CONCLUSION - POUR UNE CONCEPTION CONQUÉRANTE DU SERVICE PUBLIC : UN SERVICE PUBLIC CENTRÉ SUR LE CITOYEN ET LE SUCCÉS DE L'ÉCONOMIE NATIONALE

L'examen de la situation de La Poste est riche d'enseignements sur les blocages psychologiques, sociaux et politiques qui freinent l'adaptation de nombre de nos grands services publics aux nouvelles donnes économiques et qui, parfois, les conduisent à des déficits abyssaux.

Dans notre pays, la notion de service public, forte des valeurs de solidarité et d'égalité qui l'inspirent, est au coeur de l'idéal républicain. Les prestations que recouvre ce concept, celles dont l'accomplissement est essentiel à la vie collective et à l'exercice des droits des citoyens, constituent un des ciments de l'unité nationale. Qui plus est, pétri par l'esprit volontariste qui soufflait sur le Conseil national de la Résistance à la Libération, le service public « à la française » a une vocation colbertiste de structuration et de dynamisation de l'économie.

Pourtant, quand face à un monde en mutation accélérée on s'interroge sur la meilleure incarnation possible de ces ambitions supérieures dans les temps à venir, que constate-t-on ? Les termes du débat sur l'avenir de nos services publics ne se révèlent-ils pas aujourd'hui bien frileux au regard de l'importance des enjeux ? Ce débat ne se trouve-t-il pas en définitive focalisé, de manière réductrice, autour de la défense des formes -historiquement datées- de l'organisation des missions d'intérêt général dans la France d'hier ? Le culte quasi intégriste des moyens ne tend-t-il à faire oublier la grandeur et la nécessité des fins à poursuivre ?

Les crispations sur les statuts ne font-elles pas perdre de vue l'essentiel : le service rendu tant au citoyen -qui est aussi consommateur/usager et contribuable- qu'à l'économie nationale ?

L'attachement proclamé au service public et à l'intérêt général ne sert-il pas, parfois, de masque à l'expression de corporatismes, résurgence contemporaine des jurandes de l'Ancien Régime que la Révolution de 1789 avait supprimées ?

D'aucuns inclinent à répondre par l'affirmative à de telles interrogations. Ainsi, le sociologue Eric Macé observe, dans une grande entreprise publique autre que La Poste, la tentation du « néocorporatisme version dégradée du service public, dans laquelle personnel et direction, alliés, défendent leurs intérêts spécifiques » 92 ( * ) .

Votre rapporteur, quant à lui, estime que la préservation des droits des agents des services publics est un devoir politique. Il considère toutefois que ce devoir ne signifie nullement que tout doive rester figé. Car, si tel était le cas, non seulement ce sont ces droits eux-mêmes qui, sous les coups de boutoir des réalités, finiraient par se trouver menacés mais, au-delà, ce serait l'avenir même de nos services publics et des Principes républicains qu'ils servent qui pourraient s'en trouver ébranlés.

N'oublions pas que l'adaptabilité est -avec la continuité, l'égalité et l'universalité- un des principes juridiques auquel nos services publics doivent se conformer. Ainsi, en vertu de ce principe d'adaptatilité, le service public doit pouvoir à tout moment, répondre aux besoins de la société.

C'est pourquoi, il est urgent de replacer la satisfaction du « citoyen/usager/contribuable » et le dynamisme de l'économie nationale au centre des réflexions sur l'évolution de nos services publics dans un contexte de mondialisation. Les emplois de demain et la place de notre pays sur le théâtre économique planétaire en dépendent pour une grande part.

L'exemple de la transformation de France Télécom en société anonyme, en dépit des craintes que cette réforme a pu susciter dans le passé, ne démontre-t-il pas que le changement permet d'adopter des attitudes offensives sans porter atteinte à l'essentiel ? A ce qu'on sache, nulle dégradation de la qualité du service public des télécommunications n'a été constatée depuis janvier 1998. Bien au contraire, l'offre de services s'est enrichie et, globalement, les prix ont diminué. Parallèlement, contrairement à ce qui avait pu être annoncé, « l'apocalypse sociale » n'a pas eu lieu. L'opérateur public n'a pas procédé à des licenciements. Il a même continué à recruter... des fonctionnaires.

Copernic avait raison contre les croyances de son époque en affirmant que c'était la Terre qui tournait autour du Soleil et non l'inverse. Aujourd'hui, au vu des leçons de l'expérience, ne convient-il pas d'opérer une révolution « copernicienne » dans la conception de nos services publics ? N'est-il pas temps de reconnaître que la priorité consiste à adapter tant leurs formes que leurs moyens aux évolutions prévisibles de leur environnement et de leurs missions, plutôt qu'à s'arc-bouter sur la conservation de structures existantes en s'aveuglant sur la réalité des faits.

En ce qui concerne La Poste, cette question peut se traduire sous une forme plus imagée. Qu'y-a-t-il, au total, de plus important : maintenir à tout prix des règles héritées de sa longue histoire ou garantir que demain, avec les armes statutaires les mieux adaptées aux contraintes de l'époque, ses couleurs continuent à s'affirmer au service de tous partout sur notre territoire, brillent hors de nos frontières et soient symbole d'emplois ? Peu soucieux des débats idéologiques paralysants, le présent rapport préconise le choix du succès : le seul à même d'assurer la perpétuation de nos valeurs de service public.

Le Général de Gaulle écrivait dans le Fil de l'Epée : « Les grands pays le sont pour l'avoir voulu » . Cette formule vaut aussi pour les entreprises. La Poste ne sera grande au début du prochain siècle que si elle se veut, si nous la voulons conquérante. Cela dépendra des postiers, des décideurs politiques et, en définitive, de la capacité des uns et des autres à regarder les réalités en face.

* 92 Dans l'ouvrage collectif « Violence en France » publié sous la direction de Michel Wiervorka (Seuil - 1999).

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