M. le président. « Art. 1er . - I. - Après les mots : "et visé", la fin du premier alinéa de l'article 5-3 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 précitée est ainsi rédigée : "par le représentant de l'Etat dans le département où le signataire réside". »

« II. - Les deuxième et troisième alinéas du même article 5-3 sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Le représentant de l'Etat refuse, par décision motivée, de viser le certificat d'hébergement dans les cas suivants :

« - il ressort, soit de la teneur du certificat et des justificatifs présentés, soit de la vérification effectuée au domicile de son signataire, que l'étranger ne peut être hébergé dans des conditions normales ;
« - les mentions portées sur le certificat sont inexactes ;
« - les demandes antérieures de l'hébergeant font apparaître un détournement de la procédure au vu d'une enquête demandée par le représentant de l'Etat aux services de police ou unités de gendarmerie. »
« III. - Dans la première phrase de l'avant-dernier alinéa du même article 5-3, les mots : "par le maire" sont remplacés par les mots : "par le représentant de l'Etat".
« IV. - Dans le dernier alinéa du même article 5-3, les mots : "par le maire" sont supprimés.
« V. - Le même article 5-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'étranger hébergé remet le certificat d'hébergement dont il a bénéficié aux services de police, lors de sa sortie du territoire. »
« VI. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »
Sur l'article, la parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quand un gouvernement ne sait plus quoi faire, quand il est contraint au recul, il a tendance à faire n'importe quoi ; cela s'appelle le désarroi, et le Gouvernement est en proie au désarroi.
Depuis quatre ans, de lois Pasqua en loi Debré, le Gouvernement multiplie les lois sur l'immigration, et c'est toujours plus dur, toujours plus restrictif, toujours moins de libertés publiques.
Qui ne constate que cette stratégie est parfaitement inopérante, car les textes les plus répressifs n'ont fait que légitimer le discours de l'extrême droite, au point de rendre poreuses les frontières qui séparaient celle-ci de la droite ?
Voilà quatre ans, M. Pasqua se faisait fort de « clouer le bec au Front national ». Les succès municipaux de l'extrême droite ont sanctionné cette prétention au moment même où les lois de 1993 suscitaient le drame des sans-papiers et commençaient à grignoter les libertés fondamentales.
En remettant sans cesse sur l'établi législatif la question de l'immigration, le Gouvernement a cru calmer les ardeurs des ultras de sa majorité, alors qu'en fait la droite fait le lit du Front national.
M. Emmanuel Hamel. N'en parlez pas tout le temps !
M. Guy Allouche. Monsieur le ministre, sur ce point, votre responsabilité est écrasante. Quand les ultras de la majorité ont durci le texte en première lecture à l'Assemblée nationale, vous étiez ravi, puisqu'ils reprenaient vos propositions initiales.
Quand la droite sénatoriale a - je reprends son expression - « adouci » le texte, vous étiez enchanté.
Lorsque le Premier ministre, après avoir dit que le texte ne serait pas modifié parce qu'il était équilibré, a fini par admettre qu'il fallait reculer et vous a obligé à « faire machine arrière toute », votre félicité fut sans borne, malgré le désaveu qui vous était infligé !
Lorsqu'à l'Assemblée nationale, Julien Dray, présenté un amendement demandant que ce soit le représentant de l'Etat - en l'occurrence le préfet - qui garde autorité pour la délivrance des certificats d'hébergement, vous avez dit « non » avec une remarque qui vaut - permettez-moi - « son pesant de cacahuètes » : « Nous avons avec cet amendement un exemple caractéristique de la bureaucratie et de la contradiction socialistes. » Cela figure à la page 8574 du Journal officiel .
Je n'ai pas l'impression que vous ayez eu, un jour, la moindre conviction dans ce domaine. Comment ne pas s'interroger sur la crédibilité de votre discours ?
Votre complexe vis-à-vis de votre prédécesseur, votre obsession de faire du « chiffre » en matière d'expulsions vous plongent en plein désarroi. Vous avez ouvert la boîte de Pandore et vous vous étonnez de voir sortir Pandore !
Vos réponses embarrassées et contradictoires à l'Assemblée nationale prouvaient que vous ne maîtrisiez plus votre sujet, que l'on vous faisait jouer une partition pour laquelle vous n'aviez aucune aptitude, et ce n'est pas l'amendement du « casque bleu » Pierre Mazeaud qui réglera les difficultés à venir.
