AUDITION DE M. CLAUDE BERNET,
directeur général de
l'enseignement ET DE LA RECHERCHE
AU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ET
DE LA PÊCHE
(6 JANVIER 1999)
Le
président lit la note sur le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Claude Bernet.
M. Adrien Gouteyron, président.-
Je vous demande
de nous faire un exposé qui laisse assez de place pour vous poser
quelques questions.
M. Claude Bernet.-
Le sujet de votre commission est la
gestion des personnels enseignants dans l'enseignement public, y compris
l'enseignement agricole.
Il convient tout d'abord de rappeler que l'enseignement agricole compte,
à la rentrée de 1998, 177.000 élèves environ, soit
l'équivalent pour le secondaire second cycle d'une académie
moyenne comme Nancy. Sur ces 177.000 élèves, 71.800 sont
scolarisés dans le secteur public. Les effectifs d'élèves
sont à 60 % dans le secteur privé avec d'ailleurs deux
versions : le temps plein, essentiellement pratiqué par
l'enseignement catholique, qui fonctionne sur des normes semblables à
celles de l'enseignement public agricole, et le rythme adapté,
c'est-à-dire le système d'alternance pratiqué par les
maisons familiales avec un système de formation totalement
différent.
Ces 71.800 élèves sont répartis de la façon
suivantes dans 216 établissements :
38 établissements ont plus de 500 élèves en
formation initiale ; 126 ont entre 200 et
500 élèves ; 52 ont moins de
200 élèves.
Le schéma est similaire dans l'enseignement privé agricole,
constitué d'établissements de petite taille, voire de taille
moyenne, en comparaison avec ceux de l'éducation nationale.
Ces établissements ont une grande diversité de formations, allant
de la quatrième technologique au BTS, ou Bac + 2. Parmi ces 177.000
élèves, 22.000 sont en BTS.
Par ailleurs, nous avons des formations générales et des
formations professionnelles, parmi lesquelles des formations en production
agricole pour 50 % des effectifs, avec la diversité entre
l'agriculture générale, l'horticulture et la viticulture.
10 % des élèves se consacrent à la préparation
de métiers de la transformation agroalimentaire ; 6,5 % aux
métiers du commerce de produits agroalimentaires et agricoles. Les
métiers de l'aménagement y compris l'horticulture,
l'aménagement de l'espace, l'aménagement paysager,
l'aménagement de l'espace naturel représentent environ
22,5 %.
Dans ces établissements de taille moyenne ou petite délivrant des
formations très diverses, l'affectation des personnels enseignants
s'avère plus difficile que dans les cas d'établissements de plus
grande taille et de filières plus concentrées.
Nous pratiquons d'ailleurs un système qui permet aux projets
d'établissements de se traduire par la construction de filières.
C'est-à-dire qu'un élève puisse trouver dans un
établissement la possibilité de s'élever progressivement
en qualification, par exemple, -c'est un rêve qui n'existe que pour une
minorité- pour passer du BEPA au BAC-PRO, du BAC PRO au BTS dans une
filière viticulture oenologie par exemple.
Cela relève du pilotage national, et c'est le ministre de l'agriculture
-cela ne peut être déconcentré- qui décide de la
création des classes qui constituent ces filières dans les
établissements publics, comme dans les établissements
privés.
Pour réaliser tout cela, -je précise que je ne parle que pour le
public qui est le sujet de votre enquête-...
M. le Président -
Non, notre commission traite aussi
bien du privé.
M. Claude Bernet.-
Je serai alors peut-être moins
précis sur les chiffres que je pourrai vous fournir
ultérieurement.
Concernant le public, nos effectifs d'enseignants sont les suivants : deux
corps principaux de professeurs : les professeurs certifiés et les
professeurs de lycée professionnel, strictement homologues en termes de
statut et de carrière avec les corps équivalents de
l'éducation nationale. C'est un des principes posés par la loi de
1989 sur l'éducation. L'article 21 précise que dans le
respect de ses spécificités, l'enseignement agricole
bénéficie des dispositions de la présente loi. Cela se
traduit par une parité intégrale : les indices de
recrutement, les déroulement de carrière sont les mêmes.
Pour fixer les idées, nous avons un peu plus de 2.500 professeurs
certifiés et un peu plus de 2.300 professeurs de lycée
professionnel, séparés en sections correspondantes aux
disciplines ou aux groupes de disciplines. Les professeurs certifiés
comportent 12 sections : lettres modernes, langues vivantes, biologie
écologie, mathématiques, éducation socioculturelle
(caractéristique de l'enseignement agricole), documentation, etc.
Les professeurs de lycée professionnel sont répartis en dix
sections : six sections " théoriques " et quatre sections
" pratiques ". Ces professeurs ont les mêmes obligations
horaires que ceux de l'éducation nationale. Pour un professeur
certifié, l'obligation horaire de base est de 18 heures ; pour
un professeur de lycée professionnel, selon qu'il est "théorique"
ou "pratique", cette obligation est de 18 ou 23 heures.
