M. le président. « Art. 7. - Le septième alinéa (4° ) de l'article 31 bis de la même ordonnance est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Constitue, en particulier, un recours abusif aux procédures d'asile la présentation de demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes. »
Sur l'article, la parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet article 7 est tout simplement curieux. Le texte en vigueur précise que l'admission en France d'un demandeur d'asile - vous voyez que nous sommes dans le statut du droit d'asile - ne peut être refusée que si « la demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente ». C'est le 4°, et il est clair !
On nous propose d'ajouter l'alinéa suivant : « Constitue en particulier un recours abusif à la procédure d'asile, au sens du présent article, la présentation frauduleuse de plusieurs demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes. »
Donner dans la loi un exemple du cas général visé à l'alinéa précédent est tout de même une technique législative curieuse.
La formulation : « Constitue en particulier un recours abusif (...) la présentation frauduleuse de plusieurs demandes » signifie qu'il existe d'autres cas de recours abusif. En l'occurrence, la présentation frauduleuse de plusieurs demandes est donnée en exemple.
M. Masson nous éclaire dans son rapport écrit. On peut en effet lire dans ce dernier les phrases suivantes :
« Il pouvait sembler que la rédaction du 4° de l'article 31 bis - c'est celui que je vous ai lu - aurait dû suffire à permettre le rejet de demandes de ce type.
« La résolution des ministres des Etats de l'Union européenne responsables de l'immigration sur les demandes d'asile manifestement infondées, prise à Londres le 30 novembre 1992, dont a été directement inspiré le 4° de l'article 31 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, retient cette interprétation. »
Encore une fois, s'il y a plusieurs demandes d'admission de séjour, il y a évidemment une fraude !
Cette résolution des ministres des Etats de l'Union européenne « considère, en effet, que constitue un recours abusif aux procédures d'asile le cas où le demandeur a, sans raison valable, délibérément omis de signaler qu'il avait précédemment présenté une demande dans un ou plusieurs pays, notamment sous de fausses identités ».
Vous avez bien entendu, monsieur le rapporteur, et j'attire votre attention sur les mots : « sans raison valable ». Cela signifie donc qu'il peut y avoir des raisons valables et que la présentation de plusieurs demandes sous plusieurs identités n'est donc pas forcément abusive. Chaque cas doit être examiné : il peut y avoir des erreurs, d'identité notamment.
Cela me paraît aller de soi, et c'est également votre avis, monsieur le rapporteur. C'est peut-être d'ailleurs pourquoi vous souhaitez le rétablissement de l'adjectif « frauduleuse » que l'Assemblée nationale a supprimé.
Je poursuis la lecture du rapport écrit :
« Néanmoins, deux arrêts du Conseil d'Etat (12 décembre 1986 et 9 février 1994) n'ont pas reconnu les fraudes à l'identité parmi les motifs de refus de la demande. »
Je n'ai pas eu le temps de lire ces deux arrêts du Conseil d'Etat, qui ne figurent pas en annexe au rapport écrit et qui viennent de m'être communiqués.
Mais il me semble tout de même suffisant - n'est-il pas vrai ? - que les travaux préparatoires, ici, affirment que, sans raison valable, c'est un recours abusif que de présenter une demande frauduleusement sous plusieurs identités. Mais ce n'est pas la peine de l'inscrire dans la loi, car, sinon, la loi aurait vraiment une drôle d'allure ! N'est-il pas vrai, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je voudrais répondre à M. Dreyfus-Schmidt. L'article 7 est-il nécessaire ? A mon avis, oui, et ce pour répondre à une question concrète : comment traiter les demandes d'asile formulées en préfecture par des étrangers se présentant sous des identités différentes à seule fin d'obtenir un récépissé de la préfecture pour blanchir un séjour irrégulier ?
Les demandes d'asile multiples constituent-elles un phénomène marginal ? Malheureusement non, comme le montre le fait que plus de 5 % des demandes d'asile émanent de personnes s'étant présentées sous des identités multiples.
