2. La persistance d'obstacles
La fragilité du développement de l'actionnariat salarié est encore accentuée par l'existence de certains obstacles susceptibles de limiter sa progression.
a) Un risque de dilution mécanique
Le
maintien de la part du capital social de l'entreprise détenue par les
salariés se heurte à un double risque de dilution :
- la revente de leurs titres par les salariés à la fin de la
période de blocage (ou même avant, en cas de déblocage
anticipé) ;
- la dilution liée aux augmentations de capital. On constate en
effet que les actionnaires salariés, dans ce cadre, n'exercent que
faiblement leur droit préférentiel de souscription, sans doute du
fait de l'absence d'incitation financière.
Certes, des garde-fous ont été instaurés pour
éviter une circulation trop rapide des titres détenus par les
salariés. Ainsi, pour les PEE, la période de blocage est de cinq
ans, tout comme les " plans d'actionnariat ". De même, pour les
privatisations, les avantages consentis sont assortis d'une durée de
détention minimale : en cas de décote, la période de
blocage des titres est de deux ans, l'attribution d'actions gratuites ne
pouvant intervenir qu'un an après la date à laquelle les actions
sont devenues cessibles.
Il semble cependant que l'épargne salariale investie dans les PEE (et
notamment dans les titres de l'entreprise) soit relativement mobile. En
moyenne, on estime qu'un tiers de l'encours total est cédé avant
le délai de cinq ans (et bénéficie donc d'un des cas de
déblocage anticipé), qu'un autre tiers est cédé
à l'issue de la période de blocage de cinq ans et que le dernier
tiers reste dans le PEE à l'expiration du délai.
Dès lors, pour éviter ce risque de dilution de l'actionnariat
salarié, l'entreprise doit mener une politique continue d'actionnariat
et non se contenter de réaliser quelques opérations
épisodiques ou spectaculaires. Trois solutions sont possibles :
- réaliser des augmentations de capital réservées aux
salariés,
- racheter ses titres pour les céder aux salariés ou aux
FCPE,
- inciter à une épargne salariale longue, en assortissant
par exemple les opérations d'actionnariat d'une aide modulée en
fonction de la durée de détention des actions.
b) Les difficultés de l'épargne salariale
L'épargne salariale est aujourd'hui le principal
vecteur de
l'actionnariat salarié. Le développement de l'actionnariat est
donc largement conditionné à la progression de celle-ci. Or, en
dépit de son succès manifeste, l'épargne salariale se
heurte encore à certains obstacles :
- 48 % des entreprises de 50 salariés et plus n'avaient pas
d'accord de participation ou d'intéressement en 1997. Ce taux atteint
95 % pour les entreprises de 10 à 49 salariés.
2,7 millions de salariés travaillant dans des entreprises de 50
salariés et plus ne sont pas couverts par des accords de participation.
Ces chiffres restent élevés, même s'ils ont tendance
à diminuer progressivement ;
- seuls 8.700 entreprises dotées d'un accord de participation ou
d'intéressement avaient mis en place un PEE en 1997. Le nombre de PEE
progresse certes rapidement (il n'y en avait que 7.400 en 1996), mais il reste
relativement faible ;
- plus du tiers des sommes issues de la réserve spéciale de
participation ont été placées sur un compte courant
bloqué en 1997.
Ces fragilités persistantes de l'épargne salariale ne sont pas
sans conséquence pour le développement de l'actionnariat
salarié :
- l'existence d'un accord de participation autorise en effet l'affectation
directe de la réserve spéciale de participation, en application
de l'article L. 442-5 du code du travail, à l'acquisition d'actions de
l'entreprise ;
- les PEE sont actuellement le support principal du développement
de l'actionnariat salarié ;
- l'affectation des sommes issues de la réserve spéciale de
participation à des comptes courants bloqués ne permet pas
à l'épargne salariale de s'investir en actions de l'entreprise.
Aussi, la progression de l'actionnariat salarié exige
parallèlement une progression des accords de participation, une
diffusion des PEE et une diminution de l'épargne salariale investie en
comptes courants bloqués.
A ces fragilités persistantes de l'épargne salariale s'en est
hélas ajoutée une nouvelle. La loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998 a en effet opéré un
basculement massif des cotisations d'assurance maladie sur la CSG, le taux de
cette dernière passant brutalement de 3,4 % à 7,5 %.
Désormais, le prélèvement social (CSG + CRDS +
prélèvement social de 2 %) pesant sur les revenus de
l'épargne salariale atteint 10 %, contre 5,9 %
précédemment.