Cela compose un ensemble d'environ 4.900 professeurs propres à
l'enseignement agricole, auquel s'ajoutent 674 professeurs d'autres
origines, notamment de l'éducation nationale par la voie du
détachement. Tous les professeurs d'éducation physique sont dans
cette situation.
A cela s'ajoute des ingénieurs. Actuellement, plus de
760 ingénieurs dont 350 ingénieurs d'agronomie et
410 ingénieurs des travaux agricoles. Je rappelle que les
ingénieurs d'agronomie correspondent à la catégorie A+ et
les ingénieurs de travaux agricoles à la catégorie A.
Cela fait un ensemble d'un peu plus de 6.300 professeurs et ingénieurs,
en situation de formation, en face à face avec des élèves.
A ces 6.300, il faut retirer un millier de professeurs et d'ingénieurs
qui ne sont pas en face à face avec des élèves. Ils
peuvent l'être mais dans d'autres structures que celles de l'enseignement
technique. 164 ingénieurs et professeurs travaillent dans le
supérieur agronomique et vétérinaire, 70 sont mis à
disposition des actions de développement rural, 200 environ travaillent
dans les services administratifs, 320 servent en qualité de directeurs
de centre de formation professionnelle agricole, puisque la plupart de nos
grands établissements comptent un centre de formation professionnelle
dans leurs structures. Cela fait donc un total d'un millier.
Sur les chiffres que j'ai faits pour préparer cette audition, nous
sommes à peu près à 5.300 ingénieurs et professeurs
titulaires.
A ces titulaires s'ajoutent près de 2.000 non titulaires. C'est un
phénomène sur lequel je voudrais insister. 2.000 non titulaires
se divisant en agents contractuels d'état,
rémunérés sur des emplois budgétaires, un peu comme
le serait un titulaire, et un peu moins d'agents contractuels régionaux,
rémunérés sur crédits. Je reviendrai ensuite sur
ces distinctions car je crois que c'est important pour l'examen de ce
problème.
Si l'on considère que nous avons 5.330 titulaires et 1.946 non
titulaires, cela fait un total de 7.276 enseignants. On constate que
l'ensemble des 1.946 non titulaires représente 26,7 % de cet
ensemble. C'est, je crois, très supérieur à la situation
du ministère de l'éducation nationale.
Nos taux d'encadrement sont à peu près homologues à ceux
de l'éducation nationale. Si on raisonne en équivalent temps
plein, il y a un enseignant pour 10,86 élèves. Il s'agit d'une
population d'enseignants qui est très largement, à 26,7 %,
constituée de non titulaires.
A quoi ce phénomène est-il imputable ? J'ai
préparé une courbe qui montre depuis 1991, l'évolution des
effectifs d'élèves et des effectifs d'enseignants titulaires dans
l'enseignement agricole. Il apparaît dans cette courbe que les effectifs
d'élèves depuis 1991 ont progressé de 24 %,
c'est-à-dire une moyenne de 3,42 % par année, de 1991
à 1998. C'est lié au succès que connaît
l'enseignement agricole. Les effectifs de professeurs titulaires n'ont
progressés, eux, que de 13 %, soit une moyenne de 1,85 % par
an. Cette proportion doit est regardée avec attention. En
réalité, jusqu'en 1997, la progression a été
très faible, de la moitié de cet ensemble, moins de 1 %. On
a commencé à voir se redébloquer l'emploi de titulaires
avec la mise en oeuvre de la loi Perben de 1995 sur la titularisation. Depuis
cette loi, 400 agents contractuels ont été
titularisés et nous avons encore deux années de titularisation en
1999 et 2000.
Sur la réalité des affectations et ce qui se passe au niveau des
établissements, il convient de préciser que l'affectation des
enseignants entre les établissements se fait à partir du logiciel
national -Géode- qui fonctionne assez simplement dans le principe :
pour chaque établissement, on entre les classes autorisées, dont
on a un décompte précis puisque aucune classe ne peut fonctionner
sans autorisation ministérielle, et le programme pédagogique
afférant à ces classes. Une classe du BEPA viticulture comporte
31 heures par semaine dont 3 heures de mathématiques,
4 heures de travaux pratiques de viticulture etc.
Dès lors qu'on été rentrées pour un
établissement la totalité des classes autorisées et la
totalité des besoins pédagogiques, le logiciel calcule en heures,
et par discipline, les besoins de l'établissement. Par exemple, il
déterminera que tel établissement a besoin de 222 heures
d'économie ou de 107 heures de mathématiques. Ce logiciel
permet donc d'affecter les titulaires.
