AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Lors de la dernière session parlementaire, la commission des Affaires sociales du Sénat a décidé d'organiser une mission d'information destinée à dresser le bilan de la situation sanitaire et sociale de la Guyane.
Votre commission a, en effet, toujours été très attentive à la situation de l'outre-mer où les difficultés sociales sont tout particulièrement exacerbées. Ainsi, a-t-elle déjà effectué deux missions d'information en outre-mer ces dernières années, l'une en 1992 à la Réunion, l'autre en 1993 en Guadeloupe et en Martinique, afin d'étudier les questions de l'emploi et du RMI. Cette nouvelle mission s'inscrit donc dans la continuité de ces missions précédentes, même si son champ a, dans le cas présent, été élargi aux questions sanitaires.
Votre commission a, cette fois, choisi la Guyane.
L'image de la Guyane est en effet celle d'un département en crise. Comme l'écrit M. Jean-François Merle dans son récent rapport sur la Guyane 1 ( * ) , la crise guyanaise, " c'est d'abord la crise de développement d'une région qui subit de plein fouet les contrecoups d'un marché trop étroit, où la concurrence est inexistante, d'une dépendance extrême à l'égard des financements publics et des transferts, d'une pression démographique accentuée par les effets de l'immigration, légale ou clandestine ".
Cette crise de développement est particulièrement sensible sur le plan sanitaire et social. C'est le constat qu'a pu dresser sur place la délégation. Si cette crise s'explique avant tout par les spécificités démographiques et géographiques du département, elle est également alimentée par l'inadaptation croissante des politiques publiques au contexte local.
Mais cette mission est également apparue nécessaire dans le contexte législatif actuel. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a annoncé, le 23 octobre 1998, que " le Gouvernement déposerait, à l'automne 1999, un projet de loi d'orientation axé en priorité sur le développement économique et social des départements d'outre-mer ". Aussi, dans la perspective de l'examen par le Parlement de ce projet de loi d'orientation qui comprendra un important volet social, il a semblé souhaitable à votre commission d'organiser un déplacement sur place afin de préparer dans les meilleures conditions l'examen de ce projet dont elle ne manquera pas de se saisir pour avis.
C'est la raison pour laquelle, au-delà du simple diagnostic d'ailleurs déjà largement connu, la délégation a souhaité également dégager les orientations qu'elle estime nécessaires pour préparer l'avenir de ce département. Il s'agit donc moins de rédiger un " énième " rapport que d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur les aspects les plus préoccupants du contexte sanitaire et social guyanais et d'apporter une contribution concrète aux efforts et aux réflexions déjà largement entrepris sur place.
La mission s'est déroulée du 23 au 29 juillet 199.
- M. Jean Delaneau, président, RI, sénateur d'Indre-et-Loire, - M. Jacques Bimbenet, RDSE, sénateur du Loir-et-Cher, - M. Louis Boyer, RI, sénateur du Loiret, - M. Bernard Cazeau, Soc, sénateur de Dordogne, - M. Guy Fischer, CRC, sénateur du Rhône, - M. Francis Giraud, RPR, sénateur des Bouches-du-Rhône, - M. Alain Gournac, RPR, sénateur des Yvelines, - M. Jean-Louis Lorrain, UC, sénateur du Haut-Rhin, - M. Philippe Nogrix, UC, sénateur d'Ille-et-Vilaine. |
Pendant la durée de son séjour, la délégation a participé à plus d'une vingtaine d'entretiens approfondis, sans compter de nombreux échanges plus informels, mais elle a privilégié les visites " sur le terrain ", notamment dans le secteur sanitaire, au plus près des réalités quotidiennes, qui lui ont permis de dresser un état des lieux aussi précis et aussi objectif que possible de la situation sanitaire et sociale de la Guyane.
Toutefois, si, à l'occasion de cette mission, la délégation a tenu à examiner l'ensemble de la situation sanitaire et sociale de ce département, elle a choisi, face à l'ampleur des domaines concernés, de concentrer son travail sur deux thèmes plus précis, qui sont vite apparus comme les plus préoccupants : la situation sanitaire d'une part et l'emploi et l'insertion professionnelle d'autre part.
La délégation tient à remercier vivement l'ensemble des personnalités qui l'ont reçue (voir programme de la mission in fine ) pour la qualité et la chaleur de leur accueil et pour leur précieuse collaboration au bon déroulement de cette mission.
I. UNE SITUATION SANITAIRE DÉGRADÉE
A. L'ÉTAT DE SANTÉ PRÉCAIRE DE LA POPULATION
L'état de santé de la population guyanaise est difficile à apprécier de manière fine. Le document de préparation du schéma régional d'organisation sanitaire (SROS) établi en janvier 1999 par l'agence régionale d'hospitalisation (ARH) précise ainsi : " l'identification des besoins de santé de la population guyanaise se heurte d'emblée à l'insuffisance des systèmes d'information. En effet, très peu de données de morbidité sont disponibles en routine et leur finesse est insuffisante. La faiblesse et l'hétérogénéité des données disponibles, en particulier des recueils d'informations médicales hospitalières, rendent très difficile l'appréciation qualitative et quantitative de la morbidité de la population guyanaise. D'autre part, les caractéristiques démographiques de la population et leur évolution prévisible sont très dépendantes des informations disponibles sur l'immigration, très importante en Guyane et difficile à estimer. "
La situation démographique apparaît en effet, dans le cas guyanais, comme l'un des déterminants majeurs de l'état de santé de la population.