Certes, l'incitation à la délation disparaît, mais le fichage demeure, et les subtilités juridiques ne produiront que des résultats homéopathiques contre l'immigration irrégulière et, fait plus grave, ce projet répressif alimente la xénophobie et ruine peu à peu les libertés publiques.
La réaction des intellectuels ne peut que rassurer les démocrates. Ce sont les sismographes de nos crises sociales et morales, nos vigies de la mémoire, analyseurs du présent et détecteurs d'avenir. Ils ont eu raison de sonner l'alarme contre une dérive qui, au nom d'une démonisation de l'immigré, porte atteinte à la liberté de tous.
En première lecture, j'ai dénoncé l'autisme du Gouvernement, qui n'a pas voulu tenir compte des nombreux avis rappelés tout à l'heure par M. Badinter. Nous avons dénoncé non seulement la délation contenue dans l'article 1er, mais également l'ensemble du texte qui déstabilise et précarise l'immigration régulièrement installée.
Vous avez méprisé l'opinion de l'opposition, mais nous avons fortement contribué au sursaut civique de dizaines de milliers de nos concitoyens, qui a fait reculer le Gouvernement.
Nous verrons dans un moment que la nouvelle rédaction de l'article 1er ne résout pas le problème posé et qu'elle infirme nombre d'arguments avancés.
M. le ministre déclare qu'il va tenter de redonner aux maires le pouvoir que l'amendement Mazeaud leur a retiré. Mais, si les maires sont, pour l'instant, mis à l'écart du processus de décision, à qui la faute, sinon à vous, monsieur le ministre ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue, vous vous approchez de la fin de votre temps de parole.
M. Guy Allouche. Monsieur le ministre, j'ai le regret de vous dire que vous n'êtes pas le plus qualifié pour condamner la désobéissance civique, pour appeller au respect de la loi et des décisions de justice quont on connaît votre attitude dans l'affaire Le Foll !
Qu'avez-vous fait contre les maires qui se vantaient de ne pas signer de certificats d'hébergement ? En tant qu'agents de l'Etat, avaient-ils le droit de prendre un engagement électoral signifiant qu'ils n'appliqueraient pas la loi ?
M. le président. Je vous demande à nouveau de bien vouloir conclure, mon cher collègue !
M. Guy Allouche. Je vais conclure, monsieur le président, mais je vous demande ...
M. le président. Je vous demande, moi, de respecter le règlement !
M. Guy Allouche. Monsieur le président, vous avez toutes les raisons de m'interrompre, mais je peux vous dire que, dans ces conditions, sur tous les articles et sur chaque amendement, je prendrai systématiquement cinq minutes de temps de parole.
M. Jean Delaneau. C'est du chantage !
M. le président. C'est votre droit, mon cher collègue, mais vous n'avez pas le droit, pour l'instant, de dépasser votre temps de parole quand je vous rappelle qu'il est en train de s'écouler, et qu'il est même épuisé.
M. Guy Allouche. Je vais donc conclure, monsieur le président.
Monsieur le ministre, vous n'êtes pas qualifié, je le disais, pour faire toutes les remarques que vous faites depuis le début.
Nos critiques ajoutées à celles de la majorité prouvent, s'il en est encore besoin, que le Gouvernement s'est laissé enfermer dans un piège. Monsieur le ministre, ce projet de loi est-il encore équilibré ? Assurément oui : pour 50 %, il est inefficace et, pour 50 %, il est inacceptable. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Robert Pagès. Très bien ! M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Le débat à l'Assemblée nationale a apporté à l'article 1er des changements de pure forme. Ce qui est présenté comme une concession au grand mouvement de protestation ne modifie en effet en rien, je tiens à le dire d'entrée, le fond de votre projet d'article 1er, monsieur le ministre.
Certes, vous avez, avec l'aide précieuse de M. Mazeaud, retiré la scandaleuse incitation à la délation, qui était incluse dans votre projet initial.
Ce recul réel est sans nul doute à mettre à l'actif du mouvement qui a pris l'ampleur que nous connaissons avec l'appel des intellectuels, qui a suscité un véritable sursaut citoyen.
Mais, sur le fond, le Gouvernement tient bon.
L'article 1er, de toute évidence, renforce le caractère policier du certificat d'hébergement. En transférant la responsabilité du certificat d'hébergement du maire au préfet, vous laissez entier, par exemple, le problème de la constitution de fichiers.