Sachant qu'un professeur certifié titulaire d'espagnol a une obligation
hebdomadaire de 18 heures, si tel établissement a besoin de
46 heures d'espagnol, il apparaît que cela correspond à
2 emplois complets de professeurs (2 x 18 = 36). Et
les 10 heures restantes ? C'est là qu'entrent en jeu les des
crédits permettant d'assurer des heures complémentaires non
assurées par les personnels titulaires.
Deux cas différents : soit nous n'avons pas un ensemble entier de
18 heures -c'est une simplification abusive : s'il y a une heure de
première chaire, ce n'est plus 18 heures, mais 17 heures. Cela
dit, globalement, un professeur doit 18 heures- dans mon exemple, il faut
donc bien assurer les 10 heures d'espagnol non prévues.
Soit, si -situation que nous connaissons actuellement beaucoup- il n'a pas
été possible d'affecter à l'établissement des
titulaires en nombre suffisant pour assurer. Imaginons le cas de
l'établissement ayant besoin de 46 heures d'espagnol avec un
professeur titulaire d'espagnol. Il manque donc 28 heures ; il faudra donc
le créditer du montant financier correspondant aux heures
supplémentaires.
Ces heures supplémentaires peuvent être effectuées, soit
par des enseignants de l'établissement dans le cadre des heures
supplémentaires/année, rémunérées à
hauteur de 7.000 francs annuels ; sujet que vous avez sans doute
déjà abordé avec mes collègues de
l'éducation nationale. Nous avons exactement la même
réglementation dont les dates commencent à être anciennes
comme le souligne un rapport de la cour des comptes.
Soit, si on ne peut pas en trouver, il reviendra au chef d'établissement
de trouver localement la ressource. Dans le cas de mon exemple, 46 heures
d'espagnol nécessaires, un seul titulaire qui donne 18 heures. On a
besoin de 18 + 10 = 28 heures. Pour les
premières 18 heures, le chef d'établissement va essayer de
recruter un agent contractuel à temps plein. Pour les autres
10 heures, s'il a la possibilité de faire faire 4 heures de
plus par le professeur titulaire, il le fait. Il restera 6 heures pour
lesquelles il faudra qu'il se débrouille sur le marché du travail
local. La situation est différente selon que vous êtes dans une
ville universitaire ou que vous êtes éloigné de tout, ce
qui est plus souvent le cas dans les lycées agricoles.
Ce système, fondé sur ce logiciel central, fonctionne. C'est
également le système adopté pour les remplacements. Il
nous permet d'assurer la totalité des heures de cours que nous avons
à assurer, mais il est actuellement affecté par un
problème assez lourd du fait de la croissance très rapide des
effectifs, beaucoup plus rapide même que celle des enseignants
titulaires, à savoir que les besoins de crédits consacrés
à la rémunération d'agents contractuels se sont
très fortement accrus.
Actuellement, nous dépensons 215 millions de francs en année
pleine pour l'ensemble de ces fonctions de couverture des déficits,
remplacements etc. 80 %, soit 172 millions, sont consacrés au
financement des déficits structurels, les insuffisances globales de
personnels titulaires ; 21 millions de francs soit 10 % sont
consacrés aux remplacements ; 15 millions de francs, soit
6,5 % sont consacrés aux charges particulières que font
peser sur les établissements la présence de filières
au-delà du bac (prépas et BTS agricole) ; 7,5 millions
de francs, soit 3,5 %, sont restés dans ce que nous appelons les
charges communes.
Nous tenons beaucoup à ces crédits sur lesquels nous devrions
pouvoir financer théoriquement quelques décharges partielles de
services pour assurer ce que nous appelons les quatre missions. Je vous
rappelle que l'enseignement agricole, de par la loi, s'est vu impartir
au-delà des missions de formation initiales et continues, trois autres
missions : animation du développement rural, expérimentation
technique et coopération internationale. Ces missions sont
extrêmement précieuses, car c'est à travers elles que nous
pouvons animer l'établissement, le faire sortir sur son territoire,
faire rentrer le territoire dans l'établissement, c'est-à-dire
assurer les liaisons dans tous les sens.
Aujourd'hui, nous avons très peu de moyens pour assurer de façon
convenable la couverture de ces missions, hors la mission de formation initiale.
Les enveloppes sont déconcentrées. Nous attribuons à
chaque région -l'autorité académique est exercée
par le directeur régional de l'agriculture et de la forêt- une
enveloppe calculée à partir des déficits structurels avec
des coefficients permettant d'assurer les remplacements etc.
Le système fonctionnait bien jusqu'à ces dernières
années. Actuellement, il s'alourdit. Nous avons une mission en cours de
l'inspection générale de l'agriculture et de l'inspection
générale de l'administration de l'éducation nationale,
dont les résultats devraient nous parvenir en février, pour
analyser les difficultés de gestion de ces crédits.
