II. UNE CROISSANCE QUI REPOSE SUR DES PRÉSUPPOSÉS FAVORABLES
L'environnement économique sommairement décrit par la prévision du gouvernement fait ressortir un rythme de croissance à peu de choses près conforme au potentiel de l'économie française. Cela suppose qu'aucun choc ne vienne perturber la reprise attendue en cours d'année , c'est-à-dire que l'environnement international se stabilise et que les agents économiques français ne soient pas perturbés par des décisions de politique économique inadaptées.
A. LES ALÉAS TENANT À L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL
1. La sortie de crise des pays émergents...
L'année 1998 a été placée sous le
signe
de la crise des pays émergents qui s'est propagée à la
Russie et à l'Amérique latine.
Cette crise n'a que peu affecté la zone euro, ses aspects
défavorables sur le commerce mondial et donc sur les exportations de
l'Europe étant probablement plus que compensés par les
enchaînements financiers qui l'ont accompagnée.
Les données les plus récentes laissent entrevoir une assez forte
reprise des économies asiatiques qui favoriserait le retour au dynamisme
du Japon. Les pays d'Amérique latine moins touchés
redémarreraient également.
2. ... présente des aléas et des risques à ne pas sous-estimer
Ces
prévisions favorables reposent sur le maintien d'un solde
extérieur favorable au dynamisme économique de ces pays et sur
une nette reprise de la demande intérieure qui s'est effondrée en
1998 (- 28 % en Indonésie; - 20 % en
Thaïlande...). Les conditions exigeantes de ce scénario sont
également assez contradictoires : il faut en effet vaincre
l'inflation tout en ne provoquant pas une appréciation trop forte des
monnaies de nature à affecter l'équilibre commercial mais en
regagnant la confiance des investisseurs internationaux, ce qui suppose
a
contrario
une certaine stabilité des changes.
A ces conditions
s'ajoute la nécessité de résoudre les problèmes
structurels mis à jour par la crise et de redresser des finances
publiques très dégradées.
La correction de ces déséquilibres constitue une opération
délicate, qui réclame du temps, et qui peut être
coûteuse à court terme, les programmes de stabilisation
budgétaire annoncés étant susceptibles de déprimer
la croissance.
A supposer que ce scénario se réalise, ses effets pourraient
être plus mitigés que ceux qu'on présente usuellement. Si
le commerce mondial devait profiter d'une reprise dans les pays en
développement, l'impact de ce regain des échanges internationaux
serait modeste en Europe. Très favorable pour le Japon, il concernerait
davantage les Etats-Unis dont le solde extérieur lourdement
déficitaire se redresserait un peu.
Mais le
" tempo "
de la reprise apparaît crucial
.
Trop rapide et s'accompagnant d'une réallocation massive des flux
mondiaux de l'épargne, il pourrait affecter les équilibres
monétaires et financiers internationaux.
3. L'économie américaine pourrait rater son atterrissage en douceur
Une
telle perspective pourrait s'accompagner d'une correction de l'activité
américaine plus brutale qu'escompté.
La croissance américaine, continue et rapide depuis six ans, a
été largement nourrie par des anticipations favorables concernant
les volumes mais aussi les prix.
Cette dernière catégorie d'anticipations s'est appuyée sur
la perspective conjointe d'une appréciation des actifs et d'une
maîtrise de l'inflation.
Ces anticipations, qu'on peut qualifier
" d'autoréalisatrices ", ont suscité des effets de
richesse via l'appréciation des portefeuilles, et contenu les tensions
inflationnistes à travers la modération des salaires.
Elles ont dynamisé l'économie américaine au prix de
l'accumulation de déséquilibres encore en puissance. Le niveau de
l'épargne intérieure est extrêmement faible, les Etats-Unis
s'endettant auprès du reste du monde.
La croissance effective y dépasse le potentiel de croissance depuis 1997
ce qui est propice à des tensions salariales.
La décélération progressive de l'activité repose
sur un enchaînement où aucun choc ne viendrait provoquer un
brusque retournement des anticipations, ce qui, compte tenu des
déséquilibres de la croissance américaine mais aussi de
l'économie mondiale, constitue une prévision plutôt
optimiste.
