence, c'est la volonté affichée clairement par maintes
recommandations de la Commission de Bruxelles de réduire les dépenses de
santé.
De même, un récent Livre vert de la Commission relatif au développement des
fonds de pensions confirme la volonté de mettre en cause le système de retraite
par capitalisation.
Je ne développerai pas ces points précis, car le temps me manque. La politique
sociale européenne est directement dépendante de la volonté d'accéder à la
monnaie unique et d'appliquer le pacte de stabilité.
Malgré la volonté des peuples, fortement exprimée, de réorienter la
construction européenne vers plus de justice sociale, les négociations
d'Amsterdam ont abouti à la confirmation du pacte de stabilité.
Nous le regrettons fortement, monsieur le ministre, car il n'y aura pas
d'Europe sociale dans le cadre de ce carcan du pacte de stabilité.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Le pacte de stabilité, c'est une excroissance de Maastricht qui vise à
renforcer l'application des critères de convergence en concrétisant le système
des sanctions déjà engagé par le traité lui-même.
Le pacte de stabilité est aussi contradictoire avec l'idée même de relance
économique qui seule peut permettre le progrès social. Il s'inscrit dans une
logique économique financière et non pas dans celle d'un développement de
l'emploi.
Relancer ce défi - celui de l'emploi, celui dont nous parlons tous aujourd'hui
- nécessite en Europe comme en France une autre utilisation de l'argent. C'est
une question incontournable. Si l'on souhaite honorer nos engagements - et nous
le souhaitons, monsieur le ministre, j'en suis persuadé - pour réussir le
changement de politique, nous devons sortir de la pensée unique. Nous avons des
propositions pour agir en ce sens dans notre pays : baisse de la TVA,
redistribution de la fiscalité, accroissement du produit de l'impôt sur les
grandes fortunes, taxation des revenus de la spéculation, taxation des
délocalisations, et bien d'autres... Nous aurons l'occasion de les présenter et
de les soumettre au débat.
Le mouvement social, les diverses prises de position, les fortes
manifestations du 10 juin en France, le succès de la marche pour l'emploi à
Amsterdam sont révélateurs d'une volonté d'intervenir dans les choix
politiques.
Nous apprécions également la réflexion et l'action engagées par de nombreux
économistes et syndicalistes qui se sont retrouvés le 22 juin à la Sorbonne
pour débattre et proposer pour l'automne des mesures en faveur d'une
alternative au libéralisme et pour le renouveau du plein emploi.
Nous serons vigilants pour que le sommet européen prévu sur l'emploi puisse
effectivement constituer une véritable nouvelle étape pour l'Europe sociale.
Ce débat intense sur la politique sociale européenne a été porté par les
peuples. On ne pourra pas éviter de consulter les Français sur leur avenir
européen et sur le passage à la monnaie unique, comme ils le souhaitent. Nous
continuons avec eux à vouloir un référendum et j'ai bien cru comprendre que
nous n'étions pas les seuls, monsieur le ministre.
M. Emmanuel Hamel.
Vous n'êtes pas les seuls, madame.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont attachés à la
construction d'une Europe du progrès social, de la sécurité et de la paix, à
une Europe qui respecte les hommes. Pour cela, justice sociale et démocratie
sont intimement liées et notre souveraineté nationale doit être sauvegardée.
C'est bien sur la démocratie, sur l'intervention des peuples, des formations
politiques, syndicales et associatives que nous comptons pour rappeler que
l'avenir ne se fera pas contre l'homme, mais qu'il se fera pour lui !
Un grand espoir est né, monsieur le ministre. Personne ne nie la difficulté de
la tâche ni la complexité de la situation. Ensemble, donnons-nous les moyens
efficaces pour réussir.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des
affaires européennes.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je veux commencer par vous remercier de votre invitation, remercier
le Sénat tout entier et, au premier chef, M. Genton et la délégation du Sénat
pour l'Union européenne de m'avoir posé aujourd'hui cette question orale avec
débat.
Cette invitation ainsi que votre accueil augurent bien des relations qu'aura
ce Gouvernement avec votre délégation et avec la Haute Assemblée tout
entière.