Les débats à l'Assemblée nationale ont confirmé - qui peut sincèrement. aujourd'hui, prétendre le contraire ? - l'existence future de fichiers d'hébergés, et, de ce fait, de fichiers d'hébergeants.
Les dénégations de la majorité sénatoriale n'effaceront rien. Le texte proposé par le paragraphe V de l'article 1er est, je le rappelle, ainsi conçu : « L'étranger hébergé remet le certificat d'hébergement dont il a bénéficié aux services de police, lors de sa sortie de territoire ».
Cette disposition, en particulier, entraîne, de fait, la constitution de fichiers. L'article 1er renforce donc encore le sentiment de traque, de surveillance continue qui pèse sur les étrangers en France.
Contrôle de nos frontières - il est nécessaire, qui aurait la folie de le contester ? - ne doit pas rimer avec atteinte aux libertés, remise en cause des droits de l'homme.
Nous aurons, lors de la discussion des amendements sur cet article, de nombreuses occasions de revenir sur cette proposition Debré-Mazeaud pour démonter sa nocivité.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je tenais d'entrée à rappeler notre totale opposition à ce texte, amendé ou non.
M. Paul Masson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Mon intervention de ce soir sera brève, car nous reviendrons sur le détail de l'article lors de la discussion de chacun des amendements.
Sur l'article 1er, je veux relever tout de suite une divergence d'interprétation entre M. Badinter et M. Pagès.
A en croire M. Badinter, le projet a foncièrement changé à partir de son article 1er et le coeur du dispositif en a été lui-même altéré.
Selon M. Pagès, il s'agit d'un changement de forme ; sur le fond, rien n'est changé.
Les divergences d'interprétation entre les deux orateurs des groupes de l'opposition sont donc manifestes.
M. Robert Pagès. Cela n'a rien d'étonnant ! Nous sommes pluriels !
Mme Danielle Bidard-Reydet. C'est la pluralité !
M. Paul Masson, rapporteur. Bien sûr !
On a parlé de recul du Gouvernement. Je laisse au Gouvernement le soin d'apprécier s'il a reculé ou non.
Sur le plan juridique, je fais toutefois observer à M. Badinter qu'il n'y a, à cet égard, aucun recul, aucune rupture de philosophie, aucune rupture de doctrine. Nous sommes dans la même filiation depuis 1985, avec l'interprétation du Conseil d'Etat, et, depuis 1993, avec l'interprétation du Conseil constitutionnel.
Jusqu'à aujourd'hui, le maire agit très exactement comme agent de l'Etat. Quant au préfet, c'est, lui aussi, un agent de l'Etat. A cet égard, et dans cette matière, ils sont donc tous deux des agents de l'Etat qui exercent une parcelle de la souveraineté nationale sous le contrôle du Gouvernement.
Effectivement, le Gouvernement a estimé que les circonstances le conduisaient à transférer du maire, agent de l'Etat, au préfet, agent de l'Etat, la responsabilité du visa d'hébergement, mais c'est exactement la même filiation.
Il en aurait été autrement, bien sûr, si le maire avait tenu son pouvoir des lois de décentralisation ou du code général des collectivités territoriales. Mais, en l'espèce, ce n'est pas le cas, et cela a été jugé deux fois.
Par conséquent, monsieur Badinter, je ne vois pas comment vous pouvez parler de bouleversement de la structure du texte, au seul motif que l'on transfère du maire au préfet la responsabilité d'exercer une obligation de souveraineté et une parcelle des prérogatives de l'Etat.
M. Claude Estier. Il n'y a pas que cela qui a été changé !
M. Paul Masson, rapporteur. J'y viens, monsieur Estier.
Vous ne comprendrez pas toute la philosophie du certificat d'hébergement si vous ne vous référez pas aux circulaires ministérielles de 1982 et 1991, qui interprètent, l'une et l'autre, des décrets puis en 1982 et en 1991.
Tout est dans ces textes, y compris - nous en reparlerons demain - les fichiers des hébergeants ! C'est très exactement dit dans le texte. Nous lirons demain la circulaire ministérielle ; elle est, à cet égard, explicite et d'une clarté absolue.
Dès lors, je ne comprends pas que l'on fasse un tel procès d'intention au ministre à ce sujet ; il est obligé de gérer la situation telle qu'elle a été générée par la circulaire de 1991, à tel point que la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, a été amenée à statuer sur la demande d'un certain nombre de maires qui, entre 1992 et 1994, et depuis encore, lui ont demandé d'informatiser leurs fichiers.
