AVANT-PROPOS

Cette étude a été réalisée pour la Commission des Finances du Sénat par une équipe constituée autour du Département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), sous la direction de Jacques Le Cacheux, directeur du département des études de l'OFCE et professeur d'économie à l'université des Pau et des Pays de l'Adour (UPPA). L'ensemble des travaux a été coordonné par Réjane Hugounenq (département des études, OFCE) et Thierry Madiès (maître de conférences à l'université d'Evry). Ont collaboré aux différents chapitres : Antoine Bouët (professeur à l'UPPA et directeur du CATT), Claude Emonnot (maître de conférences à l'UPPA), Danièle Meulders (professeur à l'université libre de Bruxelles, Dulbéa) et Julie Etienne (ULB, Dulbéa).

Les auteurs tiennent à remercier le Sénateur Lambert qui, en qualité de rapporteur général de la commission des finances du Sénat, a donné l'impulsion à cette étude et a, grâce à des discussions fructueuses, permis d'en mieux définir la problématique. Ils remercient également les équipes de la Commission des Finances et du Service des études du Sénat pour les conseils prodigués en cours d'étude. Marc Bouche et Laure Pasquier, stagiaires au département des études de l'OFCE au printemps 1998, méritent aussi des remerciements, pour l'excellent travail d'amorce sur le calcul d'indicateurs synthétiques pour l'impôt sur les sociétés.

Les conclusions de cette étude n'engagent ni le Sénat ni l'OFCE.

INTRODUCTION GÉNÉRALE ET PRÉSENTATION DE L'ÉTUDE

LA CONCURRENCE FISCALE EN EUROPE : LA SEULE ARME ENTRE LES MAINS DES GOUVERNEMENTS ?

A la fin des années quatre-vingt, la réflexion sur la concurrence fiscale en Europe avait été alimentée par la crainte que l'achèvement du Marché unique européen, programmé pour le 1er janvier 1993 en ce qui concerne les biens et services, mais effectif dès 1990 pour les mouvements de capitaux, produise des détournements de trafic et des mouvements de facteurs, engendrant ainsi une pression à la convergence spontanée ou à l'harmonisation négociée des systèmes fiscaux nationaux des Etats membres. Les efforts d'harmonisation ont toutefois été modestes et le Marché unique ne semble pas avoir eu de conséquences majeures sur la concurrence fiscale, à l'exception de deux domaines : la fiscalité des placements financiers des ménages, pour laquelle le " moins-disant " fiscal a été la règle pendant plusieurs années ; et la fiscalité directe des sociétés, dont les taux statutaires ont tendu à converger. Avec l'achèvement de l'union monétaire européenne, les risques de concurrence fiscale en Europe sont à nouveau perçus comme une menace sur ce qui reste de souveraineté budgétaire et fiscale des Etats membres. L'introduction de l'euro apparaît en effet comme une étape décisive dans l'unification du marché européen, susceptible de renforcer la concurrence et faciliter la mobilité des entreprises et des capitaux. Ayant aliéné leur souveraineté monétaire et soumis à une contrainte forte sur le solde des finances publiques par le Pacte de stabilité et de croissance, les Etats membres verraient ainsi leurs marges de manoeuvre se réduire encore davantage si la concurrence fiscale devait s'exercer librement ; faute de pouvoir dévaluer leur monnaie, des gouvernements pourraient être tentés de recourir à l'arme de la concurrence fiscale pour améliorer la compétitivité de leurs entreprises et l'attractivité de leur territoire. Alors que certains voient dans cette perspective une contrainte bienvenue, obligeant les Etats-Léviathans à se restreindre et à se réformer, d'autres soulignent les dangers d'une concurrence fiscale sans règles, qui aboutirait à des inefficiences, à une répartition peu équitable du fardeau des prélèvements obligatoires et à une contraction excessive des dépenses publiques et de la protection sociale en Europe.