Une de nos préoccupations fortes est que nous constatons sur le
territoire des inégalités, des difficultés
spécifiques. A l'occasion du mouvement lycéen, il a
été constaté que tel lycée n'était pas en
mesure d'assurer le dédoublement d'une classe de première
technologique à 40 ou 45 élèves. Il s'agit d'une
situation tout à fait anormale. Nous cherchons à comprendre
comment, à travers une gestion déconcentrée, nous arrivons
dans un certain nombre de cas à ces difficultés. Voilà la
problématique de gestion des enseignants.
Je n'ai pas évoqué le problème des concours. Nous n'avons
aucune difficulté de recrutement. Notre concours de 1998, avec
130 places de professeurs certifiés plus PMP, a eu environ
9.000 candidats. Nous n'avons donc aucun mal à recruter des
professeurs.
Le seul problème, à ce niveau de difficulté du concours,
est que nous avons tendance à recruter des gens dont le profil est tout
à fait intéressant, de très haut niveau avec des
diplômes universitaires dépassant très largement les
exigences du concours, c'est-à-dire la maîtrise. Nous nous
interrogeons pour l'avenir. L'une des clefs du succès de l'enseignement
agricole depuis trente ans était que le corps professoral constituait un
heureux mélange d'intellectuels et de praticiens. Aujourd'hui, les
praticiens, les ex-BTS ayant réussi à passer une licence à
la force du poignet ou ayant une expérience professionnelle etc., ne
sont pas favorisés dans un concours qui, compte tenu de son niveau de
difficulté, favorise plutôt ceux qui ont plutôt une
formation universitaire remarquable.
Nous nous interrogeons tellement qu'en avril dernier, le ministre a
confié au recteur Frémont, qui venait de quitter ses fonctions au
rectorat de Versailles, le soin d'animer une commission comportant une
majorité de personnes n'appartenant pas à l'enseignement agricole
et ayant pour objectif de réfléchir au recrutement et à la
formation des maîtres, sachant que nous allons, comme d'ailleurs
l'éducation nationale, connaître un mouvement assez important de
départs en retraite à partir de 2004 - 2005.
Comme l'enseignement agricole s'est fortement développé dans les
années 60-70 sous l'influence de la loi d'orientation de 1962, nous
avons recruté à tour de bras à l'époque avec la
création d'un ou deux lycées par département. Des
quantités de gens qui appartiennent à la génération
du baby boom solliciteront en 2005 une retraite méritée. Il faut
donc songer à la relève, d'abord faire de la gestion
prévisionnelle des effectifs et songer à la relève
qualitative, sachant que si nous remplaçons ces praticiens uniquement
par des gens qui ont une formation universitaire de haut niveau, nous risquons
de perdre -c'est une litote- de notre capacité à rester assez
proche du terrain.
Sur l'enseignement privé, mes informations sont moins précises,
mais l'enseignement privé à temps plein bénéficie
de la rémunération par l'état de ses agents, exactement
dans les mêmes conditions que les établissements sous la loi
Debré.
L'enseignement à rythme alterné, les maisons familiales, ont
refusé ce système, souhaitant ne pas avoir de professeurs
à proprement parler, mais des moniteurs qui sont recrutés sous le
régime du droit privé. Ce sont souvent de jeunes
ingénieurs ou BTS, à condition d'atteindre le niveau 2 assez
rapidement, et qui ont des obligations horaires et un mode de travail tout
à fait différent. Le temps dû par le moniteur de maison
familiale est de 43 heures par semaine ce qui permet d'assurer.
43 Heures par semaine, c'est l'obligation horaire légale,
c'est-à-dire les 39 heures avec un coefficient tenant compte des
durées de vacances qui sont moins longues dans le rythme adapté
que dans le reste de l'enseignement, mais qui sont plus longues que les cinq
semaines normales de congés payés d'un salarié
dépendant du code du travail. Ils font donc 43 heures qui
permettent d'assurer une présence extrêmement forte auprès
des élèves, notamment une prise en charge des
élèves du réveil au sommeil, avec notamment les
veillées en maison familiales. C'est un système
complètement différent, passionnant à étudier, qui
repose sur une conception très différente de la formation.
Le temps plein, essentiellement dans les établissements de
l'enseignement catholique, fonctionne à peu près comme
l'enseignement public. D'ailleurs, il existe aussi un principe de
parité, reconnu par la loi, des maîtres de l'enseignement
privé, comme d'ailleurs vous retrouvez là la situation que vous
trouvez dans l'enseignement général au travers de la
contractualisation loi Debré.
M. le Président -
Nous allons en venir aux questions
car nous ne disposons plus que d'une vingtaine de minutes.
