B. DES INCERTITUDES MULTIPLES
L'intégration des entreprises du secteur audiovisuel ne
permettra pas seulement la constitution d'un certain nombre de groupes
géants. Ce sera également l'apparition de nouveaux métiers
intégrés, du contenu au contenant, des programmes aux moyens de
communication et, corrélativement, de l'émergence d'un nouveau
mode de consommation audiovisuelle.
Mais la forme de ce mode de consommation reste encore largement
indéterminée. Si elle dépend de la stratégie des
nouveaux acteurs industriels et commerciaux, le verdict final appartient au
consommateur.
Le résultat pourrait toutefois dépendre également de
facteurs institutionnels. Le développement de ces nouveaux produits
pourrait
" être freiné par une certaine
insécurité juridique " :
-
•
d'abord, comme le fait remarquer le Livre Vert de la Commission
- d'une façon non dénuée
d'arrière-pensées
- " les règles
existantes ont été définies pour un environnement
national, analogique et monomédia " ;
• ensuite, la configuration technologique qui s'imposera, sera d'une certaine manière, la conséquence des choix opérés par les autorités de régulation que ce soit aux États-Unis ou en Europe.
La
course au contenu
, à laquelle on a assisté depuis le
milieu des années 80, et qui a donné lieu à des
surenchères ruineuses entre bouquets européens pour l'acquisition
de droits audiovisuels,
va peut-être laisser la place à une
concurrence au niveau
, plus technique,
des moyens d'accès
au
contenu. Seuls, de grands groupes très performants sur le plan
technologique auront les moyens de la soutenir.
Vers une guerre des boîtiers d'accès TV-Internet aux
États-Unis ?
L'enjeu consiste à s'emparer sur le marché américain de
quelque 60 millions d'appareils.
Microsoft, qui a annoncé avoir reçu la commande, de la part du
numéro un américain des câblo-opérateurs
- TCI - de 5 millions de boîtiers dotés du
système d'exploitation Windows CE, a remporté la première
manche. C'est une victoire que certains considèrent avec prudence dans
la mesure où Windows CE, le système d'exploitation
simplifié - donc moins cher - dérivé de Windows, n'est pas
capable de supporter des applications de télévision
interactive ; l'intégration avec la technologie de WebTV,
entreprise que Microsoft a achetée en 1997 pour plus de 2 milliards
de francs, demanderait encore de longs mois.
Par ailleurs, le décodeur lui-même de TCI, équipé ou
pas de Windows CE, n'est pas encore entièrement au point. Ainsi,
même si Intel semble le mieux placé, les fournisseurs des
microprocesseurs installés dans les décodeurs ne sont pas encore
officiellement sélectionnés. De plus, le
câblo-opérateur a défini des spécifications
très complexes qui donneront à ses terminaux une puissance
supérieure à la plupart des PC aujourd'hui sur le marché,
sans pour autant financer lui-même l'achat de ces équipements. Or,
à 300 dollars pièce au minimum, les 12 millions
d'exemplaires potentiellement vendables représentent un investissement
de près de 4 milliards de dollars sur quatre ans, trop lourd
à autofinancer. TCI négocie avec plusieurs partenaires, en
particulier des sociétés qui offriront des programmes et des
applications relatifs à ces décodeurs, afin de partager la charge
de l'investissement.
Enfin, et surtout, la solution Windows CE présenterait une faiblesse
technique. Le cahier des charges défini par l'association Open
Cable - à laquelle appartient TCI - stipule que la solution
doit être ouverte et pouvoir supporter les technologies de plusieurs
fournisseurs. Or une application Windows CE, même définie pour la
télévision interactive, ne peut fonctionner qu'à partir
d'un microprocesseur bien spécifique. Si rien n'empêche de
réécrire l'application pour différents types de puces, il
n'est pas certain de pouvoir faire fonctionner la même version
simultanément sur un réseau comprenant des millions de
décodeurs dotés de puces différentes.
L'un des rivaux les plus acharnés de Microsoft, Scott McNealy, le patron
de Sun Microsystems, est lui aussi dans la course et recevra également
des commandes de décodeurs, afin que les États-Unis puissent
disposer d'au moins deux fournisseurs. Pour autant, l'offre de Sun, Personal
Java, n'est pas très différente de l'approche de Microsoft
puisqu'il s'agit, là aussi, d'une version " allégée " du
fameux langage Java, inventé par Sun. Open TV, une filiale commune de
Sun Microsystems et de Thomson Multimedia, dont le logiciel pour
décodeur numérique de télévision équipe
déjà les 400 000 boîtiers des abonnés de
TPS, bouquet numérique français, fait cependant valoir que sa
technologie s'intégrera beaucoup plus vite.