Si les spécificités guyanaises sont d'abord de nature géographique (il s'agit du plus vaste département français avec un territoire de 91.000 km 2 ), elles sont également démographiques. C'est ce que viennent de confirmer les résultats du dernier recensement général de la population effectué en 1999. |
• Une forte croissance démographique La croissance de la population reste particulièrement rapide même si elle a tendance à légèrement ralentir. Ainsi, la population a plus que doublé depuis 1982 et atteindrait 157.000 habitants en 1999. 1982 1990 1999 Population totale au recensement 73.012 114.678 157.277 Source : INSEE Cette croissance est d'autant plus impressionnante que, pendant trois siècles et jusqu'en 1946, la population avait stagné autour de 25.000 habitants. En réalité, il n'est pas exclu que le recensement de 1999 ait sous-estimé le chiffre réel de la population. Ainsi, les estimations intercensitaires de l'INSEE évaluaient la population à 171.000 habitants en 1997. Beaucoup des interlocuteurs de la délégation ont alors estimé que la population totale atteignait en fait 200.000 habitants. Deux causes principales sont à l'origine de cette croissance rapide. D'une part, la natalité reste très forte. Le taux de natalité guyanais est le plus élevé des départements français (29,8 naissances pour 1.000 habitants en 1997 contre 12,6 en métropole). Cela s'explique par un taux de fécondité qui reste élevé (3,2 contre 1,7 en métropole) et par la forte proportion de femmes en âge de procréer. D'autre part, l'immigration est importante. |
• Un solde migratoire important La population guyanaise est traditionnellement très diversifiée. Si les créoles représentent l'essentiel de la population (45 % au total), ils restent minoritaires par rapport à d'autres populations : métropolitains, amérindiens, noirs marrons, asiatiques (chinois et H'mongs). A cette population française s'ajoute une population immigrée de plus en plus importante. Elle atteindrait 70.000 personnes, soit près de 40 % de la population totale du département (1) . La moitié de ces immigrés serait en situation irrégulière. Le solde migratoire est d'ailleurs plus important que le solde naturel. Il l'a ainsi dépassé de 50 % entre 1982 et 1990. Ces nouveaux immigrés, attirés par l'attractivité économique du département ou chassés par des troubles politiques dans des pays voisins, viennent principalement d'Haïti, du Brésil, du Surinam ou de Guyana. |
• Une population jeune Plus du tiers de la population a moins de 15 ans et plus de la moitié a moins de 25 ans. La structure par âge de la population est donc très différente de celle de la métropole. En 1997 Guyane Métropole Part des moins de 15 ans 35,5 % 19,4 % Par des plus de 65 ans 3,6 % 15,2 % Source : INSEE |
• Une répartition très inégale de la population Si la densité moyenne est faible (2 habitants au km 2 ), la population est en revanche très inégalement répartie sur le territoire départemental : 82 % de la population est regroupée sur le territoire des 5 communes urbaines du littoral. (1) Estimation de l'IEDOM, rapport " La Guyane en 1998 ". |
Néanmoins la délégation considère que cet état de santé reste précaire, certains indicateurs étant à ses yeux particulièrement préoccupants 2 ( * ) .
1. Une espérance de vie écourtée
L'état de santé d'une population ne peut se résumer au seul indicateur de l'espérance de vie à la naissance.
Certes, celle-ci a sensiblement augmenté ces dernières années, tendant à se rapprocher de la moyenne nationale.
Espérance de vie à la naissance
Guyane |
Métropole |
|||||
1990 |
1995 |
1999 |
1990 |
1995 |
1999 |
|
Hommes |
65,5 |
70,2 |
ND |
72,8 |
73,9 |
74,9 |
Femmes |
73,9 |
77,9 |
ND |
81,0 |
81,9 |
82,3 |
Source : INSEE
Cette progression s'explique par la baisse de la mortalité infantile depuis les années 1970. Toutefois, on constate dans les années 1990 une stabilisation, voire une légère régression de cet indicateur. Les gains les plus récents en terme d'espérance de vie proviennent alors de l'amélioration de l'état de santé à d'autres âges de la vie.
Il n'en reste pas moins que l'espérance de vie reste significativement inférieure -de l'ordre de quatre ans- à celle de la métropole.
Cette analyse rend alors nécessaire une approche comparative en termes de mortalité et de morbidité pour identifier les principales causes tendant à fragiliser l'état de santé des guyanais.
a) Une surmortalité relative
Alors que la mortalité semble faible en apparence (3,8 0 /00 contre 9,2 0 /00 en métropole), une surmortalité globale est constatée lorsque l'effet de structure par âge est éliminé.
Taux comparatifs de mortalité
Causes |
Guyane |
Métropole |
Différence |
Maladies de l'appareil circulatoire |
363,30 |
311,50 |
+ 51,80 |
Tumeurs |
210,20 |
251,70 |
- 41,50 |
Causes extérieures de traumatismes |
100,30 |
83,80 |
+ 16,50 |
Maladies infectieuses et parasitaires |
77,80 |
17,00 |
+ 60,80 |
Symptômes et états mal définis |
56,60 |
56,00 |
+ 0,60 |
Maladies endocrines, troubles immunitaires |
48,90 |
23,00 |
+ 25,90 |
Maladies de l'appareil respiratoire |
48,10 |
63,90 |
- 15,80 |
Maladies de l'appareil digestif |
42,60 |
48,00 |
- 5,40 |
Autres maladies |
40,60 |
18,30 |
+ 22,30 |
Troubles mentaux |
25,80 |
22,20 |
+ 3,60 |
Maladies du système nerveux |
22,60 |
19,50 |
+ 3,10 |
Maladies des organes génito-urinaires |
14,80 |
12,70 |
+ 2,10 |
Total toutes causes |
1 051,60 |
927,60 |
+ 124,00 |
Source : INSERM-ARH
Trois causes principales de surmortalité peuvent alors être identifiées : les affections cardio-vasculaires, les causes extérieures de traumatismes (violences, suicides, accidents de la circulation...) et les pathologies infectieuses.