Ce basculement constitue un véritable " coup de poignard "
à l'épargne salariale. Celle-ci constitue en effet une forme
d'épargne populaire, dont le caractère social est notamment
garanti par l'existence de plafonds de versements. Or, les produits
traditionnellement considérés comme de l'épargne populaire
(livret A, CODEVI, livrets d'épargne populaire) restent, eux,
exonérés de CSG et CRDS. Dès lors,
votre rapporteur ne
peut que regretter cette hausse massive du taux de CSG applicable à
l'épargne salariale, qui constitue à l'évidence une
nouvelle contrainte pour le développement de l'épargne
salariale
.
c) La contrainte du risque financier
L'actionnariat salarié est un investissement en capital
par
nature exposé au risque. Le salarié qui investit dans le capital
de son entreprise s'expose ainsi à un double risque :
- un risque de perte en capital, si l'évolution du cours de
l'action se révèle défavorable ;
- un risque de liquidité, essentiellement par les
sociétés non cotées, si le salarié voulant vendre
ses actions ne trouve aucun investisseur à qui les céder.
Il existe cependant des garanties pour limiter ce risque :
- les augmentations de capital réservées aux salariés
doivent s'accompagner d'une note d'information visée par la COB en cas
d'appel public à l'épargne ;
- la COB délivre un agrément pour la création de tout
nouveau FCPE ;
- la réglementation vise à garantir la liquidité des
FCPE investis en titres non cotés.
Néanmoins, face au risque inhérent à l'actionnariat,
l'actionnariat salarié est confronté à un double
écueil.
Soit l'encadrement du risque est trop élevé. On observe en effet
que les entreprises cherchent de plus en plus à minimiser le risque pour
le salarié en mettant en place des mécanismes de couverture du
risque (garanties bancaires notamment) ou en diminuant le prix d'acquisition de
l'action pour maximiser les chances de plus-values (grâce à la
décote, à l'abondement ou à la distribution d'actions
gratuites).
Cette tendance n'est pourtant pas sans effet pervers. En limitant le risque
pesant sur l'actionnaire, l'actionnariat salarié perd de sa
lisibilité. Le salarié perçoit mal la nature
risquée de son investissement. L'effet d'apprentissage de l'actionnariat
est donc diminué d'autant. En outre, tout mécanisme de garantie a
un coût qui se traduit par une captation d'une partie de la plus-value
par celui qui propose la garantie. Il est à craindre alors qu'au moment
de la revente des titres, le salarié ne se considère comme
" spolié " et se détourne de l'actionnariat.
Soit le risque est mal encadré. En pratique, deux risques sont
prédominants. D'une part, il existe un risque d'insuffisante
diversification des supports d'épargne proposés. Beaucoup de PEE
et d'accords de participation ne prévoient qu'un support unique
d'investissement de l'épargne salariale : un FCPE principalement
investi en actions de l'entreprise. Or, le développement de
l'actionnariat salarié exige une démarche volontaire du
salarié et donc le choix entre plusieurs supports d'investissements.
D'autre part, il existe un risque réel de liquidité des titres de
certaines sociétés non cotées. Dans ce cas, la diffusion
de l'actionnariat salarié dans les PME ne se fera que par une
amélioration de leur liquidité.
Dans ces conditions, il apparaît donc que le développement de
l'actionnariat salarié ne puisse se réaliser qu'avec la prise de
conscience de la nature risquée de ce placement encadrée de deux
garanties :
- le choix pour le salarié entre plusieurs supports
d'investissement de son épargne salariale ;
- la garantie d'une réelle liquidité de l'actionnariat
salarié dans les entreprises non cotées.
d) Une information parfois insuffisante
Phénomène nouveau dans un pays où
l'investissement en actions des ménages reste faible, l'actionnariat
salarié ne pourra se développer durablement qu'à la
condition d'une information claire et d'un effort pédagogique vers les
salariés et les salariés actionnaires.
Cette information doit se faire à la fois en amont et en aval des
opérations d'actionnariat salarié.
En amont, il importe d'informer le salarié sur les
caractéristiques de l'opération et sur l'affectation
ultérieure des sommes investies. Or, l'information des salariés
reste très inégale comme a pu le constater la COB.
S'agissant de l'information donnée aux salariés sur
l'opération, les obligations d'information sont très variables.
Le visa de la COB n'est cependant que rarement nécessaire.
L'information des salariés lors d'opérations d'actionnariat salarié
Dans le
cadre de la loi du 31 décembre 1973 et de l'ordonnance du 21 octobre
1986, trois types d'informations sont obligatoires.
1. La publication éventuelle d'une note d'information visée
par la COB
Il faut distinguer deux cas :
Si l'opération est réalisée dans le cadre de l'ordonnance
de 1986, une note d'information visée par la COB doit être mise
à la disposition des salariés, au plus tard le jour de
l'ouverture de la souscription pour une émission, dans le seul cas
où plus de 100 salariés sont concernés. Aucune obligation
d'information n'est prévue quand un FCPE acquiert les titres.
