IV. TENDANCES DE LA DISTRIBUTION SUR LES DIVERS MARCHÉS DE L'ASSURANCE : COMPLÉMENTARITÉ ET SÉLECTION RENFORCÉES, REDISTRIBUTIONS LIMITÉES, COMPÉTITION ACCRUE PAR LES NOUVELLES TECHNOLOGIES ET L'INTERPÉNÉTRATION DES MARCHÉS

Doit-on simplement extrapoler les évolutions passées de la distribution sur le marché français de l'assurance ? Peut-on projeter les évolutions françaises récentes sur les autres marchés européens, plaçant alors implicitement la France en position de pointe sur le plan industriel et commercial ?

Aucun canal n'étant exclusif et appelé à se substituer totalement à un autre ou à tous les autres, la question est de savoir dans quel sens le remodelage de la distribution peut être amené à jouer désormais au profit relatif de quels canaux de distribution par rapport à tels autres canaux.

Ceci est particulièrement vrai des nouvelles technologies (Minitel, ordinateur, Internet) qui ne représentent pas à vrai dire de nouveaux canaux de distribution mais des formes diverses de l'assurance directe, et des vecteurs qui seront intégrés à un titre ou à un autre par l'ensemble des modes de distribution, comme on le voit dans d'autres secteurs. De la même façon, il est parfois artificiel de séparer l'assurance directe de la bancassurance ou de l'assurance classique dans la mesure où elle est un mode de souscription que l'un et l'autre acteur emploient. Il y a beaucoup moins de types d'acteurs ultimes que de modes concrets de distribution.

Si l'on considère que le cas des nouvelles technologies est ainsi réglé, qu'au demeurant l'assurance directe restera une niche sur le marché français de l'assurance compte tenu de la bonne implantation des MSI et de leur compétitivité, la question de l'avenir de la distribution se ramène à la rivalité entre l'assurance classique, avec ses modes de distribution intermédiaires que sont l'agence et le courtage et ses réseaux salariés, et la bancassurance avec sa distribution intégrée de réseaux de distribution bien implantés en zone urbaine et rurale (comme l'est en particulier le réseau de La Poste qui est cependant cantonné à la distribution de l'assurance-vie). Cette rivalité, ou cette complémentarité, dépend des marchés.

Les bancassureurs se sont développés sur le marché des particuliers en assurance-vie parce que la clientèle équipée par les compagnies traditionnelles était une clientèle réduite en nombre, plutôt fortunée. L'équipement des ménages en assurance-vie était très faible dans les classes moyennes. C'est ce segment de marché que les bancassurances ont travaillé. Ils ont " équipé " leur clientèle de masse en assurance-vie (un client sur trois du Crédit Agricole est " équipé " par Predica avec un contrat d'assurance-vie). C'est donc avant tout en développant le marché de l'assurance-vie que les réseaux bancaires ont pris une part de marché majoritaire, et non en prenant des clients aux assureurs traditionnels. En ce sens, la considération abstraite de l'évolution des parts de marché relatives des assureurs et des banquiers est trompeuse, si elle fait abstraction de la taille des marchés en volume de capital collecté (global et moyen) et en nombre de contrats.

Les banques ont démocratisé l'assurance-vie d'autant plus facilement qu'il s'agissait d'un contrat d'épargne financière homogène à la culture bancaire et qu'ils ont su le faire par substitution de produits, alors que la culture dominante des intermédiaires de l'assurance est une culture " IARD " peu évolutive dans un mode de distribution très fragmenté et individualiste. Il n'est pas étonnant que les réseaux de vendeurs debout, lorsqu'ils étaient formés à cet effet aient mieux résisté sur ce marché que les agents généraux notamment en assurance individuelle. Il est donc peu probable que la tendance se renverse sur ce versant du marché des particuliers qu'est l'assurance-vie individuelle.

