3. Les chaînes thématiques : la culture des différences

Tandis que la télévision généraliste a pour objectif de permettre aux membres d'une société individualiste de continuer à avoir quelque chose en commun, les médias thématiques ne font, " au nom de la liberté de choix qu'épouser les plis des inégalités sociales et culturelles " pour reprendre la formule de Dominique Wolton.

La technologie numérique devrait permettre à chacun, par le choix des chaînes thématiques, de cultiver sa différence. A l'extrême, avec Internet, chaque téléspectateur sera en mesure de composer son propre programme.

La logique des chaînes thématiques est celle de la spécialisation. A la limite, elle incitera le téléspectateur à s'enfermer dans ce qu'il connaît ou aime déjà. Non seulement, risquent de faire défaut, cette référence commune, ce sujet de conversation qui contribuent à entretenir le lien social, mais encore, cet élément de surprise et donc d'ouverture, que comporte le fait de suivre une programmation généraliste.

Si une grille de programmes est établie en fonction des spectateurs que l'on suppose intéressés par telle tranche horaire de la journée, l'analyse rétrospective démontre le caractère en fait très divers du public réel : certains ont effectivement regardé ce que l'on pensait bien qu'ils regarderaient, mais d'autres, auxquels on n'avait pas songé, l'ont fait également. L'étude des audiences réelles fait toujours apparaître des publics inattendus.

On entre donc dans une logique de clubs, voire de chapelles, où des individus rejoindront des petits groupes pour partager leurs passions, au détriment de la sociabilité plus diffuse, du type de celle que l'on entretient avec ses voisins.

Du fait de l'évolution des médias, la culture pourrait devenir sinon quelque chose qui divise, du moins ce qui sépare ; elle ne serait plus le lieu ou l'objet d'un partage ou d'un dialogue mais le moyen de se distinguer, d'affirmer sa différence.

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En matière culturelle la tendance naturelle de la France est de s'opposer à l'hégémonie anglo-saxonne. Mais, si nous nous crispons sur cette position hors de proportion avec le rapport des forces, il est à craindre que le combat ne soit perdu d'avance.

La défense de la langue française se pose à peu près dans les mêmes termes, comme l'a souligné M. Michel Zink, professeur de littérature médiévale au Collège de France, s'exprimant le 16 février 1998 devant l'Académie des sciences morales et politiques :

" Nous ne pouvons pas empêcher que l'anglais soit la langue de la communauté scientifique et du monde économique. C'est un fait. Notre fierté nationale en souffre comme en souffre la fierté des autres pays francophones. Mais il ne tient qu'à nous que le français n'en souffre pas.

Pour que le français n'en souffre pas, il faut peut-être cesser de nous opposer à l'anglais. Certains pays, beaucoup moins peuplés que la France et dont la langue n'est guère parlée hors de leurs frontières, la défendent efficacement sur leur sol. Ils ne font pas semblant que l'on peut vivre dans le monde actuel sans parler convenablement l'anglais... Mais ils sont intransigeants dans leur souci d'inculquer à leurs concitoyens le sentiment que leur langue est dépositaire du trésor irremplaçable de leur culture et de leur mémoire... Et comme l'apôtre, ils se font une force d'une faiblesse. En Norvège, les séries américaines diffusées à la télévision ne sont pas doublées. C'est peut-être un avantage donné à l'anglais, mais c'est surtout un avantage donné au norvégien. Cela permet sans doute aux petits Norvégiens d'apprendre l'anglais sans peine. Mais cela leur permet surtout de se rendre compte que la culture américaine n'est pas la leur. "


Comme le souligne implicitement M. Michel Zink, la France est sans doute plus vulnérable que d'autres pays au déferlement des séries américaines. Il est de fait, sans doute à cause des excès de la centralisation, que notre pays n'abrite pas de traditions aussi vivaces que d'autres, dont l'attachement à leur particularisme est beaucoup plus vif. Il pourrait, plus facilement que d'autres, subir l'influence d'émissions fabriquées de l'autre côté de l'Atlantique. A nous de faire que ces produits audiovisuels importés ne constituent pas précisément ce commun dénominateur culturel qui fera le " lien social " des Français du XXIème siècle !

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La violence est dans la vie, mais elle est plus encore sur les écrans. Cette culture de la violence n'est pas seulement le produit d'une logique commerciale ; elle résulte également d'une certaine complaisance.

Pour beaucoup de créateurs, la télévision est violente, parce que la société est violence. L'ordre social étant perçu comme coercitif, les comportements violents sont alors considérés comme une réponse, sinon légitime, du moins explicable et donc normale, à la violence de la société.

Quand un réalisateur prétend lutter contre la violence en la rendant insupportable pour le spectateur, quand un autre estime que ce n'est pas le cinéma ou la télévision qui sont violents mais la société dont ils sont le reflet, on peut se demander s'ils ne font pas de la violence l'alibi d'une volonté de défoulement ou d'une agressivité toutes personnelles. Une telle attitude sans conséquence lorsqu'elle se limite à des individus ou à des cercles restreints devient dangereuse lorsqu'elle est amplifiée par les moyens de communication de masse. La société n'est pas que violence, contrairement à l'image que peut en donner parfois la télévision. Un réalisateur qui raconte la cavale sanglante de jeunes sans repères ou la vie désoeuvrée de gamins des banlieues ne filme pas la réalité dans sa totalité. Il en extrait une facette parmi bien d'autres.

Le réalisateur est un créateur. A ce titre, il doit être conscient de ses responsabilités. A lui de choisir ce qu'il montre du monde qui l'entoure. Il peut se concentrer sur la haine et l'agressivité que fabriquent effectivement nos sociétés ; mais il peut aussi raconter la vie de ceux qui luttent pour les autres et sont des artisans de paix et d'harmonie... Pourquoi pas ?

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