Si l'opération est régie par la loi du 24 juillet 1966
modifiée par la loi du 27 décembre 1973, la diffusion d'une
note d'information visée par la COB est obligatoire, quel que soit le
nombre de salariés.
2. L'information directe des salariés
Trente jours au moins avant l'ouverture de l'augmentation du capital ou dans
les deux mois suivant la décision de création du plan
d'acquisition, chaque salarié doit recevoir individuellement un bulletin
d'information et de souscription/acquisition.
3. L'information des institutions représentatives du personnel
Le comité d'entreprise (ou les délégués du
personnel en l'absence de comité d'entreprise) est informé des
conditions et des modalités de l'opération projetée.
S'agissant de l'information du salarié sur l'affectation des sommes, la
COB a adopté le 3 février 1998 une nouvelle instruction relative
aux FCPE prévoyant notamment l'instauration d'une notice d'information
simplifiée destinée à devenir le support d'information
obligatoire des FCPE. Cette mesure est applicable depuis le 15 juin 1998 par
les nouveaux FCPE et depuis le 15 septembre 1999 pour les FCPE
déjà existants.
En aval, l'information des salariés sur l'évolution du titre et
les perspectives de l'entreprise doit être également
organisée. Si actuellement l'information des salariés
actionnaires par l'entreprise semble satisfaisante, l'information transmise par
les conseils de surveillance des FCPE est plus inégale.
Or, le conseil de surveillance joue un rôle fondamental de surveillance
de la gestion des fonds. Il a donc naturellement pour mission d'informer les
salariés sur cette gestion. Il importe notamment que les
représentants des salariés actionnaires au conseil de
surveillance puissent informer les salariés porteurs de parts. Pourtant,
cette information est parfois lacunaire. On constate en effet que les
salariés membres du conseil de surveillance ont encore parfois une
formation insuffisante à la gestion financière. Dès lors,
ils ne peuvent assurer une information véritable des porteurs de parts.
Pourtant, depuis la loi du 25 juillet 1994, les membres du conseil de
surveillance représentant les salariés actionnaires se sont vu
reconnaître un droit à la formation. L'article L. 444-1 du
code du travail prévoit en effet qu'ils
"
bénéficient d'un stage de formation économique
d'une durée maximale de cinq jours
", ce stage étant
pris sur le temps de travail et rémunéré comme tel. Il
semble que les insuffisances de formation constatées soient en
réalité liées à la faiblesse de l'offre de
formation adaptée à l'épargne salariale. Votre rapporteur
ne peut que regretter cet état de fait.
e) Une participation aux décisions encore limitée
Le
salarié actionnaire a vocation à être associé aux
décisions à un double niveau :
- celui de la gestion du FCPE,
- celui de la gestion de l'entreprise.
Or, à ces deux niveaux, la participation des salariés reste
encore bien souvent limitée.
•
La gestion du FCPE
En cas d'actionnariat indirect, le conseil de surveillance du FCPE a une
mission primordiale d'orientation de la gestion du fonds, la fonction de
gestion étant exercée par la société gestionnaire
du fonds.
Il importe donc que les salariés puissent effectivement participer
à la définition des orientations de gestion du fonds.
Or, en dépit de certaines améliorations du cadre
législatif, la représentation réelle des salariés
actionnaires au sein du conseil de surveillance des FCPE n'est pas toujours
assurée.
Dans les FCPE " article 20 ", le conseil de surveillance est
composé pour au moins la moitié de ses membres de
représentants des salariés porteurs de parts du fonds, le reste
des membres du conseil de surveillance étant des représentants de
l'entreprise. Cependant, lorsque le FCPE détient plus de 10 % des
droits de vote attachés aux titres de capital de la
société, le conseil de surveillance doit être
composé pour 75 % au moins de représentants des
salariés.
Dans les FCPE " article 21 " qui sont exclusivement
constitués d'actions de l'entreprise, le conseil de surveillance est
exclusivement constitué de représentants des salariés
porteurs de part.
En théorie, la réglementation assure une bonne
représentation des salariés dans les conseils de surveillance des
FCPE, ceux-ci étant au moins majoritaires.
Votre rapporteur observe
cependant que les conseils de surveillance restent bien souvent paritaires,
même lorsque les FCPE détiennent une part importante du capital de
l'entreprise
. Parmi les entreprises interrogées par votre
rapporteur, les conseils de surveillance sont en effet paritaires dans plus des
trois quarts des cas.
