38. DOCTEUR BERNARD GOLFE, CHEF DU SERVICE DE PÉDOPSYCHIATRIE À L'HÔPITAL SAINT-VINCENT-DE-PAUL
Le docteur GOLFE précise qu'il est également psychanalyste et travaille en liaison avec le professeur JOUANNET au CECOS de Cochin.
Evoquant tout d'abord les dispositions législatives relatives à l'adoption, il fait état du découragement de nombreux couples face aux différents obstacles factuels (pénurie d'enfants adoptables en France) et au comportement des organismes d'accueil. Si certains parents sont, au moins en apparence, favorables au respect du droit à la connaissance des origines, beaucoup y voient, en réalité, un facteur de difficultés dans les rapports avec l'enfant. Ce droit ne doit pas être imposé sans certaines précautions psychologiques inscrites dans une démarche d'accompagnement.
S'agissant du don d'ovocytes, il a pu constater un très net désir d'anonymat de la part des donneuses, toute remise en cause de ce principe risquant de déclencher, selon lui, un réflexe de fuite, sauf dans le cas de parenté ou d'amitié très proche. Mais ce type de don peut être psychologiquement ambigu, porteur de fantasmes d'inceste ou d'adultère, et à ce titre préjudiciable à l'enfant à naître.
Dans le cadre du COPES, association qui offre une consultation aux parents en attente d'adoption, une enquête a été menée auprès de couples candidats à une insémination avec donneur : 75 % d'entre eux ne souhaitaient pas révéler les conditions de la conception à l'enfant ou à l'entourage familial. Un an après la naissance, ce pourcentage s'élève à 90 %.
39- AUDITION DU PROFESSEUR JEAN-FRANÇOIS MATTEI LES 25 NOVEMBRE ET 22 DÉCEMBRE 1998
Président de la sous-commission Santé du Conseil de l'Europe et membre du Comité directeur de bioéthique, le professeur MATTEI souligne l'importance, pour la révision de la loi, des travaux menés actuellement dans ce cadre européen. Il indique que l'OMS lui a confié la direction d'un rapport visant à définir les règles de bonnes pratiques à l'échelon international, afin de parer à l'influence du pragmatisme anglo-saxon. Il rappelle, d'autre part, que la convention sur le génome humain adoptée par l'ONU et la convention européenne de bioéthique se sont très largement inspirées des lois votées en 1994.
La première question qui se pose est de savoir si l'on peut réexaminer la seule loi explicitement soumise à révision sans aborder également celle qui touche à la protection de la personne, même si les juristes sont réservés sur une modification trop fréquente du Code civil. Le principal point de révision devrait concerner la médecine prédictive et les empreintes génétiques compte tenu des progrès de la science en ce domaine. Le professeur MATTEI a créé à cette fin, à l'Assemblée nationale, un groupe d'étude sur les techniques génétiques et leurs aspects éthiques.
La seconde question est celle du calendrier qui sera fixé pour cette révision. Il paraît difficile de faire l'économie d'une commission spéciale dans les deux assemblées et nécessaire de leur laisser un temps suffisant pour organiser des auditions.
Comment, en troisième lieu, organiser la révision ? Doit-elle être globale ou parcellaire, limitée à l'objet primitif de la loi ou étendue à d'autres sujets tels que la fin de vie, les soins palliatifs, la stérilisation des handicapés ?
Plusieurs problèmes se posent dans le domaine de la transplantation :
1) Le champ d'application du consentement présumé mérite d'être précisé :
o l'autopsie qui est le prolongement d'un acte médical doit être facilitée ;
o le prélèvement d'organes à visée thérapeutique pourra se développer grâce à la publicité donnée au registre automatisé, qui doit rester un mode d'expression du refus ;
o le prélèvement à but scientifique requiert un consentement explicite, compte tenu de sa finalité.
2) Le régime des prélèvements sur donneur vivant doit être modifié pour soumettre au principe de consentement les greffes en domino et les résidus opératoires. Mais l'élargissement des catégories de donneurs doit être envisagé avec prudence afin de protéger les donneurs contre les pressions affectives et financières.
D'une façon générale, il faut laisser une plus large marge d'appréciation aux médecins en encadrant leurs activités par un code de déontologie et des règles de bonnes pratiques. La loi, quant à elle, ne doit fixer que des principes généraux et des règles souples et évolutives.
En ce qui concerne l' assistance médicale à la procréation :
- L'encadrement des techniques est satisfaisant et il ne faut pas rechercher des définitions trop précises, même s'il a manqué, pour l'ICSI, une phase d'expérimentation préalable.
- Le clonage cellulaire ou tissulaire n'est pas condamnable. Seul le clonage reproductif doit être interdit. Il l'est déjà en droit puisqu'il ne correspond pas à la définition des techniques d'AMP établie par la loi et qu'il est par ailleurs contraire aux règles posées en matière de respect de la personne humaine. Néanmoins, une interdiction explicite et solennelle aurait valeur de symbole.