La Guyane cumule donc des causes de mortalité propres aux pays développés (maladies cardio-vasculaires principalement) et des causes de surmortalité spécifiques aux pays en développement (traumatismes, pathologies infectieuses, mortalité périnatale).
b) Des pathologies spécifiques
Au-delà des seuls indicateurs de mortalité, les indicateurs de morbidité permettent sans doute d'apprécier plus finement les caractéristiques particulières de l'état de santé de la population.
Répartition des séjours annuels dans les
établissements hospitaliers
selon les pathologies
traitées
Causes |
Guyane |
Métropole |
Différence |
Accouchements anormaux et complications de grossesse et d'accouchement |
24,30 % |
7,70 % |
16,6 |
Lésions traumatiques, empoisonnements |
15,30 % |
9,70 % |
5,6 |
Appareil digestif |
9,00 % |
12,00 % |
- 3,0 |
Maladies infectieuses et parasitaires |
6,40 % |
1,60 % |
4,8 |
Symptômes signes et états morbides mal définis |
6,00 % |
8,80 % |
- 2,8 |
Appareil circulatoire |
5,60 % |
9,80 % |
- 4,2 |
Maladies des organes génito-urinaires |
5,20 % |
6,00 % |
- 0,8 |
Appareil respiratoire |
4,40 % |
6,40 % |
- 2,0 |
Maladies du système nerveux et des organes des sens |
4,10 % |
7,50 % |
- 3,4 |
Système ostéoarticulaire, muscles et tissus conjonctifs |
3,60 % |
5,60 % |
- 2,0 |
Tumeurs |
3,10 % |
8,40 % |
- 5,3 |
Affections dont l'origine se situe dans la période périnatale |
2,50 % |
0,70 % |
1,8 |
Peau et tissus sous-cutanés |
2,40 % |
1,70 % |
0,7 |
Maladies endocriniennes nutrition et troubles immunitaires |
2,20 % |
2,10 % |
0,1 |
Troubles mentaux |
1,80 % |
2,30 % |
- 0,5 |
Autres |
4,70 % |
9,70 % |
- 5,0 |
Source : INSERM-ARH
Trois types de morbidité sont donc sur-représentés en Guyane : celles liées à la naissance et à la périnatalité, aux traumatismes et aux maladies infectieuses.
2. Des fragilités inquiétantes
Plusieurs fragilités de l'état de santé de la population guyanaise ont tout particulièrement préoccupé la délégation.
a) La persistance durable de certaines pathologies
Les premières concernent certaines pathologies auxquelles la population guyanaise est directement et traditionnellement exposée. La délégation a toutefois observé que ces pathologies se révèlent persistantes, voire en augmentation.
La délégation s'est tout d'abord inquiétée de la persistance de la mortalité périnatale et infantile.
Taux de mortalité infantile et périnatale
Guyane |
Métropole |
|||
1985 |
1995 |
1985 |
1995 |
|
Mortalité infantile (1) |
21.4 |
17,8 |
8,3 |
5,0 |
Mortalité périnatale (2) |
31,0 |
28,3 |
10,7 |
7,6 |
(1) pour 1.000 naissances vivantes Source : INSEE
(2) Nombre de mort-nés et de décès de moins de 7 jours pour 1.000 naissances totales
Les taux de mortalité infantile et périnatale mettent en évidence deux problèmes :
- ils sont plus de trois fois plus élevés qu'en métropole ;
- ils ne diminuent plus que très faiblement. Le taux de mortalité périnatale n'a ainsi diminué que de 10 % entre 1985 et 1995. Il est aujourd'hui de 26 ou 27 o /oo, selon les estimations de la DDASS.
La traumatologie est également préoccupante. La sur-représentation des lésions traumatiques en Guyane s'explique part :
- la violence, le taux d'homicide étant par exemple quatre fois plus élevé en Guyane qu'en métropole en 1995 ;
- l'importance des accidents de la circulation en dépit de la très faible densité du réseau routier ;
- le nombre élevé de suicides et de tentatives de suicides.
L'existence endémique de maladies infectieuses constitue aussi un important problème de santé publique. L'incidence du paludisme en Guyane reste élevée où 3.209 cas confirmés ont été enregistrés en 1997. La lèpre reste présente, même si la prévalence décroît régulièrement. Mais 10 à 15 nouveaux cas sont détectés chaque année. Le virus de la dengue , qui sévit à l'état endémique, est d'autant plus préoccupant qu'un nouveau virus est apparu qui peut évoluer vers des formes graves de fièvres hémorragiques.
L'importance de l'alcoolisme est tout aussi préoccupante, notamment du fait des psychoses alcooliques nécessitant un traitement psychiatrique et des conséquences en termes de morts par traumatismes (accidents de la circulation en particulier). L'alcoolisme est d'autant plus inquiétant qu'il n'existe aujourd'hui aucune structure spécifique de prise en charge en Guyane, même si un projet de création d'un centre de cure ambulatoire en alcoologie pourrait voir le jour cette année.
b) L'apparition de nouveaux problèmes sanitaires
A ces pathologies traditionnelles, mais hélas persistantes, s'ajoute l'apparition de nouveaux problèmes sanitaires. La délégation a ainsi été tout particulièrement sensibilisée à trois d'entre eux.