M. Fauchon m'a interrogé tout à l'heure sur la nature de mes convictions
européennes en rappelant l'action de mon prédécesseur, M. Michel Barnier, que
je connais bien. Il a ses convictions, son style ; j'aurai le mien, vous le
découvrirez.
Mes convictions sont celles d'un Européen qui est depuis longtemps un militant
de l'Europe, d'un socialiste - chacun sait que ce parti a été associé depuis
l'origine à la construction européenne - d'un homme qui est né l'année où a été
signé le traité de Rome, d'un élu d'une circonscription ouvrière qui voit bien,
par rapport à cet enjeu, que les citoyens ont aujourd'hui une attitude à la
fois très positive et probablement très exigeante. C'est ainsi que mes
convictions s'exprimeront à travers l'action de ce Gouvernement ou, en tout
cas, à travers mon action en son sein.
Je me sens en phase avec nombre des appréciations qui ont été exprimées avant
moi à cette tribune et qui témoignent de bien d'exigences qui sont aussi les
miennes.
Les peuples de notre continent ont sans doute trop longtemps eu le sentiment
que l'Europe se bâtissait sans eux et que des approches techniciennes ou
exclusivement financières l'emportaient sur la vision politique et la dimension
humaine de la construction européenne, qui avaient justement inspiré les pères
fondateurs de l'Union européenne. Beaucoup de nos concitoyens sans doute ont
encore cette sensation et éprouvent cette réserve. C'est justement le rôle du
politique que de faire reculer ce sentiment par l'action et par l'explication,
car il est essentiel de convaincre nos concitoyens de tout ce que peut apporter
l'Europe.
M. Genton a eu raison de le souligner, les citoyens veulent que les choses
changent, que l'Europe place davantage les aspects social et humain au coeur de
ses préoccupations et qu'elle mette l'emploi au rang de ses priorités, au moins
au même titre que la construction monétaire et que la réduction, certes
nécessaire, des déficits publics.
Comment en serait-il autrement dès lors que, comme plusieurs orateurs l'ont
rappelé, le chômage frappe dix-huit millions d'Européens et que l'Europe est
bien, comme Mme Dieulangard l'a souligné, une Europe du déficit social, une
Europe, comme le disait M. Joly, frappée à certains égards de régression et
d'impuissance ?
Le Gouvernement partage entièrement cette conception d'une Europe plus sociale
et plus humaine, et il s'emploiera à la traduire en actes. Il a d'ailleurs
commencé à le faire, comme le prouvent les résultats du Conseil européen
d'Amsterdam.
Certes, ceux-ci peuvent paraître insuffisants. Il est vrai qu'ils sont à bien
des égards - je reprends là l'expression commune au Président de la République,
au Premier ministre et au ministre des affaires étrangères - frustrants,
mitigés, et j'ajouterai contrastés.
M. Genton s'interrogeait sur le bilan que l'on pouvait en tirer. S'agissant
des aspects institutionnels, ce bilan est décevant, voire inquiétant.
Il est en effet inquiétant que nous n'ayons pu avancer suffisamment pour
préparer l'élargissement - des décisions, pourtant nécessaires, sur la
repondération des voix ou sur la réduction du nombre de commissaires n'ayant
pas été adoptées - même si nous avons progressé s'agissant des coopérations
renforcées, coopérations qui seront sans doute un élément positif pour les
Etats qui veulent avancer ensemble.
D'autres éléments ont été positifs ; je pense aux approfondissements dans les
domaines de l'emploi - j'y reviendrai - de la politique sociale, de la
politique étrangère et de sécurité commune, qui devrait pouvoir prendre
corps.
Des demandes françaises ont également été satisfaites ; je pense à la
reconnaissance du rôle de Strasbourg comme siège du Parlement européen, de la
spécificité de nos départements et territoires d'outre-mer, de nos services
publics, ainsi que du rôle des parlements nationaux. Ainsi ces derniers
seront-ils, demain, associés davantage à la décision européenne. Le Sénat peut,
j'en suis certain, s'en réjouir.
De ce bilan contrasté, on pourrait tirer un sentiment quelque peu dubitatif.