4. La reprise en Europe repose sur des conditions qui ne sont pas exemptes d'aléas
La zone
euro a, dans l'ensemble, bien résisté au choc de demande
résultant des crises de son environnement.
Elle a bénéficié d'un assouplissement des conditions
financières et monétaires -détente des taux
d'intérêt, appréciation du dollar- provoqué par
l'adoption de la monnaie unique
mais aussi par la réorientation des
flux d'épargne, résultat des crises.
La perspective d'une décélération aux Etats-Unis, la
dépréciation du dollar qui pourrait en résulter
combinée avec une réduction des flux d'épargne vers
l'Europe, atténueraient sa compétitivité et pourraient
provoquer des tensions monétaires.
Celles-ci pourraient être accentuées par une certaine reprise de
l'inflation inégalement maîtrisée chez les partenaires et
mettraient à mal la combinaison des politiques économiques en
Europe.
Inflation dans la zone euro
(en %)
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
Zone euro |
2,6 |
1,9 |
1,4 |
1,1 |
1,3 |
Zone euro : inflation sous-jacente |
2,0 |
1,3 |
1,2 |
|
|
Allemagne |
2,0 |
1,9 |
1,0 |
0,5 |
1,1 |
France |
2,0 |
1,2 |
0,7 |
0,5 |
0,9 |
Italie |
4,4 |
2,4 |
2,4 |
1,9 |
2,0 |
Espagne |
3,4 |
2,5 |
2,0 |
1,6 |
1,7 |
Pays-Bas |
1,6 |
2,0 |
2,1 |
2,1 |
2,2 |
Belgique |
2,2 |
2,1 |
1,1 |
1,2 |
1,3 |
Les taux d'intérêt s'élèveraient alors que la stabilisation budgétaire n'est pas acquise.
B. LES INCERTITUDES INTÉRIEURES
Les aléas du scénario pour l'an 2000 concernent les différents compartiments de la demande intérieure sur le dynamisme desquels il est construit.
1. La situation des ménages : les effets douteux de la réduction du temps de travail
La
reprise de la consommation des ménages (+ 3 % en moyenne en
2000 contre + 1 % au premier trimestre 1999 en moyenne
annualisée) repose sur une forte croissance de leur revenu disponible
brut de 3,2 %.
Ces gains de pouvoir d'achat viendraient du dynamisme de la masse salariale et
des revenus de la propriété (intérêts, dividendes),
que viendrait atténuer le bilan des relations entre les ménages
et les administrations publiques.
Évolution en termes réels* du revenu disponible des ménages
(en moyenne annuelle en %)
Taux de croissance annuel |
|
Contribution croissance du RDB |
|||||||||||||||||||||||||||||||
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
|||||||||||||||||||||
2,2 |
0,9 |
1,6 |
3,1 |
2,9 |
3,2 |
Revenus d'activité |
1,7 |
0,7 |
1,3 |
2,4 |
2,3 |
2,5 |
|||||||||||||||||||||
|
dont : |
|
|||||||||||||||||||||||||||||||
2,1 |
1,0 |
1,7 |
3,1 |
2,8 |
3,3 |
Salaires bruts |
1,1 |
0,5 |
0,9 |
1,6 |
1,5 |
1,7 |
|||||||||||||||||||||
2,4 |
0,6 |
1,5 |
3,2 |
3,1 |
3,1 |
EBE des ménages (y compris EI) |
0,6 |
0,1 |
0,4 |
0,8 |
0,8 |
0,8 |
|||||||||||||||||||||
|
Transferts nets |
0,1 |
- 0,3 |
0,3 |
- 0,1 |
- 0,2 |
- 0,2 |
||||||||||||||||||||||||||
|
dont : |
|
|
|
|
|
|
||||||||||||||||||||||||||
1,7 |
1,7 |
2,0 |
2,9 |
1,9 |
1,3 |
Prestations sociales |
0,6 |
0,6 |
0,7 |
1,0 |
0,7 |
0,5 |
|||||||||||||||||||||
2,4 |
4,1 |
1,7 |
5,0 |
3,8 |
2,9 |
Impôts et cotisations |
- 0,5 |
- 0,9 |
- 0,4 |
- 1,1 |
- 0,9 |
- 0,7 |
|||||||||||||||||||||
|
dont : |
|
|||||||||||||||||||||||||||||||
2,5 |
3,4 |
-3 ,5 |
- 20,2 |
1,2 |
3,0 |
Cotisations sociales |
- 0,3 |
- 0,4 |
0,4 |
2,3 |
- 0,1 |
- 0,3 |
|||||||||||||||||||||
2,3 |
5,0 |
7,6 |
30,4 |
5,3 |
2,8 |
Impôts y compris CSG et RDS |
- 0,2 |
- 0,5 |
- 0,8 |
- 3,4 |
- 0,8 |
- 0,4 |
|||||||||||||||||||||
11,5 |
1,0 |
8,1 |
8,3 |
7,1 |
9,3 |
Intérêts, dividendes et div. Nets |
0,8 |
0,1 |
0,6 |
0,7 |
0,6 |
0,8 |
|||||||||||||||||||||
2,6 |
0,4 |
2,2 |
3,0 |
2,7 |
3,2 |
Revenu disponible brut |
2,6 |
0,4 |
2,2 |
3,0 |
2,7 |
3,2 |
*
calculé en utilisant le déflateur de la consommation des
ménages dans les comptes aux prix de l'année
précédente.
