B) " SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION "
Autre expression, autres ambiguïtés. Faut-il
parler de société de l'information ou de société de
la communication ? Ces deux expressions renvoient-elles à un objet
commun ? Quels liens est-il légitime d'établir entre les concepts
de communication et d'échange, d'information et d'opinion ?
Pour anticiper sur quelques-uns de mes développements futurs, et pour
faire l'économie de trop longs prolégomènes
théoriques, j'accentuerai l'idée suivante : l'information, en
soi, n'est qu'une matière première. J'emploie à dessein
cette métaphore énergétique car, s'agissant de
l'information, ce qui compte réside en grande part dans deux
mécanismes. Sa mise en circulation, d'abord, sur laquelle je reviendrai
plus longuement. Son exploitation, ensuite, au sens où il s'agit, selon
moi, d'élever l'information aux statuts successifs de connaissances,
puis d'expertise, enfin de culture et de sagesse. Je veux dire par là
que l'information doit être inscrite dans un mécanisme de
structuration progressive qui l'insère d'abord dans un système de
données validées, puis dans un ensemble de connaissances
éprouvées, rendant possible, enfin, la possibilité d'un
savoir maîtrisé auquel l'expérience confère le nom
d'expertise, la mémoire celui de culture et l'histoire celui de sagesse.
Je n'ignore pas, là encore, que chacun des termes auxquels je tente ici
de donner une assise conceptuelle, se situe au carrefour de profonds
débats théoriques.
Je n'entends pas les arbitrer.
Je souhaite, en revanche, et tel est le sens de ce premier chapitre, les
inscrire dans une perspective historique.
À cela, deux raisons. Une raison théorique, tout d'abord : il est
impossible, selon moi, de comprendre un phénomène, en particulier
lorsqu'il s'agit d'un phénomène de grande ampleur, sans en
retracer au préalable la genèse et le cheminement.
Une raison éthique, ensuite : de même que la politique ne se
réduit pas à l'administration des choses mais repose sur le
gouvernement des hommes, l'histoire appelle celui qui l'étudie à
dépasser une lecture strictement objective des faits qui
l'émaille et à considérer le destin de l'esprit humain.