9. Dangers de l'amiante pour les travailleurs et l'environnement - Interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), Paul DHAILLE, député (Soc), Claude EVIN, député (Soc), et Jean BRIANE, député (UDF) (Mercredi 22 avril)
Partant
du constat que, malgré la prise de conscience des dangers de l'amiante
dans les années 60 et les mesures prises, ceux-ci sont toujours
présents, le rapport invite à une interdiction totale de son
utilisation et à la recherche des produits de substitution.
Il préconise en outre, et entre autres :
- la mise en place de mesures sanitaires et sociales pour répondre
à l'accroissement prévisible des maladies liées à
l'amiante,
- une information et une protection médicale adéquate
immédiate des travailleurs à risques,
- des politiques de réhabilitation de l'environnement.
En outre, le Rapporteur en appelle à la responsabilité des Etats
membres pour empêcher l'exportation du problème vers les pays du
Tiers Monde.
M. Claude BIRRAUX, député (UDF)
, formule les observations
suivantes :
" Je me réjouis que notre rapporteur M. Cox propose une
recommandation forte : l'interdiction de l'utilisation de l'amiante dans
les différents Etats membres, et je le félicite.
En effet, le caractère cancérigène de l'amiante,
suspecté dans les années 30 et prouvé dans les
années 60, est désormais admis et reconnu par
tous. Néanmoins, l'amiante a été largement
utilisé dans les années 50-80, en méconnaissant toutes ses
conséquences sur la santé de l'homme.
Depuis vingt ans, la prise en compte du danger représenté par
l'amiante a conduit les différents responsables gouvernementaux à
diminuer régulièrement les valeurs limites d'exposition des
travailleurs telles que les seuils limites d'empoussièrement sur les
lieux de travail et l'interdiction du flocage.
Aujourd'hui, nous avons la certitude de l'effet cancérigène de
l'amiante. Les effets pathogènes de l'amiante sont de trois ordres
et liés à son inhalation : les asbestoses décrites
dès 1907 par un inspecteur du travail français, le cancer du
poumon et le mésothéliome, c'est-à-dire le cancer de la
plèvre.
Les effets pathogènes sont liés au caractère
indestructible des fibres, à leur dépôt dans le tissu
pulmonaire et leur migration facile vers l'enveloppe du poumon. Il faut se
souvenir qu'une fibre d'amiante est de 400 à 2 000 fois plus petite
qu'un cheveu humain et n'est pas décelable à l'oeil nu.
C'est en 1955 que l'enquête épidémiologique de Richard Doll
dans une usine textile d'Angleterre apporte la preuve du lien entre exposition
à l'amiante et cancer du poumon. Pour le mésothéliome,
c'est en 1960 que Wagner établit le lien entre l'amiante et cette
maladie, à partir de cas de mineurs ayant travaillé dans une mine
de crocidolite en Afrique du Sud. Toutes les études
épidémiologiques ont confirmé sans équivoque le
lien entre l'amiante et le cancer, ainsi qu'entre l'amiante et le
mésothéliome, à forte dose.
Des incertitudes demeurent sur l'extrapolation aux faibles doses de la relation
linéaire entre exposition et risque de cancer et sur l'existence ou non
d'un seuil.
Une autre incertitude a trait aux différences à faire ou non
entre les différents types d'amiante, en particulier une
éventuelle moindre nocivité du chrysolite. Un rapport d'expertise
collective d'un institut de recherche en santé médicale en France
conclut au caractère cancérigène indiscutable pour toutes
les fibres, y compris le chrysolite, même si la nocivité de ce
dernier est moindre pour le mésothéliome.
Malgré ces incertitudes et ces doutes, il nous faut, avec le philosophe
allemand Hans Jonas, renverser le principe cartésien : "dans
le doute abstiens-toi" au profit du principe de précaution : "au
moindre doute, décide". M. Cox a donc raison de proposer
l'interdiction de l'amiante, comme d'autres pays l'ont déjà mise
en oeuvre, notamment la France en juillet 1996.
On pourrait encore se demander si une utilisation contrôlée ne
serait pas une étape moins drastique que l'interdiction totale. Un
récent rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques montre
l'échec total de cette voie.
J'aimerais ajouter deux commentaires.
Dans les mesures à court terme, il est proposé de "recenser les
applications anciennes de l'amiante et interdire les nouvelles" cela me
paraît certes nécessaire, mais insuffisant et pas assez fort.
