AUDITION DU 28 OCTOBRE 1999
PROFESSEUR JEAN-PAUL VERNANT, CHEF DU SERVICE D'HÉMATOLOGIE À LA PITIÉ-SALPÊTRIÈRE, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE GREFFE DE MOELLE
Le professeur VERNANT pratique la greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) depuis 1972.
Les CSH peuvent provenir de trois sources qui sont, dans l'ordre d'ancienneté de leur utilisation, la moelle osseuse, le sang périphérique et le sang placentaire (ou sang de cordon). La loi ignore actuellement ces deux derniers types de prélèvement.
Ceci pose particulièrement problème pour la greffe allogénique de CSH périphériques qui nécessite l'administration préalable au donneur, sans bénéfice personnel, d'un facteur de croissance (GCSF recombinant). D'autre part, ces procédures concernant les CSH périphériques peuvent s'appliquer en situation apparentée (frère et soeur) et situation non apparentée. Dans ce deuxième cas, on se trouve dépendant d'un fichier mondial interconnecté qui regroupe environ 5 millions de donneurs. Certains pays ont une législation permettant l'administration de ce facteur de croissance et le prélèvement de CSH périphériques et peuvent donc en fournir aux receveurs français alors que la réciproque n'est pas possible en l'état actuel de la loi française. Il y a donc là un problème de mise en concordance des différentes législations européennes. Aux Etats-Unis, l'administration de facteurs de croissance est admise en cas de don entre frère et soeur mais il n'y a pas encore, de façon large, d'utilisation de produits de ce type pour les donneurs non apparentés.
Le recours aux CSH périphériques comporte un avantage certain, qui réside dans une prise de greffe et une sortie d'aplasie (7 à 8 jours) plus rapides.
Les risques théoriques du facteur de croissance sont liés à l'hyperleucocytose qu'il provoque chez le donneur et qui a conduit, dans deux cas, à des infarctus du myocarde dans les 48 heures suivant son administration. On a pu d'autre part relever deux cas de rupture de rate chez des donneurs sains, dont l'un était âgé de 17 ans.
Certains incidents ont pu résulter d'un mauvais calcul consistant à juger moins risqué le recours au GCSF que le prélèvement de moelle sous anesthésie générale qui présente probablement moins d'inconvénients, si cette anesthésie est bien planifiée, qu'une induction d'hyperleucocytose.
Un autre risque tient au fait qu'en stimulant la cellule souche qui est la cible du GCSF pour favoriser la sortie d'aplasie, on va recruter des cellules en amont et, peut-être, libérer des clones leucémiques. Ce risque n'a jusqu'ici été démontré ni chez l'animal ni chez l'homme et il est, en tout état de cause, difficile de l'établir : le risque de leucémie myéloïde chronique est actuellement de 1,5 à 2 pour 100 000 par an. Même si l'on admettait qu'il est multiplié par 5, cela impliquerait de suivre pendant plusieurs années plusieurs milliers de patients ayant reçu le produit.
La seule constatation que l'on a pu faire porte sur les dizaines de milliers de sujets qui ont reçu du GCSF et étaient atteints de lymphomes ou de cancers du sein ; avec un recul de près de dix ans, on n'y a pas relevé plus de leucémies myéloïdes chroniques ou de leucémies aiguës que dans une population témoin de sujets ayant les mêmes maladies.
Le GCSF est le médicament recombinant le meilleur marché au monde et occupe la troisième place dans le marché mondial avec 2,8 milliards de dollars par an. Son utilité pour favoriser la sortie d'aplasie est sans doute surestimée. En revanche, son efficacité est incontestable comme facteur mobilisant du greffon.
La troisième source de CSH est le sang placentaire. Son avantage est de fournir des cellules relativement immatures, donc moins sujettes à l'immunostimulation de différence HLA.
Les greffes de CSH requièrent une identité entre donneur et receveur qui soit la plus parfaite possible, l'idéal étant, dans l'ordre décroissant, le jumeau monozygote et le frère ou la soeur géno-identique. Même dans cette seconde situation, la réaction GVH (graft versus host) déclenchée par le greffon survient dans 30 à 40 % des cas et est mortelle dans 10 % des cas. Le fichier mondial ne permet de satisfaire à cette exigence d'identité que dans 50 % des cas.
L'avantage des lymphocytes « naïfs » existant dans le sang placentaire est d'être beaucoup plus tolérants à l'égard des différences d'antigènes existant entre eux et le receveur, donc de réduire considérablement le risque de GVH.
Cependant, le sang placentaire ne peut être recueilli qu'en très faible quantité (quelques dizaines de millilitres) et ne fournit donc qu'un nombre de CSH insuffisant pour un adulte de taille et de poids normaux. L'avenir passe par la mise au point de techniques d'expansion sur lesquelles travaille actuellement une équipe bordelaise.
L'utilisation du sang placentaire s'est développée tardivement, malgré son intérêt, en raison de la plus grande complexité et du coût relativement important des opérations de recueil, typage et stockage (par congélation). La première greffe a été effectuée il y a une dizaine d'années par Eliane GLUCKMAN sur un jeune patient atteint de la maladie de Fanconi.
Les crédits dégagés devraient permettre de recueillir et de congeler, dans les cinq années à venir, environ 10 000 sangs placentaires. Il permettra de traiter des catégories de population qui sont sous-représentées dans les fichiers de donneurs volontaires.
L'utilisation de cellules souches de foie foetal, expérimentée par le professeur TOURAINE à Lyon, il y a une dizaine d'années, ne semble pas tenir toutes les promesses escomptées. Les greffes sur le petit enfant en haplo-identique à partir de moelle des parents donnent de meilleurs résultats que le foie foetal, à condition de retirer tous les lymphocytes T du greffon. Il est vrai que les cellules de foie foetal permettent, plus facilement encore, de surmonter les problèmes d'immunocompatibilité.
Si l'on va plus loin dans l'utilisation des cellules souches embryonnaires pluripotentes, il faut permettre aux laboratoires de travailler sur ce sujet avec un contrôle approprié sur le plan éthique et économique. Cela suppose un nombre d'équipes limité et un encadrement strict de la recherche dont les finalités devront être préalablement approuvées. Faute de quoi, les recherches se développeront de toute façon, dans des conditions anarchiques.
Cette voie de recherche est indispensable. Elle permettra de comprendre le fonctionnement très primitif de l'hématopoïèse. Elle va de pair avec la recherche génomique : des cellules souches permettront de tester l'hypothèse que tel facteur dérivé du programme « Génome humain » peut effectivement assurer l'expansion de la cellule souche, son maintien en survie, son orientation vers la différenciation dans tel ou tel lignage. La conjonction de la biologie cellulaire et de la connaissance des gènes qui contrôlent véritablement la différenciation ouvre un champ très novateur de la recherche et de la thérapeutique.
Une des limites de cette nouvelle technique thérapeutique rejoint celles de l'autogreffe. Pour les leucémies, les lymphomes, il y a un avantage à avoir un système immunitaire qui ne soit pas celui du receveur, afin de bénéficier de la GVL (graft versus leukemia), le système immunitaire du donneur reconnaissant et détruisant les cellules leucémiques qui peuvent subsister. C'est la raison pour laquelle, en cas de choix entre deux donneurs - un jumeau monozygote et un frère HLA identique - pour le traitement d'une leucémie myéloïde chronique, on choisit de préférence la seconde solution.