1.2 Des mécanismes d'aide très différents d'un pays à l'autre
Une étude de la Chambre syndicale des constructeurs américains révèle -sans, bien entendu, évoquer le cas américain - que la politique d'aide au secteur est très contrastée suivant les pays ( ( * )12) . La Corée a la particularité de ne pas recourir aux aides directes à la commande, mais plutôt aux aides au financement. Elle est aussi le seul pays à pratiquer les abandons de créances à grande échelle, dont le coût est assumé par l'État. Les chantiers navals coréens sont en effet régulièrement en dépôt de bilan. Par exemple, les chantiers Daewoo ont été renfloués de 750 millions de dollars en 1990. Le Japon a la particularité d'aider majoritairement ses chantiers par des aides à la recherche et au développement. À l'opposé, les pays européens aident leurs chantiers presque uniquement par les aides directes aux constructeurs ou par l'octroi de prêts bonifiés.
Dispositif d'aides à la construction navale
Moyenne annuelle de 1988 à 1993, en millions de dollars courants
Aides directes à la construction navale |
Encours total des contrats bonifiés par l'administration du pays |
Abandons de créances dont le coût est assumé par l'État |
Aides à la R&D |
|
Corée du Sud |
0 |
1 800 |
595 |
0 |
Allemagne |
816 |
1 500 |
0 |
0 |
Japon |
85 |
818 |
0 |
1 000 |
Italie |
359 |
557 |
0 |
24 |
Espagne |
592 |
306 |
0 |
0 |
France |
232 |
399 |
0 |
3 |
Source : Shipbuilders Council of America
Le rapport Thiesen (1995) donne des indications sur le niveau des aides par contrats. Il s'est attaché à déterminer les niveaux d'aides maximaux à la construction navale dans les principaux pays européens, en distinguant les aides directes liées à l'exploitation des constructeurs et les aides indirectes liées au financement de l'achat des navires exportés ou non ( ( * )13) .
Niveaux d'aide directe et d'aide financière exprimés en pourcentage du coût des
navires suivant les législations des pays en 1994
Pourcentage du coût du navire |
Allemagne |
Danemark |
Espagne |
France |
Royaume -Uni |
États-Unis |
Aides directes |
8 % |
8,1 % |
7,4 % |
9 % |
9 % |
0 |
Aides financières dont |
6,5 % |
20,6 % |
22,3 % |
4,4 % |
6,9 % |
21,6 % |
|
5,7 % |
9,2 % |
11,7 % |
2,3 % |
1,7 % |
15,8 % |
|
0,8 % |
11,4 % |
10,6 % |
2,1 % |
5,2 % |
15,8 % |
Aide totale |
14,5 % |
28,7 % |
29,7 % |
13,4 % |
15,9 % |
21,6 % |
Source : Rapport Theisen Securities
Les subventions directes sont les aides relatives aux coûts de production. Elles sont similaires d'un pays européen à l'autre. Elles représentent entre 7,4 % et 9 % du coût des navires en France, au Royaume-Uni, au Danemark, en Allemagne ou en Espagne. Les États-Unis n'utilisent pas cet instrument.
Les aides de nature financière sont peu importantes pour la France : 4,4 %, contre 6,5 % pour l'Allemagne, 22,3 % pour l'Espagne et 20,6 % pour le Danemark ( ( * )14) . Le système d'aide américain repose essentiellement sur les aides financières, à un haut niveau de 21,6 %, dans le cadre du dispositif connu sous l'appellation de Titre XI.
Les aides financières se divisent en deux composantes :
- composante « structure/prime de risque » : il s'agit pour le bénéficiaire d'un financement d'État plus avantageux que ce qui peut être obtenu sur des bases purement commerciales. On entend par structure le montage financier utilisé ( ( * )15) (durée d'amortissement, rendement, conditions de paiements etc.). La prime de risque est le surcoût lié à l'incertitude ;
- composante « taux d'intérêt/monnaie » : il s'agit du bénéfice pour l'utilisateur d'un financement d'État, réalisé grâce au différentiel entre le taux d'intérêt proposé sur une monnaie déterminée et les taux de marché.
Le Danemark et l'Espagne connaissent des risques de change élevés. La composante « taux d'intérêt/monnaie » est importante pour leurs constructeurs. Certains pays proposent des structures de financement très avantageuses : c'est le cas des États-Unis et de l'Espagne.
La construction navale française se trouve donc être, en 1994, une des moins aidées au monde. En outre, comme le montre le tableau suivant, elle possède un système d'aide qui repose essentiellement sur les aides directes visibles, qui vont être remises en cause par l'éventuelle ratification de l'accord de l'OCDE ( ( * )16) . Elle se situe donc au coeur de la cible de cet accord.
Répartition de l'aide entre aide directe et aide financière
suivant les législations des pays en 1994
Allemagne |
Danemark |
Espagne |
France |
Royaume-Uni |
États-Unis |
|
Aides directes |
55 |
28 |
25 |
67 |
57 |
0 |
Aides financières |
45 |
72 |
75 |
33 |
43 |
100 |
Source : Rapport Theisen Securities - calculs G.G.P
La France a donc un des dispositifs d'aide les moins généreux et parmi les plus vulnérables. Par ailleurs, nos concurrents européens et américains ont développé des systèmes complexes d'aides au financement, qui leur ont permis de s'affranchir du passage par les aides directes à la construction navale (fortement encadrées par la septième directive européennes, depuis 1989).
* (12) Le Shipbuilders Council of America est un organisme proche des constructeurs américains. Il participe à l'élaboration des lois dans ce domaine. Il défend notamment le système de prêts bonifiés américains « Titre XI ». Par ailleurs, au nom des constructeurs il a porté plainte auprès de l'Administration contre les pays aidant leur construction navale (sous le couvert de la section 301 de la loi du commerce 1974) pour pratiques déloyales.
* (13) Il convient de souligner que les chiffres figurant dans ce tableau (aide rapportée à la valeur contractuelle des navires) ne correspondent pas aux intensités d aide exprimées en part de l'aide dans la valeur ajoutée du secteur.
* (14) Les emprunts de première hypothèque sont généralement insuffisants pour assurer à l'armateur les moyens de financement nécessaires à l'achat d'un navire (d'environ 20 %). Au Danemark, en Allemagne les institutions étatiques pourvoient dès lors des fonds permettant de combler ce besoin de financement. Le Danemark assure cette aide complémentaire grâce au Danske Skipskredit Fund d'État (80 % des 20 % complémentaires) et aux banques commerciales. En Allemagne il vient des Länder (100 % des 20 % complémentaires).
* (15) L'échéancier est un facteur important dans l'avantage comparatif des conditions d'emprunt entre un système public et un système bancaire commercial. Un État peut plus facilement supporter l'échelonnement d'une dette sur une durée de 12 années, ce qui permet de procéder à une péréquation entre la durée d'exploitation moyenne et son financement.
* (16) Cf. annexe I.