B. LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE EN EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE
1. Les résultats mitigés de l'intervention des pays occidentaux
a) L'implication du G7 à partir de 1992
La
catastrophe de Tchernobyl a révélé les défaillances
majeures du système de sûreté nucléaire à
l'Est, et montré que la radioactivité ne connaît pas de
frontières.
Il apparaît désormais clairement que l'avenir de l'énergie
nucléaire dans chaque pays européen dépend très
étroitement de l'évolution et de la stratégie suivies dans
les pays voisins.
Tout nouvel accident grave dans une centrale de l'Europe
de l'Est aurait des répercussions immédiates sur l'opinion
publique et risquerait de remettre en question cette forme d'énergie
dans l'ensemble des pays concernés.
C'est pourquoi les pays occidentaux se sont fortement intéressés,
à partir du début des années 1990, au niveau de
sûreté des centrales nucléaires en fonctionnement en Europe
de l'Est.
Deux filières de réacteurs nucléaires différentes
ont été développées dans les pays de l'ancien
bloc soviétique.
Les
réacteurs RBMK
(
Reaktor Bolchoi Mochnotsti Kanalny
),
à tubes de force bouillants et modérés par du graphite,
souffrent de plusieurs défauts majeurs qui affectent leur
sûreté : absence d'enceinte de confinement, faiblesse des tubes de
force, insuffisante protection des dispositifs de contrôle contre les
risques d'incendie inhérents au modérateur graphite.
Cette filière dérivée de la technologie militaire a
été développée en raison de la forte teneur de ses
combustibles usés en plutonium, utilisable pour fabriquer des armes
atomiques. Les réacteurs RBMK peuvent être déchargés
sans interruption de fonctionnement du réacteur.
Les
réacteurs VVER
(
Vodiano Vodianoi Energuiehtitcheski
Reaktor
), à eau pressurisée, sont d'une conception plus
proche de celle des REP occidentaux. Leur niveau de sûreté varie
selon la génération concernée.
Carte des réacteurs nucléaires en Europe centrale et orientale
Les
réacteurs VVER 213 et 320, qui datent des années 1980, sont
relativement fiables. Mais les réacteurs VVER 230, qui datent des
années 1960, présentent des défauts de conception
importants en matière de sûreté : comme les RBMK, ils
ne possèdent pas de troisième barrière de confinement et
leurs systèmes de contrôle sont jugés insuffisants par les
autorités de sûreté occidentales. Une nouvelle
génération de réacteurs, les VVER 1000, est en cours de
construction.
En 1998, douze années après la catastrophe de Tchernobyl,
16 réacteurs de type RBMK étaient encore en service en
Russie, en Ukraine et en Lituanie. Les 42 autres réacteurs en service
dans les pays d'Europe centrale et orientale relèvent de la
filière VVER, dont 10 réacteurs de la
génération VVER 230.
Outre ces défauts dans la conception initiale des réacteurs, la
sûreté nucléaire à l'Est a été encore
affaiblie par l'éclatement du bloc soviétique. En effet,
l'autorité de sûreté nucléaire était
jusqu'alors une structure bureaucratique et centralisée située
à Moscou. Les Etats de la CEI se sont retrouvés chacun avec un
parc électronucléaire à gérer, mais sans les
compétences nécessaires à son contrôle.
Lors du sommet de Munich de juillet 1992, le G7 a mobilisé la
communauté internationale sur la question de la sûreté
nucléaire à l'Est.
Le premier objectif étant d'éviter un second Tchernobyl, le G7 a
proposé de mettre en oeuvre le plus rapidement possible les
améliorations techniques nécessaires pour rendre les
réacteurs VVER 230 et RBMK plus sûrs, et de favoriser les
programmes de coopération et les transferts de savoir-faire pour
l'analyse de sûreté des installations et pour la formation des
personnels de conduite.
Le G7 a par ailleurs préconisé la construction d'un cadre
réglementaire pour le contrôle de sûreté, et la mise
en place d'autorités de sûreté efficaces et autonomes.
A cette occasion, le G24 nucléaire a été
institutionnalisé.
Il s'agit d'un mécanisme
intergouvernemental de coopération (NUSAC, pour
Nuclear Safety
Coordination)
qui réunit autour de l'Union européenne les
pays occidentaux, les pays d'Europe centrale et orientale, l'AEN et l'AIEA. La
présidence du G24 nucléaire est exercée par l'Union
européenne, deux vice-présidences tournantes étant
attribuées à un pays occidental et à un pays d'Europe de
l'Est. Son secrétariat est assuré par la Commission
européenne.