Et cela, ce n'est pas maintenant, ce n'est pas pour le futur, ce n'est pas dans l'imagination des gens ; c'est dans le rapport de la CNIL de 1994, à la page 179.
M. Guy Allouche. Vous le lirez, et vous verrez qu'elle n'a pas dit cela !
M. Paul Masson, rapporteur. Mes chers collègues, je vous demande de considérer objectivement la situation réelle.
Qu'a dit la CNIL ? Avant 1991, elle refusait. Intervient le décret de 1991 : la CNIL dit qu'il faut supprimer les observations nominatives, et celles-là seulement, un mois après l'expiration du délai pendant lequel l'étranger est en France, soit - trois mois de séjour plus un mois de délai - quatre mois. Les autres observations restent.
Nous y reviendrons demain, car je ne voudrais pas, à cette heure, entrer dans le détail des textes. Mais qu'on ne fasse pas, sur ce sujet, un mauvais procès au Gouvernement.
Nous reparlerons de l'espace Schengen en temps utile.
Franchement, le procès qui est fait à l'article 1er me paraît totalement déplacé. Il procède précisément de ce psychodrame par lequel tout est né parce que personne, à l'époque, voilà un mois et demi, ne s'est donné la peine de remonter aux sources et de rechercher l'origine du texte actuel.
Il est issu, effectivement, d'un dispositif antérieur : le Gouvernement a estimé que, à partir du moment où, dans des conditions très strictes - nous y reviendrons demain - l'hébergeant devait déclarer l'hébergé qui arrivait chez lui, il pourrait aussi déclarer sa sortie.
M. Claude Estier. C'est tout de même un changement important !
M. Paul Masson, rapporteur. Je ne vois pas en quoi cela ressemble à de la délation.
Et s'il devait y avoir délation, mon cher collègue, on pourrait penser qu'elle était aussi substantiellement contenue dans le dispositif élaboré en 1982 et confirmé en 1991, dans lequel il était explicitement demandé que l'hébergeant, lorsqu'il déposait sa demande auprès du maire, devait donner son numéro de téléphone personnel, son numéro de téléphone professionnel et que, en tout état de cause, une décision de refus entraînait obligatoirement la conservation de l'original de la pièce délictueuse dans un coffre spécial, de telle sorte que, le cas échéant, elle pouvait nourrir une procédure à l'encontre de celui qui avait fait une démarche obligatoire de par la réglementation de l'époque.
Je ne crois pas qu'on puisse, au travers de cette affaire, essayer de démontrer que le Gouvernement serait liberticide.
Objectivement, nous devons nous en tenir, très posément et très formellement, à l'analyse d'un texte qui n'est que la conséquence de dispositions datant de quinze ans. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Claude Estier. Pourquoi a-t-il changé entre-temps ?
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je n'avais pas du tout l'intention d'intervenir sur l'article 1er. Je tiens toutefois, maintenant, à faire la démonstration qu'il est parfois préférable de laisser un orateur s'exprimer quelques secondes de plus plutôt que de provoquer tout un groupe.
M. Gérard Braun. C'est du chantage !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce débat est important. Le rapporteur, le président de la commission et le Gouvernement peuvent s'exprimer aussi longtemps qu'ils le souhaitent. Tous appartiennent à la majorité actuelle.
Si donc, de temps en temps, nous avons, nous, besoin d'une minute de plus que ne le prévoit le règlement, je rappelle que ce même règlement vous donne, monsieur le président, la possibilité de nous l'accorder. Nous vous le demandions. C'est ma première observation.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je n'apprécie pas spécialement cette interpellation personnelle.
Vous n'avez rien demandé du tout. M. Allouche imposait la prolongation de son discours. Tel était peut-être son souhait, mais en aucun cas son droit.
M. Guy Allouche. Faites preuves d'autorité et non pas d'autoritarisme, monsieur le président !
M. Gérard Braun. M. Dreyfus-Schmidt est mal placé pour en parler !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne vous demande pas, monsieur le président, d'apprécier ou non mes propos.
Je demande au président de séance - et j'ai le droit de la faire - d'avoir l'amabilité de nous laisser les quelques minutes dont nous pouvons avoir besoin compte tenu du déséquilibre inhérent à ce débat puisque la majorité s'exprime quand elle le veut et aussi longtemps qu'elle le veut et que l'opposition ne le peut pas.
