M. le président. Art. 3 ter . _ Après l'article 15 bis de la même ordonnance, il est inséré un article 15 ter ainsi rédigé :
« Art. 15 ter . _ La carte de résident peut être retirée à l'employeur ayant occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l'article L. 341-6 du code du travail. »
Sur l'article, la parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous n'allons pas recommencer l'ensemble des débats.
L'article 3 bis permet à l'administration de retirer la carte de séjour temporaire, et l'article 3 ter permettrait, s'il était adopté, de retirer la carte de résident.
Vous n'allez certainement pas faire de différence ; vous aurez à dire s'il y a, en la matière, expulsion possible ou non.
Tout à l'heure, Guy Allouche disait que ne seraient pas expulsables ceux qui ne sont pas expulsables. Mais si ! Car l'article 25 prévoit que s'il y a condamnation à un seul jour de prison, il peut y avoir expulsion. Mais, me direz-vous sans doute, s'il y a condamnation à une amende de 100 francs, les condamnés ne seront pas expulsables en vertu de l'article 25. Cela constitue une précarisation.
En effet, qu'aurez-vous créé ?... Un sans-papier ! L'étranger qui aura été condamné, pour avoir employé un étranger irrégulier, à une peine de prison ferme, quelle qu'en soit la durée, se verra retirer sa carte de résident, mais il ne sera pas expulsable en vertu de l'article 25 ; c'est-à-dire que vous aurez créé un nouveau sans-papier. C'est très exactement cela.
Franchement, si nous sommes vraiment là pour empêcher qu'il puisse y avoir encore des sans-papiers inexpulsables, il n'est peut-être pas très opportun d'en créer de nouveaux. Or c'est très exactement ce que vous faites. Continuez !
M. le président. Sur l'article 3 ter, je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 64 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 121 est présenté par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 198 est présenté par Mme Dusseau.
Tous trois tendent à supprimer l'article 3 ter.
Par amendement n° 122 rectifié, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le texte présenté par l'article 3 ter pour compléter l'article 15 ter de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : « en violation des dispositions de », par les mots : « ayant fait l'objet d'une condamnation définitive à l'infraction prévue par ».
M. le président. La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 64.
M. Robert Pagès. Les arguments ont été déjà largement développés, aussi raccourcirai-je mon propos...
Plusieurs sénateurs du RPR. Oui !
M. Robert Pagès. Je peux l'allonger si vous le souhaitez, mes chers collègues.
Plusieurs sénateurs du RPR. Non !
M. le président. Ne découragez aucune bonne volonté, je vous prie.
M. Robert Pagès. Ce second article vise une catégorie un peu différente de celle dont traitait le précédent.
Je rappellerai notre position fondamentale : dans tous les cas, il faut sanctionner indiscutablement les atteintes au droit du travail.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Robert Pagès. De ce point de vue, nous ne faisons preuve d'aucun laxisme.
Ces sanctions seraient certainement plus efficaces si elles s'appuyaient sur un corps d'inspecteurs du travail bien payé, bien étoffé et bien doté. Ce n'est pas le cas à notre avis.
Dans cet article, il nous est proposé, au contraire, des sanctions de type administratif qui - si vous me permettez l'expression - versent une louche supplémentaire...
M. René-Georges Laurin. Allouche ? (Sourires.)
M. Robert Pagès. ... sur la tête du coupable parce qu'il est étranger. C'est cela que je veux dénoncer et qui motive notre amendement de suppression.
Il n'y a pas à faire de différence entre un coupable étranger et un coupable français. Il nous semble qu'il s'agit là d'un grand principe républicain d'égalité que nous devons sauvegarder.
Je le rappelle : les sanctions existent, et elles ne sont pas légères. Appliquons-les à bon escient et dans la pleine égalité !
Voilà pourquoi il faut absolument voter cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 121.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suis intervenu sur l'article 3 ter et j'ai dit pourquoi il fallait le supprimer. Je ne m'expliquerai donc pas davantage. (« Très bien ! » « Bravo ! » sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau, pour présenter l'amendement n° 198.