Le groupe de travail préparatoire au sommet du G7 de Munich avait
estimé le coût de l'aide d'urgence pour les réacteurs RBMK
et VVER 230 à 720 millions de dollars. Le coût des actions de
moyen terme était chiffré à 2,5 milliards de dollars
pour les réacteurs VVER 213-320, et à 3,2 milliards de dollars
pour les réacteurs VVER 1000.
Toutefois, les Etats occidentaux réunis au sommet de Munich ont bien
précisé que ces chiffres constituent un objectif, et non pas un
engagement de leur part
. En effet, les Etats-Unis et le Japon
étaient opposés au principe d'une aide multilatérale
massive transitant par des structures bureaucratiques, préférant
recourir à des financements bilatéraux plus souples et plus
conformes aux intérêts de leurs propres entreprises.
Un
fonds pour la sûreté nucléaire
a
été ouvert auprès de la BERD afin d'accueillir les dons de
quinze contributeurs : Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis,
France, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède,
Suisse et Union européenne.
Sans être à la hauteur des besoins estimés, la
contribution financière de la communauté internationale à
l'amélioration de la sûreté des centrales nucléaires
à l'Est n'est pas négligeable, puisqu'elle atteint 1,480 milliard
d'euros à la fin de 1997.
L'aide
multilatérale transitant par le Fonds pour la sûreté
nucléaire géré par la BERD et par l'AIEA représente
moins de 20 % du total des financements, tandis que les aides
bilatérales nationales en constituent 37 %.
Mais la contribution la plus importante reste celle de l'Union
européenne, qui apporte près de 43 % du total des financements.
b) Une situation toujours inquiétante
Les pays
occidentaux ont rapidement dû admettre que la solution aux
problèmes de sûreté qui se posent dans les centrales
nucléaires d'Europe de l'Est ne pouvait pas être la fermeture
rapide de tous les réacteurs considérés comme dangereux.
Dans les circonstances exceptionnelles de sa réunification, l'Allemagne
a pu fermer du jour au lendemain la centrale nucléaire de Greifswald,
qui était située dans l'ancienne RDA. Mise en oeuvre ailleurs,
cette solution radicale aurait des implications économiques trop lourdes
et violerait le principe de souveraineté nationale dont les pays
d'Europe centrale et orientale peuvent se prévaloir.
En pratique, fort peu de fermetures sont intervenues, puisque sur les 65
réacteurs identifiés en 1992 par le G7 dans les pays d'Europe
centrale et orientale, 58 continuaient de fonctionner six ans plus tard.
L'Arménie a même fait redémarrer sa centrale de Madzamor,
alors que son niveau de sûreté a été jugé
très insuffisant par les autorités de sûreté
occidentales.
Cette situation est d'autant plus inquiétante que la sûreté
nucléaire à l'Est ne souffre pas seulement des défauts de
conception technique des réacteurs, mais aussi des faiblesses de
maintenance dues au contexte institutionnel et économique.
Tout bon système de sûreté nucléaire doit
définir précisément les rôles et fonctions de ses
différents acteurs. Or, tel n'est pas encore le cas dans tous les pays
d'Europe centrale et orientale.
La responsabilité des exploitants de centrales nucléaires n'y est
pas partout précisée et sanctionnée juridiquement. De
même, les autorités de sûreté, lorsqu'elles existent,
ne sont pas toujours suffisamment indépendantes des autorités en
charge de l'exploitation et de la promotion du nucléaire, et ne
disposent pas forcément d'une capacité d'expertise autonome.
Ces lacunes de la " culture de sûreté " sont
aggravées par la désorganisation économique que
connaissent les pays d'Europe centrale et orientale dans leur phase de
transition vers l'économie de marché.
Lorsque leurs clients ne payent pas l'électricité qu'ils leur
livrent, les exploitants des centrales nucléaires ont de grande
difficulté à assurer de façon rigoureuse les tâches
d'entretien nécessaires à un fonctionnement sûr des
installations. De même, les autorités de sûreté ne
disposent pas des moyens financiers et humains suffisants pour contrôler
efficacement les installations nucléaires dont elles ont la charge.
Par ailleurs, tous les Etats d'Europe centrale et orientale concernés
n'acceptent pas de bon gré les conseils des pays occidentaux et ne
jouent pas pleinement le jeu de la coopération.
