2. Les évaluations micro-économiques
2.1. Qui sont les individus bénéficiaires ?
Les évaluations micro-économiques portant sur les publics bénéficiaires tentent de comparer les trajectoires de deux groupes, l'un constitué de bénéficiaires de la mesure (le groupe "expérimental"), l'autre de non-bénéficiaires (intitulé groupe témoin, ou groupe de contrôle, ou encore groupe de comparaison). Pour pouvoir poser l'hypothèse "toutes choses égales par ailleurs " 66 ( * ) , il est nécessaire d'établir une comparabilité stricte entre les deux groupes, laquelle peut être obtenue soit par sélection aléatoire des membres des groupes expérimental et témoin (méthode expérimentale), soit par contrôle de la nature des bénéficiaires / non-bénéficiaires observés (méthodes non-expérimentales).
Le problème fondamental du principe comparatif qui sous-tend l'évaluation d'impact est donc celui du contrôle de l'hétérogénéité entre deux groupes d'individus, c'est-à-dire le problème du biais de sélection. En première analyse, le biais de sélection existe si les deux conditions suivantes sont réalisées (Gautié, 1996) : (1) bénéficiaires et non-bénéficiaires diffèrent par des caractéristiques non observées par l'évaluateur, (2) ces caractéristiques inobservées ont une incidence sur les variables de résultat. Nous reviendrons sur les fondements et l'étendue de ce problème, qu'il convient de considérer comme un des enjeux méthodologiques fondamentaux de l'évaluation micro-économique.
En France, l'exploitation de données de panel depuis le début des années quatre-vingt-dix a permis d'obtenir des estimations de l'effet net des mesures : les méthodologies utilisées sont principalement le suivi longitudinal d'une cohorte d'individus sortant des mesures, en comparaison de non-bénéficiaires avec des caractéristiques similaires (Aucouturier, 1994 ; Aucouturier et Gélot, 1994 ; Charpail et Zilberman, 1996), et des évaluations reposant sur une modélisation du biais de sélection 67 ( * ) (Pénard et Sollogoub, 1995 ; Bonnal, Fougère et Sérandon, 1995).
De la même manière que dans le cas allemand, l'utilisation de procédures non-expérimentales visant à déterminer l'effet net des mesures aboutit à modifier les résultats antérieurs en termes d'impact sur l'emploi des bénéficiaires, et plus généralement de hiérarchie des mesures du point de vue de leur efficacité relative (Gélot et Simonin, 1997a). Par exemple, pour les jeunes, la comparaison des trajectoires de jeunes bénéficiaires des mesures avec des non-bénéficiaires (panel témoin) fait ressortir le contrat de qualification comme le seul programme aboutissant à un accroissement net du taux d'insertion dans l'emploi 68 ( * ) . A contrario, les jeunes sortant de CES, TUC ou SIVP ont des taux d'emploi inférieurs à ceux des non-bénéficiaires. En contrôlant le biais de sélection, Bonnal, Fougère et Sérandon (1995) confirment cet écart en concluant plus généralement que le contenu en formation des mesures constitue un déterminant essentiel de leur effet sur l'emploi.
Les études des effets des mesures sur les salaires (Sollogoub, 1993) concluent également à un impact net négatif des mesures. Dans l'ensemble, la sophistication des méthodologies utilisées par les études d'impact conduit donc à une accentuation du caractère pessimiste des études d'impact brut existantes. Cependant, les problèmes méthodologiques posés par l'évaluation d'impact micro-économique font l'objet, selon Lechêne et Magnac (1996) ou cause la participation au programme évalué, encore Gautié (1996), d'une prise en compte encore insuffisante, qui nuit à la solidité et aux possibilités d'interprétation des résultats existants : ainsi Gautié (ibid) relève-t-il une seule étude qui traite les problèmes d'hétérogénéité non observée 69 ( * ) .
2.2. Quelles sont les entreprises utilisatrices ?
En 1995, plus de 500 000 établissements du secteur marchand ont recruté près de 940 000 personnes au travers de mesures de la politique de l'emploi. Des enquêtes effectuées par la DARES et notamment des résultats tirés du fichier FAMEU (Fichier Annuel des Mesures de politique d'emploi par Établissement Utilisateur), il apparaît une assez grande hétérogénéité des pratiques suivant la taille des entreprises (Daniel et Picart, 1997). En effet, les taux d'utilisation, de réutilisation et le nombre moyen d'entrées sont d'autant plus importants que le nombre de salariés est élevé (cf. tableau 19).
Les mesures d'aides à l'emploi sont très concentrées puisque les 5 % d'établissements avec plus de 5 contrats aidés pèsent 32 % du stock des aides à l'emploi au 31 Décembre 1996. Cette concentration ne relève pas seulement d'un effet taille de rétablissement et se retrouve dans chaque tranche de taille : ainsi pour les établissements de 50 à 99 salariés, 4 % des entreprises regroupent 34 % des contrats aidés.
Cette hétérogénéité se retrouve pour le découpage par secteurs d'activité, d'autant que des secteurs avec des taux d'utilisation proches peuvent avoir des pratiques très distinctes : la restauration traditionnelle utilise surtout l'apprentissage quand la restauration rapide recourt largement à l'abattement temps partiel.
Parfois ces stratégies d'utilisation renvoient à des modes traditionnels d'organisation de la main-d'oeuvre, puisque les secteurs qui fonctionnent avec l'alternance ont tendance à avoir des comportements plus stables que les autres, plus sensibles aux changements de réglementations. Cela vient bien souvent des procédures d'utilisation des mesures elles-mêmes (cf. agrément du maître d'apprentissage), mais illustre aussi les stratégies des entreprises en matière de recrutement.
En ce qui concerne l'aide à la création d'entreprise, l'ACCRE a fait l'objet d'évaluations à partir d'une enquête de l'INSEE sur les entreprises nouvellement crées (Bonneau et Francoz, 1996) et de l'enquête SINE (Aucouturier, 1997).
Les résultats de ces évaluations ainsi que de celle de la DARES (1997) montrent que les chômeurs créent le même type d'entreprise que les autres créateurs. Elles sont aussi diversifiées en terme de secteur d'activité, et elles ont également les mêmes probabilités de survie pour une période donnée, que les autres entreprises nouvellement créées. La différence principale se trouve dans les ressources initiales de ces créateurs. En effet, les chômeurs créateurs sont plus démunis en terme de réseaux sociaux et de ressources financières que les autres, enfin ils sont plus fortement mobilisés par le projet de création.
Dans un autre domaine, pour l'utilisation des aides financières des collectivités locales, on retrouve une répartition des secteurs assez différente, qui tient aux types d'aides et notamment aux interventions en faveur du bâti et des infrastructures.
* 66 C'est-à-dire, dans ce cas, poser l'hypothèse que l'écart mesurable entre bénéficiaires et non bénéficiaires a pour seule
* 67 Endogénéisation de la participation aux mesures selon le modèle présenté à la section I..
* 68 En décembre 1991, 71 % des bénéficiaires du contrat de qualification sont en emploi contre 67 % pour le panel témoin, constitué de sortants du système scolaire en juin 1989 (Gélot, Simonin, 1997a, p 84, source DARES).
* 69 Bonnal et al 0/(1995)