La Guyane est très fortement touchée par le Sida . En 1997, le taux de victimes du Sida par million d'habitants atteignait 4.390 contre 782 en moyenne nationale. Au total, depuis le début de l'épidémie jusqu'en 1998, 672 cas de Sida domiciliés en Guyane ont été déclarés. L'épidémie présente une particularité en Guyane : sa transmission se fait très majoritairement par relations hétérosexuelles.
La toxicomanie mérite également une attention particulière. Une enquête de l'observatoire régional de santé d'avril 1998 chiffre à 20 % la proportion de jeunes consommateurs de drogue. Cette situation est d'autant plus inquiétante qu'il semble que le nombre de toxicomanes augmente (on assiste en effet à une progression du nombre de patients hospitalisés pour toxicomanie) et qu'elle prend principalement la forme de consommation de " crack ", drogue spécialement nocive à effet de dépendance quasi-immédiate.
La délégation s'est aussi inquiétée de la qualité de l'eau. Deux problèmes distincts peuvent ici être identifiés.
D'une part, la pollution des fleuves Maroni et Oyapock rend l'eau impropre à la consommation dans les communes de l'intérieur. La direction de l'action sanitaire et sociale (DDASS) considère que " la qualité de l'eau distribuée en Guyane ne s'est pas améliorée et s'est même détériorée depuis quatre ans ". Au total, 20 % de la population ne serait pas desservie par une eau de bonne qualité.
D'autre part, la pollution des fleuves se traduit par la présence de mercure dans la chaîne alimentaire. Les activités d'orpaillage sont en effet responsables de rejets importants de mercure dans les fleuves, notamment dans le Maroni. Ces rejets provoquent une contamination des poissons qui constituent une des bases de l'alimentation des populations amérindiennes. Ces populations sont alors exposées à de graves risques neurotoxiques. Deux études réalisées par l'Institut de veille sanitaire et par l'INSERM en avril et juin 1999 ont montré que la norme maximale de 10 g/g de mercure dans les cheveux, tolérée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), était dépassée pour la moitié de la population amérindienne étudiée.
c) L'existence de facteurs aggravants
Mais au-delà de ce diagnostic strictement sanitaire, la délégation a observé que cette situation sanitaire inquiétante souffrait de deux facteurs aggravants.
En premier lieu, la montée de la précarité n'est pas sans incidence sur l'état de santé de la population. Certes, il est difficile d'évaluer la montée de la précarité tant cette notion semble parfois en inadéquation avec le contexte spécifique guyanais.
Ainsi, l'INSEE a considéré que les ménages précaires étaient ceux logés dans des habitations de fortune, ne disposant pas d'eau dans ou près du logement, et ceux dont le chef de famille est chômeur. Se fondant sur cette définition, l'institut a estimé que 30 % de la population vivait en situation de précarité (contre 22 % en Guadeloupe et 18 % en Martinique) sur la base du recensement de 1990. Cette analyse doit cependant être accueillie avec prudence, car il n'intègre qu'imparfaitement certaines traditions guyanaises : l'habitat traditionnel sur les fleuves est considéré comme un habitat précaire et le rapport au travail des amérindiens et des noirs marrons ne peut être pris en compte de manière classique.
Il n'en reste pas moins que la précarité s'accentue comme en témoigne l'évolution du nombre d'allocataires du RMI : ceux-ci sont passés de 2.321 en décembre 1989 à 8.251 en juin 1999.
En second lieu, la géographie humaine constitue un obstacle à l'amélioration de l'accès aux soins. Les communes de l'intérieur, qui regroupent 20 % de la population, restent isolées, n'étant souvent accessibles que par pirogues, au prix de trajets souvent longs et difficiles. Les dessertes aériennes sont en effet loin de couvrir l'ensemble du territoire, restent soumises aux aléas climatiques et sont d'un coût conséquent.
B. DES STRUCTURES SANITAIRES FRAGILISÉES
Face à cette situation sanitaire inquiétante et à la croissance rapide de la population, la délégation a cherché à apprécier l'adaptation des structures sanitaires à ces enjeux cruciaux en terme de santé publique.
Si la situation des structures sanitaires est contrastée, il apparaît toutefois qu'elles sont globalement fragilisées.
1. Un paysage sanitaire éclaté
Les structures sanitaires s'organisent autour de quatre pôles.
a) Le secteur hospitalier
Il est composé de six établissements.
Trois sont des établissements publics ou assimilés :
- le centre hospitalier de Cayenne
Cet hôpital comprend 326 lits en court séjour, 53 lits en moyen séjour et 105 lits en psychiatrie. Il gère également 40 lits de long séjour, 60 lits en maison de retraite, 30 places dans un centre médico-éducatif pour jeunes handicapés profonds ainsi qu'un centre spécialisé de soins aux toxicomanes. Il emploie 1.026 personnes, dont 113 comme personnel médical. Son budget global était de 554 millions de francs en 1999.
- le centre hospitalier André Bouron à Saint-Laurent-du-Maroni
Il comprend 74 lits en court séjour et 80 lits en maison de retraite. Il emploie 298 personnes, dont 34 médecins. Son budget global était de 143 millions de francs en 1999.