Il n'en va pas de même pour les bancassureurs sur le marché de l'assurance des dommages, où le taux d'équipement initial des ménages en contrats d'assurance (multirisque habitation par exemple), auprès des compagnies commerciales est beaucoup plus élevé, et où la conquête de parts de marché nouvelles ne se fait pas sur un terrain vierge mais sur un marché occupé et couvert de manière serrée par une pluralité d'acteurs - compagnies et MSI pour l'essentiel - que leur compétition mutuelle a renforcées. C'est sans doute pour cette raison que les agents généraux détiennent toujours la part de marché la plus grande sur ce segment, l'assurance dommages des particuliers représentant 80 % du marché de l'assurance dommages. Il paraît difficilement imaginable que sur ce segment du marché des particuliers, les bancassureurs puissent jamais, en tout cas à un horizon visible de 2005, dépasser une part de marché d'environ 20 % 200( * ) voire de 25 % avec La Poste, alors qu'il est en 1997 voisin de 5 % (2,3 % pour le Crédit Mutuel, 2 % par le Crédit Agricole, le reste pour les autres banques dont la Société Générale).

Il est en revanche peu vraisemblable que le succès national des réseaux bancaires ou des MSI sur le marché français de l'assurance de masse annonce une extrapolation possible de ce succès sur les autres marchés nationaux européens, qui resteront d'abord eux-aussi des marchés nationaux.

En effet, le succès commercial est avant tout un effet de la bonne implantation des réseaux nationaux, qui sont par définition peu présents dans les autres pays (et l'on a vu le caractère vraisemblablement durable du faible effet de la LPS sur l'interpénétration des marchés nationaux). C'est la raison pour laquelle des OPA sont exercées sur les structures à réseaux comme les AGF par les grandes compagnies étrangères telle Allianz.

Il est plus probable que les techniques commerciales accumulées par les compagnies d'assurance dans la résistance aux offensives des mutuelles sans intermédiaires ou des réseaux bancaires trouveront là un champ d'application compensatoire leur permettant de développer leur part de marché par rapport à leurs homologues étrangères sur le marché domestique sur lequel elles cherchent à développer leurs affaires, notamment par le biais de l'assurance directe.

Sur les marchés professionnels, selon qu'il s'agit des risques des artisans, des commerçants, des professions libérales, des petites entreprises ou des risques industriels, la place des intermédiaires classiques de l'assurance paraît difficilement expugnable, même si tout risque de masse est susceptible d'une offensive en règle voisine de celle que les banques ont mené sur le marché des particuliers, comme le montre d'ailleurs les avancées de Groupama et de la MAAF sur ces segments de marché.

Aujourd'hui, grâce à la possibilité de sortir du statut public des années 1949-1950 accordée par le décret du 15 octobre 1996 201( * ) , l'organisation des relations entre agents généraux et sociétés d'assurance n'est plus monolithique et chaque réseau d'agents généraux est amené à organiser ses relations avec sa compagnie au travers d'un contrat reflété dans le traité individuel reliant l'agent et la société. Les agents généraux ont désormais la possibilité de se constituer en sociétés et ainsi la possibilité leur est offerte de s'associer et de se spécialiser par clientèles ou métiers au sein d'une même agence. Ils ont désormais les moyens institutionnels de se moderniser, de mettre en oeuvre eux-aussi les nouvelles technologies et de se hisser au niveau de leurs concurrents, tout en restant en possession de leurs atouts traditionnels.

C'est pourquoi la baisse du nombre d'agents généraux indépendants (qui ne seront peut-être plus que 12 000 vers 2005 ou même 10 000 selon des estimations extérieures à la profession) ne se traduira vraisemblablement pas par une diminution parallèle du nombre d'agents généraux et du chiffre d'affaires réalisé par ce mode d'intermédiation, qui peut trouver dans sa concentration les moyens de son redéploiement et de sa modernisation. En ce sens, 10 % déjà des agents généraux fonctionnent en association 202( * ) : on notera que la moyenne du chiffre d'affaires des agents était de 630 000 F en 1990 et de 861 000 F en 1996 (cependant 62 % des agents sont en dessous de ce chiffre) 203( * ) considéré pourtant comme le point mort.