Il n'en reste pas moins que le nouveau Gouvernement, qui a pris ses fonctions
dans des circonstances particulières qu'il n'avait pas provoquées lui-même et,
disons-le, dans une certaine urgence, ce Gouvernement, qui n'a pourtant eu
finalement que peu de temps depuis sa prise de fonctions pour s'immerger dans
les dossiers européens, a pu néanmoins donner au Conseil européen à Amsterdam
une tonalité nouvelle dont j'ai la conviction - plusieurs d'entre vous l'ont
confirmé - qu'elle est plus proche des aspirations des citoyens européens.
Cela se traduit par le fait que l'Union économique et monétaire commence à se
rééquilibrer et que le Conseil européen d'Amsterdam a remis l'emploi au coeur
des priorités de la construction européenne.
Cela se manifeste, au premier chef, par une résolution sur la croissance et
sur l'emploi qui a été adoptée en même temps - je réponds ainsi à M. Schumann -
que le pacte de stabilité. Ce résultat a été atteint, nul n'en doute, grâce à
l'action déterminée du gouvernement français. En effet, à l'ouverture du sommet
d'Amsterdam, seule la question de la discipline budgétaire était initialement
prévue, en matière économique et sociale, à l'ordre du jour. Chacun l'a
constaté : s'il n'y avait pas eu de changement de majorité, on n'aurait parlé
que de cette question. Le président Jacques Chirac lui-même a souligné à
Amsterdam que, de ce point de vue-là, il lui semblait que le changement de
gouvernement avait été une bonne chose. C'est dire qu'une inflexion positive a
été marquée !
Le nouveau gouvernement, qui en avait discuté la veille, ou presque, avec le
gouvernement allemand à l'occasion du sommet de Poitiers, a obtenu que soient
mises sur le même plan politique la stabilité budgétaire et la lutte pour
l'emploi. Je crois que c'est un succès important.
On a pu critiquer ici ou là la méthode - M. Bordas y faisait allusion - mais
nous avons réussi à faire comprendre à nos partenaires, et d'abord aux
Allemands, que notre préoccupation d'infléchir la construction européenne dans
le sens de la croissance et de l'emploi était une préoccupation forte. Nous
avons réussi non seulement à faire comprendre cette préoccupation, mais aussi à
la faire partager par beaucoup de gouvernements et, j'en suis sûr, au-delà des
gouvernements, par bien des peuples.
Cette résolution, qui doit être placée sur le même plan que le pacte de
stabilité, permet désormais à l'Europe de marcher sur deux pieds, car ce sont -
je réponds à la question de M. Schumann - deux instruments complémentaires et
non substituables.
Vous avez ouvert sur l'euro et sur le pacte de stabilité une discussion
importante, sur laquelle je voudrais vous donner mon sentiment, sans me
permettre de vous contredire en tout, car il est des éléments de votre
intervention que je partage.
S'agissant de l'euro, je ne puis adhérer entièrement à votre vision. Le traité
de Maastricht a bien prévu une sorte de similitude entre l'euro, vers lequel
nous allons, et la monnaie unique.
En effet, dans l'article 109 J de ce traité, il est précisé que si la décision
avait été prise en 1996, la monnaie unique aurait juste rassemblé la moitié des
Etats. A l'origine, il n'était donc pas prévu - c'est peut-être dommage, car je
suis, moi aussi, favorable à une monnaie unique pour l'Europe entière - que
l'euro, la monnaie unique, concerne tous les Etats.
A l'inverse de votre argument, si l'euro est décidé en 1998, il n'est même
plus besoin de cette moitié d'Etats membres. Cela figure dans le traité. Deux
Etats pourraient décider d'adopter cette monnaie unique qui, reconnaissons-le,
dans ce cas de figure-là, ne mériterait en aucun cas ce qualificatif d'« unique
».
S'agissant des dévaluations compétitives, il y aura, à côté de la monnaie
unique, un SME
bis,
et les articles du traité prévoient une convergence
forte.
Sur l'euro, je veux le redire à cette tribune, l'engagement du Gouvernement
est fort : nous voulons faire l'euro, faire la monnaie unique, et nous voulons
le faire à temps, car j'ai la conviction qu'un report aurait des conséquences
dramatiques et signifierait, de fait, un renoncement.