- le centre médico-chirurgical de Kourou
Il s'agit d'un établissement privé participant au service public hospitalier. Il comprend 65 lits de court et moyen séjours et emploie 139 personnes (en équivalent temps plein) dont 15 médecins. Son budget atteignait 94 millions de francs en 1999.
A ces établissements s'ajoutent trois cliniques privées, toutes situées à Cayenne : la clinique des Hibiscus, la clinique Saint-Paul et la clinique Véronique. Il existe également une maison de convalescence à Montsinéry.
Ces établissements privés proposent 216 lits en court séjour et 30 en moyen séjour. Ils emploient 297 personnes dont 97 médecins.
Au total, le nombre total de lits installés dans le secteur hospitalier s'élève à 737. Il a évolué comme suit :
Nombre de lits dans les établissements hospitaliers
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
|
Ensemble établissements publics et privés |
782 |
774 |
729 |
730 |
737 |
dont : - établissements privés |
212 |
212 |
242 |
246 |
246 |
Médecine |
274 |
272 |
272 |
267 |
278 |
Chirurgie |
215 |
209 |
204 |
210 |
194 |
Gynécologie |
97 |
97 |
97 |
102 |
133 |
Psychiatrie |
90 |
90 |
90 |
85 |
80 |
Moyen séjour |
90 |
90 |
66 |
66 |
52 |
Source : INSEE
L'activité globale du secteur hospitalier a représenté un peu plus de 25.000 entrées en 1996 en court séjour.
Activité du court séjour
hospitalier
Entrées totales en hospitalisation complète en
1996
Rubriques |
Guyane |
Secteur public : |
|
Médecine |
6.959 |
Chirurgie |
4.744 |
Gynécologie-obstétrique |
4.518 |
Secteur privé : |
|
Médecine |
3.307 |
Chirurgie |
8.546 |
Gynécologie-obstétrique |
6.639 |
Ensemble secteurs public et privé |
25.181 |
Nombre total d'accouchements |
4.089 |
Nombre total d'IVG |
1.216 |
Source : DRASS - SAE 96
b) Les centres de santé
Les centres de médecine collective, ou centres de santé, successeurs des anciens dispensaires, constituent un maillon essentiel du système sanitaire en Guyane, comme a pu le constater la délégation qui a visité les centres de santé de Manipasoula, d'Iracouba et les postes de santé de Cacao.
Institués par le décret du 16 décembre 1955 fixant les conditions de création et de fonctionnement des centres de médecine collective des départements d'outre-mer, ces centres de santé ont vocation à " répondre aux besoins dans des régions où les conditions normales d'exercice de la médecine sont absentes ".
Il existe actuellement neuf centres de santé et dix-sept postes de santé, implantés dans les communes isolées de la Guyane. Ces centres jouent un rôle prépondérant en matière sanitaire dans les zones où ils sont implantés. Ils effectuent des soins curatifs, des soins infirmiers, des accouchements, mais aussi des activités de prévention et de protection maternelle et infantile (pour 20 % de leur activité). Les centres disposent d'une quarantaine de lits d'hospitalisation. La gratuité des soins et des médicaments est la règle.
Pour les centres de santé, les équipes sont composées d'au moins un médecin, d'infirmières, d'aides soignantes, rarement de sages-femmes. Les postes sont tenus le plus souvent par des agents de santé ou des aides-soignantes, parfois par des infirmières. Des permanences organisées par un médecin sont organisées périodiquement, à un rythme hebdomadaire, voire mensuel.
Ces centres de médecine collective sont gérés depuis 1984 par le conseil général.
c) La médecine de ville
La médecine de ville n'est que faiblement représentée en Guyane, comme en témoigne le tableau ci-dessous.
Nombre de professionnels de santé libéraux en 1997
Médecins |
108 |
dont généralistes |
70 |
dont spécialistes |
38 |
Chirurgiens-dentistes |
44 |
Sages-femmes |
1 |
Infirmiers |
50 |
Masseurs-kinésithérapeutes |
29 |
Orthophonistes |
4 |
Orthoptistes |
2 |
Source : DRASS
d) Les autres structures sanitaires
Il existe également sept centres de prévention et de vaccination, tous situés sur la bande littorale, ainsi qu'un centre de prévention spécialisé basé à Cayenne.
Tous ces centres sont gérés par le conseil général, en application de la loi du 22 juillet 1983 qui confie, en matière d'organisation sanitaire, une compétence générale de prévention sanitaire au département.
2. Une offre sanitaire insatisfaisante
Lors de sa mission d'information, la délégation a constaté que l'offre de soins actuellement disponible en Guyane n'était pas satisfaisante. En dépit de la forte implication des professionnels de santé, les structures sanitaires restent en effet en grande partie inadaptées aux besoins des patients.
a) Une insuffisance quantitative
Qu'il s'agisse des équipements de santé ou des professionnels de santé, leur densité reste faible, voire insuffisante, sur le territoire guyanais. On constate en effet un retard évident de la Guyane par rapport à la métropole, mais aussi par rapport aux départements voisins des Antilles françaises, alors que la situation sanitaire de la Guyane exigerait un effort conséquent.
Cette insuffisance quantitative des structures concerne d'abord les équipements hospitaliers. A titre d'exemple, on s'en tiendra au seul nombre de lits hospitaliers de court séjour.