Mme Joëlle Dusseau. Nous sommes toujours dans un domaine capital, puisqu'il a trait à la différence entre la justice et l'administration, entre le droit et l'arbitraire.
Nous devons avoir bien présent à l'esprit que ce projet de loi met en place toute une série de mesures qui permettent à la police de pénétrer dans les locaux et à l'administration de prendre ensuite telle ou telle décision.
Voici le type d'Etat que nous sommes en train de créer : un Etat dans lequel l'arbitraire va régner. C'est le contraire d'un Etat de droit, dans lequel la justice décide des peines.
Pourtant, la justice peut jouer son rôle, nous le savons bien. Il existe en effet un arsenal de lois qui prévoient, à juste titre, des condamnations très fermes telles que des peines d'emprisonnement et des amendes. Ces condamnations entraînent des conséquences, que nous connaissons et que nous ne cessons de rappeler pour que vous l'entendiez mieux. Mais, visiblement, vous ne souhaitez pas l'entendre.
Vous savez qu'un employeur illégal condamné à une peine d'emprisonnement se voit retirer son titre de séjour et sa carte de résident. Vous savez aussi que la justice est la seule façon pour un prévenu de se défendre et de présenter ses arguments.
Cependant, là, par les dispositions que vous mettez en place, vous faites obstacle à la procédure judiciaire et vous instituez un système arbitraire, dans lequel la police et l'administration prennent des décisions qui, en dépit de ce que prétendent M. le président de la commission des lois et M. le ministre de l'intérieur, ne seront pas contestables.
Enfin - je reprends ainsi un argument de M. Dreyfus-Schmidt, qui me paraît capital - on est en train de créer une nouvelle catégorie de « ni régularisables ni expulsables ».
Selon M. le ministre, ce projet de loi a pour objet de faire disparaître ce type de situations. Mais, en l'occurrence, il aboutit à créer une catégorie supplémentaire !
Est-ce bien raisonnable ? Je ne le crois pas ! Mais je ne crois pas non plus que vous soyez capables d'entendre des arguments raisonnables. (Rires sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme ben Guiga, pour défendre l'amendement n° 122 rectifié.
Mme Monique ben Guiga. Pour défendre cet amendement, je citerai un texte intéressant, qui émane du syndicat des juridictions administratives. Que dit ce syndicat ? (Murmures sur les travées du RPR.)
Peut-être le mot « syndicat » vous semble-t-il suspect ! Pourtant, il s'agit du syndicat des juridictions administratives, qui, par principe, est bien placé pour connaître des sanctions concernant l'emploi irrégulier d'étrangers.
Selon ce syndicat, « les sanctions concernant l'emploi irrégulier d'étrangers existent et les pouvoirs publics disposent déjà d'un arsenal pénal impressionnant en la matière.
« Ces sanctions sont appliquées par les tribunaux qui peuvent, le cas échéant, assortir la peine principale qu'ils prononcent d'une interdiction du territoire.
« De plus, par dérogation à la règle qui veut qu'un étranger ne puisse être expulsé s'il n'a pas été condamné à une peine d'au moins un an de prison ferme, il peut l'être dès lors qu'il a été condamné à une peine d'emprisonnement ferme d'une durée quelconque pour emploi d'un étranger démuni d'autorisation de travail, c'est l'article 23 de l'ordonnance.
« Donner au préfet la possibilité de retirer un titre de séjour pour ce motif serait extrêmement grave.
« D'une part, cela reviendrait à confier à une autorité administrative les pouvoirs qui doivent revenir à l'autorité judiciaire, puisque le texte ne prévoit pas que l'intéressé doit avoir été condamné pour un tel délit mais seulement qu'il doit être en infraction avec la disposition visée du code du travail : autrement dit, c'est le préfet qui constate l'infraction !
« D'autre part, ce pouvoir s'exercerait sans aucune garantie, puisque le seul contrôle s'exercerait, comme toujours en matière de titres de séjour, a posteriori. La censure de la décision préfectorale n'interviendrait que plusieurs années après, avec toutes les conséquences qui en résultent.