C'est notamment le
cas de la Russie. Dans le rapport qu'elle a présenté en
décembre 1998 devant l'Assemblée de l'Union de l'Europe
Occidentale
(37(
*
))
, Mme Josette
Durieux relève que "
la Russie ne reconnaît pas aux
accords et aux engagements auxquels elle souscrit un caractère vraiment
contraignant
" et que les programmes engagés ne sont pas
toujours respectés. Par exemple, la centrale de Koursk a
redémarré en 1998 alors que le programme de sûreté,
pour lequel les pays occidentaux ont versé 180 millions de dollars,
n'avait été accompli qu'à 70 %.
La situation de loin la plus préoccupante reste celle de la centrale
nucléaire de Tchernobyl.
Le réacteur n° 2 est hors
service depuis 1991, suite à un incendie, et le réacteur
n° 1 a été arrêté en novembre 1996. Mais
le réacteur n° 3 fonctionne toujours, alors que sa tuyauterie
est fissurée. Quant au " sarcophage " de béton
bâti afin de confiner les matières radioactives du réacteur
n° 4, à l'origine de la catastrophe de 1986, il menace de
s'effondrer.
Le Mémorandum d'entente signé en 1995 entre les pays occidentaux
et l'Ukraine prévoyait un soutien financier de 3,1 milliards de
dollars et la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires
à Rovno et Khmelnitsky pour compenser la fermeture complète de
Tchernobyl. Cet engagement a toutefois tardé à se
concrétiser, le Parlement allemand ayant même refusé
d'autoriser son gouvernement à prendre part au financement des nouveaux
réacteurs et préconisé l'éradication
complète du nucléaire en Ukraine.
Ulcérées, les autorités ukrainiennes ont un moment
menacé de revenir sur leur engagement de fermer en 2000 les
unités 4 et 5 de Tchernobyl, qui continuent de fonctionner dans des
conditions de sûreté tout à fait insuffisantes.
L'autorité de sûreté ukrainienne vient toutefois de
confirmer le déclassement d'ici la fin de l'année des deux
dernières tranches encore en activité. Antérieurement, le
18 juin 1999, la BERD a annoncé le financement, sur le Fonds de
sûreté nucléaire, d'un premier contrat de 69 millions
d'euros pour le déclassement de Tchernobyl. Ce premier pas
apparaît à la fois tardif et modeste, eu égard aux sommes
nécessaires.
Votre rapporteur constate que les pays occidentaux, en tardant à
apporter l'aide financière promise, ont implicitement
toléré que se perpétue à Tchernobyl une situation
extrêmement précaire au regard des principes
élémentaires de sûreté nucléaire. Cette
attitude lui paraît tout à fait irresponsable, compte tenu des
risques encourus.
Il estime toutefois que l'aide occidentale à l'Ukraine devrait prendre
la forme d'une contribution à l'amélioration de
l'efficacité énergétique de ce pays, plutôt que d'un
financement de nouvelles centrales nucléaires.
Quiconque connaît les invraisemblables gaspillages d'énergie qui
caractérisent les pays d'Europe centrale et orientale, ne peut que juger
préférable de donner la priorité à l'exploitation
des véritables " gisements d'économies " dont ceux-ci
disposent, plutôt qu'à l'extension de leurs capacités de
production énergétique.
2. Les difficultés des programmes communautaires d'assistance
a) Les limites des capacités d'expertise de la Commission
Au cours
de la dernière décennie, l'Union européenne et son organe
exécutif, la Commission, ont formé le pivot de l'aide occidentale
pour l'amélioration de la sûreté nucléaire à
l'Est.
Cette compétence n'était pas tout à fait nouvelle pour la
Commission européenne. Dès 1975, le Conseil avait adopté
une résolution précisant le rôle de la Commission à
l'égard des problèmes technologiques de sûreté
nucléaire
(38(
*
))
. Face
à des problèmes dépassant les frontières
communautaires, la Commission devait jouer un rôle de catalyseur des
initiatives des Etats membres, rechercher une position commune au sein des
organisations internationales, promouvoir l'harmonisation progressive des
exigences et des critères de sécurité.
En juin 1992, après la catastrophe de Tchernobyl, le Conseil a
adopté une nouvelle résolution relative à la
sûreté nucléaire
(39(
*
)),
qui replaçait la
résolution de 1975 dans la perspective de la coopération avec les
Etats d'Europe centrale et orientale.
