Michèle COTTA - Journaliste politique
Cette campagne repose sur la grande détermination de François MITTERRAND, à cette époque président de la Convention des institutions républicaines, mais surtout sur le grand vide de la gauche et du centre à l'été 1965.
En effet, l'échec de la Grande fédération, envisagée un moment entre le centre, le Parti socialiste et le Parti de la Gauche, qui avait suscité des espoirs immenses pour un candidat socialo-centriste contre le Général de GAULLE, a explosé le 17 juin 1965. C'en est fini d'une candidature Gaston DEFFERRE contre le Général de GAULLE. Dès le matin de cet échec, François MITTERRAND se convainc que la voie s'est libérée devant lui et qu'il peut être lui-même le candidat de la gauche. La nature, politique surtout, a horreur du vide.
Antoine PINAY avait laissé entendre que si la France avait besoin de lui, il se forcerait à être candidat mais sa proposition est tombée à l'eau. Le 20 juillet, un mois après l'échec de la Grande fédération, François MITTERRAND confiait en off à une journaliste de l'Express : « Nous n'avons plus le choix, la voie est fermée à droite, il faut passer par la gauche ». Dès lors, il annonce qu'il sera candidat à trois conditions : obtenir le soutien de Pierre MENDES-FRANCE, le « feu-vert » de Guy MOLLET et le « feu orange » du Parti communiste.
Il recueille presque immédiatement deux de ces trois assentiments, celui de PMF, et, du bout des lèvres, de Guy MOLLET mais attend le 9 septembre 1965 pour déclarer sa candidature au beau milieu de la conférence de presse du Général de GAULLE. Je savais à l'heure du déjeuner qu'il allait se déclarer vers 15-16 heures, dix minutes après que le Général de GAULLE ait commencé sa conférence de presse mais les responsables de l'Express ne m'ont pas crue ! Après quelques minutes du discours de de GAULLE, François MITTERRAND se déclare de manière claire et concise : « Il n'est pas possible de laisser plus longtemps se prolonger une situation qui fait le jeu du système actuel ». Tout le monde est surpris. Pour le Centre, il est le plus mauvais candidat possible, notamment en raison de l'affaire de l'Observatoire et de sa volonté de passer par la gauche, parti communiste compris.
Dans un sondage réalisé en août 1965 qui posait la question « Quel est l'homme politique le plus capable de s'opposer au Général de GAULLE ? », Antoine Pinay arrivait en tête, suivi par Gaston DEFFERRE, Maurice FAURE, etc. François MITTERRAND n'y apparaissait même pas. Seule la détermination d'un homme est capable de faire se présenter quelqu'un auquel personne ne pense.
Il avait, en effet, préparé son appel du 9 septembre par des consultations politiques précises. Le 8, il avait convaincu Gaston DEFFERRE de le soutenir. À 21 heures, ce même jour, il avait pris rendez-vous avec Daniel MAYER. Ce dernier, socialiste longtemps opposé à Guy MOLLET, s'était déclaré dans la matinée, poussé par des ennemis de François MITTERRAND de la deuxième gauche, au premier rang desquels Pierre STIBBE, et soutenue par une partie du PS qui saluait son ouverture d'esprit. François MITTERRAND le convainc le soir-même de se retirer. Il a une autre conversation avec Maurice FAURE, qui pensait se présenter, et qui est hostile à une candidature de la gauche qui exclue le Centre. Après une heure de conversation avec François MITTERRAND, il change d'avis. Ainsi en une journée, François MITTERRAND est arrivé à démontrer à ses éventuels rivaux qu'il est le mieux placé pour se présenter. Il fait donc sa déclaration de candidature, fort d'une relative unanimité à gauche.
François MITTERRAND se lance ; il a 100 jours pour faire campagne lors desquels il visite toutes les provinces de France. Cette période est marquée par deux conférences de presse. La première se déroule le 21 septembre à l'Hôtel Lutetia. Il est seul à la tribune, sans autre homme politique, et précise ses options fondamentales, qui demeurent vagues : l'Europe, les institutions, son opposition à la force de frappe, la planification démocratique et une priorité absolue à l'Éducation nationale.