« Enfin, la possibilité de retirer le titre de séjour n'est enserrée dans aucune condition. Autrement dit, un étranger qui a toutes ses attaches en France pourrait se voir retirer son titre alors que, pour cette raison, il est en principe inexpulsable. »
Je vous le répète : nous sommes en train de créer une nouvelle catégorie d'étrangers sans papiers, donc en situation irrégulière, mais non expulsables.
Mon dernier argument pour défendre cet amendement se fonde sur une citation de Mme Monique Chemillier-Gendreau, qui est professeur de droit international et membre du collège des médiateurs...
M. Jean Chérioux. C'est quoi, le collège des médiateurs ?
Mme Monique ben Guiga. Selon elle, le vrai danger pour notre pays, ce n'est pas l'immigration, ce n'est pas la menace de l'étranger, mais le chemin du régime policier emprunté à travers vos lois. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains indépendants.)
M. Jean Chérioux. Ça, c'est la démocratie !
M. René-Georges Laurin. Qu'est-ce que c'est que le collège des médiateurs ?
Mme Monique ben Guiga. Voilà ce qu'il nous faut mettre en évidence : petit à petit, de loi en loi, on habitue les Français à supporter qu'il y ait un pouvoir administratif, un pouvoir policier et de moins en moins de pouvoir judiciaire.
M. Henri de Raincourt. On ne s'en aperçoit pas !
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas plus mal !
Mme Monique ben Guiga. Et cela, c'est grave pour la République ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 64, 121, 198 et 122 rectifié ?
M. Paul Masson, rapporteur. Je ne vais pas reprendre la même discussion qu'à l'article 3 bis, je me limiterai à dire que la commission est défavorable à l'ensemble des amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 64, 121 et 198.
M. Michel Caldaguès Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Monsieur le président, mes chers collègues, mon propos n'est pas de critiquer le droit d'amendement, qui est un droit inhérent à l'activité parlementaire et à la souveraineté nationale. Je voudrais cependant dire, parce qu'il faut appeler les choses par leur nom, que nous venons d'assister à une mobilisation en faveur d'employeurs qui sont des négriers.
Mme Monique ben Guiga. Sophiste !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La démagogie et la mauvaise foi, les voilà !
M. Michel Caldaguès. Non, ce n'est pas de la démagogie ! Il s'agit bien de négriers !
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous n'avez pas la parole pour le moment. Laissez s'exprimer M. Caldaguès.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voulais souligner où est la démagogie !
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous n'avez pas la parole !
M. Michel Caldaguès. Ce sont des négriers, qui s'enrichissent sur le dos de ceux que vous prétendez défendre, à savoir les plus modestes.
Cette démonstration est indécente et je tenais à le souligner. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier. C'est vous qui tenez des propos indécents !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. Je vous donne maintenant la parole, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai dit tout à l'heure qu'il serait de mauvaise foi, qu'il serait démagogique de prétendre que nous voulons protéger les négriers. En effet, dès 1991, c'est un gouvernement que nous soutenions qui a prévu que, dès lors qu'il y avait condamnation à une peine de prison sans sursis, quelle qu'en soit la durée, l'expulsion était possible. Mais il a alors été décidé qu'il fallait auparavant que la justice s'exprime, car il peut y avoir des différences considérables d'un cas à l'autre.
Voilà pour les faits !
Pourtant, M. Caldaguès s'est levé pour donner à la mauvaise foi et à la démagogie que je venais d'évoquer un nom et un visage ! (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Michel Rufin. Vous êtes des experts !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Faire de la démagogie, être de mauvaise foi, c'est peut-être votre conception de la politique. La nôtre, c'est de défendre ce que nous croyons juste, même si nous savons qu'il y a des Caldaguès pour tenter de masquer la vérité. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Nouvelles protestations sur les travées du RPR.)
M. Michel Rufin. Vous n'avez pas l'apanage de la vérité !
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Je dirai une seule phrase : pour moi, avant d'être condamné, tout être humain a droit d'être jugé. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 64, 121 et 198, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 122 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3 ter.
(L'article 3 ter est adopté.)
Article additionnel avant l'article 4