B. LA NÉCESSITÉ DE RÉPONSES EUROPÉENNES ET FRANÇAISES
1. En Europe : une nouvelle directive doit baliser l'avenir
Jusqu'à présent la Commission européenne est peu intervenue sur ce dossier. Elle ne s'est pas opposée aux acquisitions d'entreprises par les postes publiques au motif que le marché sur lequel elles se réalisent est en pleine croissance, que de nombreux concurrents s'y pressent et que le risque de formation d'une position dominante s'en trouve être minime 62 ( * ) .
De même, la Commission de Bruxelles a longtemps considéré que la plainte d'UPS se heurtait à des problèmes de recevabilité : il ne lui paraissait pas possible d'assimiler à des aides d'Etat des « subventions croisées » à l'intérieur d'une seule et même entreprise, juridiquement indépendante.
La sévérité accrue de sa jurisprudence à l'égard de telles subventions quand elles sont versées à leurs filiales par des entreprises publiques détentrices d'un monopole et l'action engagée contre elle par UPS, devant la Cour européenne de Justice, semblent toutefois l'amener désormais à envisager des enquêtes 63 ( * ) .
Parallèlement, en mai 1999, l'intervention de la Commission 64 ( * ) a conduit la Deutsche Post à renoncer à son projet de prendre le contrôle de Trans-O-Flex, société allemande de messagerie dans laquelle elle détient une participation minoritaire.
Enfin, les commissaires européens ont adopté le 31 mars dernier un projet de modification de la directive « transparence » 80/723/CEE. Ce projet vise à mieux contrôler l'existence de subventions croisées en imposant un renforcement de la transparence des comptes des entreprises publiques. Certes, en l'état, le texte présenté exclut de son champ d'application les domaines dans lesquels existent des dispositions spécifiques les soumettant déjà au respect de certaines exigences comptables. Or, cela est le cas des services postaux en vertu de la directive de décembre 1997, précisée par la Communication (98/C39/01) de la Commission sur l'application des règles de concurrence au secteur postal.
Il n'en demeure pas moins que ces éléments rassemblées démontrent une volonté des autorités européennes d'endiguer les comportements hétérodoxes de certains opérateurs publics .
Il ne faudrait pas pour autant que, dans le domaine postal, cette remise en ordre aboutisse à un cantonnement des prérogatives du Parlement et du Conseil européen au prétexte de l'urgence . Le processus de libéralisation et d'harmonisation a été engagé au plan européen sur le fondement de l'article 100 65 ( * ) du Traité de Rome ou la co-décision appartient à ces deux instances. Mais la Commission dispose en la matière de pouvoirs propres, en vertu de l'article 90-3 du même Traité 2 .
Commentant la genèse de la directive de 1997 au colloque « Postes Europe Territoires », Robert Verrue, Directeur général de la DG XIII à la Commission européenne indiquait d'ailleurs : « Il aurait bien sûr été possible de recourir à des décisions ponctuelles de politique de concurrence au lieu de créer une nouvelle directive. Ces décisions auraient été beaucoup plus simples à mettre en oeuvre puisqu'elles ne nécessitent pas l'intervention du Parlement et se prennent au cas par cas. Dans la politique de concertation qui semble prévaloir aujourd'hui au sein des grands groupes postaux, de telles décisions seront peut-être nécessaires. »
Le maintien du contrôle politique du Parlement et du Conseil sur le processus engagé en 1997 impose donc que ce dernier soit poursuivi. Et, ceci doit se faire sans tarder, car ainsi que le déclarait M. le Commissaire Karel Van Miert à votre rapporteur 66 ( * ) : « on a moins de temps que certains le pensent pour faire évoluer les choses d'une manière harmonisée permettant notamment de prémunir le service universel ».
Il est en effet nécessaire d'éclaircir l'horizon réglementaire non seulement pour améliorer la visibilité des opérateurs, non seulement pour encadrer les soubresauts désordonnés de la recomposition du secteur mais, aussi, pour éviter que la recomposition « sauvage » en cours n'aboutisse à déstabiliser les opérateurs de service universel ne s'étant pas réformés et, puisse, par voie de conséquence, menacer le bon accomplissement du service universel postal.
Aujourd'hui, pour protéger notre poste et notre service public, il faut poursuivre dans la voie de l'harmonisation des règles postales européennes. Il nous faut également fixer des échéances au processus contrôlé de libéralisation pour éviter qu'il soit emporté par le bouillonnement du marché.