Ainsi formulée, cette proposition semble se satisfaire de la seule
interdiction. Or la caractéristique principale des pathologies
liées à l'amiante est leur très long temps de latence.
Il est indispensable d'établir un inventaire des bâtiments
contenant de l'amiante, comme des matériaux en contenant. Selon
l'état du matériau, après analyse, il convient de
déterminer s'il existe un risque pour les populations ou les
travailleurs exposés et si des travaux de désamiantage
s'imposent. On quitte le domaine strict des travailleurs, mais si des enfants
sont exposés dans une école, ils méritent une aussi grande
attention.
Dès lors qu'une population aurait été exposée au
risque amiante, d'une façon volontaire ou non, il faut mettre en place
automatiquement un suivi médical. Pour cela, il faut recenser toutes les
populations touchées et ce recensement va bien au-delà des seuls
travailleurs de l'amiante.
L'interdiction de l'amiante est un signe fort que donne notre Assemblée,
tant vers les gouvernants que vers le public. Les efforts des élus, pour
garantir une santé publique satisfaisante, ne doivent pas
s'arrêter là.
Il faut assumer le passé et le passif en mettant en oeuvre une politique
de recensement des utilisations passées de l'amiante, de leur risque
pour les travailleurs et les populations exposées, une politique de
recensement des populations exposées et de leur suivi médical.
Enfin, les responsables politiques devront être très attentifs au
problème des fibres de substitution, en mettant en place une
réglementation stricte, voire coercitive, avant toute certitude sur
l'innocuité de ces fibres.
D'une manière générale, il devient impératif de
mettre en oeuvre des outils d'évaluation des risques pour mieux les
gérer et s'en prévenir. "
M. Paul DHAILLE, député (Soc)
, prend la parole en ces
termes :
" Ce rapport sur les dangers de l'amiante pour les travailleurs et
l'environnement, même s'il n'est pas le plus médiatique, est
extrêmement important pour asseoir la crédibilité du
Conseil de l'Europe auprès de nos concitoyens si sa diffusion est bien
assurée auprès de nos gouvernements, de nos collègues
parlementaires, auprès des associations de défense de
l'environnement et surtout, auprès des syndicats et des organisations
qui défendent les travailleurs victimes d'accidents ou de maladies du
travail. Même s'il s'agit là d'un problème particulier, la
valeur générale de notre démarche et de ce rapport risque
de s'appliquer à d'autres matériaux, à d'autres produits
naturels ou chimiques, à d'autres techniques dans les années
à venir.
En effet, les progrès de la science peuvent mettre en évidence la
nocivité de ces matériaux, de ces produits ou de ces techniques
pour la santé publique ou l'environnement. Ainsi l'utilisation des
hormones pour la croissance des animaux, la modification
génétique des plantes, peuvent déjà poser des
problèmes, tout au moins doivent-elles déjà poser des
questions aux responsables politiques.
Ainsi le cas de l'amiante paraît tout a fait représentatif. Son
caractère cancérogène, suspecté depuis les
années 30 et prouvé depuis les années 60, est
désormais admis et reconnu. Longtemps les intérêts
économiques ont retardé la prise de conscience de ce
caractère nocif pour la santé publique, mais les maladies dues
à l'amiante (asbestoses, cancers du poumon,
mésothéliomes), qui ont un temps de latence très long,
pouvant aller jusqu'à quarante ans, frappent aujourd'hui un nombre
croissant de travailleurs. Ainsi l'Institut national de la santé et de
la recherche médicale (INSERM) chiffrait à 1 950 le nombre
de décès liés à l'amiante en France en 1996. C'est
aussi la date à laquelle a été prise la décision
d'interdiction de fabrication, d'importation et de mise en vente de l'amiante
dans notre pays. Avant cette date, l'amiante a été très
largement utilisée, spécialement dans les années
1950-1980, et ce n'est que depuis vingt ans que la prise en compte du
danger représenté par l'amiante a conduit les pouvoirs publics
français à diminuer les valeurs limites d'exposition
tolérées pour les travailleurs, jusqu'à l'interdiction
définitive de 1996.
Cependant, on se rend compte que le cheminement a été très
long, que de nombreux drames ont été provoqués pendant
toutes ces années et que les conséquences perdureront encore
longtemps.