Dès lors, peut-on agir sur le fondement du texte actuel ? Ce point est contestable, car le Conseil d'Etat n'a jugé qu'une fois de l'application de l'article 31 bis, 4°, par deux décisions du 2 octobre 1996, et ce dans un sens plutôt restrictif.
C'est d'autant plus important que, dans l'arrêt « Tschibangu » du 12 décembre 1986, il a estimé qu'une deuxième demande formulée sous une identité différente par une même personne ne pouvait être considérée comme irrecevable.
Il faut donc bien en venir à clarifier l'interprétation de l'article 31 bis dans le cas qui nous occupe. On ne peut s'appuyer sur le texte actuel, et c'est pourquoi l'article 7 est nécessaire.
M. le président. Sur l'article 7, je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 140 est présenté par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 206 est déposé par Mme Dusseau.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 25, M. Masson, au nom de la commission, propose, dans le texte présenté par l'article 7 pour compléter le septième alinéa (4°) de l'article 31 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, de remplacer les mots : « présentation de demandes » par les mots : « présentation frauduleuse de plusieurs demandes ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 140.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai écouté avec beaucoup d'attention M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Comme toujours !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En même temps que je l'écoutais, je lisais l'arrêt « Tschibangu ».
J'ai parfaitement compris ce que veut dire le Conseil d'Etat. Surtout, laissons le Conseil d'Etat continuer à dire ce qu'il dit !
En l'occurrence, ce n'est pas parce qu'une fraude a été commise à l'occasion de la deuxième demande que la première n'était pas fondée : « En l'espèce, la commission des recours des réfugiés s'est bornée à estimer, par la décision attaquée, que la fraude commise à l'occasion de la seconde demande de M. Tschibangu avait pour effet de priver l'intéressé de tout droit au bénéfice de l'application à son profit de la convention de Genève, sans rechercher si la première demande était elle-même entachée de fraude. Elle n'a ainsi pas donné de base légale à sa décision. »
Le deuxième arrêt, en date du 9 février 1994, est à peu près du même ordre. Voici ce qu'indique le sommaire de l'arrêt « Mme Chuong » : « Si la commission des recours des réfugiés peut légalement se fonder sur les changements intervenus dans les déclarations d'un étranger concernant son identité pour apprécier au fond si les faits allégués sont établis, elle ne peut, sans entacher sa décision d'erreur de droit, se fonder sur l'article 18 du décret du 2 mai 1953 pour déclarer le recours irrecevable en raison de ces changements. »
C'est tout ! Il faut donc examiner le fond ! Par conséquent, plutôt que de chercher à contourner les arrêts du Conseil d'Etat parce qu'ils ne disent pas qu'il est frauduleux de présenter plusieurs demandes sous des noms différents et qu'ils invitent à regarder si la première demande était fondée ou non, il faut surtout sauvegarder cette jurisprudence ! Il ne faut donc absolument pas voter l'article 7, qui est curieux.
En effet, si la demande d'asile repose sur une faute délibérée, aucun problème ne se pose alors, dans la mesure où le droit d'asile ne doit pas être accordé. Mais si la fraude délibérée n'est pas à la base de la requête et que cette dernière est fondée, il faut évidemment accorder le droit d'asile. Il faut donc supprimer l'article 7.
Certes, la commission propose d'ajouter le mot « frauduleuse », et cet article restera donc en navette. C'est un moindre mal, car, franchement, ce point mérite qu'on s'y arrête et qu'on lise de près les deux arrêts du Conseil d'Etat de 1986 et de 1994, afin de constater que les explications que j'ai développées sont fondées et qu'il y a lieu de supprimer purement et simplement cet article.