L'enjeu est clair : pour faire jouer ses propres synergies, Microsoft a
un besoin impératif que l'architecture de la télévision
numérique rejoigne celle des PC, où cette firme règne sans
partage. La solution Java a pour elle sa capacité à fonctionner
de façon réellement indépendante de l'architecture
matérielle des décodeurs numériques.
Les entreprises européennes et, en particulier, plusieurs PME
françaises se lancent également dans la course. Il en est ainsi
de Com One et Netgem, qui se sont aventurées dans la commercialisation
de ces boîtiers. Netgem, créée par trois polytechniciens,
prévoit de commercialiser 200 000 boîtiers, en 1998,
dont 70 % à l'export, contre 3 000 unités vendues
fin 1997. "
Nous avons signé plusieurs contrats à
l'étranger notamment avec Gründig, qui le distribuera en Allemagne
sous sa marque au prix de 299 deutsche mark, et avec l'espagnol
Telefonica
", indique le chargé du développement
international de Netgem. La firme a confié la fabrication de ses
consoles à l'usine de Bull Electronics d'Angers.
En France, le produit est vendu à moins de 2 000 francs la console
ou loué en option avec un abonnement Internet (65 francs par mois).
Cette stratégie est calquée sur celle de WebTV, la filiale de
Microsoft, qui consent une réduction de 100 dollars sur le prix de son
boîtier (vendu 299 dollars), dès lors que l'acquéreur prend
un abonnement à WebTV Network (environ 20 dollars).
Com One est également bien placé puisque son produit est
actuellement testé par France Télécom et TFI à Metz.
Manoeuvres autour du futur standard de la télévision
numérique
Dix-huit formats ont été admis par la Federal Communication
Commission (FCC) pour la télévision numérique. Ils
combinent des critères de fréquence, de nombre de lignes
remplissant l'écran et de mode de lecture de l'image
4(
*
)
.
Les grands réseaux nationaux américains, CBS et NBC, ont
annoncé récemment qu'ils se rangeaient au format de
1 080 lignes entrelacé. En revanche, ABC choisirait
720 lignes en progressif et Fox un format progressif mais en
définition standard de 480 lignes.
Ces divisions ne sont pas limitées au camp des réseaux
télévisés mais aussi à celui des compagnies
d'informatique et d'électronique.
Intel, qui avait annoncé la création d'une alliance avec
Microsoft ainsi qu'avec le fabricant d'ordinateurs Compaq pour les convaincre
d'adopter le format " progressif ", a renoncé à cette
alliance en décembre 1997 pour se plier d'avance à la
décision des diffuseurs. Intel joue désormais la carte d'un
projet de décodeur universel proposé par Hitachi.
Le débat se complique avec l'arrivée du
câblo-opérateur TCI qui favoriserait le format de 720 lignes
progressif. Un tel choix aura son poids dans l'avenir, car TCI annonce
l'installation d'ici la fin de 1998 d'un million de boîtiers
numériques chez ses abonnés.
Or, dans le même temps les fabricants de téléviseurs auront
à peine lancé sur le marché des appareils destinés
avant tout à une clientèle haut de gamme, à un prix allant
de 3 000 à 10 000 dollars.
Les câblo-opérateurs, qui envisagent l'installation de dix
à quinze millions de boîtiers numériques chez leurs
abonnés dans les quatre ans à venir, pourraient ainsi dicter le
standard à adopter.
De même, dans le domaine des programmes, ce sont les chaînes
câblées comme HBO, ou spécialisées comme PBS, qui
semblent montrer l'exemple en passant rapidement au tout numérique,
alors que les grands réseaux n'envisagent cette transition qu'avec
réticence.
Dans les huit ans à venir, les 1 500 stations de
télévision américaines sont censées diffuser leurs
programmes en numérique et 230 millions de postes de TV devront
être remplacés ou adaptés pour les recevoir.
Plusieurs accords de coopération ont été passés
à la date de mars 1998, notamment entre les poids lourds de
l'informatique et de l'électronique que sont Microsoft et Sony.
