N° 361
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 25 mai 2000 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, d' orientation pour l'outre-mer ,
Par Mme Dinah DERYCKE,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : Mme Dinah Derycke, président ; Mmes Janine Bardou, Paulette Brisepierre, MM. Guy-Pierre Cabanel, Jean-Louis Lorrain, Mmes Danièle Pourtaud, Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Jean-Guy Branger, André Ferrand, Lucien Neuwirth, secrétaires ; Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Bernadaux, Mme Annick Bocandé, MM. André Boyer, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Xavier Darcos, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Yann Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Alain Gournac, Mme Anne Heinis, MM. Alain Joyandet, Serge Lagauche, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Jacques Machet, Philippe Nachbar, Mme Nelly Olin, M. Jean-François Picheral, Mme Gisèle Printz, MM. Philippe Richert, Alex Türk.
Outre-mer.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Au cours de sa séance du mercredi 24 mai 2000, la commission des lois a décidé, sur la proposition de son Président, de saisir la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.
Si l'on excepte une revalorisation de l'allocation de parent isolé (API) pour aligner en sept ans son montant sur celui versé en métropole (article 14), ce texte, que le Sénat examinera les 13 et 14 juin prochains en séance publique, ne contient aucune disposition spécifique en direction des femmes alors que la situation des femmes par rapport aux hommes est encore plus inégalitaire outre-mer qu'en métropole.
Il n'accueille dans son dispositif aucune mesure d'ordre économique ou social de nature à corriger les déséquilibres entre les hommes et les femmes. Non ciblées, les dispositions qu'il propose risquent de ne pas bénéficier à part égale aux femmes.
• Certes, les déséquilibres sont, dans les départements d'outre-mer, moins accusés que par le passé, mais certains chiffres traduisent la persistance d'inégalités, inégalités dont on a, en outre, une perception vraisemblablement minorée en l'absence de statistiques sexuées dans tous les domaines .
Ainsi la précarité face à l'emploi est-elle plus accusée pour les femmes.
Les femmes, dans les départements d'outre-mer, représentent 51,50 % des demandeurs d'emploi. Le taux de chômage des jeunes femmes de moins de 25 ans est de 52,94 %. Dans la population des jeunes adultes (25-30 ans), un tiers des femmes étaient au chômage en 1998 contre un quart des hommes, ce qui est pourtant déjà considérable.
Les femmes sont sur-représentées dans les contrats d'insertion : elles sont titulaires de 57,8 % des contrats emploi-solidarité et de 55 % des contrats emploi-consolidé.
Enfin, on sait que les positions professionnelles les plus favorables dans les départements d'outre-mer sont en moyenne occupées par les métropolitains, mais on omet souvent de préciser que ce qui est vrai en général l'est davantage encore pour les femmes.
• Les difficultés sont d'autant plus grandes pour les femmes qu'outre-mer la famille a un caractère souvent matriarcal. C'est sur la mère que repose principalement son entretien.
De plus, les familles monoparentales sont particulièrement nombreuses, notamment aux Antilles, et comme en métropole, le chef de famille est une femme dans l'écrasante majorité des cas. Or, on connaît les difficultés financières auxquelles sont d'ordinaire confrontées les familles monoparentales.
Votre Délégation se félicite, de ce point de vue-là, de la revalorisation de l'API qui figure dans le projet de loi (et de celle, sur trois ans, du revenu minimum d'insertion), tout en déplorant que l'alignement prévu sur la métropole soit aussi long et qu'il s'agisse de la seule mesure tangible dont profiteront spécifiquement les femmes d'outre-mer.
Mais elle croit indispensable de souligner que si l'augmentation de l'API et du RMI permet de soulager les conditions d'existence, l'avenir pour les femmes doit d'abord passer par un accès égalitaire à l'emploi et aux formations de qualité .
• Beaucoup de problèmes, dans les rapports entre les hommes et les femmes, sont outre-mer, il est vrai, d'ordre culturel .
