7. Conséquences sur la santé de l'accident de Tchernobyl - Rapport de M. Denis JACQUAT, député (UDF) - Interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), Nicolas ABOUT, sénateur (ap. RI) (Mardi 24 juin)
Présentant son rapport,
M. Denis JACQUAT,
député (UDF)
, a présenté les observations
suivantes au nom de la commission des questions sociales, de la santé et
de la famille :
" Monsieur le Président, mes chers Collègues, cet avis est
la suite logique des conclusions d'un précédent rapport de 1993
qui, présenté par une de nos collègues islandaise,
demandait de faire le point sur les conséquences sanitaires de
Tchernobyl dix ans après la catastrophe. Nous avons eu ici
même il y a quelques mois, une discussion sur ce thème. Aussi
m'exprimerai-je brièvement afin d'éviter les
répétitions.
Pour mémoire, je rappelle que l'accident lui-même est dû
à une très grave combinaison, la déficience de la
conception et des violations de procédures. On peut affirmer que l'iode
radioactif en Ukraine, en Russie et surtout en Bélarus, a
provoqué dans les zones fortement contaminées une multiplication
par dix des cancers de la thyroïde chez l'enfant - ce qui
représente à peu près mille cas - et par deux des
cancers de la thyroïde chez les liquidateurs. Il faut y ajouter de
nombreuses maladies psychosomatiques dues au stress.
Si l'accident n'avait pas été occulté par les
autorités locales et surtout si les mesures sanitaires
préventives avaient été mises en place en temps voulu,
notamment la distribution d'iode stable aux populations concernées, nous
n'aurions pas eu en particulier des cancers de la thyroïde chez les
enfants. Il est à noter que ces cancers, prévisibles, sont
apparus plus tôt que prévu.
Actuellement, le diagnostic et le traitement chirurgical des cancers de la
thyroïde de l'enfant ne présentent aucune difficulté majeure
pour les médecins et les chirurgiens dans les trois pays
concernés. Les problèmes se posent pour le traitement isotopique
postopératoire chez l'enfant présentant des métastases. En
effet, les conditions hospitalières locales ne permettent presque pas,
malgré le souhait du corps médical local et des familles des
malades, un traitement sur place. Ces traitements sont donc très souvent
effectués à l'étranger dans des services parfaitement
équipés.
Cependant, il est indispensable que le nombre de prises en charge de patients
soignés à l'étranger augmente car, malheureusement, les
enfants atteints de métastases dans le cas de cancers de la
thyroïde ne sont pas traités, et/ou que des moyens financiers
soient donnés aux trois pays concernés pour équiper
parfaitement leurs hôpitaux afin d'effectuer ces traitements. C'est un
devoir moral.
" Science sans conscience n'est que ruine de l'âme " :
c'est la raison pour laquelle je vous propose que nous continuions à
suivre attentivement les problèmes sanitaires engendrés par la
catastrophe de Tchernobyl car le nuage radioactif d'iode et de césium
fera encore malheureusement des ravages ".
M. Claude BIRRAUX, député (UDF),
intervient dans le
débat en ces termes :
" Permettez-moi de féliciter M. Denis Jacquat pour la
qualité de son rapport, qui donne des orientations et des informations
raisonnées sur l'état sanitaire des populations.
Son approche doit être saluée, car sur le sujet, entre ceux qui
multiplient les cas douloureux par un facteur cent, voire mille, et même
davantage, et ceux qui nient tout impact de l'accident de Tchernobyl sur la
santé des populations et qui pensent qu'il n'y a eu que trente-deux
morts, il est difficile de porter un jugement de valeur. Les uns comme les
autres, essaient contre vents et marées de justifier leur attitude pro
ou antinucléaire. Je ne suis pas sûr qu'ils défendent au
mieux leurs propres intérêts.
Permettez-moi aussi de remercier M. Jacquat d'avoir rappelé, dans son
rapport, que Tchernobyl fut une catastrophe intolérable que le temps ne
doit ni effacer, ni banaliser et ce n'est pas une clause de forme.
La fermeture de Tchernobyl, comme symbole de la fin de l'ère
soviétique dans le domaine nucléaire et symbole du changement
d'échelle de valeurs dans la société ex-soviétique
post-communiste, est réclamée depuis plus de dix ans ! Ce
n'est que fin 1996 que le principe en a été enfin admis,
même si les modalités sont toujours incertaines. Tout cela est "
la faute de la perestroïka" , comme dirait M. Jirinovski.
Merci, Monsieur Jacquat, de contribuer avec ce rapport à la
transparence, car la transparence est liée fortement à la
démocratie, n'en déplaise encore à M. Jirinovski.
Nos pays occidentaux savent aujourd'hui quelle est la situation technologique
et humaine des réacteurs jugés les plus dangereux. Un plan
d'urgence avait même été appelé en un moment
où l'on parlait de plan Marshall pour le nucléaire à
l'Est. De G7 en G8, en passant par le G24, l'Union européenne, la BERD,
l'urgence s'est enlisée dans le formalisme et la bureaucratie.