Le problème de la sûreté nucléaire à l'Est
changeant de dimension, des crédits importants ont été
engagés sous la responsabilité de la Commission
européenne, essentiellement dans le cadre des programmes PHARE et TACIS.
La Commission européenne s'est alors heurtée à
l'absence d'une capacité propre d'expertise, pourtant indispensable pour
exercer correctement sa mission.
Le défi était plus grand
pour le nucléaire que pour toute autre activité, non seulement en
raison d'un contenu scientifique et technologique très complexe, mais
aussi en raison du peu de connaissances disponibles au début des
années 1990 sur une filière nucléaire soviétique
secrète et étroitement liée à l'appareil militaire.
Incapable dans un premier temps de mener une réflexion d'ensemble, la
Commission s'est d'abord appuyée sur le programme d'action défini
en 1991 par
l'association WANO
(
World Association of Nuclear
Operators
), qui rassemble, depuis sa réunion constitutive de 1989
à Moscou, les exploitants de 144 centrales nucléaires du
monde entier. Toutefois, la Commission a insuffisamment exploité les
méthodologies et l'expérience de WANO, en n'incluant pas dans les
contrats passés des indicateurs de performance, des évaluations
par des pairs ou la référence aux meilleures pratiques.
La Commission s'est ensuite appuyée sur l'expertise du
consortium
TPEG
(
Twinning Programme Engineering Group
), qui réunit sept
producteurs d'électricité de l'Union européenne
(40(
*
))
. TPEG dispose d'une expérience
concrète et a développé un système
intéressant de jumelage entre centrales nucléaires occidentales
et orientales. Mais la Commission lui a délégué ses
responsabilités de manière excessive alors que, par nature, TPEG
ne peut que difficilement se démarquer des intérêts
industriels de ses membres.
En 1994, la Commission a décidé de recourir à des
agences d'approvisionnement
pour l'assister dans l'administration des
contrats de fourniture en matière de sûreté
nucléaire, parce qu'elle doutait de l'impartialité des
prestations des exploitants de centrales nucléaires de l'Union
chargés de l'assistance sur site. Ce dispositif a entraîné
une dilution supplémentaire des responsabilités, un allongement
des procédures et un accroissement des frais de gestion.
La Commission européenne a pu s'appuyer avec plus de confiance sur
l'expertise des
autorités de sûreté nucléaire
occidentales
. Mais celles-ci
(41(
*
))
ont fini par préférer
s'émanciper de sa tutelle, et se sont constituées
récemment en Association des autorités de sûreté
nucléaire d'Europe de l'Ouest
(WENRA, pour
West European
Nuclear Regulators Association
).
Selon le premier rapport d'évaluation publié par l'association
en mars 1999, l'objectif de WENRA est de "
procurer à l'Union
européenne une capacité indépendante pour examiner les
problèmes de sûreté nucléaire et de sa
réglementation dans les pays candidats à
l'adhésion ".
Les auteurs de ce rapport semblent ainsi
considérer,
a
contrario
, que cette capacité
d'expertise indépendante n'existait pas jusqu'à présent.
b) Des contributions financières importantes
Les
faiblesses de la capacité d'expertise de la Commission européenne
sont d'autant plus fâcheuses que les sommes engagées par l'Union
au titre de l'amélioration de la sûreté nucléaire
à l'Est ont fini par être consistantes.
L'essentiel de l'aide communautaire a été mis en oeuvre dans le
cadre des
programmes PHARE et TACIS
, destinés respectivement aux
pays d'Europe centrale et aux pays de la CEI. Entre 1990 et 1997, un montant de
786 millions d'euros a été engagé pour la
sûreté nucléaire, soit 20 % des engagement TACIS et 2 % des
engagements PHARE.
Le tableau ci-dessous présente les crédits communautaires
consacrés entre 1990 et 1997 à la sûreté
nucléaire à l'Est. Les programmes PHARE et TACIS
représentent respectivement 75 % et 18 % d'un montant total de
848,5 millions d'euros.
Bien que
significatifs, les crédits communautaires ne couvrent qu'une part
très limitée des programmes de modernisation des centrales
nucléaires entrepris et financés par les pays d'Europe centrale
et orientale. La Cour des Comptes européennes estime qu'il ne lui est
pas possible, sur la base des informations disponibles, de chiffrer l'ampleur
de ces programmes ni leur degré de réalisation.