- Le consentement préalable devant un juge ou un notaire est généralement approuvé. Les médecins sont ainsi affranchis d'une responsabilité qui troublerait la sérénité de leur pratique. Si le notaire, conseiller habituel des familles, paraît l'interlocuteur le plus désigné, il faudrait supprimer les droits d'enregistrement sur les actes de ce type.
- S'agissant de la recherche sur l'embryon, les scientifiques soulignent le retard de la France par rapport à d'autres pays et invoquent la cherté des expérimentations sur l'animal. On ne peut s'en tenir à une conception aussi utilitaire car elle conduit à une instrumentalisation de la vie humaine inacceptable, même à son stade le plus précoce.
On ne peut légiférer sans des références strictes et précises que l'embryon ne peut fournir puisqu'il n'est qu'un moment d'une vie. La vie elle-même peut, en revanche, être définie : elle commence à la fécondation et c'est très précisément la définition sur laquelle se fondait déjà la loi relative à l'IVG.
S'il a été décidé, en 1994, d'ouvrir la possibilité du don d'embryon à un autre couple, c'est, d'une part, eu égard à la pénurie d'enfants adoptables (4 000 annuellement pour 14 000 couples candidats), d'autre part, pour offrir aux embryons privés de projet parental une chance d'accomplir ce qui était fondamentalement leur destinée, c'est-à-dire de vivre. Il aurait été inconcevable et inapplicable pratiquement de contraindre la mère biologique à accueillir un projet d'enfant dont elle ne voulait plus. Mais le mélange des genres opéré par la loi (d'un côté, la notion de don qui ne peut s'appliquer qu'à un objet, de l'autre, la procédure d'accueil qui se calque sur l'adoption) explique que ces dispositions n'aient pu être mises en application. Il n'est pas certain qu'elles doivent être maintenues car, par delà le problème conceptuel, existe une difficulté juridique : comment assimiler à l'adoption une mise au monde qui a toute l'apparence d'une procréation naturelle et rend quasi impossible la révélation de la vérité à l'enfant ?
- En ce qui concerne le transfert d'embryon post mortem, le professeur MATTEI estime que tous les arguments invoqués en faveur d'une levée de l'interdiction ne tiennent pas face aux problèmes inextricables que posent les délais et les conditions de mise en oeuvre, ainsi que la situation matrimoniale éventuelle de la mère. Quid, d'autre part, lorsque le survivant est le mari ?
- La congélation des embryons a été admise en 1994 pour tenir compte, en premier lieu, d'une situation de fait et, en second lieu, du caractère très temporaire que devait revêtir cette solution dans la perspective, supposée proche, de la congélation des ovocytes. Cela étant, la congélation encourage la réification de l'embryon et l'autorisation de procéder à des recherches sur les embryons congelés accentuerait cette dérive inacceptable. Comme l'a souligné le cardinal LUSTIGER, mieux vaut, pour la dignité de l'être humain, qu'on le laisse mourir plutôt que de l'instrumentaliser.
En matière de médecine prédictive , la loi n'a autorisé que son usage individuel à des fins médicales. Les assureurs avaient accepté un moratoire qui parvient à son terme et il va falloir arbitrer entre les considérations morales et la logique assurancielle qui repose sur une estimation du risque. Rien, de surcroît, n'interdit le recours à un test favorable pour bénéficier d'un tarif plus avantageux. Cette pratique est déjà admise, avec une certaine modulation, par la législation hollandaise.
Les empreintes génétiques peuvent désormais être relevées à partir de prélèvements infimes et à l'insu de l'intéressé. La question se pose des conditions d'accès à ces marqueurs génétiques, sachant notamment qu'un enfant sur huit n'est pas issu du père présumé. Le législateur doit-il favoriser la tendance croissante à la recherche de l'identité biologique corrélée à l'éclatement des structures familiales traditionnelles ? Si le jugement prononcé dans l'affaire MONTAND n'est pas choquant compte tenu des circonstances de l'espèce, la possibilité de recherches génétiques post mortem pour l'établissement d'une filiation doit néanmoins être strictement encadrée par le droit.
En matière de brevetabilité du génome , il convient de distinguer l'isolation d'un gène qui ne saurait être brevetable et les applications qui en découlent qui ne doivent pas tomber sous le coup de la même interdiction.
Pour conclure, le professeur MATTEI souligne l'insuffisance des moyens dont dispose la CNMBRDP pour exercer ses attributions d'agrément, de contrôle et d'évaluation. Sa composition ne lui permet pas de se prononcer en toute indépendance et son recrutement est en outre limité par l'absence de toute rémunération accordée à ses membres.