En ce qui concerne la concurrence entre intermédiaires classiques, il est vraisemblable, qu'à la marge, le rôle relatif des courtiers sera plutôt accru sur le marché européen au détriment des agents généraux, y compris sur le marché de l'assurance individuelle sur lequel ils prennent pied efficacement grâce à leurs plateaux téléphoniques, dans la mesure où ils seront plus que jamais les vecteurs de la comparaison de la qualité des couvertures offertes par les divers assureurs et des prix exprimés en une seule monnaie. Son internationalisation, son rôle innovant, et la place qu'il est en train de prendre dans le placement de l'assurance directe 204( * ) sur le marché des particuliers, qui est ainsi réintermédiée, vont dans le même sens. On ne peut que regretter, dans ce contexte porteur pour le courtage, que la plupart des grands cabinets de courtage français aient été absorbés en quelques années. Par ailleurs, la complexification de la couverture des risques de l'entreprise et l'important processus de fusions acquisitions en cours au sein des PME françaises devraient conduire à l'abandon complet de ce segment par la plupart des agents généraux.

* *

*

Les évolutions de la distribution révèlent les attentes des consommateurs, les lacunes de l'intermédiation classique, les opportunités à saisir et les risques de déplacement des affaires liées à une insuffisante adaptabilité des canaux de distribution traditionnels.

Bien que " 52 % des consommateurs d'assurance-vie et 88 % d'assurés dommages se déclarent aujourd'hui satisfaits de leur assurance " 205( * ) , beaucoup de frustrations, d'attentes diverses non prises en compte, de souhaits d'initiatives récompensant la fidélité (" la fidélité est à sens unique, du client vers l'intermédiaire, mais jamais dans l'autre sens " dit un assuré interrogé par le CAPA) alimentent, derrière ce premier plan rassurant, un risque de volatilité accru du fonds de commerce des sociétés et des réseaux, que la dimension européenne du marché ne peut qu'accentuer. Un des enjeux de l'assurance et des réseaux classiques est de savoir capter à son profit les leçons et les tendances du marketing contemporain : " la vraie richesse des entreprises est dans leur capacité à gérer et à garder leur clientèle " ; " la maîtrise de la distribution a une incidence essentielle sur les résultats " (par le biais de son influence sur le " prix de revient du contrat d'assurance ").

Les risques encourus par l'assurance française, compte tenu de la séparation fonctionnelle entre distribution et production à laquelle la dimension européenne confère un nouvel enjeu, sont des risques de déplacements des centres de traitement et de concentration des compétences sur les marchés apportant l'environnement général le plus propice. L'exemple du déplacement de la gestion des risques industriels des AGF en Allemagne illustre bien le genre de risque auquel un marché ouvert de l'assurance peut exposer. Mais ce risque n'est pas nécessairement unilatéral.

Plutôt qu'à une substitution ou à un bouleversement de modes de distribution qui rivalisent mais aussi se croisent et s'imbriquent, ou même à un remplacement de chaque canal par une multidistribution généralisée, c'est à une sélection accrue à l'intérieur de chaque canal entre acteurs plus performants et acteurs moins performants que l'avenir nous réserve plutôt d'assister au sein d'un univers globalement plus compétitif et soumis à une culture consumériste croissante, la maîtrise des nouvelles technologies étant au centre de cette capacité à faire la différence par rapport aux autres.

ANNEXE

ASSURANCE ET COMMERCE ÉLECTRONIQUE
206( * )

" Le terme de commerce électronique désigne en général toutes les formes de transactions liées aux activités commerciales, associant tant les particuliers que les organisations, et reposant sur le traitement et la transmission de données numérisées, notamment texte, son et image. Il désigne aussi les effets que l'échange électronique d'informations commerciales peut avoir sur les institutions et sur les processus qui facilitent et encadrent les activités commerciales, comme la gestion des organisations, les négociations commerciales et les contrats, les cadres juridiques et réglementaires, les arrangements en matière de règlement de comptes ou la fiscalité 207( * ) .

Aujourd'hui, le commerce électronique est surtout utilisé concernant les échanges interentreprises. Cependant, force est de constater que le commerce électronique entreprises/consommateurs se développe rapidement. Et, à l'heure actuelle, c'est le réseau Internet, environnement d'information numérique universel, qui constitue les supports privilégiés du commerce électronique.

Les perspectives de croissance du commerce électronique paraissent impressionnantes.