Taux d'équipement en lits hospitaliers en 1997 pour 1.000 habitants
Discipline |
Guyane |
Antilles |
Métropole |
Médecine |
1,70 |
2,45 |
2,11 |
Chirurgie |
1,19 |
1,60 |
1,89 |
Gynécologie-obstétrique |
0,81 |
0,61 |
0,45 |
Source : ministère de la Santé
Ainsi, en médecine et en chirurgie, le taux d'équipement est très sensiblement inférieur à celui de métropole, mais aussi à celui des Antilles dont la structure de la population est pourtant proche de celle rencontrée en Guyane.
De même, le " sur-équipement " en gynéco-obstétrique n'est qu'apparent. Le nombre de lits installés est proportionnellement moins de deux fois celui constaté en métropole. Or, la natalité en Guyane est près de trois fois supérieure à celle de métropole (29,8 0 /00 en Guyane, contre 12,6 0 /00 en métropole en 1997).
Au-delà de ces comparaisons statistiques un peu abstraites, la visite des établissements hospitaliers permet d'apprécier la saturation des hôpitaux et des cliniques.
Au moment de la visite de la délégation, le centre hospitalier de Cayenne offrait 15 lits dans son service de pédiatrie, alors que le nombre d'enfants accueillis était de 17. De la même manière, alors que le service de maternité est théoriquement limité à 55 lits, 65 lits étaient effectivement installés, dans des conditions de fortune, pour faire face à la demande.
La situation est identique au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni. Pour une capacité théorique de 10 lits en pédiatrie, le service accueille pourtant 19 enfants. Le service de maternité est tout aussi submergé, le nombre d'accouchements réalisé dans l'hôpital étant passé de 300 en 1980 à 1.400 en 1998.
L'engorgement croissant des services impose alors une rotation plus rapide des patients. Cette baisse constante de la durée moyenne de séjour n'est pas toujours sans risque sanitaire. Ainsi, à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, cette durée moyenne de séjour a été ramenée à 3,7 jours en maternité, avec des sorties qui peuvent intervenir le lendemain ou le surlendemain de l'accouchement.
Mais cette insuffisance quantitative concerne aussi le nombre de professionnels de santé installés en Guyane.
Densité des professionnels de santé en 1997
(pour 100.000 habitants) |
Guyane |
Guadeloupe |
Martinique |
Métropole |
Généralistes |
81 |
93 |
103 |
149 |
Généralistes libéraux |
43 |
64 |
75 |
114 |
Spécialistes |
53 |
76 |
85 |
146 |
Spécialistes libéraux |
23 |
43 |
41 |
87 |
Dentistes |
23 |
29 |
34 |
68 |
Sages-femmes |
110 |
121 |
143 |
88 |
Infirmiers |
310 |
374 |
500 |
588 |
Kinésithérapeutes |
24 |
37 |
40 |
81 |
Source : service statistique Région sanitaire Antilles-Guyane
Le déficit de professionnels de santé concerne aussi bien le secteur hospitalier que le secteur libéral. Il est sans doute accentué dans le secteur libéral où la densité médicale est inférieure en moyenne des deux tiers par rapport à la métropole. A cet égard, il est à noter que la gratuité des soins assurée dans les centres de santé ou aux urgences hospitalières peut contribuer à expliquer le faible développement du secteur libéral.
Ce déficit est patent, quelle que soit la profession concernée. Seules les sages-femmes sont en apparence sur-représentées en Guyane. En réalité, si on rapporte le nombre de sages-femmes au nombre de naissances, force est également de conclure à un encadrement insuffisant pour les sages-femmes.
Nombre de sages-femmes pour 1.000 naissances
Guyane |
Guadeloupe |
Martinique |
Métropole |
10,4 |
19,3 |
26,6 |
17 |
Source : DRASS
Cette insuffisance de sages-femmes atteint parfois des dimensions préoccupantes. Ainsi, la délégation a pu constater par exemple qu'à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, seules sept sages-femmes étaient effectivement employées alors que quatorze postes étaient pourtant créés.
Si ce manque de professionnels a diverses origines, la délégation considère cependant que les imperfections du système de formation l'expliquent en grande partie.
Les possibilités régionales de formation des professionnels de santé sont en effet très réduites. En Guyane, il n'existe qu'une école de formation d'infirmières et d'aides-soignantes rattachée au centre hospitalier de Cayenne. Elle ne forme chaque année que quinze infirmières dont une part ne souhaite pas exercer sur place et part pour la métropole.
Il n'existe aucune offre de formation régionale pour les médecins et les sages-femmes. L'UER de médecine de la région Antilles-Guyane, pourtant annoncée depuis longtemps, n'est toujours pas mise en place.
b) Une inadaptation qualitative
A cette insuffisance générale d'équipement et de professionnels de santé s'ajoute une inadaptation qualitative des structures sanitaires, que la délégation a jugé tout particulièrement inquiétante.
• La situation préoccupante des centres de santé
Alors que ces centres pourraient jouer un rôle fondamental de pivot dans l'organisation du système de santé, en limitant le recours aux urgences hospitalières et en favorisant une médecine de proximité dans des zones isolées et difficiles d'accès, la délégation n'a pu que constater leurs immenses difficultés.
Ce diagnostic ne fait que confirmer d'autres analyses antérieures.
Les contrôles sanitaires effectués par la DDASS en 1996 et 1997 avaient déjà fait le constat d'une situation catastrophique : manque de matériel, pénurie de personnel qualifié.
Le rapport de M Jean-François Merle précité, constatait également, en 1998, que " ces structures sont pour certaines dans un état déplorable, à la fois au plan des conditions d'accueil des patients et de travail des personnels et quant à leurs moyens de fonctionnement ".
