3.2 Une cogestion du système d'aides à la commande par les constructeurs et les pouvoirs publics
3.2.1 La procédure d'attribution pour le constructeur
Les armateurs attendent que le chantier demande des aides. Celles-ci sont aléatoires, aussi bien sur leur délai que sur leur montant. Ils consultent constamment les chantiers susceptibles de construire le ou les navires qu'ils ont en projet. Ces consultations peuvent durer plusieurs mois, voire plusieurs années, toutes ne se concrétisant pas.
Dans un premier temps, les armateurs demandent des études de prix sommaires. Ensuite, les projets devenant un peu plus précis, ils demandent le prix de bateaux avec des spécifications précises. La réponse du chantier a un coût : de l'ordre de 10 MF.
Dans ces deux cas, les chantiers sont conduits à répondre à ces consultations en donnant le plus souvent des indications de niveau de prix qui prennent en compte l'aide susceptible d'être attribuée, sans que la puissance publique ne soit engagée. En France, les chantiers informent régulièrement les services du Ministère de l'Industrie de ces offres. Ce dialogue permanent et très en amont permet aux chantiers d'estimer approximativement le niveau d'aide qu'ils recevront.
Puis l'armateur demande une offre de prix dans une consultation formelle. Le constructeur doit alors négocier avec l'État l'aide et le financement.
La plupart du temps, le contrat est signé entre l'armateur et le chantier après fixation de l'aide. Dans une minorité de cas, les constructeurs passent des contrats optionnels avec les armateurs. Les contrats comportent une clause d'annulation liée à l'obtention de l'aide.
Par ailleurs, le nombre de contrats est très faible. Un très gros chantier comme celui de l'Atlantique produit une vingtaine d'étude de prix par an, une dizaine de réponses à la demande de prix d'un bateau avec des spécifications précises, et deux à trois consultations formelles. Le nombre de contrats effectivement signés est encore plus réduit. Par exemple, pour les Chantiers de l'Atlantique le nombre de contrats de paquebot décrochés de 1985 à nos jours est de huit. Toutes catégories confondues, le nombre est de cinq, depuis fin 1994.
3.2.2 La procédure d'attribution vue des pouvoirs publics
Lorsque le chantier reçoit une consultation qui présente de fortes probabilités d'aboutir à un contrat ferme et à une date favorable, il adresse au Ministère de l'Industrie une demande formelle d'aide.
Après analyse du coût de revient prévisionnel fourni par le chantier, le Ministère de l'Industrie détermine le montant de l'aide. Cette attribution permet aux chantiers français de vendre au prix du marché un navire construit au coût français dans la limite des 9 %. Le Ministère de l'Industrie consulte alors le Ministère en charge du Budget.
Depuis 1985, pour les grands chantiers, chaque opération fait l'objet systématiquement d'un arbitrage du Premier ministre. À chaque fois, l'alternative est présentée comme radicale ou dramatique : va-t-on ou non fermer le chantier ? Le Ministère du Budget est systématiquement contre les aides. Le montant du ministère de l'Industrie est la plupart du temps retenu, mais est parfois diminué. L'importance de l'enjeu étant bien comprise, les délais dans la prise de décision sont faibles (inférieurs à la quinzaine de jours).
Le Ministère de l'Industrie connaît à la fois les prix de marché des navires et les coûts de construction en France. Ils peuvent ainsi déterminer le niveau d'aide. Ensuite, le nombre de décisions est très limité. Par ailleurs la quasi-totalité de l'attribution de l'aide se concentre sur 5 chantiers, 80 % sur les chantiers de l'Atlantique 15 % sur Le Havre et 5 % principalement sur Leroux et Lotz, CMN et Piriou. Le dispositif ne correspond donc pas à une gestion de procédure mise en oeuvre par un service d'allocation (comme c'est le cas pour les aides aux PMI).
3.2.3 Un système proche de la cogestion
Le système est en fait proche d'une cogestion : peu d'acteurs, peu d'aides, des montants très importants. Il reste que, lors de la fixation de l'aide, le Ministère de l'Industrie s'assure de l'amélioration de la productivité du chantier. Ainsi, dans le cas des Chantiers de l'Atlantique, principal bénéficiaire de l'aide, l'amélioration de productivité a fait l'objet d'un engagement informel de la direction du chantier. Le ministère de l'Industrie reçoit des éléments de gestion et des indicateurs de productivité. Ainsi les gains de productivité étaient de 3 % aux chantiers de l'Atlantique de 1987 à 1994. Ils sont depuis effectivement de 6 %.
D'un côté, le système d'octroi de l'aide est particulièrement souple. Il a le mérite de laisser l'initiative de la démarche commerciale aux chantiers. C'est lors de la négociation des termes du contrat que le Ministère de l'Industrie intervient pour fixer, dans la limite des 9 %, le niveau de l'aide. L'aide publique permet d'assurer une part significative de la valeur ajoutée de ce secteur, mais elle ne permet pas de codéfinir très significativement les options stratégiques. Aucune relation contractuelle ne lie l'État et les entreprises au-delà de la construction des navires. Les accords en termes de gains de productivité ne sont qu'informels.
Comme le montre la description de la procédure et comme le rappellent plusieurs acteurs, les pouvoirs publics ne définissent le niveau de l'aide que très tardivement dans la négociation du contrat. Toutefois, il ne semble pas que des contrats aient été perdus de ce fait. Lorsque la décision arrive après la fin de l'option, dans les faits, le contrat ou l'option a toujours été prolongé du délai nécessaire.
Il ne semble pas évident que l'accélération de la prise de décision changerait radicalement les données du problème.