Nous acceptons le traité tel qu'il a été voté par les Français, à une courte
majorité, mais il a été voté.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Donc 3 % de déficit ?
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je vais y venir, madame.
M. Emmanuel Hamel.
Il ne serait plus adopté aujourd'hui !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Le peuple a déjà tranché, et il n'y a pas lieu de le
consulter à nouveau aujourd'hui sur cette question qui risquerait, comme hier,
de le diviser, même si - M. Fabius d'ailleurs l'a suggéré voilà quelque temps -
le Parlement pouvait être consulté le moment venu.
S'agissant du pacte de stabilité, en revanche, il est un point indubitable
dans l'argumentation de M. Schumann : ce pacte-là n'avait pas été prévu par le
traité.
M. Maurice Schumann.
Ah !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
C'est d'ailleurs au nom de cette réalité que, pendant
la campagne électorale, M. Lionel Jospin avait exprimé des réticences
importantes sur le pacte de stabilité signé à Dublin.
Monsieur Schumann, vous avez été la voix de la France, et cela vous acquiert,
pour l'éternité, le respect de nos concitoyens : je le dis avec une très
profonde sincérité.
La voix de la France, aujourd'hui, dans notre système qui est celui de la Ve
République, système auquel vous avez adhéré, c'est celle du Président de la
République. Or la parole de la France a été donnée à Dublin. Il s'agit donc
d'un engagement international signé par le précédent gouvernement et par le
Président de la République, engagement au nom de la France et avec nos
partenaires étrangers qui nous a fait mesurer la responsabilité qui est la
nôtre.
Croyez que renoncer à la parole de la France en période de cohabitation aurait
eu des implications extraordinairement fortes dans nos relations avec nos
partenaires, et d'abord avec les Allemands, on a rappelé ici l'importance de
cette relation.
C'est pourquoi nous n'avons pas entendu remettre en cause le pacte de
stabilité, en demander la renégociation ou le report ; nous avons souhaité le
compléter, y ajouter une nouvelle dimension, l'infléchir : tel est le sens de
la résolution qui a été adoptée.
Que nul, en effet, ne doute de notre conviction politique ! Si, pour ce
Gouvernement, la stabilité monétaire et financière peut constituer l'une des
conditions d'un développement durable de l'activité économique et de l'emploi,
elle n'est pas une fin en soi ; il faut des compléments politiques et
économiques extraordinairement puissants pour éviter que cette logique ne
finisse par se tourner contre les peuples.
Dans les mois qui viennent, la France ne ménagera pas ses efforts pour faire
vivre ce texte et pour en exploiter toutes les potentialités. « Déclaration
d'intention ! », disiez-vous tout à l'heure. Peut-être ! mais, dans ce genre,
rappelez-vous, justement, le mémorandum social de MM. Juppé et Chirac, que vous
évoquiez et dont je regrette que la France n'ait jamais réussi à le faire
examiner par les Quinze.
Cependant, les déclarations d'intention ont aussi du bon, dès lors qu'elles
sont également des déclarations politiques. Cette résolution sur la croissance
et l'emploi en est une au sens noble, au sens fort du terme, car elle
entraînera des conséquences. Lesquelles ?
Ce texte, qui ne correspond pas tout à fait à ce qu'étaient les exigences
françaises initiales - je réponds là à une question posée par plusieurs d'entre
vous - se traduira par des mesures concrètes pour l'emploi, grâce au
renforcement de l'action de la Banque européenne d'investissement en faveur des
projets d'infrastructures, de l'innovation technologique dans les PME, dans les
domaines de l'éducation, de la santé et de l'environnement urbain, grâce à
l'adoption, demain, de lignes directrices et à la possibilité d'adresser des
recommandations particulières à chacun des Etats membres.
J'y reviendrai, ce n'est pour nous qu'un début, mais il doit entraîner des
conséquences concrètes.
Le deuxième élément que je voulais souligner au titre du rééquilibrage de
l'Union économique et monétaire, c'est l'insertion d'un nouveau chapitre
consacré à l'emploi dans le traité.
