Jeudi 24 janvier 2019, Jean BIZET, président de la commission des affaires européennes, a fait une communication et a rendu un avis politique sur la politique de la concurrence de l'Union européenne en ce qui concerne la fusion Alstom - Siemens Mobility, devant la commission des affaires européennes.
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Trois questions à Jean BIZET, président de la commission des affaires européennes sur la fusion Alstom - Siemens mobility (23 janvier 2019)
Quels sont les enjeux de la fusion entre Alstom et Siemens mobilty ?
L’objectif de la fusion est de créer un groupe franco-allemand capable de rivaliser avec le conglomérat chinois CRRC, leader mondial dans ce domaine. Le chiffre d’affaires de CRRC atteint aujourd’hui 26 milliards d’euros, soit quatre fois celui d’Alstom et deux fois celui cumulé d’Alstom et Siemens mobility réunies. CRRC se retrouve ainsi en position dominante aux États-Unis où elle a obtenu de nombreux appels d’offres.
En cas de fusion entre Alstom et Siemens mobility, l'entité combinée détiendrait un carnet de commandes de 61,2 milliards d'euros et un chiffre d'affaires de 15,3 milliards d'euros. Elle emploierait plus de 62 000 personnes dans 60 pays. L’idée sous-jacente est de créer un véritable "Airbus du rail".
Quelles sont les objections de la Commission européenne ?
La Commission européenne a logiquement été saisie du projet de fusion, conformément à l’article 103 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle a toute latitude pour examiner l’effet possible d’une concentration de dimension européenne, avant qu’elle ne se produise. C’est ce qu’on appelle un contrôle ex ante. La commissaire chargée de la politique de la concurrence, Mme Margrethe VESTAGER, devrait rendre un avis définitif d’ici au 18 février 2019.
La Commission a publiquement indiqué le 13 juillet 2018 que :
- L’entité issue de la fusion serait presque trois fois plus grande que son concurrent le plus proche ;
- La fusion entraînerait, en outre, une hausse des prix des composants ferroviaires et pourrait décourager l'innovation en raison de la réduction de la concurrence.
La Commission européenne note, par ailleurs, que CRRC ne dispose que d’une présence marginale en Europe. Elle relève, en revanche, que les entreprises allemande et française deviendraient le leader du marché pour le matériel roulant destiné aux lignes principales (y compris les trains régionaux) et aux lignes de métro en Europe.
Les objections de la Commission européenne rejoignent celle affichées par les autorités de régulation du ferroviaire britannique, belge, néerlandaise et espagnole, hostiles à la fusion. Un courrier adressé à la Commission européenne en ce sens a été rendu public le 20 décembre dernier.
La Commission européenne a adressé, fin octobre 2018, une liste dite des griefs aux deux entreprises, indiquant les pays et les activités qui devraient être touchés par une éventuelle restriction de la concurrence. Celles-ci ont proposé, en réponse à ces critiques, de céder des accords de licence et d’organiser des transferts de technologie. Le montant de ces cessions "remèdes" représenterait près de 600 millions d’euros, soit 4 % de leur chiffres d’affaires combinés. Cette proposition serait jugée insuffisante par la Commission européenne.
Quelle est la position de la commission des affaires européennes ?
Nous venons d’adopter un avis politique sur ce sujet, qui sera adressé à la Commission européenne.
Nous regrettons en premier lieu que la Commission européenne élude la question du marché pertinent. Cela signifie qu’elle limite son étude d’impact au seul Espace économique européen là où Alstom et Siemens mobility insistent sur la dimension mondiale de leurs activités. La position de la Commission européenne ne me semble pas opportune tant Alstom et Siemens mobilty se trouvent en situation d’infériorité vis-à-vis de CRRC car ils ne peuvent répondre aux appels d’offres sur le marché chinois. Le marché pertinent est évidemment mondial !
Cette position de la Commission européenne tend à orienter la politique européenne vers la seule préservation des droits des consommateurs. Or elle doit également être au service d’une véritable politique industrielle ! Il s’agit de conforter la puissance économique de l’Union européenne. La politique de la concurrence doit, donc, aller de pair avec la préservation des intérêts stratégiques européens.
Dans ces conditions, nous estimons que la Commission européenne devrait autoriser la fusion entre Alstom et Siemens mobilty. Elle devrait également œuvrer au rapprochement de la plupart des entités de ce secteur d’activité, pour donner du sens au concept d’ "Airbus du rail" et rendre concrète l’ambition industrielle européenne. Il serait, par ailleurs, souhaitable que cette fusion soit accompagnée d’une réflexion sur la mise en œuvre d’appels d’offres préférentiels pour les entreprises européennes, soit un véritable Buy European act. Il viserait en particulier dans les domaines couverts par le Mécanisme d’interconnexion pour l’Europe (MIE). Je relève que nos grands rivaux économiques ont su établir ce type de dispositif.
Nous nous interrogeons, en outre, sur l’aspect contre-productif des cessions imposées par la Commission européenne. Les conséquences industrielles et sociales de ce désengagement mériteraient d'être étudiées. La mise en avant d'un "Airbus du rail" ne peut, en effet, se faire au détriment de la protection des sites français sous peine d'être incomprise par l'opinion publique, qui y verra une nouvelle étape de la désagrégation de l'appareil industriel français au profit de grands groupes transnationaux. Je rappellerai à cet égard le constat de la mission d'information du Sénat sur Alstom et la stratégie industrielle de la France lors de la présentation de son rapport final en juin dernier. Si elle s’est montrée favorable à la fusion, elle a insisté sur la nécessité pour l’État de veiller à ce que cette fusion ne soit pas déséquilibrée en faveur de la partie allemande. Si nous souhaitons donc que cette fusion se fasse, tant son refus pourrait constituer un non-sens économique et politique pour l’Union européenne, nous appelons également à un contrôle de sa mise en œuvre par les gouvernements et les parlements allemands et français.
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Photo : © Sénat _ Audrey BONNEBAS