En revanche, votre rapporteur constate que les modalités de
désignation des membres du conseil de surveillance représentant
les salariés actionnaires leur assurent une réelle
représentativité. Votre rapporteur constate à ce propos
que, parmi les 17 entreprises qu'il a interrogées sur ce point, les
trois modalités de désignation se partagent de manière
égale : la désignation se fait par le comité
d'entreprise dans 6 cas, par une élection dans 6 cas et par les
organisations syndicales dans 5 cas.
•
La gestion de l'entreprise
L'actionnaire salarié peut participer de deux manières à
la gestion de l'entreprise :
- par l'exercice de son droit de vote aux assemblées
générales,
- par la présence de ses représentants au sein du conseil
d'administration (ou du conseil de surveillance) de l'entreprise.
Mais ces deux modes d'association aux décisions ne sont pour l'instant
pratiqués que de manière inégale.
S'agissant du droit de vote de l'actionnaire salarié aux
assemblées générales, lorsque celui-ci est exercé
individuellement, votre rapporteur observe qu'il reste faiblement exercé
comme en témoignent les entreprises qu'il a auditionnées ou
interrogées.
S'agissant de la représentation des actionnaires salariés dans
les organes dirigeants de l'entreprise, la situation reste très
inégale. Parmi les 20 entreprises auditionnées ou
interrogées par votre rapporteur, seules 10 ont un ou plusieurs
administrateurs (ou membres du conseil de surveillance) représentant les
salariés actionnaires.
Ce résultat est relativement décevant, notamment par rapport aux
objectifs fixés par le législateur dans la
loi n° 94-640
du 24 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation
des salariés dans l'entreprise.
A l'époque, le législateur avait constaté que la
participation financière des salariés avait connu une croissance
remarquable, notamment sous la forme d'actionnariat. Dans de nombreuses
entreprises les salariés détenaient individuellement ou
collectivement une part non négligeable de leur capital, les
plaçant ainsi parmi les plus importants actionnaires stables de
l'entreprise. Or, parallèlement, la participation institutionnelle
n'avait pas connu la même progression, les entreprises n'encourageant que
marginalement la participation des salariés actionnaires à la
gestion de l'entreprise.
La loi du 24 juillet 1994 visait alors à favoriser cette participation
à la gestion. Le titre premier de la loi
-" participation des
salariés actionnaires aux organes de gestion des entreprises "-
pose clairement cet objectif
26(
*
)
. La loi prévoit que, lorsque la
part du capital social détenu par le personnel dépasse 5 %,
une assemblée générale extraordinaire est convoquée
pour se prononcer sur l'opportunité d'introduire dans les statuts une
clause prévoyant la nomination d'un ou deux administrateurs (ou membres
du conseil de surveillance) parmi les salariés actionnaires ou, le cas
échéant, parmi les salariés membres du conseil de
surveillance d'un FCPE détenant des actions de l'entreprise. C'est le
" rendez-vous obligatoire ".
Or, il apparaît que cette loi, dont les dispositions sont pourtant
exclusivement incitatives, n'est qu'imparfaitement appliquée.
D'une part, en dépit des obligations légales, les rapports
annuels des sociétés n'indiquent pas toujours
" la
proportion du capital que représentent les actions qui sont
détenues par le personnel de la société et par le
personnel des sociétés qui lui sont liées ".
Ainsi, en 1997 et pour s'en tenir aux entreprises du CAC 40, seules 29
sociétés publiaient la part de l'actionnariat salarié dans
leur rapport annuel.
D'autre part, la DARES a réalisé une enquête à la
demande du Conseil supérieur de la participation sur l'application du
" rendez-vous obligatoire " instauré par la loi du 25 juillet
1994. Cette enquête réalisée en 1996 auprès d'un
échantillon représentatif d'entreprises ayant signé un
accord d'intéressement ou de participation aboutit à deux
conclusions :
- plus des deux tiers (73 %) des entreprises visées par la
loi du 25 juillet 1994 (sociétés anonymes non
coopératives dont 5 % du capital au moins est détenu par les
salariés) comptent un administrateur représentant les
salariés actionnaires ;
- lorsqu'elles n'en n'ont pas, l'assemblée générale
extraordinaire destinée à accepter ou à refuser la
présence de salariés actionnaires au sein du conseil
d'administration ne se serait tenue que dans un cas sur quatre.
Il ressort de cette enquête que les trois quarts des entreprises dont
5 % au moins du capital sont détenus par les salariés et qui
n'ont pas d'administrateur représentant les actionnaires salariés
ont manqué à leurs obligations légales.
Cette situation est inquiétante pour le développement de
l'actionnariat salarié. Celui-ci ne s'implantera durablement dans les
entreprises que si celles-ci associent véritablement les salariés
actionnaires à leur gestion. Or, trop souvent, en n'acceptant pas
d'ouvrir un débat sur ce sujet, les entreprises risquent de
contrecarrer, à terme, le développement de l'actionnariat
salarié.