En avril 1998, une mission de l'IGAS affirmait qu'un " fonctionnement normal de ces centres n'est pas assuré actuellement ".
La délégation a pu visiter trois de ces centres. Si leur situation est bien entendu très diverse, les centres de l'intérieur connaissent effectivement une situation très délicate.
L'organisation logistique des centres est excessivement précaire. Tous les centres ne disposent pas du téléphone. L'alimentation en eau et en énergie est irrégulière. Les approvisionnements en matériels courants, matériels médicaux ou médicaments sont erratiques. Certains appareils sont ainsi en panne depuis longtemps faute de réparation ou de pièces de rechange. En outre, les bâtiments se dégradent très rapidement faute d'un entretien suffisant.
Sur le plan médical, la situation est pire encore, en dépit de la forte implication des personnels qu'a pu observer la délégation. L'hygiène est ainsi parfois douteuse, ce qui ne fait que renforcer les difficultés de stérilisation des instruments médicaux. La pénurie de personnels est évidente. En l'absence d'un nombre suffisant de médecins, les infirmières, les sages-femmes et les aides soignantes sont appelées à compenser ces carences sans avoir pourtant accès à une formation continue. L'organisation des consultations laisse souvent à désirer, les visites de médecins étant trop peu fréquentes (notamment pour les gynécologues, les dentistes et les psychiatres). Les conditions de travail sont déplorables, les relations avec les patients étant souvent très difficiles et les rythmes de travail étant très soutenus.
Face à ce sombre constat, la délégation ne peut que soutenir la démarche actuelle consistant à transférer la responsabilité de ces centres du conseil général vers l'hôpital de Cayenne.
Elle observe en effet que la dégradation de la situation des centres de santé s'explique avant tout par l'absence de moyens financiers pouvant garantir leur bon fonctionnement. Les graves difficultés financières rencontrées par le conseil général ne lui permettaient pas à l'évidence d'assurer un financement optimum de ces centres.
La délégation estime cependant que le rattachement des centres à l'hôpital de Cayenne devra s'inscrire dans une démarche permettant une réelle réhabilitation de l'activité de ces centres. Cela suppose alors le respect de deux conditions.
D'une part, la restructuration annoncée des centres, qui pourrait prendre la forme d'une suppression des centres du littoral et d'une réorganisation en 4 ou 5 pôles des centres restants, ne devra pas remettre en cause le maillage qu'assurent ces structures sanitaires dans des régions isolées. L'isolement, mais aussi la saturation des centres hospitaliers justifient en effet le maintien durable des centres qui offrent une réelle alternative à l'hospitalisation.
D'autre part, la remise à niveau des centres exige un effort financier conséquent. Le coût de fonctionnement des centres est actuellement évalué à 34 millions de francs. L'effort supplémentaire de mise à niveau prévu par l'Etat serait de 3,5 millions de francs. Il est à craindre que cette enveloppe soit insuffisante pour réhabiliter les bâtiments, renouveler les équipements et améliorer les conditions de travail des personnels, autant de conditions préalables à une réelle remise à flot des centres.
• Une offre de soins lacunaire
Si les structures sanitaires guyanaise ne proposent qu'une offre quantitativement limitée, la situation est parfois plus grave. A l'insuffisance se substituent parfois des carences en termes d'offre.
Ainsi certaines spécialités médicales ne sont pas représentées en Guyane. C'est le cas de la neurologie. D'autres spécialités sont très peu présentes : la cancérologie, la pédiatrie avancée, l'ophtalmologie notamment.
Cela oblige alors les patients à aller se faire soigner soit aux Antilles, soit principalement en métropole. Si l'objectif pertinent n'est sans doute pas de réaliser une " autosuffisance " sanitaire pour toutes les spécialités dans le département, il n'en reste pas moins que le " taux de fuite " des patients obligés de recourir à une hospitalisation hors du département est très élevé. Ces migrations sanitaires sont en effet évaluées, par l'Observatoire régional de santé, à 15 % des séjours hospitaliers réalisés en Guyane.
Ces carences se vérifient également dans d'autres domaines. Ainsi, la psychiatrie est très en retard. Seul le centre hospitalier de Cayenne dispose de lits dans ce secteur avec 100 lits, alors même que les besoins sont en forte croissance en raison des ravages de la toxicomanie et de l'alcoolisme notamment.
Aux frontières du sanitaire et du médico-social, la délégation s'est également préoccupée de la situation de deux secteurs.
La prise en charge des personnes handicapées est encore balbutiante. La première structure d'hébergement n'a vu le jour qu'en 1994. Dès lors, l'insuffisance des structures adaptées oblige les handicapés à s'expatrier aux Antilles ou en métropole avec de très faibles perspectives de retour en Guyane.
La prise en charge des toxicomanes est également très imparfaite. Les places de soins disponibles sont très peu nombreuses et il n'existe pas de centre de postcure susceptible de prévenir les récidives.
Ces carences générales sont encore renforcées par les inégalités infra-régionales pour l'accès aux soins. L'intérieur et la région des fleuves sont en effet nettement défavorisées. Ces zones se caractérisent en effet par une plus faible densité en sages-femmes, médecins et infirmières, par la quasi-absence de kinésithérapeutes, de dentistes et de psychologues et par l'absence de médecins spécialistes libéraux. Les graves difficultés rencontrées par les centres de santé ne permettent alors pas de compenser ces inégalités.