Ce chapitre pose les bases d'une meilleure coordination des politiques
nationales contre le chômage avec, en particulier, la création d'un comité de
l'emploi qui travaillera en étroite coordination avec le comité de politique
économique. Ce comité permettra d'éviter par exemple que des aides publiques
pour l'emploi servent à financer des délocalisations à l'intérieur de
l'Union.
Par ailleurs, des projets pilotes seront financés par l'Union dans le cadre
des fonds communautaires existants.
Ces mécanismes seront mis en oeuvre immédiatement - et c'est important - sans
même attendre la ratification du traité.
Ce matin, au conseil « Affaires générales » qui se tenait à Luxembourg, nous
avons progressé en ce sens, même s'il faudra examiner les modalités juridiques
d'application du texte.
Enfin - troisième point - une réunion extraordinaire du Conseil européen
consacrée à l'emploi a été décidée, sur l'initiative de la France. Elle se
tiendra sous la présidence luxembourgeoise à l'automne prochain, peut-être en
octobre, plus sûrement en novembre.
Que peut-on en attendre ? Je ne suis pas en mesure aujourd'hui, bien
évidemment, de vous dire très exactement ce que le Gouvernement inscrira dans
ses propositions, mais je peux vous donner quelques éléments d'éclaircissement
sur la démarche que nous allons adopter.
La Commission a mis en place les outils nécessaires d'analyse et de suivi pour
comparer les politiques de l'emploi menées par les différents Etats membres. Il
s'agira pour nous d'en tirer des conclusions opérationnelles.
Ce sommet pourra également permettre de nourrir le dialogue social sur le plan
européen, par exemple dans le prolongement du récent accord entre partenaires
sociaux intervenu sur la question du travail à temps partiel.
Il pourrait être également envisagé l'organisation de rencontres tripartites
au niveau européen sur certains thèmes liés à l'emploi.
Notre démarche plus spécifique, je tiens à le souligner, comme j'ai été amené
à le rappeler ce matin-même au conseil « Affaires générales » - consiste à
marquer l'extrême importance qu'attache la France à ce Conseil européen
consacré à l'emploi.
On ne devra pas y retrouver les sempiternelles petites phrases générales
autour de tel ou tel mot soigneusement pesé au trébuchet, qu'il s'agisse de «
l'adaptabilité », de « la flexibilité » ou de « l'employabilité ». Si tel était
le résultat, il serait décevant pour tous.
Le Conseil doit déboucher sur des mesures concrètes, tangibles et effectives.
Je l'ai dit avec fermeté ce matin : le Gouvernement français demande que chaque
nation fasse des propositions qui répondent à ses besoins. Nous présenterons
les nôtres, et ce dans des délais très brefs. Nous souhaitons que la
préparation de ce Conseil obéisse à des modalités originales et qu'il ne
s'agisse pas d'un rituel de plus.
A côté de ces avancées sociales, je veux également souligner l'importance
donnée, dans la résolution du Conseil d'Amsterdam à la coordination des
politiques économiques entre Etats membres. L'Union économique et monétaire ne
repose pas seulement sur la monnaie ; elle vise aussi la solidarité économique
entre les Etats. Elle est l'expression d'une volonté commune de favoriser la
croissance, de maintenir l'emploi au premier plan des préoccupations
politiques. Ainsi, la coordination des politiques économiques, le renforcement
de ce qu'on appelle le pilier économique sont également inscrits en filigrane
dans cette résolution sur la croissance et l'emploi.
Sur ce point, sachez que le Gouvernement considère le compromis d'Amsterdam
non pas comme un aboutissement mais comme un point de départ. Non, monsieur
Joly, nous n'avons évidemment pas rempli intégralement à Amsterdam, hélas !
l'objectif que se fixait M. Lionel Jospin de rééquilibrer la construction
économique et monétaire.
Nous avons ouvert une porte, une brèche dans un certain mur - peut-être celui
de l'orthodoxie - mais cela ne nous dispense pas d'aller beaucoup plus loin.
Cela suppose évidemment de dégager des moyens financiers en procédant
éventuellement par redéploiements. Or certains de nos partenaires y sont
opposés.