Telle est en tout cas ma conviction, et je vous remercie de voter en ce sens, mes chers collègues.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. M. Dreyfus-Schmidt veut maintenir le droit d'admission au séjour des demandeurs multiples et frauduleux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non, seulement si leur demande est fondée !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Moi, je ne le veux pas, voilà ce qui nous sépare !
M. le président. L'amendement n° 206 est-il soutenu ?...
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 25 et donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 140.
M. Paul Masson, rapporteur. Je crois que M. Dreyfus-Schmidt a défendu mon amendement... (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Paul Masson, rapporteur. L'amendement n° 25 vise simplement à rétablir la notion de présentation frauduleuse de plusieurs demandes, qui figurait dans le projet de loi initial, et, ainsi, à rendre à ce texte toute son ampleur et tout son objet.
Il est par ailleurs intéressant d'examiner le raisonnement de M. Dreyfus-Schmidt.
Notre collègue déclare qu'il y a des arrangements entre chefs d'Etat et de gouvernement, mais que ces arrangements n'ont pas de valeur normative.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Paul Masson, rapporteur. Le Conseil d'Etat, dans son arrêt tout récent du 6 décembre 1996, déclare que, « par suite, le ministre de l'intérieur (...) ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer (...) les résolutions des 30 novembre et 1er décembre 1992 des ministres des Etats membres de la Communauté dépourvues de valeur normative ».
Le Conseil d'Etat ne reconnaît donc pas qu'un document diplomatique par lequel les chefs d'Etat et de gouvernement s'organisent pour adopter une procédure identique a une valeur normative.
La commission, quant à elle, considère que la loi, à cet égard, est supérieure à une interprétation que peut donner le Conseil d'Etat, quelle que soit la noblesse de cette institution, que personne ne conteste. Mais vous m'accorderez, mon cher collègue, que la loi est supérieure à un jugement portant sur une interprétation de la loi ; c'est tout le fond du débat.
Nous avons le droit de préciser que constitue un recours abusif aux procédures d'asile la présentation frauduleuse de plusieurs demandes sous des identités différentes. Cela confirme effectivement la loi et la précise, ce qui me paraît tout à fait ressortir à la responsabilité du Parlement.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 140.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 140 et favorable à l'amendement n° 25.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 140.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous travaillons mal !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous lisons le rapport de M. Masson, qui est copieux et qui vise deux arrêts du Conseil d'Etat, en date, l'un, du 12 décembre 1986, l'autre, du 9 février 1994. Je les demande, et on me les communique. Puis M. le rapporteur se lève et fait état d'un arrêt du 6 décembre 1996 qui n'est pas cité dans son rapport et que je ne connais donc pas !
M. Paul Masson, rapporteur. Et pour cause !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Et alors ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le ministre, si l'on veut discuter d'un problème, mieux vaut quand même disposer de tous les éléments !
Si je comprends bien - c'est tout de même très important - le Conseil d'Etat confirme par cet arrêt de 1996 ce qu'il avait déjà décidé en 1986 et en 1994 : le fait d'être saisi de plusieurs demandes, dont certaines sont frauduleuses, n'exclue pas que l'une d'entre elles puisse ne pas l'être, et qu'il faut, par conséquent, examiner le fond.
Mais ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! Je n'ai pas dit qu'il fallait accorder le droit d'asile à une personne qui ne le mérite pas : j'ai dit qu'il ne fallait pas le refuser à quelqu'un qui le mérite au motif qu'il aurait présenté plusieurs demandes. Ce n'est pas la même chose, et c'est très exactement, me semble-t-il, ce que le Conseil d'Etat a décidé par trois fois - en 1986, en 1994 et en décembre 1996 - c'est-à-dire au terme d'une jurisprudence dont on peut dire qu'elle est constante.
Il faut donc véritablement renoncer à ce second alinéa de l'article 7.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 140, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voterai l'amendement n° 25, pour que l'article 7 fasse l'objet de la navette !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7, ainsi modifié.
(L'article 7 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance suspendue, à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)