EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 2 juin 1999 sous la
présidence de
M. Alain Lambert, président, la commission a procédé
à l'audition de M. Jacques Le Cacheux, directeur de l'Observatoire
français des conjonctures économiques (OFCE), sur la concurrence
fiscale en Europe, accompagné de Mme Réjane Hugonenq et de M.
Thierry Madies.
M. Jacques Le Cacheux a estimé que l'étude commandée par
la commission des finances s'inscrivait dans une actualité
brûlante, celle du passage à la monnaie unique,
accélératrice de la concurrence en Europe et de la
mobilité des agents économiques. Il a ajouté que le
contexte européen était en outre favorable à la
recrudescence de la concurrence fiscale, le chômage incitant les
gouvernements à attirer des activités, les contraintes pesant sur
les finances publiques agissant dans le même sens.
Puis il a observé que la concurrence fiscale supposait qu'elle puisse
exercer des effets induits sur les pays voisins, effets eux-mêmes
dépendants de l'ouverture économique des Etats et de la
mobilité des capitaux, soulignant que de tels effets étaient
susceptibles de nuire à l'efficacité économique en Europe.
Il a alors énoncé les principales conclusions tirées de
l'examen des différents types de prélèvements
abordés dans l'étude.
En ce qui concerne la fiscalité des placements financiers des
ménages, il a rappelé qu'il s'agissait d'un dossier
déjà ancien, une précédente proposition de
directive de la commission européenne visant à instaurer une
retenue à la source non libératoire de 10 % n'ayant pas abouti.
Il a estimé que cet échec avait conduit jusqu'au milieu des
années 90 à un désarmement de la fiscalité sur
l'épargne, compensé par un relèvement des impôts sur
le travail, phénomène interrompu depuis 1995.
Il a toutefois jugé que, dans le domaine de l'épargne, la
concurrence fiscale restait potentiellement vive, justifiant ainsi la
récente proposition de directive de la commission européenne dont
il a estimé les chances d'adoption assez faibles compte tenu de
l'opposition du Luxembourg et du Royaume-Uni et de la règle de
l'unanimité applicable aux décisions communautaires en
matière fiscale.
S'agissant de l'impôt sur les sociétés, il a indiqué
que l'ambition de l'étude était d'appréhender les
écarts effectifs de prélèvements, ce qui supposait de
prendre en compte non seulement les différences de taux, mais aussi les
différences de calcul des assiettes imposables. Il a ajouté que
l'examen devait porter surtout sur les grandes entreprises, seules vraiment en
mesure de se délocaliser. Il a alors observé que les
régimes d'impôt sur les sociétés en Europe
étaient caractérisés par des différences telles
qu'il existait des incitations à la délocalisation assez fortes,
ajoutant toutefois qu'en pratique il n'était pas possible d'en
démontrer l'effectivité globale. Il a tout aussitôt
tempéré cette observation en indiquant d'abord que pour certaines
activités ou certains secteurs des phénomènes de
délocalisation fiscale pouvaient être relevés, et ensuite
que les différences des régimes fiscaux en Europe donnaient lieu
à des stratégies d'optimisation fiscale dans les groupes
d'entreprises internationalisés.
S'agissant de la fiscalité sur le revenu des personnes, M. Jacques Le
Cacheux a présenté les deux questions examinées par le
rapport : celle de savoir si des écarts de fiscalité pouvaient
inciter à une mobilité géographique des personnes et celle
de savoir si ces écarts pouvaient influencer les niveaux de coût
du travail dans les différents états européens.
Il a jugé qu'une réponse négative pouvait être
apportée à chacune de ces questions, remarquant toutefois que
certains pays pouvaient être plus attractifs pour certaines
catégories de population mobiles.
S'agissant de la fiscalité indirecte, il a d'abord
considéré que le régime actuel de TVA, susceptible de
poser des problèmes au regard de la fraude -récemment
estimée par la commission européenne à 70 milliards
d'euros- ne recelait pas globalement de grands risques de détournement
de trafic. Mais il a souligné que
l'hétérogénéité des régimes d'accises
était susceptible, quant à elle, de provoquer des distorsions de
concurrence en accroissant les coûts de production supportés par
les entreprises localisées dans les pays à fiscalité
relativement lourde.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a introduit son propos
par deux observations.