De son
côté, la Commission européenne évalue entre 50 et
60 milliards d'euros les besoins de financements pour la modernisation ou
la fermeture des 65 réacteurs nucléaires existants en Europe de
l'Est et dans l'ancienne Union soviétique
.
Le tableau ci-dessous présente la répartition par pays
bénéficiaire des crédits communautaires consacrés
à l'amélioration de la sûreté nucléaire.
Ces chiffres sont instructifs, même si le total des fonds recensés par le G24 nucléaire ne recoupe pas exactement celui des engagements comptables de la Commission pour les programmes PHARE et TACIS, mais leur est légèrement inférieur. Ils montrent que la Russie et l'Ukraine se taillent la part du lion, avec respectivement 38,4 % et 33,7 % des crédits communautaires.
c) Un bilan franchement décevant
L'appréciation faite par la Cour des comptes
européenne dans son rapport spécial de 1998 sur l'action de
l'Union en matière de sûreté nucléaire dans les pays
d'Europe centrale et orientale
(42(
*
))
est particulièrement
sévère.
S'agissant de l'approche globale de l'Union européenne, la Cour estime
que "
la stratégie d'intervention, qui n'a été
énoncée par la Commission de façon explicite qu'en 1996,
reste confuse à propos des réacteurs de conception ancienne, du
déclassement et du démantèlement, ainsi que du traitement
des déchets. Les besoins urgents à court terme sont mal
définis
".
S'agissant de la gestion des opérations, la Cour des comptes
européenne relève que "
les ressources humaines
hétéroclites et éphémères de l'unité
en charge du suivi des programmes, des outils de gestion de projet et du suivi
comptable insuffisants, ainsi que le manque de rigueur de la gestion ne
permettent pas à la Commission d'assurer un suivi satisfaisant des
opérations, le traitement rapide des problèmes et le
contrôle de la qualité des prestations des contractants
".
Plus grave, selon la Cour, "
certains des organismes externes auxquels
la Commission a eu recours pour l'assister dans la programmation et dans
l'instruction des contrats ont été créés au cas par
cas par association de sociétés commerciales
bénéficiant, par ailleurs, de contrats financés par les
programmes
".
En clair, l'assistance fournie par l'Union européenne a
été en large partie gâchée pour
rémunérer abusivement des bureaux d'études occidentaux, au
lieu de rétribuer les ingénieurs locaux, qui sont pourtant de
grande qualité et bien moins coûteux.
L'urgence serait d'ailleurs d'aider les pays d'Europe centrale et orientale
à enrayer la " fuite des cerveaux " qui risque de compromettre
irrémédiablement leur capacité propre d'expertise
nucléaire.
S'agissant de la mobilisation des aides et des résultats, la Cour des
comptes européenne constate que "
le dispositif de mise en
oeuvre retenu par la Commission s'est révélé
particulièrement lent. Les programmes ont surtout piétiné
dans les centrales posant le plus de problème de sûreté. La
fourniture d'équipements a souvent été
privilégiée au détriment des autres aspects du
développement de la culture de sûreté
".
"
Une fois les décisions prises, le contenu des programmes a
beaucoup évolué. Le manque de transparence a provoqué
incompréhensions et retards, et permis aux partenaires les plus
dynamiques de réorienter les programmes. Des projets ont
été annulés après des dépenses importantes.
Des projets utiles ont été réduits pour cause
d'insuffisance budgétaire, alors que des crédits sont par
ailleurs restés inutilisés, en raison notamment des modifications
des programmes en cours d'exécution
".
Enfin, la Cour relève qu'"
aucune méthodologie
ne permettait, à fin 1997, de formuler une appréciation
globale des progrès de sûreté dans chaque
centrale
".
La Commission européenne a pris en considération certaines des
observations de la Cour des Comptes européenne. Elle s'est dotée
en 1998 d'un comité de conseillers de haut niveau, chargé de
faire des recommandations sur la stratégie de sûreté
nucléaire dans les programmes PHARE et TACIS. Elle a mieux défini
le rôle des consultants extérieurs, et s'est davantage
appuyée sur l'expertise interne que peut lui apporter le Centre Commun
de Recherche, comme on le verra plus loin. Elle a réduit le nombre des
projets retenus et abandonné ceux dont le lancement avait pris un retard
injustifié.