Plus qu'en métropole, les femmes y sont confrontées au « machisme » et à la violence. Moins qu'en métropole, elles sont informées de leurs droits.
Il est particulièrement regrettable à cet égard de constater que les déléguées régionales aux droits des femmes ne sont pas employées à temps plein outre-mer et que le poste est même resté vacant pendant sept ans en Guyane avant d'être aujourd'hui sur le point d'être pourvu.
Deux exemples illustrent l'urgente nécessité de mieux informer les femmes d'outre-mer.
- Le premier concerne l'accès à la contraception et certains chiffres sont en la matière éloquents : en raison d'une contraception moins fréquente, les grossesses chez les adolescentes sont trois fois plus nombreuses aux Antilles qu'en métropole, elles le sont quatre fois plus à la Réunion et dix fois plus en Guyane.
S'agissant des interruptions volontaires de grossesse, le pourcentage d'IVG répétées atteint à la Réunion 12 % dans la classe d'âge des 12-17 ans, 11,7 % à la Guadeloupe, 9 % à la Martinique et 7 % en Guyane. Pour les 20-24 ans, le pourcentage des IVG tourne pour tous les départements d'outre-mer autour de 24 ou 25 %. Enfin, le taux d'IVG par rapport aux naissances, qui s'établit pour la France entière à 27,40 % (chiffre de 1997), est respectivement de 29,60 % en Guyane, de 34,40 % à la Martinique, de 34,70 % à la Réunion et de 72,80 % à la Guadeloupe.
Par ailleurs, le taux de naissances chez les mineures se situe aux environs de 3 %, atteignant jusqu'à plus de 8 % en Guyane (où, pour les moins de vingt ans, il est en outre de 16,2 %).
Ces chiffres montrent que l'information en direction des femmes est encore plus indispensable outre-mer qu'en métropole. On peut, à ce propos, s'interroger sur la logique qui a conduit à mettre à la charge du seul secrétariat d'État chargé des départements et territoires d'outre-mer, lequel a dû prélever quelque 2,6 millions de francs sur son propre budget, l'extension à l'outre-mer de la dernière campagne d'information sur la contraception. Le problème posé outre-mer, par son acuité, ne méritait-il pas, de la part de la communauté nationale, une plus grande attention et plus de considération ?
- Le deuxième exemple a trait aux violences commises à l'égard des femmes . Ces violences, notamment conjugales, sont particulièrement nombreuses outre-mer, où, par ailleurs, les problèmes d'inceste atteignent, dans certains endroits du moins, une gravité exceptionnelle. Les femmes, pour des raisons culturelles, portent encore moins plainte qu'en métropole ...
Alors que ces « spécificités » méritent d'évidence un intérêt redoublé de la part de la société, l'outre-mer, avant que les services du secrétariat d'Etat aux droits de la femme et à la formation professionnelle n'étendent jusqu'à lui le champ de leurs investigations, a failli rester à l'écart de l'enquête en cours sur les violences subies par les femmes.
• D'une manière générale, et en mettant à part ces problèmes dramatiques, la société outre-mer est plus conviviale qu'en métropole et favorise une plus grande proximité familiale. Cet avantage a un revers : les situations familiales sont souvent complexes entraînant, en particulier pour les femmes, une réelle insécurité juridique .
En outre, dans le cas de Mayotte, la persistance d'un droit local autorise le maintien de particularismes culturels particulièrement rétrogrades pour les femmes. C'est en effet le statut personnel mahorais, inspiré du droit musulman, qui détermine dans de très nombreux cas les règles applicables à l'état civil, à la famille (mariage, répudiation, divorce, polygamie) et aux successions. Certes, la situation spécifique de Mayotte fera l'objet d'un examen à part au travers de la future réforme de l'archipel, mais la persistance de tels particularismes doit être rappelée à l'heure où le Gouvernement poursuit l'objectif de « moderniser » l'outre-mer français.
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