Pour assurer un suivi correct des populations, il est indispensable de disposer
d'un maximum de données médicales. Or, il est vrai que les
données sur la santé des populations avant l'accident sont rares.
Néanmoins, il était possible de commencer une étude
épidémiologique d'envergure.
Je regrette d'autant plus vivement que cette étude n'ait pu avoir lieu,
que c'est le gouvernement français qui s'est opposé à ce
projet. Le projet Système informatisé d'aide à la
décision médicale dans le cadre de l'accord partiel ouvert sur
les risques majeurs n'a pu voir le jour. En effet, il permettait de relier par
satellite sept ou huit hôpitaux qui auraient pu échanger des
informations sur les symptômes ou maladies observés chez des
patients contaminés par Tchernobyl.
Je crois qu'il serait utile qu'une telle étude voie le jour, car elle
serait un complément indispensable à l'observation des effets des
rayonnements chez les survivants d'Hiroshima et Nagasaki.
Pour cette dernière, la Life Span Study, actualisée tous les cinq
ans, montre dans sa récente actualisation qu'il y a des effets
significatifs au-dessus de 50 mSv alors que les précédentes
études ne notaient rien. Cette étude
épidémiologique serait complétée par les
données concernant les populations qui sont restées à
vivre et à travailler dans les zones contaminées.
A ceux qui considèrent que les restrictions alimentaires ou autres sont
excessives, je rappellerai que le principe de précaution doit guider
toute autorité responsable. S'il y a un risque pour la santé de
la population, il ne doit pas être pris.
C'est dans cette perspective que la Commission internationale de protection
radiologique (CIPR), dans sa recommandation n° 60, demande un abaissement
des normes sanitaires pour la radioprotection. L'Union européenne a
adopté en mai 1996 cette directive et ces normes - 20 mSv pour les
travailleurs et une augmentation de radioactivité induite non volontaire
pour le public de 1 mSv.
Que dire enfin des liquidateurs, qui ont été renvoyés dans
leurs foyers et dont on ne sait pas s'ils ont un suivi médical
quelconque ?
Je suis d'accord avec les différents points du projet de
résolution.
J'ajoute cinq propositions :
- relancer l'idée d'une étude
épidémiologique ; former les responsables du
nucléaire et les autorités, à la gestion de crise, afin
que le " retour d'expérience de Tchernobyl " soit
analysé et que des actions correctrices soient intégrées
dans des plans d'urgence et de sécurité pour les autres sites
nucléaires dans la C.E.I.
- se mobiliser pour apporter une assistance à la
sûreté des réacteurs les plus vulnérables et
à la formation et la gestion des personnels,
- ne plus tergiverser pour la fermeture définitive de Tchernobyl,
- prendre rapidement des décisions et surtout engager des actions
pour le deuxième sarcophage avant qu'une deuxième catastrophe ne
se produise à Tchernobyl,
- enfin, traduire encore de manière concrète notre
compassion pour les victimes et ne pas se lasser de rappeler le drame de
Tchernobyl, afin que nul n'oublie, ni ne s'habitue à l'inacceptable,
comme furent oubliées les victimes de Cheliabinsk, d'Omsk et bien
d'autres lieux ".
M. Nicolas ABOUT, sénateur (ap. RI),
prend à son tour la
parole :
" Monsieur le Président, mes chers Collègues, permettez-moi
tout d'abord de féliciter notre rapporteur M. Jacquat pour son
très sérieux et excellent travail sur ce sujet extrêmement
délicat.
Effectivement, il aurait pu céder à la manipulation donnant dans
le sensationnel et l'exagération, ou encore à des motifs
économiques qui peuvent pousser certains à aller au-delà
de ce qu'est la réalité. Il s'est imposé la rigueur, il
s'est imposé l'honnêteté qu'exige sa formation de
médecin et de scientifique. Et je tiens, en tant que confrère,
à l'en remercier.
La situation qu'il nous a présentée, rappelée avec talent
par notre collègue M. Birraux, ne peut qu'obtenir mon accord quant
aux chiffres statistiques. Ne délirons pas au-delà du drame
réel qu'est Tchernobyl. Ce drame se suffit. N'allons pas imaginer je ne
sais quelle leucose aujourd'hui pas du tout établie. A moins que l'on
nous présente des statistiques solides !
N'allons pas délirer dans nos amendements sur la nécessité
de dénoncer des troubles observés dans le développement du
foetus. Nous verrons tout cela. Laissons le temps aux scientifiques pour faire
le point réel sur ces désagréments, ces anomalies, ces
scandales engendrés éventuellement, dans le futur, par
Tchernobyl. Mais aujourd'hui, soyons sérieux.
Tchernobyl, c'est le symbole même du fonctionnement de l'Union
Soviétique pendant près de soixante-dix ans, un état
totalitaire qui a privilégié les instruments de puissance au
détriment des personnes, de l'être humain en
général. Ce furent d'abord les essais nucléaires dans les
zones habitées du Kazakhstan, mais enfin l'on a aussi connu cela aux
Etats-Unis, malheureusement. Ce fut ensuite la construction de dizaines de
centrales nucléaires sur le territoire soviétique et celui des
PECO sans qu'aucune attention ne soit apportée à la
sûreté des installations et encore moins à la
sécurité des personnes.