Il faudra renforcer le pilier économique pour aller vers ce pôle économique -
j'évite à dessein l'expression de « gouvernement économique » qui semble
profondément choquer certains de nos partenaires. La mise en oeuvre d'une
politique volontariste pour la croissance et pour l'emploi s'impose.
M. Jacques Genton m'a interrogé sur les rendez-vous futurs. L'un des
principaux sera pour nous ce Conseil européen de Luxembourg consacré à
l'emploi.
Par ailleurs, nous voulons que la logique des grands travaux, engagée à Essen
mais jamais consacrée par la suite, trouve un prolongement.
Sur ce sujet, je répéterai les propos tenus ici même tout à l'heure par M. le
Premier ministre : il n'y a pas contradiction entre l'arrêt de certains grands
travaux et la volonté de poursuivre des grands travaux en Europe.
L'élu franc-comtois que je suis - je m'adresse à d'autres élus francs-comtois
ici présents, M. Dreyfus-Schmidt ou M. Joly - sait que, si nous avons arrêté la
construction du grand canal Rhin-Rhône, ce n'est pas en raison d'une hostilité
quelconque à l'égard d'un secteur économique comme le bâtiment ou les travaux
publics. C'est pour des raisons écologiques, pour des raisons économiques, pour
des raisons financières. Croyez-moi - beaucoup d'entre vous le savent bien - il
fallait le faire...
M. Emmanuel Hamel.
Il fallait faire le canal, très bien !
(Sourires.)
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
... il fallait arrêter la construction du canal ; c'est
une excellente décision.
Quant à Superphénix, on a également rappelé ici tout à l'heure pourquoi cette
fermeture a été décidée et comment elle serait opérée. Il y a tellement
d'autres grands travaux à entreprendre ! On a parlé du TGV Est, on pourrait
parler du TGV Rhin-Rhône.
Croyez-le, le Gouvernement n'a aucunement la volonté d'arrêter les grands
travaux, il a la volonté de les réorienter. Tel est le sens de notre action.
Il est un autre point que je voudrais souligner à propos de l'Europe sociale,
à savoir que le contenu social du nouveau traité a été sensiblement étoffé, là
encore largement sous l'impulsion de la France.
Madame Bidard-Reydet, vous avez évoqué l'affaire Renault-Vilvorde, à laquelle
je suis particulièrement sensible, comme je le suis d'ailleurs au plan social
de Peugeot, étant encore pour quelques jours député de la quatrième
circonscription du Doubs et demeurant conseiller général de Sochaux, là où
seront supprimés 1 500 emplois.
Cette affaire Renault-Vilvorde, ce plan social ont justement et cruellement
mis en lumière les insuffisances sociales de la construction européenne, qui
ont rendu possible que soit annoncée la décision de fermer un important site de
production sans aucune concertation préalable. Vous savez que le Gouvernement a
décidé de convaincre l'entreprise Renault, qui l'a accepté, de mandater un
expert indépendant pour étudier pendant trois semaines la situation de l'usine.
La décision finale appartient, bien entendu, au conseil d'administration de
Renault, mais le Gouvernement voulait être sûr que toutes les solutions avaient
été examinées en concertation avec les intéressés.
Mais au-delà, il est certain qu'il faut absolument remédier à ces
insuffisances. Dans le cadre du prolongement du sommet d'Amsterdam, des travaux
sur l'amélioration du dialogue social ainsi que sur l'information et sur la
consultation des travailleurs sont déjà en cours. Je crois qu'ils inspireront
désormais fortement la priorité sociale du traité.
Il faudra aller plus loin encore et notamment examiner les propositions du
commissaire M. Van Miert sur une soumission des aides non plus à telle ou telle
logique de concurrence mais à la situation de l'emploi. Ce sera un moment
important.
Sur le contenu social du traité, je tiens à souligner encore trois apports
nouveaux avant de terminer.
Premier apport : le nouveau gouvernement du Royaume-Uni a adhéré au protocole
social annexé au traité, ce qui a permis l'introduction du protocole lui-même
dans le traité. Je me réjouis, comme M. Joly, de cette décision qui prouve le
rôle positif non seulement du nouveau gouvernement français, mais aussi du
gouvernement britannique. Je veux être optimiste pour ma part sur le rôle que
peut jouer demain la Grande-Bretagne en Europe.