Sony assurera la compatibilité des décodeurs de
télévision numérique avec le système
opérateur de Microsoft, Windows CE. Les boîtiers Sony-Microsoft
permettront de recevoir des bouquets de programmes numériques, de
consulter son compte en banque ou de naviguer sur Internet à partir
d'une télévision.
Le groupe d'électronique grand public japonais ne met toutefois pas tous
ses oeufs dans le même panier. Il utilisera sous licence le langage de
communication de Sun, Personnal Java, qui favorise l'interactivité.
Microsoft prend pied dans les produits de grande consommation
Windows CE est la tête de pont de Microsoft dans le domaine des produits
de grande consommation. Bill Gates a une stratégie et ne s'en cache
pas : imposer son système d'exploitation comme standard mondial de
l'informatique embarquée, bien au-delà du domaine des ordinateurs.
L'accord de principe avec Siemens, qui adopterait le système
d'exploitation Windows CE (version allégée des systèmes
équipant les ordinateurs) pour ses différents produits, pourrait
bien constituer le début d'une véritable percée en Europe.
En outre, la spécificité des systèmes et produits
informatiques fait qu'il est bien difficile pour une entreprise d'en changer
constamment, ce qui constitue une solide garantie de fidélité
pour le fournisseur, en l'occurrence Microsoft.
Windows CE pourrait équiper aussi bien des décodeurs de
télévision que des téléphones, des systèmes
de communication dans les automobiles ou des appareils ménagers.
Microsoft, qui a donc déjà signé des contrats avec Siemens
pour des décodeurs de télévision, a contracté avec
d'autres grands fournisseurs de produits de grande consommation comme Philips
pour un assistant personnel et Ericsson pour des téléphones
portables. "
Dans le domaine de l'ordinateur miniature sous forme
d'assistant personnel, plus de 90 sociétés ont
annoncé des produits utilisant Windows CE.
" Microsoft a
consacré près de quatre années de recherches à la
mise au point de Windows CE.
Les décodeurs satellite restent un enjeu stratégique en
Europe
A la différence du contrat de simulcrypt, précédemment
conclu entre Canal Satellite et AB Sat, le nouvel accord avec TPS sera
techniquement beaucoup plus simple à mettre en oeuvre. Les deux
opérateurs émettent via la flotte de satellites Eutelsat et
utilisent l'un et l'autre les décodeurs numériques Viaccess
développés par France Télécom.
Une seule question reste encore sans réponse : qui gérera les
abonnés séduits par l'offre complémentaire d'AB Sat ?
Cette nouvelle alliance illustre un peu plus encore la mutation
opérée par AB Sat, qui renonce à s'imposer comme un
opérateur de bouquet numérique à part entière en
abandonnant la gestion en direct de son parc d'abonnés et la vente de
ses boîtiers numériques.
Depuis l'accord avec Canal Satellite et la reprise de l'ensemble de programmes
sur les réseaux câblés de Numéricâble et de
Lyonnaise câble, ainsi que la reprise de RTL 9, AB Sat semble
relancé. Cet opérateur pouvait revendiquer fin mars 1998 :
65 000 souscripteurs auxquels s'ajoutent 12 000 abonnés du
câble.
La société britannique de télévision par satellite
BSkyB, contrôlée par Rupert Murdoch, a porté plainte, en
avril 1998, contre son rival dans la télévision numérique,
British Digital Broadcasting (BDB), pour avoir choisi le décodeur de la
société Seca (Canal +/Bertelsmann).
BSkyB accuse BDB d'avoir violé un accord passé prévoyant
que leurs décodeurs respectifs devraient être compatibles.
Les deux opérateurs sont sur le point de se lancer dans des
opérations de grande envergure : BDB prévoit de lancer
à l'automne 1998 une quinzaine de chaînes numériques par
voie hertzienne et BSkyB, au sein du consortium British Interactive
Broadcasting (BIB), va lancer en juin 1998 un bouquet satellitaire d'environ
200 canaux.
BDB, filiale commune de Carlton et Granada, a annoncé en
février 1998 son choix pour la technologie de Seca de
préférence au décodeur de News Datacom, filiale de News
Corporation, qui sera utilisé par BIB.
