5. Défendre ses intérêts dans les négociations des instances internationales
a) à l'OMC
L'Union
européenne est amenée à intervenir dans nombre de
négociations internationales où elle doit impérativement
parvenir à faire entendre sa voix afin de protéger les
intérêts de ses industriels. Or, l'exemple de la première
réunion bisannuelle des instances de l'OMC, tenue à Singapour du
9 au 13 décembre 1996, n'a produit qu'un bilan mitigé.
Plusieurs dossiers sensibles y étaient en discussion, portant sur des
questions particulièrement importantes pour les intérêts
européens, notamment un volet environnemental pour assurer la
préservation de l'équilibre écologique mondial, ainsi que
la définition de normes sociales.
L'Union était convenue de l'importance d'instaurer, au niveau
international, un plancher minimal pour les droits du travail, commun à
l'ensemble des partenaires mondiaux, comportant notamment l'interdiction du
travail des enfants et des prisonniers. Cette question était difficile
à aborder en raison des disparités de développement social
entre les nations membres de l'OMC et des différences de normes
culturelles et économiques auxquelles elle renvoie. Plus encore, elle a
suscité des réactions brutales des pays en voie de
développement pour qui cet argument n'était en fait qu'un
habillage hypocrite du souhait de réduire la différence salariale
entre pays industrialisés et PVD et de rétablir des comportements
protectionnistes.
Ces questions n'ayant finalement pas été réglées
à Singapour, hormis par le biais de la création d'un groupe de
travail, l'Union européenne, et notamment la France - très
en pointe sur ce sujet - doivent maintenir leur souhait de voir progresser
ce dossier, sans pour autant se substituer aux missions dévolues
à l'Office international du travail (OIT).
L'occasion s'en trouvera peut-être lors d'un prochain cycle de
négociation à l'OMC qui pourrait avoir lieu en 2000 -" cycle
du millénaire " pour Sir Leon Brittan- et qui concernerait, si les
différents partenaires en conviennent, des questions techniquement
complexes et politiquement sensibles : agriculture et services, droits
tarifaires sur les produits industriels, instauration d'un cadre international
en matière de concurrence, environnement...
L'importance de ce dossier explique aussi l'opposition française
à la proposition de nouveau marché transatlantique, en
considérant que l'ouverture de négociations globales et
bilatérales entre les deux plus grandes puissances économiques,
représentant 55 % du PNB mondial, fragilisait considérablement
les négociations multilatérales à venir et pouvait
être ressentie comme un signe de méfiance vis-à-vis de
l'OMC.
b) à l'OCDE
Les
négociations actuellement menées à l'OCDE sont
dominées par le dossier particulièrement sensible de l'Accord
Multilatéral sur les Investissements (AMI) dont les débats se
poursuivent depuis trois ans afin de trouver un accord organisant la
libéralisation et la protection des investissements étrangers.
L'aboutissement de cet accord permettrait le remplacement d'environ 1 800
accords bilatéraux en constituant un cadre réglementaire
multilatéral pour l'investissement, estimé à plus de
300 milliards d'écus par an. L'objectif général de
l'AMI est de protéger les investissements transfrontaliers en abaissant
les barrières nationales et en accordant une égalité de
traitement à tous les signataires.
Les enjeux sont donc essentiels et l'on peut légitimement
s'étonner de la discrétion avec laquelle a été
engagée cette négociation, pourtant fondamentale, et notamment,
de la quasi-absence d'information du Parlement français en la
matière
(68(
*
))
. En effet, ces
discussions sont demeurées longtemps très confidentielles. Si
elles ont suscité récemment un vaste écho dans l'opinion
publique, il a surtout résulté de l'opposition qu'y a
témoignée le monde du spectacle, peut-être plus sensible au
maintien des barrières contre l'accès d'oeuvres culturelles
américaines qu'au renforcement de la capacité de l'Union
européenne à faire face à la concurrence.
Les négociations officielles sur l'AMI divisent profondément les
vingt-neuf pays de l'OCDE : les critiques ont été multiples,
parmi lesquelles le risque de voir les grands groupes industriels faire fi des
considérations environnementales et sociales ou d'autoriser les
entreprises à poursuivre en justice les gouvernements qui s'opposeraient
à leur expansion.
Aussi, le 28 avril 1998, une suspension des
négociations d'au moins six mois a été obtenue notamment
sans l'impulsion française, afin de dresser un état des lieux de
la situation et d'effectuer de
" nouvelles consultations entre les
partis en négociation et avec les groupes intéressés de
leur société "
.
En mars 1998, le Parlement européen -premier Parlement à se
prononcer avant même la conclusion de l'accord à l'OCDE- avait
lui-même exprimé de sérieux doutes sur certains points et
réclamé un meilleur contrôle démocratique sur les
négociations : trente-sept recommandations ont été
déposées, notamment pour que la Commission évalue la
compatibilité de l'accord avec les autres engagements internationaux,
pour exclure le dumping social ou environnemental du bénéfice de
ses dispositions et pour régler les problèmes particuliers
liés aux lois américaines Helms-Burton et d'Amato d'application
extraterritoriales.
Cet accord est intéressant pour l'Europe -comme pour ses partenaires-
car il lui ouvrira de nouvelles perspectives d'investissements industriels
à l'étranger, qui sont une condition de sa survie : tous les pays
trouveront intérêt à assurer la sécurité des
investissements de leurs ressortissants à l'étranger et à
proscrire les manifestations de dumping parfois pratiquées pour attirer
les investissements étrangers.
Mais cet accord devra être négocié avec prudence lors de la
reprise des pourparlers : il ne faut pas souhaiter que le blocage actuel de ce
dossier persiste, car il poursuit des objectifs favorables à
l'économie mondiale,
mais il doit aboutir dans des conditions telles
que l'intérêt général, y compris son aspect
culturel, soit pris en considération. Il est indispensable que le
délai de réflexion récemment décidé soit mis
à profit pour relancer le débat sur des bases sérieuses
après le 1er octobre 1998. En ce sens, peut-être serait-il
fructueux de disjoindre l'aspect culturel de l'accord pour faciliter
l'évolution des négociations, en dépit du refus de
scission exprimé par les Etats-Unis.
En tout état de cause, notre Délégation doit obtenir du
Gouvernement les éléments d'information et de réflexion
nécessaires au suivi, par le Parlement, des négociations, de
leurs procédures et de leurs enjeux.