4. Le mirage de la filière électronique
Publié au printemps 1982, le "
rapport
Farnoux
"
est à l'origine d'un très ambitieux programme baptisé PAFE
(Programme d'Action pour la Filière Electronique).
Parmi les onze branches concernées figure l'informatique pour laquelle
on recommande tout à la fois la poursuite de l'effort concernant les
systèmes moyens, le lancement d'un grand ordinateur scientifique, la
production de masse de micro-ordinateurs et le développement de
"
briques de base
" (modules standardisés utilisant notamment les
mêmes puces) pour la mini-informatique.
Les dépenses correspondantes sont estimées à 140 milliards
de francs sur cinq ans, somme faramineuse, mais on s'aperçoit qu'il
s'agit d'un amalgame, budgétairement hétérodoxe, de
dépenses hétérogènes (fonctionnement et
investissement, mesures nouvelles et acquises ; budgets civils et militaires,
publics et privés, budget annexe des PTT, etc.).
Sept projets nationaux censés provoquer un saut technologique et
associer étroitement les industriels aux laboratoires publics sont
lancés immédiatement. Mais il s'agit, en fait, d'un cocktail
composite, allant de la traduction assistée par ordinateur aux
"
briques de base
" pour mini machines mentionnées ci-dessus.
Finalement, les résultats de ce vaste programme, qui ambitionnait de
faire de la France "
la troisième puissance technologique de l'an
2000
", juste derrière les Etats-Unis et le Japon, s'avèrent
très décevants. Presque tous les objectifs solennellement
affichés n'ont pu être atteints. L'accroissement des budgets de
recherche concernés est, au total, très limité. Dans le
budget de l'Industrie, l'électronique continue de passer après
les houillères nationales, en ce qui concerne les subventions, et de
venir après les chantiers navals, la sidérurgie et Renault,
s'agissant des dotations en capital.
A l'examen, deux erreurs d'appréciation majeures expliquent ces
déconvenues.
La première est illustrée par l'absorption par Bull, à
l'automne 1982, des filiales informatiques de Thomson et de la CGE. Elle
consiste à tout miser sur un "
champion national
", fabriqué
artificiellement par une sorte de mécano industriel dirigiste, à
l'inverse de la politique suivie,alors,avec succès par le Japon.
La deuxième erreur, quant à elle, consiste à pécher
par excès d'orgueil en croyant que nous avons les moyens de
maîtriser, à travers le budget de l'Etat, tous les
éléments de la filière électronique dans son
ensemble.
Depuis trente ans, fait observer Jean-Pierre Brulé dans
L'Informatique malade de l'Etat
, les plus brillants succès ont
été remportés par des sociétés qui se sont
spécialisées dans des créneaux, qu'il s'agisse des mini
(DEC), des micros (Apple) et de leurs logiciels (Microsoft) ou des machines
géantes (Cray). Nous parlerions aujourd'hui de Sun, Compaq et toujours,
bien entendu le binôme Wintel (Microsoft et Intel).
A l'inverse, les constructeurs généralistes américains et
européens n'ont cessé de perdre du terrain. Seul NEC, parmi ces
derniers, se prévaut encore de la triple intégration
communications-ordinateurs-composants, même si, chez plusieurs d'entre
eux comme IBM, les composants épaulent l'informatique.
Les sociétés françaises qui ont le mieux réussi ont
prospéré, sans l'aide de l'Etat, dans des créneaux
qu'elles ont elles-mêmes trouvé, se trouvent essentiellement dans
le logiciel (Business Object...), les services (Cap Gemini...) ou les cartes
à puce (Gemplus...).
Malgré des actions maladroites de soutien de l'Etat aux créateurs
français de progiciels (point faible de notre pays),la France est aussi
absente de ce secteur stratégique puisque l'industrie des logiciels
universels pour micros est aujourd'hui exclusivement américaine.
Parmi les succès rencontrés dans ce domaine, il convient de
mentionner celui de Borland, société californienne fondée
dans les années 80 par un universitaire français, Philippe Kahn.
"
S'il avait trouvé en France
- s'interroge J.-P. Brulé -
au lieu des coquecigrues de la filière électronique, un
terrain plus stimulant, plus fertile sur les plans économique et
culturel, n'y aurait-il pas fondé son entreprise ?
".
On ne demande pas à l'Etat de choisir les créneaux ni les
stratégies, conclut-il. "
On se satisferait bien qu'il crée les
conditions de leur éclosion
". En d'autres termes, une aide
intelligente de l'Etat consiste à "
amender
" le terrain des
créateurs d'entreprises.