BSkyB faisait également partie de BDB initialement, mais avait dû
s'en retirer à la demande des autorités de contrôle pour
des raisons de concurrence. Un accord avait alors été conclu
prévoyant la fourniture de programmes par BSkyB à BDB et la
compatibilité des décodeurs.
BDB a rejeté les accusations de BSkyB, estimant que les deux
décodeurs étaient compatibles, à condition que BSkyB
accepte de coopérer pour en finaliser les modalités techniques.
BDB a d'ores et déjà commandé ses décodeurs
auprès du fabricant finlandais Nokia.
Le problème de la diffusion hertzienne terrestre
Alors que la Grande-Bretagne avec le Broadcasting Act de 1996, que les
États-Unis se sont engagés sur l'élimination totale de la
diffusion analogique pour 2006 et que d'autres pays, en Scandinavie notamment,
suivent d'ores et déjà la même voie, il conviendrait que la
France prenne position sur l'évolution de la diffusion hertzienne
terrestre
.
Pour les tenants de la diffusion numérique terrestre, l'avantage
essentiel de cette technologie est la possibilité pour le consommateur
d'avoir accès à une trentaine de chaînes sans achats de
nouvel équipement de réception (son antenne n'a pas à
être modifiée, seul un décodeur est nécessaire).
De plus, à la différence du câble et du satellite, la
diffusion hertzienne numérique permettra la portabilité (la
télévision sans fil) et, dans certaines conditions, la
mobilité.
Plusieurs pays se sont d'ores et déjà engagés dans la
diffusion numérique de terre ; les États-Unis ont
prévu un lancement commercial avant mai 1999, tandis que le
Royaume-Uni ouvrira les nouveaux services le 1er novembre 1998.
En Espagne et en Italie, le cadre réglementaire est entré dans la
phase de discussion parlementaire.
Leurs motivations sont de natures différentes et reposent sur des
considérations d'ordre culturel - l'hertzien permet de
maintenir une régulation nationale, - d'ordre industriel la
diffusion hertzienne touche tous les foyers et constitue un moteur pour le
renouvellement des équipements et enfin d'ordre politique ;
accessible sur tout le territoire, la diffusion hertzienne met en place, dans
une logique d'aménagement du territoire, le service universel de la
distribution d'images. Dans tous les cas apparaît un souci d'optimisation
de l'usage du spectre des fréquences.
En France, la réflexion est encore limitée. Elle a
commencé à se formaliser avec le rapport de M. Philippe
Lévrier, remis au ministre de la Culture et au ministre
délégué à la Poste, aux
Télécommunications et à l'Espace en mai 1996.
Deux groupes de travail furent mis en place au début de 1997 ; le
premier
5(
*
)
piloté par
l'Agence nationale des Fréquences a traité des fréquences
et le second
6(
*
)
, piloté
par le ministère de l'Industrie, a traité du futur
téléviseur numérique.
Le groupe de travail de l'ANF a évalué que la ressource
disponible permettrait de constituer six réseaux de diffusion en plus
des six réseaux actuels de télévision analogique. Les
six réseaux numériques offriront entre 25 et
30 chaînes et desserviraient 75 à 85 % de la population
en s'appuyant sur les infrastructures existantes.
Le groupe de travail conduit par le ministère de l'Industrie a conclu
à la parfaite maturité de la technologie de la diffusion
terrestre de télévision numérique. Il a confirmé la
compatibilité immédiate avec les installations d'antennes
individuelles et collectives. Ce groupe de travail a reconnu que les
industriels " grand public " pourraient mettre sur le marché
des téléviseurs numériques à l'horizon 2000.
Le plan " Préparer la France à l'entrée de la
société d'information " présenté en janvier
1988 par le Premier Ministre, affirme la volonté d'expérimenter
la télévision numérique de terre au cours de
l'année 1998.
Par contre, la troisième recommandation du rapport de M. Philippe
Lévrier sur la nécessité de préparer un cadre
juridique adapté, devra attendre la future loi sur l'audiovisuel.
Pourtant, dans les pays européens les plus avancés comme le
Royaume-Uni ou la Suède, c'est bien la publication des règles
d'organisation de ce nouveau média qui a déclenché les
engagements des opérateurs. Elles ont été adoptées
en juillet 1996 pour le Royaume-Uni, en avril 1997 pour la Suède ;
ils le seront cette année en Espagne.