La progression de la masse salariale (+ 3,2 %) viendrait presque
à parts égales de la croissance du salaire moyen par tête
(+ 2,5 % en valeur et + 1,5 % en volume) et des effectifs
employés (+ 2,1 % pour le nombre des emplois salariés).
Évolution du taux de salaire horaire et du salaire
moyen
par tête
(entreprises non financières non agricoles)
(en moyenne annuelle en %)
|
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
Taux de salaire horaire en valeur |
4,4 |
3,3 |
2,5 |
2,5 |
2,6 |
2,7 |
2,2 |
2,2 |
4,3 |
Salaire moyen par tête :
|
4,0
|
2,8
|
2,5
|
2,3
|
2,6
|
2,8
|
2,1
|
2,1
|
2,5
|
L'augmentation du salaire moyen par tête ne suivrait pas
le
très fort ressaut du taux de salaire horaire associé à la
réduction légale du temps de travail, sous l'effet même
d'une diminution de la durée effective du temps de travail.
Ces enchaînements débouchent sur un scénario très
(trop ?) favorable. La hausse du taux de salaire horaire n'alourdit pas le
coût salarial associé à chaque emploi. Les entreprises
réduisent effectivement la durée du travail, ce qui a pour effet
de contenir le renchérissement du salaire par tête et
d'accroître le nombre des emplois.
Ce scénario repose sur un partage vertueux entre les salaires et les
emplois
au terme duquel, qui plus est, le taux de marge des entreprises est
préservé. Les effets macro-économiques défavorables
d'une croissance assez modeste du salaire par tête sont
neutralisés par l'augmentation du volume des emplois.
Variations en moyenne annuelle
(En milliers d'emplois)
|
1998 |
1999 |
2000 |
Emploi
salarié marchand
|
328
|
174
|
285
|
Emploi non marchand |
87 |
113 |
117 |
Emploi non salarié |
- 13 |
- 18 |
- 21 |
Emploi total hors contingent |
402 |
269 |
381 |
Source : INSEE, Direction de la prévision
La
suspension, observée en 1999, du phénomène
d'enrichissement de la croissance en emplois prendrait fin sous l'impact de la
réduction du temps de travail, qui créerait 115.000 emplois, soit
beaucoup moins qu'escompté dans l'étude d'impact associée
au projet de loi mais beaucoup plus qu'en 1999 (20.000 emplois).
Ces enchaînements supposent d'abord que les entreprises réduisent
effectivement la durée du travail, contribuant ainsi à limiter
l'alourdissement des charges salariales par tête qu'entraîne
mécaniquement la réduction du temps de travail. Si tel ne devait
pas être le cas, la demande de travail des entreprises serait
réduite. La demande supplémentaire de travail attendue de la
réduction du temps de travail s'exprimerait moins fortement. Le
coût du travail étant accru, un arbitrage défavorable
à l'emploi se produirait.
Les enchaînements envisagés par le gouvernement supposent
également que les salariés acceptent de voir rognés leurs
gains de pouvoir d'achat individuels.
Or, les conditions de cette acceptation n'apparaissent pas entièrement
réunies.
