13. Criminalité des affaires : une menace pour l'Europe - Interventions de MM. Bernard SCHREINER, député (RPR) et Claude BIRRAUX, député (UDF) (Mercredi 28 janvier)
Le crime
économique, le trafic de drogue, le blanchiment d'argent, la corruption
et la fraude fiscale - phénomènes nullement nouveaux - ont pris
aujourd'hui une ampleur qui menace la stabilité économique et
sociale, et même la démocratie et l'Etat de droit, au niveau
régional, national et international. Le crime économique
organisé a une portée mondiale ; cherchant à
acquérir le contrôle du territoire sur lequel il opère, il
" investit " dans la violence et la corruption et ne
représente pas un moindre danger pour la société que la
délinquance classique. De récentes études du FMI
évaluent les gains annuels provenant des activités criminelles,
sur l'ensemble du globe, à 500 milliards de dollars (près de
2 % du PNB mondial), le montant de l'argent blanchi étant plus
important encore.
Le rapport analyse la nature et les formes du crime économique, de la
corruption et du blanchiment d'argent et examine l'action du Conseil de
l'Europe et les autres mesures internationales prises à l'encontre de
ces phénomènes. Etant donné la dimension planétaire
de la criminalité économique, toute stratégie de lutte,
pour être efficace, doit être élaborée et mise en
oeuvre par la voie d'une coopération internationale, fondée sur
une diversité d'instruments (d'investigation et législatifs) de
prévention et de répression adoptés au niveau
international et appliqués au niveau national.
L'auteur suggère des mesures pour renforcer la coopération,
notamment grâce au Groupe multidisciplinaire sur la corruption (GMC), au
Comité d'experts sur les aspects de droit pénal et les aspects
criminologiques du crime organisé (PC-CO) du Conseil de l'Europe, ainsi
qu'au Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI)
et autres organes européens et internationaux. Les législations
nationales doivent être renforcées, et les textes internationaux
existants, notamment ceux élaborés au sein du Conseil de
l'Europe, devraient être signés et ratifiés. Le rapport
accorde une attention particulière au projet " Octopus "
Conseil de l'Europe/Commission européenne contre le crime
organisé et la corruption dans les pays en transition, actuellement mis
en oeuvre dans 16 Etats d'Europe centrale et orientale. Il recommande que
l'Assemblée réexamine régulièrement la situation
à travers ses commissions des questions économiques et du
développement, ainsi que des questions juridiques et des droits de
l'homme.
M. Bernard SCHREINER, député (RPR)
intervient dans le
débat en ces termes :
" J'approuve tout à fait les observations de notre rapporteur et je
considère que nous sommes pleinement dans notre rôle en tenant un
débat sur ce qui est peut-être le principal péril pour nos
démocraties, même s'il demeure largement ignoré,
péril peut-être plus grave encore que le terrorisme, avec lequel
la criminalité financière entretient d'ailleurs des liens
très étroits.
Je centrerai mon propos sur ce qu'on appelle couramment " l'argent de
la drogue ". Sans doute avons-nous pris l'habitude de considérer
que certains Etats lointains sont gangrenés par les sommes
considérables que produit le trafic de stupéfiants. Mais je
voudrais que nous nous interrogions sur le circuit des profits engendrés
par le trafic de drogue au sein des Etats européens.
J'approuve évidemment toutes les propositions contenues dans le projet
de résolution, regrettant cependant qu'il n'ait pas pris la forme d'un
projet de recommandation adressé à nos gouvernements. En effet,
seuls ces derniers sont en mesure d'agir pour adapter les législations
nationales aux excellentes propositions de notre rapporteur.
Je m'interroge seulement à propos d'une démarche qui vise la
répression du blanchiment d'argent provenant de trafics illicites, alors
même que certains Etats européens continuent de pratiquer une
politique de tolérance, voire de légalisation, de l'usage et
même du commerce de stupéfiants.
Ces Etats et des lobbies nous accusent souvent d'entretenir des
préjugés et de refuser une approche moderne et libérale de
la toxicomanie. J'ai pourtant conservé le document capital que nous
avait adressé et distribué ici même le Gouvernement
suédois faisant état du revirement de sa législation
après une expérience de libéralisation dont les
résultats avaient été jugés catastrophiques. En
effet, libéraliser l'usage et le commerce des stupéfiants tout en
réprimant le blanchiment de l'argent, c'est s'arrêter en chemin ou
plutôt mener une politique incohérente.
Plusieurs raisons me poussent à demander cette politique
cohérente: la tolérance a toujours eu pour résultat, et
c'est d'ailleurs logique, l'augmentation de la consommation et donc du trafic.
On sait que certains mouvements terroristes se financent essentiellement par le
trafic de drogue. Beaucoup de filières d'immigration clandestine ont
recours également au trafic de drogue pour se financer.
On ne doit pas tirer argument de la difficulté de la répression
pour légaliser ces trafics mais au contraire, viser à mieux les
détecter pour les anéantir. Personne ne propose de
légaliser le vol parce que certains voleurs échappent aux
gendarmes !
Je souhaiterais donc que notre Assemblée prenne l'initiative d'une
invitation adressée à l'ensemble de nos Etats membres d'avoir
à conduire une politique cohérente comportant deux volets
indissociables : d'une part, bien sûr, comme le suggère la
résolution, organiser la répression du recyclage d'argent
sale ; d'autre part, organiser aussi la répression de la formation
de ces profits illicites en recherchant les filières d'où ils
proviennent.
