B) LA NECESSITE URGENTE ET ABSOLUE D'UN RATTRAPAGE
La priorité des priorités ? Elle s'impose comme une évidence. Il s'agit de permettre à tous les Français d'acquérir de nouveaux savoirs.

En d'autres termes, le partage et la diffusion du savoir, d'une part, et l'innovation, d'autre part, doivent être mis au premier rang de nos objectifs, en urgence aussi bien qu'en importance, pour rattraper notre retard.

Négliger cette priorité pourrait avoir des conséquences gravissimes.

Les facteurs de blocage, tout d'abord, qui sont à l'origine de nos lenteurs, risqueraient de s'aggraver, ce qui rendrait tout rattrapage plus difficile encore.

Ne pas remettre en cause les organisations pyramidales, les modes autoritaires d'exercice des responsabilités, les conceptions exclusivement hiérarchiques des relations professionnelles et de l'accès au savoir, cela ne pourrait qu'accentuer la crise du pouvoir évoquée plus haut, le malaise entre gouvernants et gouvernés, et, en définitive, les problèmes de communication dans notre société.

La dureté, sans équivalent en Europe, de nos conflits sociaux (comme ceux, dans ces dernières années de la SNCF ou du secteur des transports routiers), le divorce entre la base et les syndicats qui les accompagne parfois, la compréhension témoignée, à l'occasion, aux grévistes, par une population pourtant prise en otage, tout cela témoigne d'un profond désarroi.

Le récent mouvement des chômeurs a plus encore mis en évidence le caractère, dorénavant imprévisible et même irrationnel, du comportement des français face à la crise.

Le contournement des circuits hiérarchiques par l'établissement, en parallèle, de réseaux informels constitue également une illustration de l'obsolescence qui frappe les schémas relationnels traditionnels.

" La technologie informatique mine les citadelles monopolistiques du savoir dans leur fondements " a écrit Alvin Toffler, qui, dès 1990, constatait que " l'information commence à abandonner les canaux officiels pour s'écouler par des réseaux informels ".

Ne pas comprendre cette mutation, ne pas ajuster en conséquence la façon d'organiser nos activités, l'accès à l'information et au savoir ainsi que l'exercice du pouvoir, c'est risquer de multiplier des conflits stériles et archaïques, de gaspiller notre énergie et d'aggraver, en fin de compte, nos blocages et notre retard.

Les inégalités dans l'accès primordial au savoir, que l'éducation et la formation doivent s'efforcer de combler, présentent également le danger de distendre le lien social et d'ouvrir davantage encore les fractures déjà existantes.

Or, cela serait d'autant plus regrettable que les nouvelles techniques d'information et de communication peuvent précisément offrir des moyens susceptibles de s'attaquer à ces maux.

La communication et la circulation de l'information sont, en effet, et cela dans l'entreprise comme dans la société considérée dans son ensemble, un facteur de fluidité .

La structuration des données brutes, d'abord en informations élaborées, puis en nouveaux savoirs, est, en outre, un élément de compétitivité décisif.

Car "tous les systèmes économiques, comme l'a démontré Toffler, reposent sur une base de savoir, devenue la ressource la plus importante".

Mais ce qui importe le plus, en la matière, c'est un facteur qu'un mot résume : " organisation ".

Les systèmes de savoir ont été bouleversés par l'avènement des ordinateurs personnels mis en réseau, la cause est entendue. De sorte que, nécessité s'impose, les entreprises et les administrations procèdent à une restructuration en profondeur, notamment en ce qui concerne l'acquisition du savoir et l'ensemble du système de pouvoir fondé sur elle.

Car les réseaux sont le système nerveux de notre société. " C'est comme si - soutient Toffler - on avait ajouté un cortex cérébral à un organisme qui n'en avait jamais eu ". On est passé ainsi, selon lui, d'un concept d'entreprises " machines " à celui d'entreprises, créatures vivantes.

Peut-on imaginer que notre pays, non seulement dans ses entreprises mais aussi dans ses administrations et ses établissements d'enseignement et de formation, bref tout ce qui constitue son corps social, tarde à se doter d'un système aussi important et à y relier tous ses organes ?

Le savoir tend ainsi à s'organiser en structures relationnelles. Dès lors, ce n'est pas seulement son acquisition et sa possession qui comptent, mais aussi, et surtout, ses modalités d'échange.

