A. LA VIOLENCE IRRÉELLE
L'époque actuelle n'a pas le monopole de la violence. Il
suffit d'ouvrir les livres d'histoire ou, simplement, de consulter les
écrits de bons chroniqueurs pour s'apercevoir que la barbarie n'est pas
propre au vingtième siècle.
Quant à cette montée devenue angoissante de la violence dans la
France d'aujourd'hui, force est de constater que l'on s'en émeut depuis
de nombreuses années. En témoignent les travaux toujours
d'actualité du
Comité d'études sur la violence
présidé par M. Alain Peyrefitte, publiés en 1977 sous
le titre "
Réponses à la violence
".
Parce qu'elle doit informer, elle donne chaque jour le spectacle des drames
et des cruautés qui se déchaînent à travers le
monde, et l'on ne peut pas dire qu'elle le fasse toujours avec
sobriété. Mais, parce qu'elle doit distraire, elle y ajoute, avec
plus d'abondance encore, les spectacles de la violence imaginaire, qui est le
sujet favori des films et des oeuvres de fiction. Or, elle touche tous les
publics : enfants, adolescents, adultes et les fascine tous. C'est surtout
par elle que nous avons l'impression de vivre dans un climat changé et
d'assister à une dégradation irrésistible de la
civilisation. Une telle vision du monde peut-elle, à la longue, rester
sans effet ?
Si la question a été soulevée plus tôt aux
États-Unis qu'en France, cela peut s'expliquer par les
différences dans les systèmes médiatiques des deux pays.
Aux États-Unis, l'industrie audiovisuelle est ancienne et
puissante ; son statut juridique et commercial lui permet de jouir d'une
grande liberté d'action, mais en même temps elle connaît une
compétition intense. Au contraire, la France n'a compté que trois
chaînes de télévision jusqu'en 1984, qui étaient de
surcroît contrôlées par les pouvoirs publics.
On peut
avancer que c'est la libéralisation des ondes qui, en entraînant
une course à l'audience entre les chaînes, a provoqué une
montée de la violence à la télévision.
En second lieu, le débat américain s'est, depuis l'origine,
nourri des travaux effectués par la recherche en sciences sociales.
Enfin, les États-Unis ont un rapport particulier avec la violence car
elle fait partie des valeurs collectives plus ou moins conscientes sur
lesquelles le pays s'est construit. En effet, les États-Unis sont un
pays jeune, composé d'immigrés, qui ont dû combattre sans
arrêt pendant des siècles avant de devenir la première
puissance mondiale. A l'intérieur même du pays, c'est au prix de
la plus grande violence que s'est faite la conquête de l'Ouest et que
naquit le mythe de la frontière. C'est pourquoi il est permis de penser
que la présentation de la violence au cinéma et à la
télévision remplit une fonction de la société
américaine encore proche de ses origines. Que cette violence primitive,
mais fondatrice et positive, qui accompagne tout début d'organisation
sociale, ait pu se muer, lors des deux dernières décennies, en
une violence gratuite, destructrice et purement jubilatoire semble offrir le
signe d'une société dont les valeurs sont perverties et où
pourrait bien l'emporter l'instinct de mort.