Je demande donc, dans un objectif à la fois d'efficacité et de
cohérence politique, que notre Assemblée suive les enseignements
de l'expérience suédoise et dise clairement que la
commercialisation et l'usage de stupéfiants doivent être
réprimés.
Cette coordination se justifie au niveau de toute l'Europe afin que l'existence
de zones "moins disantes" en termes de répression ne fragilise
l'application de toutes les législations nationales, encourageant un
narcotourisme aujourd'hui florissant.
Je souhaite cette coordination aussi pour des raisons morales : quelle
crédibilité pourrions-nous avoir vis-à-vis de la jeunesse
si nous proposions la répression de la circulation d'argent sale sans
nous attaquer à la source des profits illicites.
Contrairement à certaines modes, je crois que la jeunesse n'a pas besoin
de joueurs de flûte mais au contraire, d'adultes qui la conduisent sur le
chemin d'un épanouissement qui ne va pas sans effort sur
soi-même. "
M. Claude BIRRAUX, député (UDF)
prend à son
tour la parole :
" Je félicite Mme Degn pour la qualité de son rapport,
détaillé et complet.
Je commencerai par rappeler que derrière le large éventail des
activités criminelles, la criminalité des affaires renvoie
à deux fléaux majeurs de notre époque, la drogue et le
tourisme sexuel. Ces deux fléaux ont pour principales victimes les
jeunes. Je me demande même si légaliser la drogue ou sa
consommation ne revient pas à légaliser les trafiquants et les
producteurs.
Le blanchiment de l'argent sale, sous ses différentes formes -placement,
c'est-à-dire conversion sous d'autre forme des espèces issues des
activités frauduleuses, empilage, c'est-à-dire dissimulation de
l'origine des ressources par des opérations complexes et opaques, ou
intégration, c'est-à-dire fusion des fonds d'origine illicite
avec des fonds d'origine licite, blanchiment accompagné ou non de
phénomènes de corruption- peut déstabiliser notre
démocratie, régime politique que nous défendons tous,
certaines organisations criminelles finissant par devenir un Etat dans l'Etat
ou infiltrant les Etats.
Il est, par conséquent, de notre devoir de tout mettre en oeuvre dans la
lutte contre la criminalité des affaires. Le Conseil de l'Europe a
déjà joué un rôle pionnier dans ce domaine pour
sensibiliser les Etats. Je pense, en particulier, à la convention
du 8 novembre 1990, relative au blanchiment, au
dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits
du crime.
Il appartient dès lors à chaque Etat signataire de transposer
cette convention par l'adoption d'une législation nationale. Par la loi
du 13 mai 1996, la France l'a fait en instituant le délit
général de blanchiment du produit des crimes et délits.
Délit général, ce qui signifie que le législateur
français a opté pour une définition extensive en ne
limitant pas le champ d'application de ce délit aux produits de
certaines infractions comme la convention lui en laissait le choix.
Voilà qui me semble aller dans le bon sens. C'est en effet en
s'attaquant aux profits de leurs activités que l'on peut, je pense,
combattre efficacement les trafiquants.
En outre, le législateur français a établi, avec la loi du
13 mai 1996, deux autres délits. Il s'agit, d'une part, du
délit de non-justification de ses ressources au regard de son niveau de
vie par une personne ayant des relations avec un trafiquant de drogue ;
d'autre part, du délit de provocation d'un mineur au trafic de drogue.
Cette dernière disposition vise à rendre également
responsable le trafiquant qui s'abrite derrière le mineur.
Mme le rapporteur a souligné dans son rapport la nécessité
de renforcer la coopération entre les Etats membres. Je tiens à
mentionner, sur ce point, la convention sur la lutte contre la corruption dans
les transactions commerciales internationales. Cet accord a été
élaboré le 20 novembre dernier par vingt-neuf pays
membres de l'OCDE et cinq pays non membres. Cette convention oblige les
Etats signataires à lutter contre la corruption active, quelle que soit
la nationalité des fonctionnaires corrompus. Elle prescrit aux Etats
signataires de ne pas se laisser influencer par des considérations
d'ordre diplomatique ou économique nationale dans la mise en oeuvre des
poursuites. Elle définit les modalités d'une entraide judiciaire
plus importante et facilite les procédures d'extradition.
Je conclurai, en mettant l'accent sur un dernier point. La coopération
internationale est devenue plus nécessaire que jamais.
L'électronique et les nouvelles technologies d'information et de
communication ayant accru la rapidité des transactions
financières, les techniques de blanchiment via plusieurs pays sont plus
difficiles à déceler.
Cette coopération doit être intense, loyale. Elle
présuppose un accord des Etats pour augmenter leur vigilance
vis-à-vis des paradis fiscaux et substituer la transparence des
transactions au secret, y compris bancaire, et pour ceux qui s'en glorifient
pour leurs propres activités, et avoir une lecture commune des
procédures, ainsi qu'une volonté politique sans faille pour
poursuivre tous les acteurs et commanditaires, quelle que soit leur place dans
la chaîne criminelle. "
A l'issue du débat,
la résolution 1147 et la directive 540,
figurant dans le rapport 7971, sont adoptées à
l'unanimité.