Audition de Jean-Manuel BOURGOIS
Directeur Général des Editions
MAGNARD-VUIBERT
Groupe ALBIN-MICHEL
Résumé : C'est l'édition spécialisée (clientèle juridique, médicale) qui, pour l'instant a le plus été changée par le développement de l'édition électronique ;pour le reste, il y a une très grande différence entre le discours et la réalité : on s'en tient à des opérations-pilotes ; Pourquoi ? parce que, pour l'édition scolaire proprement dite, les nouvelles technologies, qui recèlent des avantages certains (meilleur emploi de l'image que dans un livre, possibilité de faire du remedial), présentent de nombreux inconvénients dont le premier est le coût (qualité des outils ; coût de développement) ; autres inconvénients : la formation à ces nouvelles technologies. Il y a un blocage de générations, les maîtres étant souvent décalés par rapport à leurs élèves, nés avec la révolution informatique et opérationnels ; il faudrait imaginer des formules permettant aux seconds de former les premiers, utilement. D'une façon générale, l'édition électronique scolaire est girondine et on ne peut pas l'attaquer par des moyens jacobins : l'essentiel de l'effort d'adaptation de l'Education Nationale consiste à convaincre les maîtres que ces nouvelles technologies sont nécessaires ;
1.
Je dirige les activités scolaires du
groupe ALBIN-MICHEL
: notre activité essentielle est le
livre, mais nous offrons aussi des produits para-scolaires, d'assistance
à la maison, sur des supports CD-ROM ;
Le secteur qui, pour l'instant, a été le plus modifié par
l'édition électronique
est celui de l'édition
spécialisée : celle liée aux livres et
périodiques s'adressant à une clientèle comme la
clientèle juridique, la clientèle médicale, la
clientèle financière ; ces éditions sont toutes
extrêmement focalisées et pointues ;
Pour le reste, honnêtement,
il y a une très grande
différence entre le discours et la réalité
: il
se passe beaucoup de choses mais il s'agit généralement
d'opérations de développement, d'opérations-pilotes ;
pourquoi ? parce que, dans l'édition scolaire, les nouvelles
technologies ont certes des
avantages
mais également de gros
inconvénients
:
Les avantages : il s'agit d'abord d'un bien meilleur emploi de l'image que
dans le livre ; dans ce dernier, l'image est " gelée ",
pas très facile à manier ; il s'agit ensuite des moyens de
contrôle continu des connaissances, de paramétrage :
l'utilisateur des nouvelles technologies peut beaucoup mieux suivre et se
placer par rapport à la norme immédiatement supérieure et,
au-delà, faire des rattrapage, faire du remedial ; il y a une
souplesse, dans l'édition électronique scolaire, tout à
fait remarquable ;
Les inconvénients : il y a d'abord le coût : le
coût lié à la qualité des outils, et le coût
de développement, qui est très important ; il y a ensuite,
problème spécifiquement français, la lourdeurs des
investissements nécessaires, qui ne sont pas toujours faits, et qui
aboutit à la situation suivante : dans les annéesqui
viennent, le principal éditeur scolaire sera peut - être
MICROSOFT.
Et ceci pose d'autres problèmes, de normes de globalisation par
exemple ;
2.
Il y a encore un autre problème, celui de
la formation
à ces nouvelles technologies
: en France, j'ai pu constater
la lourdeur et la lenteur du passage à une nouvelle technique
d'enseignement ! il y a un
blocage de
générations
; c'est LE problème au niveau des
enseignants : les structures de formation que je vois se mettre en place
ne me paraissent pas adaptées : elles sont trop pyramidales :
pour employer une image, on veut faire travailler des
cuirassés
alors que l'édition électronique exige des moyens de
corsaires
; c'est une information de
" guérilla ",
avec des chemins de liberté, éclatés et qui se prête
mal à des plans directifs, à des actions
centralisées ; l'édition électronique scolaire est
girondine
et on ne peut pas l'attaquer par des moyens
jacobins
;
Autre
handicap
pour l'école : les nouvelles technologies
sont des moyens de désocialisation : devant un écran, le
dialogue se fait d'une façon totalement différente de ce qu'a
été jusqu'à maintenant la vie à l'école, qui
sont les enfants, la discussion, l'ouverture. Face à un écran, on
est frappé par le silence des enfants, c'est quelque chose
d' "
Orwellien
" : on est en présence d'un
Maître qui est devenu une sorte de super-contrôleur...
3.
Quelles solutions ?
On pourrait imaginer une
formule de monitorat
aboutissant à inverser une partie des
rôles dévolus aux élèves et aux enseignants :
les premiers, nés avec la révolution informatique et beaucoup
plus compétents et opérationnels, formeraient les seconds,
étrangers à ce monde nouveau qui a émergé ;
cela poserait des problèmes de hiérarchie, mais il faudrait
étudier cette formule ; il y en a une autre : faire venir dans
les écoles des formateurs de l'extérieur : ils viendraient
disons une heure par jour dans l'établissement le plus proche de leur
domicile pour aider les élèves et les enseignants à se
mettre sur leurs machines.
Il faut, pour employer une autre image, que cette grande maison qu'est
l'Education Nationale apprenne à
faire du judo
,
c'est-à-dire à tomber avec l'adversaire, sinon quoi la relation
enseignant-élève risque d'être sérieusement mise
à mal, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer ;
mais, face à une situation nouvelle, il faut trouver une solution et
établir de nouveaux liens au sein de ce monde ;
l'essentiel
est de convaincre le maître et non de le contraindre ;