M. Claude Domeizel
- Vous avez beaucoup
insisté sur les personnels contractuels. Y a-t-il pour la gestion et le
recrutement complémentarité entre l'enseignement public et
l'enseignement agricole, enseignement agricole public et privé.
Lorsqu'il manque des heures d'enseignement dans un établissement public
agricole, faites-vous appel à un enseignant du public, un professeur
d'espagnol du collège d'à-côté, ou bien à un
professeur de mathématiques de l'enseignement privé à
proximité ? Et si c'est le cas, cette intervention se fait-elle
à titre individuel ou y a-t-il contractualisation d'établissement
à établissement ?
M. Claude Bernet -
Il n'y a pas de lien entre public et
privé. Ce que je vous dirai répond à votre question sur
les liens entre éducation nationale - enseignement agricole public.
La réponse est que lorsque cela existe, cela se fait à titre
individuel. Par exemple, le proviseur du lycée de Roanne manquant de
trois heures de biologie peut essayer de trouver une solution. Il faut en
tout cas un accord avec le proviseur du lycée public. Je ne suis pas
sûr que cela se produise souvent.
Par contre, il n'y a pas d'accord entre les deux ministères sur des
systèmes de remplacements croisés. Nous-mêmes d'ailleurs
nous ne pourrions apporter aucune aide au ministère de
l'éducation nationale du fait que la totalité de nos effectifs
est occupée. C'est une grande préoccupation que d'arriver
à mettre les professeurs qu'il faut devant les élèves.
Nous nous sommes laissé dire que dans certains départements, un
certain nombre de titulaires remplaçants avaient un peu de temps libre.
M. le Président -
Je suppose que c'était le sens
de la question.
M. Claude Bernet -
Je m'exprime de façon
discrète. Nous le souhaiterions beaucoup dans certains cas. Encore
faut-il que les choses se rejoignent en termes de disciplines et de lieux. Si
le proviseur de Roanne a besoin de 4 heures de biologie et qu'il y a un
titulaire remplaçant dans le département de la Loire qui est
professeur de biologie et qui n'a pas d'emploi, on pourrait l'imaginer. Nous
avons fait des tentatives officieuses l'an dernier. Nous n'avons pas
reçu un accueil très positif. Nous n'avons donc pas poursuivi. On
nous explique toujours que c'est très compliqué, mais on pourrait
imaginer que cela puisse se produire. Cela ne jouerait sans doute pas sur un
grand nombre de cas. En tout cas, nous n'y serions pas opposés.
M. Francis Grignon, rapporteur
- J'ai compris en vous
écoutant, monsieur le directeur, que vous n'aviez pas tout à fait
la même culture que l'éducation nationale.
Une première question me brûle les lèvres. Faites-vous des
comparaisons entre les deux systèmes ? Le fait de n'avoir que
71.600 élèves est-il de nature à mieux organiser les
choses et à être plus performant ? Pour être plus
précis, quelle est chez vous l'importance des heures
supplémentaires, des emplois-jeunes, des emplois en surnombre, de
l'absentéisme, des décharges, des postes détachés,
des mises à disposition, de tout ce qui constitue les pertes en ligne
dans l'éducation nationale ?
Pensez-vous que le nombre important des non titulaires chez vous est une bonne
ou une mauvaise chose ? Le logiciel "Géode" que vous nous avez
décrit pourrait-elle être appliqué à plus grande
échelle ou à une académie, puisque vous avez dit que votre
nombre d'élèves correspond à une académie
moyenne ? Enfin, toujours en comparant les choses, pensez-vous que les
gens qui sortent de votre système éducatif trouvent plus
facilement du travail qu'à l'éducation nationale ou pas ?
M. Claude Bernet -
Sur les pertes en ligne, je n'ai
pas d'étude sur l'absentéisme. J'ai lu que l'inspection
générale de l'administration de l'éducation nationale
venait de sortir une étude indiquant qu'il était de 6 % dans
l'éducation nationale. Je n'ai pas d'étude sur
l'absentéisme. C'est sans doute une lacune.
Sur d'autres catégories de perte en ligne, je vous ai indiqué que
nous avions sur cet ensemble de 6300 enseignants et ingénieurs
titulaires un millier qui étaient consacrés à autre chose
que le face à face élèves. Mais toutes ne sont pas des
pertes en ligne. Les directeurs de CFTPA assurent le pont entre formation
initiale et formation continue. Je suis de ceux qui pensent que le
progrès de l'enseignement agricole est très largement
fondé sur cette cohabitation intime entre formation initiale et
formation continue.
La formation continue est en effet une occasion d'expérimenter sur un
public moins sensible, puisque adulte, volontaire pour l'innovation. Les
quelque 300 ingénieurs et professeurs qui sont les patrons des centres
de formation continue ne sont pas des pertes en ligne. Ceux qui sont dans
l'enseignement supérieur ne le sont pas non plus. On constate que du
côté de l'éducation nationale, il y aura de plus en plus de
professeurs agrégés dans les premiers cycles.