Le règlement, je le répète, donne au président de séance la possibilité de laisser les orateurs s'exprimer autant qu'il le veut, lui président. Nous avons donc le droit de demander au président de ne pas nous couper brusquement le micro dès lors que notre temps de parole est écoulé, de nous laisser au moins terminer notre phrase.
Ma seconde observation porte sur le fait de savoir, s'agissant de l'article 1er, si nous sommes les affreux laxistes que vous dénoncez, monsieur, à longueur de journée ou si, au contraire, nous partageons votre philosophie et si nous avons mis en place des systèmes efficaces pour limiter l'immigration clandestine.
Vous ne pouvez pas jouer sur les deux tableaux : nous reprocher certaines mesures qui s'apparenteraient aux vôtres et prétendre dans le même temps que nous sommes des laxistes. Là aussi, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il faut choisir.
Une polémique est née de l'évocation de Vichy. Lorsque j'entends M. Bonnet reprocher à certains d'entre nous de l'avoir fait pour, ensuite, prétendre que les vrais intellectuels seraient non seulement Sartre et Arago, mais également Céline et Drieu la Rochelle, je me dois tout de même de lui dire que c'est de la provocation. Drieu la Rochelle et Céline me rappellent précisément l'époque de Vichy, et j'ai le droit de le dire.
M. Jean-Jacques Hyest. C'étaient tout de même des intellectuels !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Chacun a l'opinion qu'il veut !
J'en viens à ma troisième observation.
Les lois Pasqua ont fabriqué des sans-papiers. Celui qui en était rapporteur l'est également sur ce projet. Il fait son travail le mieux possible. Je dois dire toutefois que, si j'avais été à sa place, je n'aurais pas accepté, cette fois, ce rôle.
En effet, c'est le procès de ce qu'il nous a fait faire en 1993, par deux lois dont il était le rapporteur, qui est fait aujourd'hui puisque c'est à cause de ces lois Pasqua que nous sommes obligé de recommencer.
S'agissant du fichier, est-ce un fichier municipal, départemental ou national ? Vous nous avez dit que ce n'était pas un fichier national. Pourtant, ces papiers, on les rendra. Où le fera-t-on ? On ne sait pas.
En tout cas, ce sera à la sortie du territoire. Les services de police qui seront ou non à la sortie du territoire renverront-ils les documents au département, à la commune ? Qu'en feront-ils ?
Quant à moi, depuis le début de ce débat, je n'ai pas encore compris à quoi servait votre système, moins encore d'ailleurs, lorsque je lis ce fax qu'une personne ayant enfin obtenu son visa adresse à son ami pour lui dire que, ne voulant pas lui attirer d'ennuis, plutôt que se servir de son certificat d'hébergement, elle préfère retenir une chambre d'hôtel pour ses deux premières nuits et qu'ensuite elle avisera.
Et c'est ainsi que cela se passe. Or, si un étranger descend à l'hôtel, il n'a pas besoin de certificat d'hébergement. Il a parfaitement le droit de ne passer qu'une nuit à l'hôtel et ensuite d'aller chez qui il veut. Il n'a pas besoin de faire de déclaration ni à l'entrée ni à la sortie du territoire.
Monsieur le ministre, ceux que vous allez ennuyer, seront les gens de bonne foi. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, quitte à vous déplaire, je vous invite à conclure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je conclus en effet.
Mais, de tous ces irréguliers dont vous nous avez parlé tout à l'heure, ces irréguliers qui ont été arrêtés, certainement aucun n'était venu muni d'un certificat d'hébergement. Nul doute qu'ils étaient passés par l'Espagne grâce à des filières, et non pas sur présentation de certificats d'hébergement.
Dès lors, votre article 1er, première ou deuxième manière, permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, ne sert à rien dans la lutte, qui nous est commune, contre l'immigration irrégulière. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Mes amis ont bien dit, je crois, tout ce que cet article comporte, à l'analyse, d'inutilisable, de tracassier et, au fond, d'inefficace. Pour ma part, je veux revenir sur les réactions qu'a suscitées cet article et stigmatiser la manière dont vous en avez parlé, monsieur le ministre.
En effet, si vous avez voulu me traiter par l'ironie tout à l'heure, après avoir laissé entendre que peut-être j'aurais exagéré sur la façon dont vous et vos amis vous avez entouré ce débat, le moment est tout de même venu de stigmatiser ce que vous avez cru nécessaire de redire ici, les uns et les autre à la tribune.