Il a indiqué en premier lieu que la démarche suivie par
l'étude, partant des différents types de
prélèvement, ne permettait pas de rendre pleinement compte de la
pression fiscale subie par chaque contribuable, pression résultant d'un
empilement de prélèvements.
Il a ensuite remarqué que la politique fiscale pouvant être
considérée comme l'expression de la souveraineté fiscale
des Etats, la vitesse d'harmonisation européenne en était
nécessairement affectée, le gradualisme prôné par le
commissaire européen en charge des affaires fiscales pouvant alors
apparaître comme la meilleure solution. Il a poursuivi son propos en se
demandant cependant si la logique " souverainiste " n'était pas de
nature à provoquer un alignement des taux vers les régimes
fiscaux les plus attrayants et, ainsi, susceptible d'aboutir en fait à
une perte pour chaque Etat de toute vraie souveraineté.
Puis, M. Philippe Marini, rapporteur général, a
évoqué quelques unes des interrogations suscitées par le
rapport et relatives :
- la première, à la recommandation visant à introduire
davantage de péréquation fiscale entre collectivités
locales, et comme telle, susceptible de ne pas respecter l'autonomie de ces
collectivités ;
- la deuxième, à l'effectivité des modes d'ajustement des
salaires nets face à une hausse des cotisations sociales décrits
par l'étude, lorsque les rémunérations des cadres sont
concernées ;
- la dernière sur les justifications avancées par l'étude
pour ne pas tenir compte des contributions aux régimes
complémentaires de retraite pour apprécier les niveaux respectifs
de cotisations sociales.
En réponse, M. Jacques le Cacheux a concédé que le
défaut de prise en compte de la fiscalité locale constituait une
limite de l'étude imposée par la très grande
variabilité de ce type de prélèvements. Ayant
partagé le sentiment du rapporteur général sur les
contradictions du processus d'harmonisation en Europe, il est convenu que
l'autonomie fiscale pouvait s'opposer aux recommandations du rapport, mais a
toutefois rappelé la proposition du conseil national des impôts
d'instaurer une taxe professionnelle unique et le système
centralisé existant en la matière au Royaume-Uni.
Il a alors reconnu que des études portant sur des situations
particulières et non sur des moyennes seraient d'un grand
intérêt pour mieux comprendre les enchaînements
économiques et fiscaux.
Il a concédé, en conclusion, que le choix d'exclure du champ des
prélèvements les contributions aux régimes
complémentaires de retraite pouvait être contesté lorsque
l'équivalence actuarielle entre ces contributions et les prestations
servies ne pouvait être établie.
M. René Trégouet ayant déploré le poids de
l'imposition du patrimoine en France, qui représente 5 % des
prélèvements obligatoires, contre 2,9 % en Allemagne, s'est
inquiété de ses conséquences sur les sorties de capitaux
nécessaires au développement des nouvelles technologies.
M. François Trucy a alors abondé dans le sens de ces propos.
M. René Ballayer a interrogé l'intervenant sur l'existence de
données statistiques rendant compte des phénomènes de
délocalisation en Europe.
Mme Maryse Bergé-Lavigne ayant rappelé que la localisation du
siège social d'une éventuelle future société Airbus
avait constitué un point d'achoppement dans le processus supposé
l'instaurer et la décision prise semble-t-il de situer ce siège
aux Pays-Bas, s'est inquiétée du poids des considérations
fiscales sur les choix d'implantation des grands groupes.
En réponse, M. Jacques Le Cacheux a confirmé l'augmentation
récente de l'imposition du patrimoine et considéré qu'en
la matière l'idéal serait de pouvoir discriminer les
régimes fiscaux selon l'utilité économique des
patrimoines. Il a toutefois jugé illusoire de vouloir influencer les
choix des " riches " en leur offrant des régimes fiscaux sur mesure.
Il a alors indiqué qu'il n'existait pas d'études empiriques sur
les délocalisations en Europe ni encore moins sur l'effet de la
fiscalité sur de tels phénomènes.
Mais il a observé que les flux d'investissements directs
étrangers paraissaient peu sensibles aux écarts de
fiscalité entre Etats au sein de l'Union européenne.
Evoquant le statut européen des sociétés, il a
estimé que la diversité des statuts constituait une vraie
difficulté, les choix de localisation des sièges sociaux,
toujours cruciaux, étant affectés par l'existence de
régimes très favorables dans certains pays comme l'Irlande ou les
Pays-Bas.