Aujourd'hui, à la suite des dispositions communautaires, des mesures
législatives et réglementaires prises par de nombreux pays, des
avis de l'Organisation mondiale de la santé et du Bureau international
du travail... et, bien sûr, de notre débat de ce jour, plus
personne, patrons, ministres, parlementaires, fonctionnaires, ne peut dire
qu'il n'était pas au courant du caractère
cancérogène de l'amiante. Dans ces conditions, il est
nécessaire de prendre des mesures et tout retard supplémentaire
serait lourd de conséquences. Chacun est ainsi mis devant ses
responsabilités.
Tout d'abord, l'adoption de ce rapport sera un moyen supplémentaire pour
les travailleurs victimes de l'amiante de faire reconnaître la
réalité des affections dont ils sont atteints et qui doivent
être reconnus comme des maladies professionnelles ouvrant à des
droits particuliers quant à la couverture des soins et à la
réparation financière.
Mais au-delà des réponses à apporter à ces
problèmes douloureux, il appartient à nos gouvernements et aux
autorités locales de faire le recensement des bâtiments contenant
de l'amiante. Il me semble que, conformément au principe de
responsabilité, la liste de ces bâtiments doit être soumise
aux assemblées délibérantes et portées à la
connaissance de la population. Les opérations de "désamiantage"
pourront alors être entreprises en veillant à ce que le
remède ne soit pas pire que le mal. Les équipes chargées
de l'enlèvement de l'amiante et les procédures techniques devront
répondre à des critères très stricts, car si
l'amiante, par exemple, enrobé apparaît moins dangereux,
dès qu'il retrouve une forme volatile, il retrouve aussi ses
caractéristiques nocives.
J'apporterai donc mon appui à cet excellent rapport, qui poursuit une
action intéressante de notre assemblée au service de nos
concitoyens. C'est pourquoi, je souhaite que ce rapport connaisse une large
publicité et que, en particulier, nous le diffusions sur le site
Internet du professeur Claude Got, qui offre déjà un "corps" de
texte d'environ 1200 pages sur ce sujet et des liens avec de nombreux autres
sites consacrés à cette question. "
M. Claude EVIN, député (Soc)
, intervient à son tour
dans le débat :
" Je voudrais tout d'abord féliciter notre collègue
Tom Cox pour le travail qu'il a réalisé autour de ce
rapport : travail d'investigation des différents points de vue
scientifiques et d'audition des différents acteurs concernés.
Le développement de l'utilisation de l'amiante a eu lieu dans une
période où le progrès scientifique technologique et
économique occultait souvent les effets nocifs de l'amiante sur la
santé au travail, sur la santé publique et sur l'environnement.
Or, la nocivité de l'amiante est connue depuis le début du
siècle et son caractère cancérogène est aujourd'hui
reconnu et confirmé.
L'amiante provoque des maladies extrêmement graves, essentiellement
professionnelles : asbestose, atteinte non cancéreuses de la
plèvre, mésothéliome, c'est-à-dire des tumeurs
malignes localisées au niveau de la plèvre et du péritoine.
Je voudrais rappeler que l'amiante a été classée
cancérogène par le Centre international de recherche sur le
cancer (CIRC) dès 1977. Toutes les études
épidémiologiques qui ont été
réalisées auprès de cohortes de travailleurs
exposés, professionnellement à des concentrations très
élevées de fibre d'amiante ont montré que ces travailleurs
avaient dix fois plus de risques que la population normale d'avoir un
cancer du poumon et vingt fois plus de risque d'avoir un
mésothéliome.
Certains veulent dissocier les différents amiantes quant aux risques
qu'ils induisent. On sait aujourd'hui, et les études
épidémiologiques le prouvent, que toutes ces fibres, quelle que
soit leur origine, que ce soit des chrysotiles ou des amphiboles
(c'est-à-dire de l'amiante brun ou bleu) provoquent des risques
identiques de cancer du poumon.
Concernant le mésothéliome, les études montrent que les
risques sont plus élevés pour des expositions aux amphiboles et
aux mélanges d'amphiboles et de chrysotile que pour les expositions au
chrysotile seul, mais une part de risque existe aussi pour le chrysotile.
Et même ceux qui, au sein de cette Assemblée défendent le
chrysotile, reconnaissent de fait qu'il peut développer des états
pathologiques. Ils nous disent en effet que, lorsqu'il est utilisé
à faible dose, il ne provoque pas de pathologie, il reconnaissent donc
qu'au-delà d'un certain seuil, il y a bien danger et chacun sait que
l'argument sur l'importance des doses ne tient qu'au regard de la durée
d'exposition. Si un travailleur est exposé pendant toute sa vie
professionnelle à de faibles doses, il encourra des risques réels.