Comment, dans un pays où en raison de la tradition démocratique on a l'habitude d'exprimer son émotion, parfois vivement, parfois fortement et jusque dans la rue, comment peut-on, d'une tribune comme la nôtre, parler des intellectuels comme vous le faites ?
Mes chers collègues, vous avez employé à l'Assemblée nationale comme dans cet hémicycle des mots qui sentent mauvais.
Mme Paulette Brisepierre. Oh !
M. Jean-Luc Mélenchon. Au Palais-Bourbon, M. Marc Fraysse, parlant des mouvements insurrectionnels des intellectuels, les désigne comme étant « des protestations très médiatisées de quelques artistes siliconés et autres intellectuels en mal de publicité ».
Nous qui nous flattons et nous honorons d'être des intellectuels, nous reconnaissons ce vocabulaire. Nous savons de quel climat il participe.
Notre collègue M. Bonnet m'aura offert une occasion nouvelle de renouer avec les sentiments de ma jeunesse, alors que, ministre de l'intérieur, il ne citait pas encore Mme Laguiller dans les termes qu'il utilise aujourd'hui. Aujourd'hui, pour désigner ceux qui se mobilisent dans notre pays, il parle des « récidivistes de la pétition », des « personnages en mal de publicité », de la « cohorte de pseudo-intellectuels ». En effet, comme chacun le sait, notre collègue M. Bonnet est habilité à distinguer l'intellectuel du pseudo-intellectuel.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il connaît Céline et Drieu la Rochelle !
M. Emmanuel Hamel. M. Bonnet est un grand intellectuel !
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh bien ! ce vocabulaire d'argousin sent à plein nez la haine de l'intellectuel et la méfiance à son égard, nous rappelle trop ce petit seuil vite franchi au-delà duquel il est si fréquemment assimilé au cosmopolitisme, aux métèques, à tous ceux dont on ne contrôlerait pas assez bien et d'assez près les sentiments qu'ils expriment.
Au demeurant, il vous aura fallu à ce sujet non seulement citer les anges déchus de la littérature, notamment Drieu la Rochelle - il n'y manquait que Brasillach, qui, lui, finit sa triste carrière devant un poteau d'exécution ! -, il vous aura fallu appeler à la rescousse le général de Gaulle lui-même, pour le citer à l'Assemblée nationale - je veux le croire, hors de son contexte et sans qu'à cet instant j'aie vraiment la preuve que c'est bien dans ces termes qu'il s'exprimait - et, d'intervention en intervention, dramatiser le propos et le tirer d'un côté que je juge insoutenable.
Ainsi, Mme Suzanne Sauvaigo juge opportun de citer le général de Gaulle pour lui faire dire à ce sujet : « C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns - ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a une vocation universelle -, mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même et avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. »
M. Jean-Marie André, embrayant sur ce propos...
M. Gérard Braun. Nous ne sommes pas à l'Assemblée nationale ?
M. le président. Monsieur Mélenchon, je vous invite à conclure.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh bien ! je me contenterai à cet instant de M. Jean-Marie André !
« Que l'on ne me raconte pas d'histoire, fait-il dire également au général de Gaulle. ... Ceux qui prônent l'intégration ont une cervelle de colibri... Essayez d'intégrer de l'huile et du vinaigre !... Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans qui, demain, seront vingt millions et après-demain quarante ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées. »
C'est tout cela qui est présent à l'esprit de nos concitoyens. Contrairement à ce que vous nous avez dit, monsieur le ministre, quand vous prétendez vous attaquer à l'immigration clandestine, tout le monde sait que, d'une certaine façon, c'est à toute la France que vous vous attaquez ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, sont encore inscrits sur l'article 1er Mme Dusseau et M. Badinter. Je me demande si l'application de l'article 38 de notre règlement, qui prévoit la clôture de la discussion dans certaines conditions, ne se profile pas à l'horizon.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Parlant sur l'article 1er, je m'interrogerai d'abord sur son efficacité. Je rappellerai à cet égard quelques chiffres.
En 1995, il y a eu 130 000 certificats d'hébergement et 1 300 000 visas de courts séjours en France. En d'autres termes, les certificats d'hébergement ne représentent que 10 % des visas de courts séjours délivrés en France en 1995.