Comme tout le monde, au Conseil européen d'Amsterdam, j'ai pu observer la
persistance de comportements anciens mais aussi l'émergence de comportements
nouveaux qui, à mon sens, montrent que l'évolution va bien dans le sens d'une
importance accrue de l'Europe en Grande-Bretagne.
Je ne voudrais pas à mon tour évoquer les relations entre MM. Tony Blair et
Lionel Jospin, mais nous pouvons être sûrs qu'il s'agit de deux amis qui se
parlent et qui sauront sans doute trouver un langage commun.
A partir de cette intégration du protocole dans le traité, les Quinze pourront
définir, le plus souvent à la majorité qualifiée - et cela aussi est important
- un droit européen relatif aux conditions de travail, d'information, de
consultation des salariés de l'entreprise.
Ce dispositif constitue une protection essentielle contre certains risques de
dumping social.
Le Conseil européen s'est aussi prononcé avec fermeté en faveur du dialogue
social et de l'application intégrale du droit communautaire lors de processus
de restructuration dans les entreprises. Il conforte là aussi, me semble-t-il,
l'attitude du nouveau gouvernement français à l'égard du projet de fermeture du
site de Vilvorde.
Mme Dieulangard a souligné le caractère un peu laborieux du « tango » social
en Europe. J'espère qu'avec l'intégration du protocole social dans le traité
cet aspect social prendra le rythme lent, mais harmonieux, de la danse
sud-américaine que nous aimons tous.
(Sourires.)
Deuxième apport : sur l'initiative de la France, le traité mentionne
désormais la notion de service public ; un nouvel article 7 D du traité fera
référence à la place des services d'intérêt général parmi les valeurs communes
de l'Union.
Même si la notion de service public n'est encore évoquée qu'au titre de la
réalisation du marché intérieur, ce qui ne correspond pas entièrement, bien
sûr, à notre approche, cette référence explicite pourra servir de rempart,
demain, contre une déréglementation imposée au nom du droit de la concurrence.
C'est, je le souligne, avec les coopérations renforcées, sans doute l'un des
acquis les plus importants de la CIG.
Troisième et dernier apport du Conseil d'Amsterdam en matière sociale : le
nouveau traité charge la Communauté de promouvoir un niveau élevé d'emplois et
de protection sociale ; il consacre - on en a parlé tout à l'heure - l'égalité
entre les hommes et les femmes et il affirme son attachement aux valeurs
démocratiques. Ces objectifs s'opposent clairement aux tentations de régler
tous les problèmes par la concurrence, par la flexibilité.
De même, le renforcement des dispositions relatives à la santé et à
l'environnement vont dans le sens d'une meilleure prise en compte par l'Europe
des préoccupations des citoyens.
Je voudrais enfin citer l'accord récemment intervenu sur l'Observatoire
européen des phénomènes racistes et xénophobes ou encore la déclaration du
Conseil sur l'interdiction du clonage humain. Ces déclarations et ces accords
s'inscrivent également, à des degrés différents, dans la tradition et la
vocation humanistes de l'Europe.
J'en viens à ma conclusion.
Les orientations qui se sont dégagées à Amsterdam, qui rejoignent certaines de
vos préoccupations, qui n'y répondent pas bien évidemment - pas plus qu'elles
ne répondent aux nôtres - doivent maintenant être pleinement mises en oeuvre et
amplifiées pour se traduire par des améliorations tangibles dans le vie
quotidienne des citoyens et des salariés.
Je voudrais vous dire que telle est la ferme intention du Gouvernement
français.
Nous avons obtenu à Amsterdam une première inflexion, souhaitée, dans les
choix des priorités de l'Union européenne. Il faudra veiller, à l'avenir, par
la concertation mais aussi par la volonté politique à faire en sorte que les
décisions d'Amsterdam constituent bien un point de départ et, je le répète,
qu'elles ne soient pas un aboutissement, qu'elles ne se limitent pas à quelques
lignes dans un texte resté sans suite. L'Union doit aller plus loin encore vers
des mesures concrètes et efficaces en faveur de l'emploi. C'est, je le répète,
l'enjeu majeur du Conseil européen extraordinaire de Luxembourg, qui sera
consacré à l'emploi et auquel nous allons maintenant vouer tous nos efforts.