Mes établissements d'enseignement supérieur me demandent de
manière insistante des IPAC, ingénieurs et professeurs, car le
statut d'enseignant chercheur est ainsi fait qu'il prive de la
possibilité de réaliser ce genre d'opérations. Comme par
exemple, pour assurer la coopération internationale d'un
établissement d'enseignement supérieur, il vaut mieux avoir un
professeur ou un ingénieur qu'un enseignant chercheur.
Il y a 70 mises à disposition. S'agit-il de pertes en ligne ? Les
mises à disposition, les gens qui ne travaillent pas pour l'Etat, mais
qui travaillent avec les 13 associations avec lesquelles nous avons des
conventions pluriannuelles comme la fédération nationale des
foyers ruraux, fédération nationale des SIVAM, peuple et culture
etc., ont été mis à disposition. Originellement, ces
associations sont nées assez largement dans le giron de l'Etat il y a
40 ans pour avoir un relais entre la formation agricole et ces
associations. Ce relais est plus ténu aujourd'hui, mais les mises
à disposition constituent un élément auquel les
associations sont très attachées. Voilà pour les pertes en
ligne.
Il y a aussi des pertes en ligne qualitatives. Nous essayons d'offrir à
nos enseignants des possibilités de formation continue, de
requalification. Les écoles de Toulouse et de Dijon, les
établissement publics nationaux de Rambouillet et Florac y sont
consacrés, mais il n'y a pas obligation de se former.
Nous avons, comme d'autres systèmes, quelquefois le sentiment que
certains restent un peu à l'écart. Nous avons une sorte de pierre
de touche dans l'enseignement agricole qui est l'interdisciplinarité.
Nous essayons de dégager dans les emplois du temps des
élèves des plages dites d'interdisciplinarité. Nous
essayons d'y traiter des problèmes en conjuguant plusieurs disciplines.
Par exemple, la zone viticole à proximité de chez nous a-t-elle
intérêt à décrocher l'AOC. A quelles
conditions ? Cela va mettre en oeuvre des données agronomiques,
historiques, culturelles, économiques. Voilà un magnifique sujet
de travail pour faire travailler ensemble les professeurs des
différentes disciplines et faire en sorte que les élèves
comprennent que les disciplines qu'on leur enseigne ne sont pas faites pour
elles-mêmes, mais pour être conjuguées dans un ensemble qui
permette de se faire une idée sur le problème que l'on doit
traiter et éventuellement de le résoudre.
Nous avons un certain nombre de professeurs, d'enseignants ou
d'ingénieurs qui ne jouent pas le jeu de l'interdisciplinarité,
car on est parfois mieux dans sa classe, devant son tableau noir. D'autres sont
au contraire des militants, des animateurs. Il y a aussi de la perte en ligne
qualitative.
Vous m'avez demandé si le volume de non titulaires était bon ou
mauvais. Je vous réponds très clairement qu'il est très
mauvais. Il est tout à fait normal, surtout dans un enseignement aussi
diversifié dans de petits établissements qu'une partie des heures
d'enseignement soit assurée en dehors de l'obligation des titulaires. Il
ne sera jamais possible de faire en sorte que le LPA de Bugueron dans les
Landes ait exactement besoin de 36 heures d'espagnol. C'est
inimaginable ! Il aura toujours besoin de 32 heures, de
48 heures. Il n'est pas imaginable qu'il n'y ait pas un peu de recours
à de l'emploi non titulaire, sous les formes diverses que je vous ai
indiquées.
Ce qui est dommageable, -nos organisations syndicales le disent, elles n'ont
pas tort et nous le reconnaissons volontiers et même publiquement- c'est
que l'histoire récente nous ait amenés à multiplier les
emplois tenus par les non-titulaires, qui ont souvent un niveau de formation
très convenable. Ils ne sont recrutés que s'ils ont le
diplôme nécessaire, mais ils n'ont en principe aucun avenir sauf
à bénéficier d'une loi de titularisation. C'est d'ailleurs
le cas actuellement. La loi de 1995 permettra de titulariser environ
1.200 agents contractuels, tous ceux qui auront quatre ans
d'ancienneté au moment de passer le concours. Cela leur donne une
possibilité d'avenir.
Le passage par le stade de non titulaire est utile et se vit quelques
années, soit pour déboucher sur un emploi dans le secteur
privé -ce qui est le cas de jeunes ingénieurs- soit pour
déboucher sur un emploi de titulaire dans le corps des professeurs
à condition d'avoir passé un concours.