Toffler l'a fait valoir : la position concurrentielle des entreprises ne dépend plus seulement de leurs ressources internes, mais de leurs relations extérieures. Le " qui connaissez-vous ? " - souligne-t-il- importe autant que le " que savez-vous " ?.

On sent que pour lui le savoir, en perpétuel et rapide renouvellement, est fait pour être échangé, et non pour rester captif ou monopolisé. Il est de toute façon inépuisable, et sa mobilité, tout comme la rapidité de sa création sont primordiales.

" L'innovateur, qui associe le savoir imaginatif et l'aptitude à l'action, est le héros de notre temps ", proclame-t-il avec une certaine emphase, certes, mais non dénuée de vérité ; ajoutant que les produits d'activités créatrices jouent un rôle de plus en plus déterminant dans toutes les économies technologiquement avancées.

C'est la raison pour laquelle j'insiste sur l'élargissement à tous les Français de l'accès aux savoirs.

Tout retard dans l'acquisition de nouveaux savoirs, qui doivent permettre de produire de nouvelles connaissances aurait des conséquences dramatiques pour notre pays.

En effet, toujours selon Toffler, le temps devient lui-même un facteur important de création de valeur ajoutée et de compétitivité.

Il importe donc, non seulement d'innover, certes, mais aussi d'innover plus rapidement que nos concurrents dans le nouveau système accéléré de production de richesses.

En effet, aux anciennes inégalités entre riches et pauvres risquent de s'en substituer de nouvelles, désormais fondées sur le niveau de maîtrise des technologies et des connaissances, opposant dès lors les rapides aux lents.

" Le temps, raccourci par le savoir, devient un facteur de production de plus en plus décisif - répète Alvin Toffler -. Etre écarté de la nouvelle économie rapide revient à être exclus de l'avenir ".

Il ne faut cependant pas confondre la vitesse de la circulation de l'information ou de la valorisation du savoir avec celle de son élaboration.

En effet, tandis que la durée de vie des produits se raccourcit chaque jour davantage et que s'accélère dans le même temps la création de richesses, les délais nécessaires pour prendre de l'avance dans la recherche, note Toffler, tendent de leur côté à s'allonger.

Raison de plus pour ne pas se laisser distancer dans l'acquisition de nouveaux savoirs liés aux techniques d'information et de communication, car tout retard peut avoir, dans ce domaine, des effets cumulatifs désastreux, susceptibles de contrarier d'éventuels efforts ultérieurs de rattrapage.

Par ailleurs, les échanges intellectuels à travers les réseaux stimulent la créativité des chercheurs et l'utilisation des outils informatiques leur est indispensable.

Les positions de notre pays en matière de recherche fondamentale sont, on l'a dit, plus qu'honorables, même si elles sont plus fragiles dans le domaine de la R&D où nous sommes parfois lents à concrétiser nos idées.

Dans le domaine des technologies de l'information, la quasi inexistence (Siemens Nixdorf mis à part) d'une micro-informatique européenne est un handicap. De plus en plus d'applications sont en effet intégrées aux logiciels d'exploitation ou, du moins, en sont étroitement dépendantes. Il ne nous reste plus que des " niches " à exploiter.

L'essor d'Internet offre cependant de réelles opportunités en matière de création de logiciels. Il faut se hâter de les saisir.

Concernant les semi-conducteurs, le multimédia peut également procurer à des " outsiders " de réelles occasions de développer de nouveaux produits (avec la nécessité de mettre au point des " média processeurs "). Cependant, il n'est pas aisé de compenser l'avantage que procure à des entreprises comme Microsoft ou Intel , le capital d'expériences qu'elles ont accumulé en matière de logiciels ou de microprocesseurs.

Le retard qu'il est urgent que nous rattrapions ne concerne donc pas, soulignons-le une fois encore, le niveau de connaissances et de savoir, ni les capacités d'expertise de nos élites.

Il s'agit plus fondamentalement :

- de développer, chez tous les Français, les savoirs leur permettant de transformer en connaissances les informations dont les réseaux risquent de les inonder ;

- de favoriser l'acquisition de savoirs nouveaux , autrement dit la recherche, sa diffusion et sa valorisation à travers l'innovation.

Il en va de notre compétitivité, de l'amélioration de l'emploi à travers l'accélération de la croissance et la création d'activités nouvelles, mais aussi de notre développement économique, culturel et social.