Toutefois, dans sa réponse aux observations de la Cour, la Commission
admet que "
la rotation rapide dans les services concernés reste
préoccupante
" et que "
ces procédures
générales ne sont pas toujours adaptées aux contraintes
particulières des programmes de sûreté
nucléaire
".
Votre rapporteur considère que la Commission a manifestement
dépassé son seuil de compétence en intervenant dans le
domaine très concret de la sûreté des centrales
nucléaires de l'Est.
Ses services sont rodés pour les tâches de conception normative
dont ils ont l'habitude, mais se sont montrés parfaitement inefficaces
pour la conduite de projets industriels dans un secteur technologique complexe
où l'urgence commande.
Votre rapporteur partage donc l'analyse de M. Claude Birraux, rapporteur de
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques
(43(
*
))
, pour
considérer que la Commission devrait déléguer sa
compétence à l'Association des autorités de
sûreté d'Europe de l'Ouest pour définir les projets et
choisir les contractants.
3. La question nucléaire dans les négociations d'adhésion
a) Une position des pays candidats plutôt favorable au nucléaire
En
dépit des lacunes dans la sûreté de leurs centrales, les
Etats d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion
à l'Union européenne ne nourrissent pas les mêmes
préventions à l'égard du nucléaire que les Etats
membres actuels.
Ce paradoxe ne résulte pas de l'absence historique d'un débat
démocratique sur les choix de société dans les pays
concernés, ni d'un hypothétique " fatalisme slave ",
mais bien de considérations parfaitement rationnelles.
La réforme du secteur de l'énergie est l'un des problèmes
les plus complexes auxquels les économies en transition des pays
d'Europe centrale et orientale doivent faire face. Après l'effondrement
de leurs systèmes de production d'énergie intégrés,
ces pays se retrouvent avec des prix de marché pour le pétrole,
le gaz et l'électricité identiques aux prix internationaux,
c'est-à-dire bien supérieurs à ceux très bas qui
prévalaient avant 1990. Cette situation compromet leur redressement
économique.
Certes, le choc de la transition économique a réduit
provisoirement les besoins d'énergie des pays d'Europe centrale et
orientale. Leur consommation brute d'énergie a chuté d'environ 25
% entre 1980 et 1992, mais elle devrait s'accroître de 28 % à
38 % entre 1995 et 2020. Selon une projection purement tendancielle, la
production d'énergie devrait se stabiliser dans la région, un
accroissement limité des capacités
électronucléaires venant compenser la fermeture de mines de
charbon. La demande d'énergie primaire devrait retrouver aux environs de
2020 un niveau supérieur à celui des années 1990.
Techniquement, les réseaux électriques de la Pologne, la
République tchèque, la Hongrie et la Slovaquie sont
connectés avec ceux des pays d'Europe occidentale, réunis au sein
de l'Union pour la Coordination de la Production et du Transport
d'Electricité (UCPTE), qui inclut déjà la Slovénie.
Ils sont par ailleurs interconnectés entre eux au sein d'une Union
électrique qui leur est propre : Centrel. Les liaisons devraient
être bientôt étendues aux trois pays baltes.
Dans le passé, les pays d'Europe centrale ont souffert de leur grande
dépendance énergétique envers l'URSS, qui leur fournissait
les hydrocarbures ainsi que les combustibles et les technologies
nucléaires. Depuis leur émancipation de la tutelle
soviétique, ils ont cherché à diversifier leurs sources
d'approvisionnement et à s'appuyer sur la technologie nucléaire
occidentale.
Aujourd'hui, les pays candidats sont farouchement
attachés à l'autonomie énergétique que peut leur
apporter le nucléaire.
Bien que les émissions de CO
2
dans la région soient
actuellement en dessous de leur niveau de 1990, en raison de la
récession qui a accompagné la transition économique, les
atteintes à l'environnement liées à l'exploitation des
énergies fossiles y sont extrêmement graves. De ce fait, la
préoccupation écologique qui s'exprime aujourd'hui dans les pays
candidats plus librement que par le passé n'obéit pas aux
mêmes priorités que dans les Etats membres de l'Union
européenne.
Pour toutes ces raisons, l'idée de développer l'énergie
nucléaire ne rencontre guère d'autre obstacle, auprès des
citoyens et des dirigeants des pays candidats à l'adhésion, que
la contrainte financière.