Dans ce nouveau contexte, les propositions récemment faites par les instances européennes témoignent d'une volonté de pragmatisme et tranchent avec l'approche retenue jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, quand la Commission avait pour objectif premier la création d'un Marché unique européen. A l'époque, l'harmonisation fiscale visait à supprimer les entraves à la libre circulation des marchandises et des capitaux et à éliminer - ou du moins à réduire - les distorsions de concurrence entre Etats membres. Cela supposait de minimiser les différences entre les législations fiscales nationales, notamment celles concernant les taux et le mode de détermination des bases imposables pour les prélèvements dont l'assiette était la plus mobile. Le rapport Ruding (1992) qui s'est penché sur l'impôt sur les sociétés est typique de cette approche et du peu de cas fait au processus même de coordination. De même, l'échec de la mise en place du régime définitif de TVA a mis en lumière l'attachement des Etats membres à leur souveraineté budgétaire et fiscale et la nécessité de composer avec les Etats les plus réfractaires. La Commission européenne insiste aujourd'hui sur le caractère contre-productif (ou " dommageable " pour reprendre l'expression désormais consacrée) d'une concurrence fiscale non maîtrisée. Ainsi, l'accent est mis davantage sur le risque que constitue la concurrence fiscale pour les finances publiques des Etats membres que sur les avantages à attendre, en termes d'efficacité, d'un Marché parfaitement unifié.

Cette introduction n'a pour ambition que de présenter brièvement un état des lieux des systèmes fiscaux dans les pays de l'Union européenne (UE), de résumer les principales conclusions de l'étude et d'esquisser quelques pistes de réflexion concernant essentiellement certains éléments de la fiscalité directe et des systèmes de protection sociale. La première partie présente les caractéristiques globales des prélèvements obligatoires. La question de la localisation des entreprises et des activités productives, et des conséquences éventuelles des écarts de fiscalité sur ces décisions, est abordée dans la deuxième partie, tandis que la troisième évoque les prélèvements sur les revenus des personnes. La quatrième partie rappelle les modestes progrès accomplis en matière d'harmonisation des fiscalités indirectes. La cinquième partie précise la nature du jeu non coopératif de la concurrence fiscale. Quelques éléments de conclusion sont présentés dans la sixième partie, tandis que la septième résume le contenu des cinq chapitres de l'étude.

I. DES SYSTÈMES FISCAUX NATIONAUX TRÈS DISPARATES DANS L'UNION EUROPÉENNE

La manière la plus commune de comparer les fiscalités nationales est de s'appuyer sur les indicateurs globaux que sont la pression fiscale et la structure des prélèvements obligatoires. Ces indicateurs commodes sont cependant doublement trompeurs : d'une part, en effet, ils sont sensibles au degré de socialisation de certaines consommations importantes, telles que la santé, l'éducation, etc., et aux techniques de financement de certaines politiques, telles que la politique familiale, la politique du logement, etc. -incitations fiscales (type quotient familial) ou prestations (type allocations familiales)- ; d'autre part, ils ne renseignent guère sur les incitations pesant sur les choix des différentes catégories de contribuables, qui ne dépendent pas des taux moyens apparents de prélèvement, mais des taux marginaux effectifs, a priori sans rapport avec les précédents.

A. LES TAUX DE PRESSION FISCALE GLOBALE

Les graphiques 1 a, b et c montrent que le taux de pression fiscale globale -ratio du total des recettes de prélèvements obligatoires au PIB- a connu une hausse tendancielle dans tous les pays de l'UE depuis plusieurs décennies. Toutefois, les dernières années ont enregistré une certaine stabilisation dans la plupart des pays, interrompue par la récession du début des années quatre-vingt-dix et la nécessité, en Europe, de respecter les critères de finances publiques du traité de Maastricht. Au regard de cet indicateur, la France se situe un peu au dessus de la moyenne des pays membres de l'UE ; la stabilisation du taux de pression fiscale globale y est moins nette.

1a. Evolution des taux de pression fiscale dans les pays de l'UE



Source
: OCDE, Statistiques des r ecettes f iscales, 1997.

1b. Evolution des taux de pression fiscale dans les pays de l'UE



Source
: OCDE, Statistiques des r ecettes f iscales, 1997.

1c. Evolution des taux de pression fiscale dans les pays de l'UE



Source
: OCDE, Statistiques des r ecettes f iscales, 1997.

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