Cela donne le résultat que l'on connaît : un accident
nucléaire aux conséquences sanitaires et écologiques
très graves, catastrophiques ! Un héritage que les futures
générations auront bien du mal à gérer !
Cette réflexion doit nous amener, nous, Européens, à
prendre conscience des nouvelles méthodes de gouvernement que l'opinion
publique attend de la part des dirigeants européens.
Il n'est plus acceptable, à l'heure des satellites, qu'un Etat dissimule
un accident nucléaire à ses habitants et à ses partenaires
européens. De même, il est inacceptable d'entendre un gouvernement
- comme cela a été le cas en France - affirmer que les nuages
radioactifs s'arrêtent aux frontières du pays ! Depuis
Tchernobyl, le nucléaire civil est sur la sellette, car tout incident
peut avoir de graves conséquences sur la santé publique.
Les promoteurs de ce type d'énergie, incontournable, se doivent d'offrir
un maximum de garanties en matière de sûreté des
installations. Cela suppose d'importants investissements à l'Est car le
bricolage actuel ne tient que grâce à la providence, si l'on y
croit. Cela implique enfin une transparence totale, ce qui très souvent,
et pas seulement à l'Est, n'est pas toujours le cas.
Je terminerai, même si je m'écarte de notre sujet, en rappelant
mon inquiétude quant à l'absence de convention internationale
portant sur l'interdiction du rejet des déchets radioactifs dans les
mers en Europe et dans le monde. Ce problème du stockage et de leur
recyclage devra de toute façon être abordé, et plusieurs
fois, par nos dirigeants s'ils ne veulent pas léguer à nos
enfants des zones maritimes complètement irradiées. Que
Tchernobyl serve au moins à l'avenir ".
M. Denis JACQUAT, député (UDF),
rapporteur de la
commission des questions sociales, de la santé et de la famille,
répond en ces termes :
" Je remercie publiquement M. Gusenbauer, président de la
commission, qui, avec les membres de celle-ci, a bien voulu me faire confiance
pour présenter ce rapport.
A la suite du rapport de Mme Ragnarsdóttir, il nous a été
demandé de faire à nouveau le point sur les conséquences
sanitaires de l'accident de Tchernobyl. Et nous devrons dans quelque temps
établir un autre rapport pour continuer à suivre la situation de
cet état sanitaire.
Ces données sanitaires, scientifiques, ont été
définies avec des professeurs des trois pays les plus concernés
par le nuage radioactif.
Dans ce débat, un orateur a parlé des
" liquidateurs " - il ne faut pas les oublier - qui
viennent de toute l'ex-Union Soviétique. Les enfants, les liquidateurs
sont malades. Des enfants ont des métastases et ils doivent être
traités, de préférence, dans leur propre pays, comme nous
le demandent leurs parents. N'oublions pas que des adolescents, qui
étaient des enfants au moment de l'accident, ne développent
actuellement aucune maladie. Ils peuvent présenter dans les
années à venir des cancers de la thyroïde avec des
métastases. Nous ne devons donc pas relâcher notre vigilance.
Des données sanitaires qui nous ont été
communiquées dans les trois pays les plus concernés
- Ukraine, Russie et Bélarus - il ressort que, pour le moment,
il n'y a pas de leucose. C'est un point important. Nous avons
échangé, lors d'une mission du Conseil de l'Europe, à
l'occasion d'un congrès à Minsk, des informations à ce
sujet avec des savants japonais, et nous avons pu faire des comparaisons.
Tels sont les quelques mots que je voulais ajouter, en remerciant les
différents orateurs qui sont intervenus ".
Parmi les cinq amendements déposés sur le projet de
résolution, le numéro deux fait état "
des retards
constatés dans le développement psychique des enfants
conçus mais pas encore nés au moment de la catastrophe
".
M. Nicolas ABOUT, sénateur (ap. RI),
prend la parole en ces
termes contre l'amendement : " Certes, il est important de penser
à ceux qui ont subi un préjudice lorsqu'ils étaient
enfants ou en situation foetale : mais ; et c'est une obligation
intellectuelle et scientifique, nous ne devons aborder ce sujet que si nous en
avons une démonstration.
Or, à ce jour, à moins qu'on ne nous présente des
documents officiels prouvant ce préjudice, grâce à des
statistiques, je n'ai pas personnellement connaissance de tels cas, si ce n'est
que toute personne qui subit, dans son enfance ou dans son état adulte,
un choc, quel qu'il soit, et pas seulement du type de celui de Tchernobyl, peut
avoir des troubles. Pour ce qui est du foetus, je ne suis pas du tout
assuré de la démonstration qui nous est faite.
Je ne peux pas proposer à l'Assemblée de voter un texte qui n'est
pas conforme à une position scientifique démontrée ".
L'amendement n° 2 est alors modifié oralement en supprimant la
phrase contestée par M. Nicolas ABOUT.
A l'issue du débat, la résolution 1127 contenue dans le rapport
7680, amendée, est adoptée à l'unanimité.