En tout état de cause, devant un débat qui existe entre experts,
nous devons apprécier les décisions à prendre dans
l'intérêt de la santé publique des travailleurs
concernés, mais aussi de la population exposée, en fonction du
principe de précaution.
Il ne s'agit bien évidemment pas de parvenir à un risque
zéro. Le risque zéro n'existe pas.
L'enjeu de nos politiques de prévention est de réduire le risque.
Même lorsque le risque zéro semble hors d'atteinte, nous devons
tout faire pour tendre vers un risque acceptable. Le risque devient acceptable
lorsqu'il est connu. Le risque est inacceptable lorsqu'on ne connaît pas
la probabilité de son ampleur. Le risque est inéquitable et
provoque une réaction sociale forte lorsqu'il expose plus
particulièrement certaines catégories socio-professionnelles. Le
risque amiante est devenu inacceptable, tout à la fois parce qu'on ne
mesure pas totalement l'ampleur de ses conséquences sanitaires et parce
qu'il atteint plus particulièrement certaines catégories sociales
(ouvriers de la construction navale, métiers du bâtiment...).
Or, nous avons, sur les politiques suivies concernant le risque amiante, des
expériences différentes dans nos différents pays. C'est
ainsi que, par exemple, la France a pendant plusieurs années
développé une politique d'utilisation contrôlée de
l'amiante. On a pu mesurer aujourd'hui que cette politique est un échec,
notamment parce qu'on a pu constater que le contrôle de cette utilisation
est particulièrement difficile à gérer. Cette situation a
conduit la France à décider, à compter du
1
er
janvier 1997, à interdire la fabrication,
l'importation et la mise en vente de produits contenant de l'amiante. Seules
quelques dérogations très limitées ont été
prévues pour certains produits, tels que les vêtements
ignifugés utilisés par les pompiers.
Je pense que l'on doit aller dans chacun de nos pays européens vers une
telle interdiction et, de ce point de vue, le projet de recommandation de Tom
Cox aurait pu aller plus loin encore qu'il ne le fait. Tom Cox a
souhaité affirmer des objectifs réalisables et je crois que c'est
la sagesse.
Aux pays qui mettent en avant l'aspect économique du problème
posé, je pense que nous devons rappeler que la santé des
travailleurs ne peut passer après des intérêts
économiques.
Certes, tout ne peut, sur ce plan, se régler en quelques mois, mais nous
devons d'abord affirmer clairement les objectifs que nous poursuivons pour
défendre les droits de l'homme, y compris sur le plan social, puis nous
examinerons les moyens qu'il nous faudra collectivement mettre en oeuvre au
niveau de l'ensemble de la communauté que nous formons pour nous aider
mutuellement à atteindre nos objectifs.
Le rapport de Tom Cox fixe ces objectifs et trace ces moyens. Il mérite
d'être largement approuvé. "
Sur le projet de recommandation, Mme Kulbaka (Fédération de
Russie) intervient pour un rappel au règlement
" considérant que la Commission a rejeté sans
débat les trente amendements de la délégation russe,
réitère sa demande de renvoi en commission. Cela permettrait un
réexamen attentif, tant des données scientifiques que des
éléments fournis par la Russie ".
Après avis de la Commission des questions sociales, de la santé
et de la famille exprimé par son rapporteur, M. Thomas Cox,
l'Assemblée rejette la demande de renvoi en commission.
Puis au cours de la discussion des amendements déposés par la
Fédération de Russie, alors que celle-ci souhaite retenir la
rédaction suivante d'un paragraphe du projet de recommandation :
" l'Assemblée a pris connaissance de la situation dans
certains
Etats membres du Conseil de l'Europe concernant l'utilisation
de l'amiante... ",
considérant qu'il n'a pas été tenu compte de
l'expérience de la Russie qui fait pourtant partie du Conseil de
l'Europe,
M. Jean BRIANE, député (UDF)
, intervient de la
façon suivante, contre l'amendement :
" Tout a été dit sur les dangers de l'amiante ! Au
Conseil de l'Europe, il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures. Nos
collègues russes doivent accepter cette évidence ".
Rejeté par la Commission, l'amendement n'est pas adopté par
l'Assemblée.
Au terme du débat,
la recommandation 1369 figurant dans le rapport
8015 est adoptée, modifiée.