La République tchèque et la
Slovaquie souhaitent mettre en service leurs réacteurs en cours de
construction, quitte à les mettre au préalable aux normes de
sûreté occidentales, et la Pologne songe à s'équiper
en centrales nucléaires pour pouvoir " sortir du charbon "
sans recourir au gaz russe.
b) Une négociation tendue dans la perspective de l'élargissement
Dans le
secteur de l'énergie nucléaire, la reprise de " l'acquis
communautaire " implique que les pays candidats respectent les normes de
sûreté acceptées par la communauté internationale,
instituent des autorités indépendantes, ratifient la convention
de Vienne sur la gestion des combustibles usés et des déchets
radioactifs, et intègrent les frais de démantèlement des
centrales nucléaires dans le prix de l'électricité. Ces
obligations s'imposent à tout Etat membre.
Toutefois, l'Union européenne va au-delà dans le cadre des
négociations d'adhésion, et fait pression sur les pays candidats
pour obtenir la fermeture de certains réacteurs nucléaires
qu'elle juge particulièrement dangereux.
Le niveau de sûreté des centrales nucléaires est
satisfaisant en Roumanie, en Slovénie, en Hongrie et en
République tchèque. Les deux premiers de ces pays candidats
disposent chacun d'une centrale de conception occidentale, tandis que les deux
derniers ont réalisé, avec l'aide occidentale, les modernisations
nécessaires sur leurs réacteurs de type VVER. Il n'en va pas de
même dans trois autres pays candidats.
En
Bulgarie
, les améliorations en cours ont permis aux
unités 5 et 6 de la centrale de Kozloduy, de type VVER 320, d'atteindre
un niveau de sûreté satisfaisant. En revanche, les programmes
d'améliorations prévus pour les unités 1 à 4 ne
seront pas suffisants pour amener ces tranches, de type VVER 230, au
niveau des standards occidentaux de sûreté nucléaire.
En
Slovaquie
, le niveau de sûreté de la centrale de
Mochovce, ainsi que des unités 3 et 4 de la centrale de Bohunice, de
type VVER 320, devrait être acceptable au terme des améliorations
en cours. Mais selon l'Association des autorités de sûreté
nucléaire d'Europe occidentale, pour les unités 1 et 2 de
Bohunice qui sont de type VVER 230, "
le confinement pourrait ne pas
limiter les conséquences des accidents de perte de refroidissement et
des accidents graves conformément aux pratiques pour les
réacteurs d'Europe de l'Ouest de même époque
".
En
Lituanie
, les réacteurs de la centrale d'Ignalina, appartenant
à la plus récente génération de réacteurs
RBMK, ont bénéficié d'un renforcement important de leur
sûreté grâce à un programme continu
d'améliorations qui ont traité ou compensé la plupart de
leurs déficiences. Cependant, toujours selon l'Association des
autorités de sûreté nucléaire d'Europe occidentale,
"
l'absence d'un confinement adéquat du réacteur demeure
un problème majeur qui ne peut pas être résolu de
façon réaliste
".
En conséquence, le Conseil européen de Vienne de
décembre 1998 a posé comme condition préalable à
l'adhésion la fermeture des réacteurs nucléaires
incriminés.
L'Allemagne et l'Autriche, en raison de leur
sensibilité antinucléaire et de leur proximité
géographique des centrales vétustes, sont les deux Etats membres
les plus enclins à exercer une pression sur les pays candidats.
Loin d'être acceptée de bon gré, cette exigence de
l'Union européenne a été ressentie par les trois pays
concernés comme une ingérence dans leurs affaires
intérieures.
L'énergie nucléaire fournit 41 % de
l'électricité bulgare, 44 % de l'électricité
slovaque et 77 % de l'électricité lituanienne. La Bulgarie et la
Lituanie engrangent de précieuses devises grâce à leurs
exportations d'électricité.
Politiquement, les dirigeants des trois Etats ont fait valoir qu'ils ne
pourraient faire accepter la fermeture des centrales à leurs concitoyens
que si cette décision n'apparaissait pas comme un " caprice "
de l'Union européenne, mais comme une mesure conforme à leurs
propres intérêts.
Economiquement, ils ont regretté que les frais importants
déjà engagés pour l'amélioration de la
sûreté des centrales soient ainsi perdus. Ils ont souligné
qu'une fermeture ne pourrait intervenir qu'après la réalisation
des nouveaux investissements nécessaires pour compenser cette perte de
capacité énergétique, et demandé l'aide
financière de l'Union européenne. Celle-ci considère que
l'équilibre pourrait aussi bien être rétabli par une
amélioration de l'efficacité énergétique dans les
pays concernés.