Le nombre des intérimaires a plus que doublé en deux
ans.
|
Mars 1994 |
Mars 1995 |
Mars 1996 |
Mars 1997 |
Mars 1998 |
Population active occupée (milliers) |
|||||
Ensemble |
22.022 |
22.344 |
22.482 |
22.430 |
22.705 |
Hommes |
12.396 |
12.561 |
12.611 |
12.552 |
12.661 |
Femmes |
9.626 |
9.793 |
9.881 |
9.878 |
10.064 |
Population d'actifs occupés à temps partiel (en %) |
|||||
Ensemble |
14,7 |
16,5 |
15,6 |
16,6 |
17,1 |
Hommes |
4,5 |
5,0 |
6,2 |
5,4 |
5,6 |
Femmes |
27,8 |
28,8 |
29,6 |
30,9 |
31,0 |
Statut des emplois (milliers) |
|||||
Non salariés |
3.057 |
3.005 |
2.902 |
2.864 |
2.802 |
Salariés |
18.965 |
19.339 |
19.561 |
19.586 |
19.904 |
dont :
|
210
|
267
|
273
|
330
|
413
|
Durée habituelle de travail des salariés (heures par semaine) |
|||||
Temps complet |
39,9 |
39,9 |
39,8 |
39,9 |
39,7 |
Temps partiel |
22,4 |
22,6 |
22,7 |
22,6 |
22,9 |
Cette situation qui a accompagné l'augmentation du nombre des emplois dont il faut se féliciter engendre d'un autre côté l'insatisfaction d'un grand nombre des salariés comme en témoigne le tableau ci-dessous.
Taux de sous-emploi parmi les emplois à temps partiel
(en %)
|
Mars 1994 |
Mars 1995 |
Mars 1996 |
Mars 1997 |
Mars 1998 |
Ensemble |
37,4 |
37,5 |
38,2 |
39,5 |
38,5 |
Hommes |
47,5 |
51,0 |
50,9 |
51,6 |
51,5 |
Femmes |
35,3 |
34,9 |
35,3 |
36,8 |
35,6 |
Près de 40 % des salariés à temps partiel s'estiment
déjà en situation de sous-emploi.
Le panorama de l'emploi n'oppose donc pas seulement les chômeurs aux
personnes employées. Il offre une gradation plus subtile avec au moins
trois strates : le chômage, le sous-emploi et le plein emploi.
Dans ces conditions, la réduction du temps de travail n'offre pas de
perspectives satisfaisantes.
Il est donc urgent d'apporter au marché du travail
les
réformes
nécessaires
.
Le scénario du gouvernement suppose enfin que la part de la valeur
ajoutée des entreprises consacrée à la masse salariale ne
soit pas augmentée.
Des résultats moins favorables en matière d'emploi que ceux
escomptés viendraient atténuer l'optimisme des ménages. A
ce sujet, il est troublant d'observer un décalage entre les
" enquêtes ménages " de l'INSEE plutôt favorables
et les " enquêtes entreprises " plutôt mal
orientées, décalage qui, dans le passé, s'est
résolu par un retournement de la confiance des ménages.
2. La situation des entreprises
La
réduction du temps de travail crée un risque important de
dégradation des conditions du partage de la valeur ajoutée au
détriment des capacités financières des entreprises.
En outre, l'augmentation de la pression fiscale sur les entreprises, importante
depuis 1997, se poursuivrait, dégradant un peu plus un taux
d'autofinancement revenu de 120,6 % au troisième trimestre 1997
à 104,9 % aujourd'hui.
A ce risque s'ajoute un aléa monétaire, un durcissement de la
politique monétaire de la Banque centrale européenne pouvant
intervenir si l'inflation devait se réveiller.
Une telle conjonction serait défavorable à l'investissement des
entreprises qui pourrait en outre être affecté par une demande
moins dynamique que prévu.
Les récentes enquêtes de conjoncture sont, sur ce point, quelque
peu déconcertantes, les anticipations des chefs d'entreprise se
dégradant alors même que leur comportement d'investissement semble
se redresser.
Ces signaux contradictoires ne sont que la démonstration de la
volatilité des comportements d'investissement des entreprises qui, sur
la période récente, sont restés dans l'ensemble
très peu dynamiques.