Les enjeux
Les enjeux de la diffusion numérique de terre sont politiques,
industriels, économique. Ainsi l'ont, du reste, compris la
Grande-Bretagne et la Suède.
L'enjeu politique
porte sur le renforcement de l'offre de programmes, la
maîtrise de leur contenu, l'amélioration de la gestion des
fréquences et l'aménagement du territoire.
Un renforcement de l'offre de programmes est permis par la puissance des
traitements numériques qui autorisent quatre à
cinq programmes sur un même canal.
En outre, l'amélioration de la gestion des fréquences par la
numérisation tient au fait qu'il sera possible de
récupérer certaines bandes de fréquences actuellement
utilisées par la radiodiffusion pour les affecter à des
applications de télécommunications
civiles. Cette ressource
apparaîtra avec l'arrêt des diffusions analogiques actuelles. Les
premières réaffectations pourraient avoir lieu vers 2010. Ce
souci de valorisation du patrimoine public a été l'un des
ressorts essentiels des décisions prises par le Gouvernement en
Grande-Bretagne et par la Federal Communication Commission aux USA.
C'est un enjeu économique important, non seulement dans la
capacité de l'État à vendre le droit d'usage de ces
fréquences, mais aussi par l'activité économique qui
découlera des nouveaux services de télécommunications.
Si l'on considère que la diffusion terrestre reste le vecteur
majoritaire de distribution de programmes audiovisuels, il n'est pas imaginable
que la majorité des foyers ne puisse rapidement disposer de la
principale évolution technologique depuis l'introduction de la couleur,
il y a plus de 30 ans.
L'enjeu industriel
porte sur la conquête du marché de masse
des téléviseurs et des magnétoscopes, bien au-delà
des marchés de niche des terminaux des réceptions satellite ou
des réseaux câblés.
En intégrant quelques programmes en clair, avec la
propriété d'être immédiatement distribuée
dans tous les foyers sans pré-équipement, la
télévision numérique de terre pousse au
renouvellement
des récepteurs des 22 millions de foyers français.
Le projet britannique manifeste la même volonté et les industriels
scandinaves s'associent de façon identique pour cette conquête du
marché européen.
L'enjeu économique
porte sur la réduction des coûts
des réseaux de diffusion obtenue par le regroupement de plusieurs
programmes dans un même réseau d'émetteurs ; c'est une
économie d'échelle comparable à celle attendue de la
numérisation des diffusions satellitaires.
Cette possibilité de réduction des charges de diffusion ne sera
effective qu'à moyen terme. En effet, compte tenu de l'importance du
parc des récepteurs uniquement analogiques, un délai de l'ordre
de 10 à 15 ans sera nécessaire. Parce qu'il reste à
trouver les conditions économiques qui favoriseraient cette transition,
ce rôle pourrait revenir en partie à la puissance publique.
Il faudra cependant mettre en balance les avantages et les inconvénients
d'une telle aventure. Mais, pour une fois, la France ne partira pas la
première et n'aura pas à " essuyer les plâtres ".
D'une part, il sera nécessaire de renouveler le matériel, alors
que les opérateurs devront procéder à des investissements
venant en compétition avec la diffusion par satellite. De l'autre
, le
numérique terrestre permettra d'organiser une sorte de service universel
de radiodiffusion
, permettant à chacun, sans moyens de
réception particulier, d'accéder à la richesse des
programmations numériques.
Concentration et rationalisation du marché de l'accès Internet
en France
Le marché de l'accès à Internet passe rapidement sous la
coupe des grands opérateurs de télécommunications. Au
premier trimestre 1998, les concentrations se multiplient : Oléane,
spécialisé dans les connexions professionnelles, s'allie avec
France Télécom. Eunet, une fédération
européenne de fournisseurs (97 millions de dollars), est
désormais contrôlé par Qwest.
L'accord, qui devrait être finalisé avant l'été
1998, entre AOL-Bertelsmann et Cegetel, déjà présent sur
le marché avec Havas On Line (HOL), permet à l'opérateur
français d'être le leader du marché de l'accès
à Internet avec près de 250 000 abonnés.
Un certain nombre d'observateurs estiment que France Télécom a
retardé son engagement dans le secteur pour tenter de préserver
la rente du Minitel. Mais l'opérateur national cherche à
rattraper son retard. Il a ainsi passé, fin 1997, un accord avec
Microsoft pour reprendre la fourniture d'accès pour les abonnés
de MSN, le service Internet du géant américain qui demeure les
marchés de niche axés autour d'une profession ou d'une
communauté.