3. Des spécificités handicapantes
Alors que l'offre sanitaire apparaît insuffisamment organisée en Guyane, sa fragilité est encore accentuée par certaines spécificités du département qui apparaissent comme autant d'handicaps supplémentaires.
a) L'impact de l'immigration
Le premier handicap est à l'évidence l'immigration. Alors que les structures hospitalières sont déjà saturées, l'immigration contribue à alimenter des demandes supplémentaires. Ainsi, au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni, les étrangers -essentiellement surinamiens- représentent 54 % de l'activité de l'hôpital tous services confondus et 71 % pour la seule maternité. Au centre hospitalier de Cayenne, 37 % des patients accueillis sont étrangers, principalement en provenance d'Haïti (à 52 %) ou du Brésil (à 20 %). Il s'agit le plus souvent d'étrangers en situation irrégulière.
Ce flux migratoire sanitaire répond à l'évidence à trois types de comportements. D'une part, le système sanitaire guyanais est plus performant que celui des pays limitrophes. D'autre part, l'accès aux soins est plus facile et moins coûteux car l'aide médicale assure la couverture complète des frais d'hospitalisation. Enfin, pour les maternités, la naissance dans un hôpital français permet d'acquérir immédiatement ou à terme la nationalité française et d'accéder ainsi aux prestations sociales.
Cette attractivité des hôpitaux guyanais est d'autant plus préoccupante qu'il existe des hôpitaux aux performances très satisfaisantes dans les pays voisins. Ainsi, l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni accueille de très nombreux étrangers, alors que, de l'autre côté du fleuve, au Surinam, l'hôpital d'Albina est pourtant opérationnel et a, qui plus est, été en partie financé par des capitaux publics français.
b) L'incidence du contexte financier
Le deuxième handicap est lié au poids tout particulier de la contrainte financière en Guyane. Celle-ci pèse tout particulièrement sur le système sanitaire. La crise financière du conseil général ne lui a pas permis de financer les centres de santé dans des conditions satisfaisantes.
En outre, la part des personnes hospitalisées relevant de l'aide médicale est très élevée. Elle atteint ainsi 23 % au centre médico-chirurgical de Kourou, environ 25 % au centre hospitalier de Cayenne et 45 % au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni. Or cette situation pose de graves problèmes de trésorerie aux hôpitaux qui ne recouvrent l'aide médicale qu'avec retard.
Enfin, les établissements hospitaliers supportent un surcoût spécifique : charges liées aux surrémunérations dans la fonction publique, charges liées à l'éloignement, octroi de mer, détérioration plus rapide des locaux et des équipements...
Or, il est à craindre que la contrainte financière pesant sur les structures sanitaires ne s'accentue du fait du retard d'équipement, de la rapide dégradation des locaux et de la pression de la demande.
Certes, les dotations régionales des dépenses hospitalières augmentent plus vite en Guyane qu'en métropole.
Taux d'évolution des dotations
régionalisées de dépenses
hospitalières
(en soins de longue durée)
1998 |
1999 |
2000 |
|
Guyane |
+ 3,06 % |
+ 3,53 % |
+ 3,87 % |
Métropole |
+ 1,41 % |
+ 2,04 % |
+ 2,20 % |
Source : ministère de la santé
Ces taux de progression restent néanmoins très faibles et ne sont pas en mesure d'assurer un réel rattrapage des établissements hospitaliers guyanais.
c) Le rôle des contraintes réglementaires
Le troisième handicap tient aux conditions d'application de la réglementation nationale. Département français, la Guyane se voit appliquer, suivant le principe de l'assimilation législative, l'ensemble de la réglementation française, même si la Constitution prévoit, dans son article 73, que les lois peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par la situation particulière des départements d'outre-mer.
Or, en matière sanitaire, ces adaptations sont rares. La Guyane est donc soumise à la même réglementation que la métropole alors que le contexte est profondément différent.
La délégation a ainsi pu observer certains effets pervers de ce régime d'assimilation législative. Deux exemples sont à cet égard particulièrement révélateurs.
Alors que l'endémie palustre touche environ 10 % de la population et que les hôpitaux sont surchargés, les médicaments nécessaires en prophylaxie et en thérapeutique palustres ne peuvent être prescrits que par ces hôpitaux pour bénéficier d'un remboursement. Considérés comme des " médicaments de confort " en métropole, ils ne sont pas inscrits sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables en ville aux assurés sociaux.
La nouvelle réglementation légale du temps de travail prévoit une réduction à 35 heures de la durée du travail au 1 er février 2000. Elle s'applique au centre médico-chirurgical de Kourou qui est un établissement privé. Or celui-ci garantit à ses agents la même rémunération que celle des agents de la fonction publique hospitalière en application de la convention collective de la Croix Rouge.
Dans ce cas d'espèce, le passage aux 35 heures va se traduire par une hausse sensible de frais de personnel et des problèmes d'organisation. Les difficultés de recrutement sont en effet telles que l'hôpital ne pourra pas embaucher faute de personnels qualifiés. En outre, les aides de l'Etat ne permettront pas de limiter sensiblement le coût supplémentaire dans la mesure où elles n'intègrent pas le surcoût de 36 % lié à la surrémunération des fonctionnaires applicable dans l'hôpital.
* 1 " Guyane 1997 : état des lieux et propositions ", Rapport au secrétariat d'Etat à l'outre-mer, 1998.
* 2 La délégation s'appuie notamment, pour formuler ce diagnostic, sur les travaux des conférences régionales de santé de 1997 et 1998 et de l'observatoire régional de santé.