Les proportions que nous connaissons, qui sont au moins deux fois et demi plus
élevées que celles de l'éducation nationale nous
paraissent très préoccupantes. Nous sommes très heureux
d'ailleurs que la loi de titularisation de 1995 nous ait permis de commencer
à résoudre le problème. Nous espérons vivement que
l'on ira jusqu'au bout des choses et qu'ensuite, -il s'agit d'un
problème gouvernemental sur lequel je ne saurais me prononcer- des
perspectives de titularisations pourront être offertes à ceux de
nos enseignants qui seront restés à temps plein pendant un
certain temps.
L'implantation d'un système Géode dans les académies me
paraît possible puisque la problématique me paraît
être la même. Je crois que les rectorats, les académies
disposent d'ailleurs de systèmes informatiques un peu différents,
mais assez semblables.
Quant à votre dernière question, monsieur le rapporteur, je ne
saurais porter une appréciation autre que chiffrée. Actuellement,
nous faisons des enquêtes sur les cohortes sorties depuis quatre ans de
nos formations. Nos taux d'insertion sont excellents dans les secteurs de la
production et de la transformation agroalimentaire. C'est-à-dire que
80 % ou plus de nos élèves titulaires d'un BTS ou d'un BEPA
sont employés. Ils sont tout à fait excellents dans le secteur de
la production agricole. En général, les gens font une formation
purement agricole parce qu'ils ont un projet d'installation. Pour les
salariés, en agriculture, cela se redéveloppe en agriculture. Nos
taux sont excellents dans le domaine de la production et de la consommation.
Ils ont tout de même tendance à s'alourdir dans les secteurs de
l'aménagement. J'entends par là le BTS gestion de l'eau, le BTS
gestion de la faune sauvage, qui attirent terriblement les jeunes et nous avons
une responsabilité en expliquant à ces jeunes qui viennent chez
nous que travailler dans la nature est formidable, mais encore faut-il
être sûr de trouver un emploi.
Il est vrai les métiers de l'espace naturel sont certainement des
métiers d'avenir, à condition que, soit dans le domaine du
service public, soit dans le domaine de l'entreprise, à partir de
possibilités marchandes, on puisse en trouver le financement. Nous
sommes de plus en plus prudents sur les métiers d'aménagement.
Le troisième schéma national et quinquennal, publié en
mars dernier, nous donne comme objectif prioritaire de nous renforcer dans le
domaine de la production, la transformation et de la commercialisation, mais de
rester plus prudents dans le domaine de l'aménagement.
M. le Président -
Je voudrais vous poser deux questions.
Vous avez dit la part de l'enseignement privé agricole. Quels moyens
avez-vous de contrôler les crédits et le nombre de contrats
rétribués à l'enseignement privé et de
vérifier que cela corresponde aux besoins de cet enseignement ?
Depuis quelques années, depuis deux ans, on a vu apparaître, au
moment du débat budgétaire et de l'examen des crédits
affectés à l'enseignement agricole, une notion nouvelle de taux
de progression des effectifs de cet enseignement, ce qui est tout à fait
nouveau, un peu extraordinaire, et inimaginable quand on parle de
l'éducation nationale. A quoi cela correspond-il ?
M. Claude Bernet -
Les textes d'application de la loi de
1984 sur la relation entre l'Etat et l'enseignement et l'école
privée nous permettent de contrôler dans des conditions
satisfaisantes. Toute ouverture de classe ou de formation dans le rythme
alterné -ils ne veulent pas appeler cela des classes et ils ont
'ailleurs raison- fait l'objet d'une décision de l'Etat, comme dans le
public.
Quand tel lycée agricole de l'enseignement catholique veut ouvrir un
BEPA viticulture oenologie, il doit obtenir l'autorisation de l'Etat. Cela
permet de contrôler le nombre de classes. Si vous voulez savoir combien
il y a de classes et la nature de leur activité dans tel
établissement, à la direction générale de
l'enseignement et de la recherche, le système informatique permet de le
dire.
Cela nous permet de contrôler, grâce à notre réseau
régional, service régionaux de la formation et du
développement des DRAF, l'effectivité. C'est-à-dire que
les contrats sont signés, mais font l'objet d'avenants annuels et nous
contrôlons l'effectivité. Nous avons avec l'enseignement
privé des relations tout à fait apaisées et qui permettent
d'éviter toute espèce de difficulté. Ils nous saisissent
des avenants pour ce à quoi ils sont autorisés et ces avenants
peuvent être conclus sans difficultés particulières.
J'ajoute d'ailleurs que nous achevons actuellement une période
d'application pleine et entière des lois de 1984 qui ont
été appliquées progressivement, "
compte tenu de
l'état des finances publiques
" disait le texte. Nous terminons
la période. Nous aurons en 2000 achevé la mise en place totale
des principes de la loi. Il aura fallu 16 ans. Cela se traduit par des
progressions financières tout à fait importantes pour
l'enseignement privé. Le chapitre de l'enseignement technique
privé se situe à 8 % de progression au budget de 1999.