C'est pourquoi, votre commission et votre groupe d'études demandent au Gouvernement de prendre toutes les initiatives nécessaires pour que le programme de réglementation postale fixé par la directive de 1997 soit poursuivi dès l'installation de la nouvelle Commission.
2. En France : la loi d'orientation postale doit instituer un régulateur autonome
La clarification juridique souhaitée au plan européen doit également s'accomplir en France. La loi d'orientation postale demandée par le Sénat en 1997 ne saurait se faire attendre au-delà de l'année 1999 sans porter atteinte, d'une part, aux engagements de transposition de la directive postale pris par la France et, d'autre part, aux intérêts de notre poste.
Cette loi devra, entre autres, instituer dans notre pays une autorité de régulation postale pour se conformer à l'article 22 de la directive qui dispose « Chaque Etat membre désigne une ou plusieurs autorités réglementaires nationales pour le secteur postal, juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes des opérateurs postaux ».
En la matière, les mesures à prendre doivent se conformer à nos traditions nationales 67 ( * ) et devraient s'inspirer des solutions retenues pour l'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART) par la loi de juillet 1996 68 ( * ) . Il s'agira, en particulier, de déterminer précisément les compétences attribuées. Il s'agira aussi d'unifier les voies de recours contre les arbitrages du régulateur postal avec celles déjà définies pour l'ART et le Conseil de la Concurrence, à savoir la Cour d'Appel de Paris.
Conformément aux choix effectués en 1996, l'instance administrative à créer aurait à être indépendante mais adossé à l'Etat .
A la question de savoir si elle aurait vocation à traiter de l'ensemble des activités de la Poste, la réponse apparaît a priori devoir être non . Les services financiers de notre opérateur s'exerçant de longue date dans un cadre concurrentiel banalisé, leur arbitre naturel semble devoir être le Conseil de la Concurrence 69 ( * ) .
Pour ce qui concerne la régulation « des services qui consistent en la levée, le tri, l'acheminement et la distribution des envois postaux » 70 ( * ) , votre rapporteur avait suggéré, lorsque la question lui avait été posée en 1997, qu'elle soit confiée à l'ART dont les compétences auraient été étendues à cet effet.
Cependant, le bilan du remarquable travail accompli en deux ans par l'ART amène désormais à considérer que ce dont a le plus besoin cette autorité, et la régulation du secteur des télécommunications en général, c'est de stabilité. Or, la permanence des attributions est un facteur essentiel en ce domaine.
En outre, en France, la régulation de monopoles en voie d'ouverture à la concurrence se révèle, au vu des solutions déjà retenues, obéir à un principe de spécialité sectorielle. Celui-ci amène à exclure l'intervention du Conseil de la Concurrence mais conduit aussi, par cohérence, à écarter un mélange des genres. Ainsi, le projet de loi relatif à l'ouverture du secteur de l'électricité prévoit l'instauration d'un régulateur spécifique.
Dans ces conditions, après en avoir débattu, votre commission et votre groupe d'études se sont prononcés en faveur de la constitution d'un régulateur postal autonome et recevant compétence exclusive sur le secteur du courrier .
* 62 A cela s'ajoute la difficulté de définir un marché de référence pertinent, les complémentarités des différents compartiments du secteur rendant la tâche ardue.
* 63 Voir le Financial Times, 26 mai 1999, « War in european postal sector ».
* 64 Sur le fondement de la réglementation en matière de fusion d'entreprises.
* 65 Numérotation « pré-Amsterdam » du Traité.
* 66 Lors de l'entretien qu'il a eu avec lui, à Bruxelles, le 19 avril 1999.
* 67 Voir sur ce sujet, le rapport d'information présenté au nom de la Commission des Affaires économiques par votre rapporteur : « L'avenir de France Télécom : un défi national », pages 119 à 124 (Sénat n° 260 ; 1995-1996).
* 68 Loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications.
* 69 Qui a d'ailleurs déjà eu à examiner leur situation à l'occasion de l'avis qu'il a formulé, le 25 juin 1996, suite à une demande de l'Association française des Banques (AFB) sur leur fonctionnement et lors de l'avis qu'il a prononcé, le 17 septembre 1996, sur saisine de la Commission des Finances du Sénat concernant les conditions de concurrence prévalant dans le système bancaire et de crédit français.
* 70 A savoir les services postaux tels que définis à l'article 2 de la directive 97/67/CE du 15 décembre 1997.