Pour la France, selon le cabinet IDC, le marché du commerce électronique " business to consumer " passera de 50 millions de francs en 1996 à 9 milliards de francs en 2001. Le marché du commerce électronique " business to business " passera de 470 millions de francs en 1996 à plus de 48 milliards de francs en 2001.

Un distinguo s'impose donc entre le marché " business " à très fort taux de développement pour le court/moyen terme et le marché " business to consumer " qui ne prendra son essor qu'à moyen ou long terme.

Malgré la croissance exponentielle, voire explosive, prévue, ces chiffres méritent d'être relativisés. A titre de comparaison, le Minitel génère 5 à 7 milliards de francs chaque année et la VPC classique environ 55 milliards de francs en France (et 350 milliards de francs sur le marché américain).

Des perspectives semblables s'ouvrent dans les autres pays européens. Une des clés du développement du commerce électronique réside dans la disponibilité et l'utilisation des méthodes de paiement rémunérées.

Morgan Stanley, dans son rapport de l'été 1997 " The Internet Retailing Report " prévoit une croissance significative pour les secteurs suivants : l'assurance et les services financiers, le matériel et les logiciels informatiques, les voyages, les livres, la musique et la vidéo, les cadeaux et fleurs et l'automobile.

Selon ce même rapport, les deux secteurs de l'assurance et des services financiers auraient les produits les plus adaptés à la vente sur l'Internet. Le Net permet en effet d'offrir plus de services, de diminuer les coûts, et d'augmenter l'information vers les consommateurs.

Sur 200 G USD de chiffre d'affaires global du commerce électronique prévu pour l'an 2000, 23 seraient gérées par les activités de services financiers.

Le commerce électronique représente pour l'assurance l'émergence d'un nouveau (4 e ) canal technique de distribution de l'assurance.

On comptait environ 500 sites Web d'assurance dans le monde début 1997 (compagnies, agents, courtiers ...) dont : 200 aux Etats-Unis, 25 au Canada, 175 en Europe et 25 en Asie) 208( * ) .

Ces chiffres évoluent très rapidement. En effet, début octobre 1997, la France comptait 107 sites d'assurance.

Aujourd'hui, les secteurs de l'assurance sur l'Internet sont en retard par rapport aux autres activités de service (banque/finance et tourisme ...), notamment en terme d'interactivité et des services offerts (vente en ligne).

Aujourd'hui, les sites Web d'assurance français sont très nombreux et variés quant à leurs contenus et fonctionnalités. Sur les 107 sites d'assurance répertoriés par le CAPA à la fin de l'année 1997 209( * ) , seul un petit nombre d'acteurs s'est dores et déjà lancé dans la souscription et la vente de produits d'assurance entièrement enligne sur le Net.

Le courtier Assurland propose une assurance scolaire achetable en ligne depuis l'été 1997 et la CNP, Eurofil, LSN ont proposé des produits d'assurance d'octobre 1997 à janvier 1998 sur le Net dans le cadre de la galerie marchande expérimentale " Surf and Buy " d'IBM (http://www.surf-and-buy.com).

Aujourd'hui, la souscription et la vente en ligne sur l'Internet ne touchent que quelques produits d'assurance. Il s'agit de produits concernant la protection juridique, l'habitation, les matériels de communication, l'assurance scolaire et la prévoyance.

Ce paysage Internet français de l'assurance évolue très rapidement puisque, fin 1996 210( * ) , on ne comptait que 22 sites d'assurance en France. De plus, il était alors encore impossible d'effectuer un paiement de police d'assurance entièrement en ligne sur le NET.

Enfin, les acteurs de l'assurance sont aujourd'hui de plus en plus nombreux à proposer des devis et des simulations en ligne qui s'annoncent bien souvent comme les prémices avant le " grand saut " vers la vente totalement en ligne.

Le réel potentiel de l'Internet pour le secteur de l'assurance est certainement de permettre d'effectuer l'ensemble du processus de vente en ligne à moindre coût et de façon rapide et efficace.

Car l'Internet permet à tous les acteurs de l'assurance, à partir du même média, d'atteindre le consommateur directement, de l'informer, d'estimer ses besoins en assurance, de lui fournir un devis pour une police et de le faire souscrire et régler sa police d'assurance, tout cela en quelques " clics " de souris et à moindre coût.