Les incidences d'Internet sur la presse écrite
La révolution numérique a permis aux journaux d'abaisser leurs
coûts, qu'il s'agisse de leurs frais de transmission ou de leurs
coûts de saisie. Internet, ce sont à la fois de nouveaux
marchés, mais c'est aussi une concurrence redoutable. Cette analyse est
surtout pertinente pour la France où la presse est financièrement
fragile, parce qu'elle se trouve prise en tenaille entre une forte
érosion de son lectorat et la baisse constante de ses parts de
marché publicitaire.
Il faut cependant prendre en compte toutes les opportunités que la
convergence offre à la presse :
-
• les journaux créent de l'information en s`appuyant sur un
réseau dense d'antennes de toute nature qui leur donne des avantages
particuliers dans la collecte d'informations locales. Cette compétence
éditoriale - cette capacité à structurer l'information sur
des thématiques ou des espaces géographiques
déterminés - est un atout qui permet à la presse quand
elle a comme aux États-Unis de solides bases financières de se
lancer sur Internet pour valoriser ce savoir-faire ;
• les journaux vendent de l'audience et ont accumulé, grâce à la réputation de qualité attachée à leur titre, une notoriété, ainsi qu'une connaissance des marchés, qui constituent un capital qu'Internet devrait leur permettre de faire fructifier.
La possibilité, pour un coût modéré, de mettre en ligne des informations spécialisées, par nature moins périssables que des informations générales, ou des petites annonces élargit le marché potentiel de la presse et vient confirmer la chance que constitue pour elle la révolution numérique.
Mais les risques ne sont pas négligeables, comme l'ont souligné les discussions qui viennent d'avoir lieu à l'occasion du 51ème congrès de l'Association mondiale des journaux (AMJ) qui s'est déroulé du 31 mai au 3 juin à Kobé au Japon.
L'une des sessions de travail a été consacrée au thème: "Visions des marchés futurs" avec, notamment, l'intervention d'un représentant de Forrester Research, une société américaine, spécialisée dans l'étude de l'impact des nouvelles technologies sur les consommateurs.
Celui-ci s'est montré très pessimiste quant aux chances qu'auraient les journaux de gagner de l'argent sur Internet dans la mesure où le jeu de la concurrence a abouti à la diminution drastique des prix sur Internet :
• le prix d'accès aux cotations boursières: de l'ordre de 400 dollars US par mois en 1989; est aujourd'hui gratuit;
• l'achat de l'Encyclopédie Britannica qui coûtait 1 600 dollars US en 1989 ne revient plus qu'à 80 dollars US en 1998, à la suite de l'arrivée sur le marché de l'encyclopédie de Microsoft, Encarta.
Le représentant de Forrester Research est sceptique sur la possibilité de développer les abonnements aux journaux sur Internet, rappelant qu'aucun quotidien américain n'est aujourd'hui payant sur Internet, à l'exception du "Wall Street Journal" qu'il place dans une catégorie à part.
En outre, il a estimé qu'avec la multiplication des sites d'annonceurs sur Internet, de nouveaux arbitrages en matière d'investissements publicitaires pourraient s'exercer au détriment des journaux. Les annonceurs sont en effet enclins à développer parallèlement les contacts avec leurs clients potentiels via la messagerie électronique. Ainsi, American Airlines a un million d'abonnés auxquels elle communique chaque semaine le détail de ses offres promotionnelles. Dans la même perspective, il est envisagé de multiplier le co-parrainage entre différents sites d'annonceurs, lorsqu'il s'agit d'entreprises commercialisant des produits complémentaires.
Mais, l'information la plus significative à été l'annonce pour les États-Unis d'une perspective de baisse de l'ordre de 30 % des revenus tirés des petites annonces :
• plusieurs sociétés mettent désormais en ligne leurs offres d'emploi sans passer par les journaux, qui ne sont plus alors un intermédiaire incontournable. Selon l'Electronic Recruiting Index 1998, on constate aux États-Unis une évolution importante des offres et demandes d'emploi sur Internet. Ainsi, les sites consacrés à l'emploi sont passés de 500 en 1995 à 3 512 en 1996 et 3 893 en 1997; la mise en ligne de curriculum vitae de 100 000 en 1995 à 500 000 en 1996 et 1 200 000 en 1997 alors que le nombre d'entreprises ayant un site "emploi" est passé de 62 en 1995 à 1 499 en 1996 et 15 765 en 1997.