Il est un autre chiffre sur lequel nous devons réfléchir avant de nous prononcer sur cet article - ces données qui ont été analysées par la CIMADE -, 10 % seulement des clandestins en instance de reconduite à la frontière sont entrés avec des visas. Donc, en fait, 90 % de ces clandestins en instance de reconduite à la frontière étaient entrés en France sans visa.
Si l'on combine ces deux chiffres - 10 % de clandestins en instance de reconduite à la frontière titulaires de visa et 10 % de clandestins munis d'un certificat d'hébergement -, cela nous amène pour les clandestins à 1 % !
La question que je pose est la suivante : qui va gêner le dispositif que nous mettons en place ? Certainement pas les clandestins, qui pénètrent sur notre territoire d'une autre manière, sans certificat d'hébergement, sans visa. Non ! Ce dispositif va gêner les autres, les personnes en situation régulière. Cela sera une formalité de plus, de la paperasserie supplémentaire.
Dans ces conditions, si ce dispositif est aussi peu efficace, comme les chiffres tendent à le prouver, pourquoi s'y cramponner ainsi ? J'attribue à cette attitude, pour ma part, deux explications possibles.
La première est envisageable : le Gouvernement s'était beaucoup avancé et, au fond, il n'a pas voulu se déjuger complètement ; il n'a pas voulu reconnaître qu'il avait fait un pas de clerc et rebrousser chemin. Cette explication est possible, je ne l'écarte pas, mais M. le ministre pourra lui-même nous la confirmer éventuellement.
Il est une seconde explication. Cet article, en dehors de toute considération d'efficacité, dissimulerait des intentions non dites ou non écrites. Je pense alors à ce problème de fichier, départemental, national ou municipal. Tout tourne autour de ce fichier.
De deux choses l'une : ou bien le ministre reconnaît son pas de clerc et retire ce dispositif-là ; ou bien il le maintient, ce qui signifie que ce fichier dissimule bien certaines intentions, quelles que soient les prises de position des élus, monsieur Masson, ou de la CNIL.
Mes chers collègues, il vous faut bien réfléchir à tout cela. Même si de telles intentions ne sont pas celles des gouvernants d'aujourd'hui, songez qu'une fois que vous aurez mis en place le dispositif, certains pourraient s'en servir demain.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je retournerai un instant avec précision au texte.
Monsieur le rapporteur, je comprends parfaitement que vous ne puissiez porter une attention constante à tous les propos que nous tenons. Permettez-moi simplement de reprendre le propos que j'ai tenu tout à l'heure concernant le coeur du dispositif de la loi. Et Dieu sait qu'il a soulevé en cet instant l'ire, il est vrai facile à soulever, de M. de Rohan. Le coeur de ce dispositif, c'était bien l'obligation faite à l'hébergeant de dénoncer - vous vous rappelez ce qu'il est advenu au prononcé de ce mot, pourtant, dans le Littré, très clair, et pour les juristes plus encore - donc de dénoncer à la mairie le départ de son hôte.
Ce n'était pas le problème de ce que j'appellerai « le premier étage de la fusée », c'est-à-dire le fait de savoir à quelle autorité on va demander le visa ; c'était l'adjonction qui était la nouveauté législative de ce projet, à savoir l'obligation pour l'hôte de dénoncer le départ de celui qu'il reçoit chez lui.
C'est cela, vous le savez, qui a soulevé et les réserves du Conseil d'Etat et les protestations que nous connaissons. C'est cela qui a disparu dans le système que M. Mazeaud a proposé, et qui a été retenu.
Ce système est aujourd'hui en question. Or, je tiens à le dire à la Haute Assemblée, il ne pourra pas fonctionner. Il est illusoire ; il est « déceptif » et il est facile de s'en rendre compte.
Je laisse de côté le problème du visa lui-même. Nous vivions, vaille que vaille, avec le système du visa du certificat d'hébergement délivré par le maire.
On sait l'inquiétude née récemment devant certains dévoiements et la perspective affirmée par des maires appartenant au Front national qu'aucun certificat d'hébergement ne soit visé par eux de manière à interdire la présence de tout visiteur chez les immigrés résidant dans leur commune. Face à ces dangers, je dois rappeler à la Haute Assemblée qu'il existe des possibilités de ripostes.
