1. La libéralisation du secteur de l'audiovisuel impose une régulation économique

L'espace audiovisuel est désormais sans frontières. Le nombre des acteurs s'est multiplié. Il leur faut des règles du jeu et donc un arbitre. Le cadre législatif et réglementaire est, quant à lui, souvent dépassé.

Plus un marché est concurrentiel, plus il faut veiller à maintenir l'équilibre des forces entre les différents acteurs tout en tenant compte de l'intérêt des téléspectateurs, plus il faut accorder de place à la régulation économique : surveillance des concentrations, élimination des abus de position dominante.

On doit noter que cette régulation économique a également un volet dynamique : " favoriser la diversité des opérateurs et des producteurs ". Le maintien de cette diversité ne peut résulter que d'une politique volontariste, qui évite difficilement la critique.


La pression des forces économiques a constamment tendu à favoriser un fonctionnement de type libéral le plus souvent en avance sur des textes devenus bien souvent inapplicables.

La tâche de l'arbitre, en l'occurrence le Conseil supérieur de l'audiovisuel, est devenue délicate, l'obligeant à " naviguer à vue ".

Pour s'en convaincre, il suffit de prendre deux exemples, qui illustrent la complexité de l'art de la régulation économique, afin :

- de trouver un équilibre entre forces économiques et intérêts contraires, voire contradictoires,

- de comprendre la nécessité dans laquelle le législateur s'est trouvé dans certains cas de s'adapter à la réalité du marché.

Le cas de la radio

Face à la montée en puissance des radios commerciales en réseau, le législateur est intervenu en modifiant sensiblement la régulation du paysage radiophonique. Il a assoupli le dispositif anti-concentration 11( * ) ; il s'est efforcé de mettre en place un dispositif de financement public des radios privées non commerciales 12( * ) ; enfin, il a instauré des quotas de chansons françaises 13( * ) .

Mais la volonté des opérateurs à poursuivre le mouvement de concentration a rendu plus importantes les difficultés d'application de la loi de 1994, puisque le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait, à cette époque, déjà attribué la quasi-totalité des fréquences disponibles.

Les réseaux se trouvaient donc confrontés à une situation paradoxale : ils pouvaient juridiquement se développer mais au prix de quelques accommodements avec le droit ou avec la politique radiophonique de l'instance de régulation.

Dans ce contexte, la prise de conscience d'une relative pénurie de fréquences a exacerbé les conflits. Cette situation a entraîné un véritable marché noir des fréquences radiophoniques , que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne fut pas en mesure d'empêcher 14( * ) .

Une autorisation d'émettre, délivrée gratuitement à l'origine, pouvait, paraît-il, se négocier en sous-main entre 500 000 francs et 5 millions de francs, le " prix de marché " étant de 6 francs environ par auditeur.

Dans ces conditions, une remise en ordre apparaissait indispensable ; elle est en cours à la suite du lancement par le Conseil supérieur de l'audiovisuel d'une procédure d'audit de la bande MF.

Le cas de la télévision
Cette interaction entre pratique et réglementation se retrouve dans le secteur de la télévision.

Sous la pression des faits, la réglementation classique constituée de règles stables a eu tendance à se transformer en régulation, gestion souple sur la base de principes simples, tenant compte des cas d'espèce au risque, il est vrai, de susciter quelques contestations.

Prenons un exemple des difficultés d'arbitrage qui incombe au Conseil supérieur de l'audiovisuel.

En 1987, le groupe acquéreur de TF1 s'était - au titre du mieux disant culturel - engagé à limiter à 4 minutes la durée moyenne de coupure publicitaire au milieu des films, la directive Télévision Sans Frontières imposant seulement un plafond de 9 minutes en moyenne. Pour sa part, M6 avait choisi de porter cette coupure à 6 minutes.

La délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 31 juillet 1996 a validé la décision de TF1 d'abandonner son engagement initialement pris en 1987. Cette chaîne a pu alors s'aligner sur M6, ce qui fut vivement critiqué par la presse.

En effet, même si cet aménagement du régime publicitaire n'affecte ni le volume global, ni la durée quotidienne, ni la durée totale, ni la durée maximum, ni le nombre de coupures qui sont fixés par la loi et des décrets en Conseil d'État, les ressources publicitaires de TF1 ont augmenté. Mais un autre projet du Conseil supérieur de l'audiovisuel, relatif au régime de diffusion des films, risque de provoquer des remous.

L'autorité de régulation a, en effet, décidé le 29 janvier 1998 (communiqué n° 357) de donner une réponse favorable à Canal +, qui demandait un réaménagement de son régime de diffusion le vendredi soir. Cette autorisation fait suite à l'accord passé par cette chaîne avec un organisme professionnel, le BLIC (Bureau de Liaison des Industries Cinématographiques), aux termes duquel la chaîne pourrait diffuser, le vendredi à partir de 21 heures, des films n'ayant pas réalisé plus d'un million d'entrées.

En définitive, il est clair que, désormais, les réglementations deviennent rapidement obsolètes par suite de l'évolution soit du marché, soit des technologies. Les opérateurs concernés sont trop peu nombreux, les cas particuliers trop présents et trop proches des décideurs pour que la notion même de réglementation, c'est-à-dire de règles impersonnelles indépendantes des personnes et des circonstances, soit véritablement possible.

Pour M. Hervé Bourges, Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, " il faut substituer la régulation souple et rapide, à la réglementation, par nature plus rigide, moins évolutive . "

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page