• Une autre enquête a montré que :
- en matière d'immobilier, 90 % des agences immobilières vont sur Internet et 65 % sur les médias traditionnels ;
- interrogés sur leurs prévisions de dépenses publicitaires, 55 % des concessionnaires automobiles ont déclaré vouloir transférer leur budget de publicité par petites annonces des médias vers le développement de leur site. Cette intention serait également celle de 65 % des "employeurs" et 45 % des agences immobilières.
On voit donc se créer des difficultés pour la presse américaine, pourtant puissante. Elle devra trouver sa voie dans un monde caractérisé par l'information de plus en plus abondante que les consommateurs seront sans doute de plus en plus réticents à payer.
En France, la presse va devoir affronter les mêmes menaces que la presse américaine, mais sans en avoir l'assise financière. Faute d'une aide adéquate des pouvoirs publics mais aussi d'un véritable effort de rationalisation au sein de la profession, on doit craindre que la presse d'information générale, qui a su accumuler depuis des décennies un capital de savoir faire et d'expérience tout à fait remarquable, ne soit obligée, faute de moyens, de renoncer à un rôle d'acteur dans le processus de convergence des trois galaxies médias, informatique et télécoms. De ce point de vue, le Fonds de modernisation, que s'efforce de mettre en place Mme la ministre de la Culture et de la Communication, constitue sans doute une chance importante pour la presse de montrer qu'elle a la volonté de faire face aux défis de la révolution du numérique.
-
En réponse à votre rapporteur, Mme la ministre de la
Culture et de la Communication a fait le point, dans une note en date du
15 juin 1998, de la mise en oeuvre de ce dispositif : "
La
création du Fonds de modernisation de la presse quotidienne
découle de l'instauration d'une taxe sur la publicité hors
média, en application de l'article 23 de la loi de Finances. Ce
dernier a été adopté à la suite d'un amendement du
député Jean-Marie Le Guen.
La mise en recouvrement de la taxe doit démarrer le 18 juillet , les déclarations à partir desquelles seront arrêtés les montants à payer étant adressées aux entreprises en même temps que les déclarations de TVA.
Dans cette perspective, le Service de la Législation Fiscale devait arrêter avant la mi-juin l'instruction fiscale qui sera adressée aux services de la DGI, et qui les guidera dans la conduite du recouvrement .
Un premier état du produit de la taxe devrait pouvoir être effectué au début de l'automne. En tout état de cause, les difficultés inévitables d'initialisation de la procédure de recouvrement par voie déclarative, mais aussi un certain nombre d'exemptions décidées par le Parlement (catalogues de vente par correspondance, annuaires...) donnent à prévoir pour 1998 un total avoisinant 100 à 150 millions de francs, et en tout cas très éloigné des 300 millions de francs retenus en LFI 1998.
La détermination des dépenses éligibles a fait l'objet, au cours du premier quadrimestre 1998, des travaux de groupes de travail associant le SJTIC et les représentants des Fédérations d'éditeurs de publications quotidiennes ou assimilées (SPP, SPQR, SPQD, SPHR). Sur la base de ces réflexions, cinq domaines d'intervention ont pu être identifiés pour le Fonds de modernisation :
- Fabrication (prépresse, modernisation des rotatives, formation professionnelle),
- Distribution (tests de vente à la criée, diffusion électronique, diffusion par automate...),
- Modernisation des rédactions (études de faisabilité et réalisation de prototypes en vue de la diversification multimédia, numérisation des archives, utilisation d'Internet comme source documentaire, formation des journalistes...),
- Presse à l'école,
- Etudes de connaissance du lectorat.
Un comité de sélection sera constitué pour arrêter la liste des projets qui pourront être retenus.
Les gains de productivité obtenus grâce à ces projets doivent permettre, à moyen terme, de diminuer le niveau des soutiens budgétaires. En revanche, déporter dès maintenant certains dispositifs d'aides budgétaires vers le Compte d'affectation spéciale limiterait les montants consacrés au soutien à des projets de modernisation, et nuirait donc à cette logique vertueuse. "