D'abord, cet acte, vous l'avez rappelé à juste titre, monsieur le rapporteur, qui s'inscrit dans le cadre de l'exercice de l'autorité de l'Etat par le maire, peut par conséquent, faire l'objet d'un recours juridictionnel. Mais il y a plus. Comme nous sommes dans le cadre de l'exercice de l'autorité de l'Etat, on peut demander par voie de recours hiérarchique au préfet de se prononcer.
Enfin, dans les cas les plus graves, on pourrait même aller jusqu'à envisager à l'encontre de tel ou tel maire des sanctions, et elles peuvent être prises jusqu'en conseil des ministres.
Nous n'étions pas et nous ne sommes toujours pas dépourvus de moyens d'agir contre ce que les maires du Front national ont annoncé et qui serait le cas le plus saisissant de violation d'une disposition à valeur législative.
Je pense qu'à cet égard la fermeté dont on veut faire preuve à l'encontre des immigrés clandestins sera la même à l'encontre de maires qui violeraient la loi.
Cela dit, l'innovation proposée par M. Mazeaud - et, je le dis encore une fois, il sait que j'ai de la considération juridique et amicale pour lui, mais il arrive qu'il se trompe - ne peut pas aboutir. Croire qu'en imposant à l'hébergé, au visiteur, de donner à sa sortie du territoire le certificat d'hébergement permettra de savoir qu'il est parti, c'est complètement illusoire.
Dans cette perspective, deux cas se présenteront.
Le premier concerne ceux qui, s'en allant, estiment qu'ils ne reviendront pas. Dans ces conditions, à quoi bon envoyer le certificat d'hébergement ? Comme ils n'auront pas envoyé le certificat d'hébergement, la conviction sera qu'ils se trouvent encore sur le territoire français. On les recherchera et où ira-t-on ? Chez l'hébergeant bien sûr ! Vous imaginez ce qui en résultera pour ceux qui recevront de telles visites, qui feront l'objet de telles investigations ? Et ils seront soit des Français, soit des immigrés.
M. le président. Monsieur Badinter, je vous invite à conclure !
M. Robert Badinter. Je conclus, mais je prendrai de nouveau la parole lors de l'examen des amendements pour poursuivre sur ce thème.
Le second cas concerne l'hébergé qui, lui, aura décidé de rester sur le territoire français. Après avoir posté la lettre à destination du préfet, il s'évanouira dans la nature.
Du point de vue de l'autorité administrative, ses représentants auront reçu la lettre et, par conséquent, seront convaincus qu'il a quitté le territoire français alors qu'il sera, lui, entré dans l'illégalité.
Donc, ce système ne peut produire aucun résultat.
Le dispositif imaginé pour pallier la dérobade, la retraite que j'évoquais tout à l'heure, le recul, ou la défaite, si vous préférez, à savoir la tentative de camouflage dans un système juridique complexe, ne résiste pas à l'analyse.
Ce que vous nous proposez est à la fois illusoire et déceptif.
M. Paul Masson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Je tiens à faire remarquer à M. Badinter que toute la polémique qu'il a organisée dans cette affaire - lui et d'autres, mais lui encore ce soir - tient à un seul mot, qui a effectivement une décharge émotionnelle considérable. En effet, alors que le texte mentionne le mot : « déclaration », M. Badinter parle de « dénonciation ».
M. Michel Rocard. Tout à fait !
M. Paul Masson, rapporteur. Il persiste ainsi constamment à enfoncer le clou avec ce terme de « dénonciation ». (M. Robert Badinter proteste.)
J'observe, mon cher collègue, que si nous avions fait la même chose du temps où nous étions dans l'opposition...
M. Claude Estier. Vous vous en êtes privés !
M. Paul Masson, rapporteur. ... quand vous avez dit « déclaration » pour l'hébergeant qui devra donner le nom de l'hébergé, sa filiation et sa parenté, nous aurions pu, nous aussi, substituer au mot « déclaration » le mot « dénonciation ». Or nous ne l'avons jamais fait parce qu'il est honnête de dire ce que contient un texte et qu'il est désagréable - pour ne pas dire plus, monsieur Badinter - d'interpréter un texte et d'en faire un brûlot qui enflamme l'opinion. (Protestations sur les travées socialistes.) Voilà tout ce que je voulais dire ce soir. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. En application de l'article 38, je demande la clôture de la discussion sur l'ensemble de l'article 1er.
Je consulte le Sénat sur cette demande.

(La clôture est ordonnée.)
M. le président. M. le ministre m'a fait savoir qu'il répondrait demain aux orateurs.
La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

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