Le débat a également porté sur l'expertise technique
étayant la position de l'Union européenne. En effet, l'avis de la
Commission européenne a pu apparaître moins nuancé que
celui de l'AIEA ou de l'Association des autorités de sûreté
nucléaire d'Europe occidentale, qui prennent plus volontiers en
considération les améliorations apportées aux
installations existantes. Mais la Commission a opposé en juin 1999 une
fin de non recevoir très ferme aux velléités des pays
candidats concernés de rouvrir la discussion sur des bases techniques.
Finalement, la Bulgarie, la Slovaquie et la Lituanie ont accepté de
prendre l'engagement de fermer leurs réacteurs nucléaires
jugés dangereux, mais selon un calendrier étalé dans le
temps.
Calendrier prévisionnel des fermetures de réacteurs nucléaires dans les pays candidats
Pays |
Centrale nucléaire |
Type de réacteur |
Date de fermeture prévue |
Lituanie |
Ignalina 1 |
RBMK 1500 |
2005 |
|
Ignalina 2 |
RBMK 1500 |
2008 |
Slovaquie |
Bohunice 1 |
VVER 230 |
2006 |
|
Bohunice 2 |
VVER 230 |
2008 |
Bulgarie |
Kozloduy 1 et 2 |
VVER 230 |
2002 |
|
Kozloduy 3 et 4 |
VVER 230 |
2006 |
Source : Commission européenne - Direction
générale de l'environnement
On remarquera que, même si le rythme de l'élargissement reste
incertain, certaines des échéances de fermetures
envisagées pourraient intervenir après l'entrée des pays
concernés dans l'Union européenne. Du reste, ces dates sont
d'abord celles que souhaite la Commission. La Lituanie, pour sa part, a
annoncé que son Parlement ne se prononcerait qu'en 2003 sur la date de
fermeture de la tranche n° 2 de la centrale d'Ignalina.
En retour, l'Union européenne s'est engagée à fournir
une aide financière substantielle aux trois pays concernés, qui
devrait atteindre en 2006 un montant cumulé de 150 millions d'euros pour
Ignalina, 150 millions d'euros également pour Bohunice, et 200
millions d'euros pour Kozloduy.
Dans les discussions âpres qui sont
engagées, la Commission cherche à minimiser le manque à
gagner résultant de la fermeture des réacteurs, en
réévaluant leurs coûts complets de fonctionnement et en
contestant l'intérêt même de produire de
l'électricité pour la vendre à des prix artificiellement
bas qui ne laissent parfois aucune marge bénéficiaire.
Tout bien considéré, votre rapporteur s'interroge sur la
pertinence des pressions exercées par l'Union européenne pour
obtenir la fermeture de centrales nucléaires dans les pays candidats
à l'adhésion.
La dangerosité des réacteurs en question justifie-t-elle une
mesure aussi radicale ? Certes, leur niveau de sûreté ne
pourra jamais atteindre celui des réacteurs occidentaux. Mais leur
condamnation n'en résulte pas automatiquement. Ces réacteurs
peuvent être grandement améliorés techniquement, et la
décision de les fermer reste de nature politique.
Or, le coût politique d'une telle exigence de l'Union européenne
n'est pas négligeable. Elle a sans doute contribué à
l'érosion, aujourd'hui perceptible, du soutien des opinions publiques
des pays d'Europe centrale et orientale à l'entrée dans l'Union.
Enfin, il est permis de douter de la valeur des engagements de fermer les
centrales pris par les trois pays candidats. Actuellement, l'Union
européenne exige d'eux, dans le cadre des négociations
d'adhésion, ce qu'elle ne pourrait pas imposer à ses Etats
membres.
Si la Lituanie, la Slovaquie et la Bulgarie entrent dans l'Union avant la
fermeture effective des réacteurs incriminés, ce que l'on ne peut
exclure, elles retrouveront une pleine souveraineté en la
matière. Leur engagement politique de fermer les centrales pourrait
être alors reconsidéré, dans un contexte
énergétique et climatique qui aura évolué.
Même si les engagements de fermeture sont inscrits dans les
traités d'adhésion des pays concernés, l'expérience
autorise à penser qu'il n'y aura pas forcément une
majorité au Conseil pour condamner leur éventuelle violation.