M. Maurice Schumann.
Ah !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je ne doute pas que, avec le soutien de la
représentation nationale, avec l'attention vigilante - et j'ai compris qu'elle
le serait - du Sénat mais aussi, je l'espère, avec son concours actif, nous
atteindrons le but que nous nous sommes fixé et que la France pourra enfin
donner de la substance à une grande ambition, celle de l'Europe des citoyens,
celle de l'Europe sociale, celle de l'Europe de l'emploi.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Joly applaudit
également.)
M. Maurice Schumann.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est M. Schumann.
M. Maurice Schumann.
Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre, mais elles me
paraissent appeler deux observations.
Tout d'abord, s'agissant de l'euro, je ne me suis pas référé à la lettre du
traité. Je vous ai simplement dit que, comme le prouvaient tous les discours
prononcés à l'époque, notamment par le Président de la République, on avait
expliqué aux Français que le résultat de la monnaie unique, étendue à
l'ensemble des quinze Etats signataires de l'acte constitutif de l'Union
européenne, nous mettrait définitivement à l'abri des dévaluations
compétitives.
Il est évident que, à partir du moment où nous sommes en présence d'une
version mutilée de l'Union européenne, le résultat ne peut pas être le même et
que la promesse ne peut pas être tenue.
Mais je ne m'apesantis pas sur cette partie, malgré tout secondaire, de mon
argumentation.
Ma seconde observation porte sur le pacte de stabilité. Je ne vous ai
nullement reproché de l'avoir signé : c'était votre droit le plus strict. Je ne
reproche nullement au gouvernement précédent de l'avoir approuvé à Dublin, même
si j'y suis personnellement hostile, car, là encore, c'était son droit.
En revanche, dès lors qu'il s'agit, comme vous l'avez reconnu vous-même, non
pas du traité lui-même mais d'un additif au traité, ce n'est pas le droit du
Gouvernement de se passer de l'approbation du peuple, soit du peuple dans son
ensemble réuni dans ses comices, soit de la représentation nationale constituée
par les deux chambres du Parlement.
Je vous réitère donc ma question : puisqu'il est impossible de se soustraire à
cette alternative, quelle branche choisissez-vous ? Les Français sont en droit
d'obtenir une réponse de votre part et d'avoir le dernier mot.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Monsieur Schumann, s'agissant de l'euro, je crois que
nous pouvons être en accord : ainsi que M. Lionel Jospin l'a répété pendant la
campagne électorale, nous sommes favorables à une monnaie unique pour l'Europe
tout entière.
M. Maurice Schumann.
Voilà !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Nous souhaitons notamment, cela a été affirmé à
plusieurs reprises, que l'Italie puisse être partie prenante de cette Europe
monétaire dès la mise en vigueur de l'euro.
M. Maurice Schumann.
Voilà !
M. Jacques Genton,
représentant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
C'est ainsi et seulement ainsi que l'on pourra
effectivement éviter toute dévaluation compétitive. Mon argument de tout à
l'heure était, vous l'avez compris, de nature plus juridique.
En ce qui concerne le pacte de stabilité, on peut discuter quant à sa nature
juridique. Selon moi, ce n'est pas un additif au traité, en tout cas pas
formellement, mais il est clair qu'il prévoit des dispositions qui entreront en
vigueur postérieurement à la décision d'entrer dans la monnaie unique. Le pacte
de stabilité s'appliquera dans la mesure où nous serons dans la troisième
phase, c'est-à-dire la phase de l'euro.
Eh bien, je le répète, à ce moment-là, on pourrait concevoir une consultation
des Français. Sous quelle forme ? Il est peut-être tôt pour le dire. J'ai
indiqué tout à l'heure que, à mon sens, il serait logique de consulter la
représentation nationale : par ce biais, le peuple français, que vous
représentez, serait associé à ce débat sur l'euro et, donc, sur le pacte de
stabilité.
M. le président.
Le débat est clos.
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