3. Comment doit être exercé le rôle de prêteur en dernier ressort ?
Une
recommandation préalable ressort de l'expérience des
crises : la nécessité d'interventions rapides doit
être affirmée avec force. Mais une autre considération est
essentielle.
Le constat de l'existence d'un risque d'irresponsabilité associé
aux interventions des prêteurs en dernier ressort appelle à une
réflexion sur les moyens de réduire ce risque. Ce dernier,
soulignons-le n'est pas l'apanage du secteur privé ; il concerne
aussi les Etats pour lesquels la perspective d'un secours extérieur peut
agir comme un dangereux lénifiant.
C'est pourquoi il importe d'accoler aux interventions des prêteurs en
dernier ressort un coût afin qu'elles cessent d'apparaître comme
une assurance sans prime.
Cette préconisation ne signifie pas que ce type de prêts soit
assorti systématiquement d'un taux de pénalité. Cela est
parfois recommandé comme étant de nature à prévenir
un recours abusif à la monnaie de la banque centrale lorsque le
marché serait capable, mais à un taux plus élevé,
de refinancer l'établissement défaillant. Dans les faits, de
nombreux prêts de secours sont attribués sans application d'un
taux de pénalité. Cet usage s'explique par des
considérations pratiques, infliger un taux de pénalité
pouvant accroître les difficultés de l'intermédiaire
secouru. En la matière, tout esprit de système doit être
exclu, tout étant du domaine des cas d'espèces.
Il faut en revanche systématiquement rechercher quelles
conditionnalités s'imposent dans le cadre des interventions de
secours
. Il peut s'agir d'un changement des dirigeants - solution
envisageable dans les prêts au secteur privé mais
évidemment non-mobilisable lorsqu'il s'agit du secteur public - voire
d'un retrait d'agrément. Il peut être nécessaire de
resserrer les exigences de couverture en capital imposées à
l'établissement ou encore d'élever les provisions passées
par lui. Une large gamme de conditions peuvent être envisagées.
Elles doivent l'être au coup par coup. Mais il faut faire plus.
Il est important et souhaitable que les prêteurs en dernier ressort,
et en particulier les banques centrales, définissent explicitement en
commun, le prix de leurs éventuelles interventions. Cette
déclaration commune serait en soi une manière de réduire
le risque moral.
D'autres voies doivent être explorées.
Un sujet mérite de ce point de vue une attention
particulière : celui de l'association des intérêts
privés à la résolution des crises de liquidité
.
Ce thème a été développé depuis les crises
asiatiques pour une raison évidente : ces crises ont principalement
concerné des agents privés. Il a fait l'objet d'une
déclaration lors du sommet du Conseil européen de Cologne en juin
1999.
" Pour le Conseil européen, il est particulièrement
important d'associer davantage le secteur privé à la
prévention et au règlement des crises financières. A cet
égard, il insiste sur la nécessité d'intensifier les
travaux visant à fixer des règles plus efficaces pour la
participation du secteur privé à la prise en charge du coût
des turbulences sur les marchés financiers ".
C'est une même approche qui a été suivie par le G 10
lors de sa réunion de Washington en septembre 1999 où furent
réaffirmés
" les
principes selon lesquels les
débiteurs doivent honorer leurs obligations et contrats et qu'aucune
catégorie de créanciers privés ne doit être
considérée comme privilégiée par rapport à
d'autres ".
Un appel a été lancé à cette
occasion pour l'intensification du dialogue entre créanciers et
débiteurs ainsi que pour l'extension du recours aux clauses d'action
collective dans les émissions obligataires privées ou
émanant d'emprunteurs souverains.
En l'état, ce qui est en discussion est essentiellement relatif à
l'introduction de modalités juridiques et pratiques permettant de
restructurer les dettes obligataires privées. Tout part du constat, plus
ou moins strictement fondé, qu'à l'occasion des crises les
interventions de secours des prêteurs en dernier ressort permettraient
d'acquitter les dettes obligataires privées. L'inclusion de clauses de
restructuration des dettes privées dans toutes les émissions
où elle pourrait sembler nécessaire serait ainsi
censée :
- résoudre les problèmes d'aléa moral que pose
l'intervention massive des institutions financières
internationales ;
- assurer la comparabilité de traitement entre créanciers publics
et privés ainsi qu'entre les créanciers privés
eux-mêmes ;
- inciter les prêteurs et les investisseurs à une meilleure
évaluation des risques associés à leurs opérations
sur les marchés émergents.
La poursuite de tels objectifs apparaît souhaitable. Il convient
cependant d'ajouter une observation
.
Si la participation des porteurs d'obligations au traitement des crises doit
être mieux établie, il faut veiller aussi à ce que les
banques créditrices et les actionnaires y soient également
associés. C'est souvent le cas pour les banques qui se trouvent
" collées " au moment où survient la crise mais il est
souhaitable de réfléchir à la situation de celles dont les
désengagements plus précoces leur permettent sans doute d'y
échapper mais peuvent avoir une responsabilité de premier rang
dans les processus de crise. Il y a là un thème de
réflexion à approfondir.