Quid de la réaction des communistes ? François MITTERRAND, opportunément, n'en fait pas mention au début de sa conférence de presse. Cette dernière est perturbée par une agitation soudaine, lors de laquelle un envoyé lui transmet un papier, qu'il ne commente pas. Il continue de répondre aux questions une dizaine de minutes, jusqu'à ce qu'un journaliste s'enquière finalement de la position des communistes. François MITTERRAND indique que Waldeck ROCHET, dans la lettre arrivée pendant la conférence de presse, aimable mais succincte, lui demande de lui faire connaître son programme. François MITTERRAND avait donc commencé la conférence sans aucune indication du parti communiste et obtient son « feu orange » in extremis .
Une deuxième conférence de presse est organisée le 18 novembre. Tous les leaders politiques sont présents. François MITTERRAND y présente ses sept options en direction de l'électorat de gauche en France Son choix « communiste » est un séisme politique. En effet, le Parti communiste toujours très puissant a été proscrit tout au long de la IV e République. Rappelons que Pierre MENDES-FRANCE avait refusé tous ses suffrages. La division entre la gauche communiste et la gauche non-communiste ainsi que la suprématie de la première sur la deuxième était telle qu'il était impensable pour de nombreux démocrates de faire alliance avec le Parti communiste. François MITTERRAND ne craignait pas pour la France la contagion des démocraties populaires. Il pense que les soviétiques ne dépasseront jamais le partage de Yalta et écarte ainsi toute menace communiste sur la France. À l'inverse, les images des tanks soviétiques près de Paris demeurent gravées dans les mémoires de la droite, et ce au moins jusqu'en 1981.
Bien que ses talents d'orateur lui assurent une campagne de terrain active et positive, l'enjeu réside dans la campagne télévisuelle. Ses performances sont plutôt mauvaises pendant la première partie de la campagne. Son visage mal rasé et sa mauvaise connaissance de la télévision, font que sa campagne télévisuelle n'est au début pas un succès. Néanmoins, grâce à ses deux conférences de presse et à ses 45 meetings de terrain, son choix stratégique est validé. Il parvient à obtenir 32 % le soir du premier tour. Politique est.
Ce score est d'autant plus étonnant qu'il ne s'attendait pas à un tel succès. Malgré ce que prédisaient les sondages, il m'avait déclaré la veille, lorsque je lui en parlais : « Vous n'y pensez pas, de GAULLE obtiendra entre 55 % et 65 % des voix dès demain ». Lorsque les résultats sont publiés, se pose la question : « Qui a mis le Général de GAULLE en ballotage ? », Jean LECANUET ou François MITTERRAND ?
Le ballotage, cette « divine révélation » pour la gauche, surprend François MITTERRAND qui est ovationné par ses partisans au Cercle républicain le soir du premier tour. Il rencontre Pierre MENDES-FRANCE pour lui demander son total soutien, mais ce dernier, invoquant des difficultés de calendrier, se défile et n'appuiera pas réellement François MITTERRAND au second tour.
La révélation du premier tour, Jean LECANUET, hésite à communiquer des consignes de vote. Il fait une première déclaration : « Je ne peux pas donner de conseils précis, chaque Français devra se déterminer personnellement ». À la demande de ses amis qui soulignent que, contrairement à de GAULLE, François MITTERRAND est profondément européen et demeurera finalement toujours sceptique vis-à-vis des communistes, il déclare finalement le 16 décembre : « Je ne voterai pas pour le Général de GAULLE ».
Entre les deux tours, le Général de GAULLE reprend un poids particulier avec ses formidables entretiens avec Michel DROIT. François MITTERRAND ne refuse pas les voix de ses adversaires antigaullistes d'extrême droite. En tant que candidat unique de l'opposition, il obtient 45 %.
Si ce score n'est pas assez élevé pour être élu cette fois-ci, il est suffisant pour déterminer tout l'avenir de François MITTERRAND.