Sur le taux de progression des effectifs, je vous ai dit que dans
l'enseignement public entre 1991 et 1997, le taux de progression était
de 3,4 % par an en moyenne. Nous venons de vivre une période dans
laquelle l'enseignement agricole a bénéficié d'un
succès très fort, lié à l'attrait des
métiers de la nature, au fait que la politique agricole commune conclue
en 1992 n'était pas si mauvaise que cela.
Cela se traduisait à l'entrée dans les établissements par
une pression très forte des familles. Nous étions dans une
situation où nous voyions les effectifs d'élèves monter
dans le public comme dans le privé. Le taux de progression de 3,5 %
n'est pas comparable avec ce qu'a pu être le taux de progression des
maisons familiales qui ont dû faire du 5,5 % pendant cette
période.
Nous voyons monter les effectifs dans des conditions telles que, pour le
privé, nous nous interrogions sur notre capacité à
financer tout cela et, pour le public, sur notre capacité à le
financer à travers les créations d'emplois. Là, ce
n'était pas une problématique crédits mais une
problématique emplois.
Ceci a conduit un ministre de l'agriculture, M. Vasseur, à engager
avec les trois fédérations du privé une négociation
qui a abouti en février 1997 à des protocoles, lesquels
prévoient en contrepartie de l'achèvement de l'application des
lois de 1984, que les établissements du privé limiteront la
progression de leurs effectifs à 3 % à la rentrée de
1997, 2,5 % à la rentrée de 1998 et 2 % à la
rentrée de 1999.
Nous avons appliqué cette norme au public ; il était
même tout à fait essentiel de le faire car nous savions combien il
serait difficile pour les fédérations du privé de faire
passer cette autolimitation dans leurs secteurs. Il était
nécessaire d'appliquer le même au public, d'autant plus que nous
avions le même problème, mais en termes d'emplois et non pas en
termes de crédits.
Le ministre de l'agriculture suivant, M. Le Pensec, a confirmé
cette politique que nous continuons à appliquer. Nous avons
été critiqués sur cette politique dans la mesure où
certains ont demandé pourquoi l'enseignement agricole s'auto-limitait.
Il y a une demande des familles, sociale. Est-il convenable, constitutionnel
pour le public, de refuser l'entrée pour des raisons budgétaires.
Nous avons tenu bon, notamment pour des raisons budgétaires. Notre
budget se situe au sein du budget de l'agriculture. Il faut voir que toute
création d'emploi dans l'enseignement agricole peut se traduire et se
traduit le plus souvent par une suppression d'emploi dans le reste des
effectifs du ministère. L'enseignement agricole, avec le
supérieur, c'est 14.000 agents. Les effectifs des services
déconcentrés, c'est 15.000...
M. le Président -
Cela peut expliquer que vous puissiez
le faire et que d'autres ne le peuvent pas.
M. Claude Bernet -
Peut-être, mais je peux
témoigner du fait que ce n'est pas très facile, d'autant que nos
services déconcentrés sont soumis à d'autres
activités : contrôle de qualité alimentaire, etc.
Nous avions donc ce problème budgétaire, mais aussi des
problèmes de débouchés. Nous formons des jeunes pour des
secteurs qui sont certes importants, mais qui sont limités dans la
société française. Ils représentent en tout
6 % de produit national brut. Il est d'ailleurs intéressant de voir
que nous avons 5 % des formations d'ingénieur et 5 % des
élèves de l'enseignement secondaire alors que l'agriculture plus
l'agroalimentaire représentent 6 % du PNB.
M. le Président -
Monsieur le directeur
général, je n'ai pas à contester, et d'ailleurs je ne
conteste pas ce que vous avez fait, ni votre méthode. Je voulais
simplement faire remarquer que le ministère de l'éducation
nationale lui continue de former dans ses universités des gens dans des
filières où l'on sait très bien qu'il n'y aura jamais les
emplois correspondants. Je pense aux STAPS par exemple dans les
universités. Ce sont des entonnoirs dans lesquels on engage des gens en
sachant très bien qu'ils ne pourront pas être recrutés.
Cela pourrait justifier une politique si on le voulait, si on le pouvait, si on
avait les moyens politiques de le faire, une politique de limitation de la
progression comme celle que vous mettez en oeuvre. Mais l'éducation
nationale ne peut pas le faire.
M. Claude Bernet -
Il nous est peut-être plus
facile de le faire dans la mesure où nous travaillons sur des secteurs
limités que nous connaissons et dans la mesure où nous ne
représentons que 5 % de l'ensemble.
M. le Président
- Sur l'enseignement privé, nous
aurons besoin de plus de renseignements.
M. Claude Bernet -
Je vous adresserai un dossier sur les
maîtres de l'enseignement privé.
M. le Président
- Nous vous remercions.