V. SPÉCIFICITÉS FRANÇAISES
Elles sont au nombre de trois :
-
- la nationalisation au lendemain de la guerre d'une grande partie de
l'industrie de l'assurance ;
- le nombre particulièrement important et toujours croissant d'assurances obligatoires ;
- le rôle important joué par les assurances mutuelles dans l'assurance dommages et par les mutuelles dans l'assurance complémentaire santé.
La
thèse a été soutenue que la nationalisation des
sociétés d'assurance s'est faite sans
étatisation
41(
*
)
. A
l'appui de cette thèse, il y a la liberté provisoire de
tarification obtenue brièvement dès 1947 pour toutes les
sociétés d'assurance, et également, de manière
paradoxale, le fait que toutes les sociétés d'assurance ont
été soumises à un contrôle a priori de leurs
contrats et à une étroite réglementation de leurs
placements jusqu'à l'entrée en vigueur des dernières
directives européennes.
Il est donc difficile de séparer l'effet propre de la
réglementation et de la nationalisation, qui se conjuguent jusqu'au
moment où la déréglementation commence à jouer sans
que les sociétés nationales sachent en tirer parti pour se
renforcer, au contraire. La nationalisation a très vraisemblablement eu
un certain nombre de conséquences propres et le devenir des
sociétés récemment dénationalisées tend
à le prouver.
La nationalisation a détaché le secteur des assurances du secteur
bancaire auquel il était attaché par des liens d'actionnariat
anciens pour les rattacher à la toute puissance supposée de
l'Etat propriétaire. La stabilité des groupes d'assurance
constituant dès lors une certitude non discutable, étayée
par le très faible nombre de défaillances constatées sur
le marché français (à la différence de ce que l'on
pouvait constater sur le marché britannique ou nord-américain).
La nationalisation a donc largement eu pour effet de sacrifier le souci de la
rentabilité et de la solvabilité au profit d'une recherche de la
part de marché et au détriment de la spécialisation des
acteurs. Elle a conduit à une utilisation des groupes publics comme des
investisseurs institutionnels, outils d'une stratégie non
intrinsèquement économique (noyaux durs, tentative d'OPA sur la
Société Générale). La fragilité de certains
groupes, dans le cadre d'une compétition mondiale accrue, a
été largement sous-estimée.
Les sociétés d'assurances, depuis leur nationalisation, ont
été dirigées exclusivement par d'anciens hauts
fonctionnaires, non issus du monde de l'assurance, comme le souligne
l'étude de Michel Bauer et
Bénédicte Bertin Morot
42(
*
)
. La succession rapide des dirigeants
et la discontinuité stratégique qu'elle implique n'ont pas
été sans conséquences sur les performances et la
qualité de la gestion, ainsi que la mobilisation des personnels et des
cadres.
D'un autre côté, la nationalisation a certainement favorisé
la situation de l'assuré et elle a permis, sur le plan social, que
l'assurance prenne le virage de l'informatisation et des nouvelles technologies
sans drame social, en gérant dans la durée les sureffectifs
induits par la modernisation et les gains de productivité.
En revanche, tout génie entrepreneurial mis à part, comment
penser la réussite exceptionnelle d'Axa sans la continuité
stratégique de sa direction. On pourrait également citer
l'exemple d'AIG présidé par Maurice R. Greenberg, qui a
été créé en 1919 et n'a connu jusqu'à
maintenant que deux dirigeants. Il est le groupe d'assurance le plus
rentable au monde (avec une rentabilité financière des fonds
propres, " return on equity " -Roe- de 15 %) et la
première capitalisation boursière mondiale dans l'assurance
avec une capitalisation de 90 milliards de dollars.
En ce qui concerne les performances, d'une manière
générale la part des encaissements des sociétés
nationalisées, de 50 % au moment de la nationalisation, revient
à 38 % en 1968. L'évolution du chiffre d'affaires d'Uap-Vie
avant et après reprise par AXA mérite d'être
étudiée à titre d'exemple
43(
*
)
. En ce qui concerne la gestion,
Claude Tendil note qu'au moment de l'absorption d'Uap par AXA le ratio
sinistres sur primes d'AXA était de 71 %, celui de l'Uap de
77 %. Or, selon lui " ce que nous avions obtenu dans AXA, il n'y a
pas de raison que nous ne le réalisions pas avec l'UAP. Ce qui signifie
que notre marge de progression est de 6 points techniques pour
6 milliards de chiffre d'affaires". Les incitations à la bonne
gestion dans une société nationale sont moindres que dans une
société privée.
Ensuite, le classement boursier des sociétés nationales
d'assurance en termes de capitalisation n'est pas à leur avantage. En
décembre 1997, les AGF se situent au 15e rang européen,
le GAN au 25e (en représentant respectivement un huitième et un
quatorzième de la capitalisation d'Allianz)
44(
*
)
bien après les
premiers groupes britanniques, hollandais, belges et suisses. La
capitalisation boursière d'AXA-UAP représente moins de la
moitié de celle d'Allianz, avant même l'absorption des AGF par
cette dernière.
Enfin, l'issue des " nationalisations ", c'est-à-dire le sort
des groupes d'assurance français après leur
dénationalisation, corrobore les " indices "
précédents
45(
*
)
.
L'absorption de l'UAP par AXA, celles des AGF par Allianz et celle du GAN
par Groupama, traduisent la faiblesse dans laquelle se trouvaient ces groupes
publics.