Progressivité ou recommencement ?
De l'imprimerie à Internet
, l'histoire des
médias peut être étudiée de deux façons qui
ne sont pas exclusives l'une de l'autre.
On peut, en effet, y voir :
- soit une succession d'inventions et de découvertes, qui semble
constituer une progression linéaire dont la vitesse tend à
s'accélérer ;
- soit une évolution plus cyclique, plus heurtée, marquée
par la résurgence et par la répétition de certains
phénomènes.
Cependant, autant le préciser d'emblée : même la
première approche, qui tend à prendre du recul historique pour
discerner les grandes tendances de long terme, laisse apparaître la
coexistence de ruptures et de continuités.
De son côté, la seconde approche, plus
événementielle, à tout le moins orientée vers
l'étude de périodes
moins longues
, met en évidence
des analogies entre différents faits, des constantes dans les
évolutions, mais qui ne correspondent pas, le plus souvent, à de
réels retours en arrière ou à la reproduction, à
l'identique, de cycles (comme il peut en exister, par exemple, en
économie).
I. LA PROGRESSION ACCELEREE DES TECHNIQUES D'INFORMATION ET
DE COMMUNICATION :
NOUVEAUTES ET CONTINUITE
Dans l'évolution des techniques d'information
et de communication
, ce qui frappe tout d'abord, c'est son
extraordinaire accélération.
Les découvertes, qui se succèdent et qui débouchent sur
l'apparition de nouveaux médias, peuvent sembler constituer, à
première vue, autant de points de ruptures, caractéristiques d'un
mouvement heurté.
Mais, en réalité, il y a dans l'histoire des médias,
malgré la succession d'innovations qui lui l'émaille, une
continuité et une harmonie plus grandes que celles auxquelles on
pourrait à bon droit s'attendre.
A) UNE PROGRESSION ACCELEREE
Le tableau ci-après tente d'établir une chronologie de l'apparition des principaux médias de masse ainsi que des composants, des équipements, et des moyens de transmission et d'enregistrement correspondants.
CHRONOLOGIE DE L'EVOLUTION
DES TECHNIQUES
D'INFORMATION
ET DE COMMUNICATION
coller tableau |
L'interprétation de ce tableau nécessite
quelques observations préalables :
- les dates, tout d'abord, sont par définition approximatives et ne
correspondent, le plus souvent qu'aux premières expérimentations
probantes effectuées (et non pas à une exploitation
opérationnelle des inventions concernées) ;
- le classement des médias par rapport à l'écrit, d'une
part, et aux différentes catégories sensorielles d'autre part
(ouïe, vue...) ne correspond pas, ensuite, à un enchaînement
chronologique rigoureux. Ainsi, la télégraphie sans fil,
postérieure au
téléphone,
qui va donner naissance
à la
radio,
ne permet à ses débuts, que la
transmission de messages
écrits.
On passera, par la suite, et de
manière progressive, de la télégraphie à la
téléphonie (réservée d'abord à des
professionnels), puis à la radiodiffusion.
De même, le cinéma, qui peut être considéré,
non seulement comme le septième art, mais aussi comme un média,
précède la radiodiffusion
sonore
alors qu'il permet la
reproduction d'
images
animées. La xylographie avait d'ailleurs
devancé l'imprimerie, et la photographie, le télégraphe ;
mais il est difficile de comparer des moyens de
reproduction
à
des moyens de
transmission
qui, s'agissant de l'image,
n'apparaîtront qu'avec la télévision.
L'impression d'ensemble qui se dégage de l'examen des dates de ces
différentes découvertes est sans conteste celle d'une
accélération
.
Il faut d'abord se placer à l'échelle des millénaires en
ce qui concerne le passage de l'écrit à l'imprimerie, puis
à celle des siècles en ce qui concerne la période
séparant l'invention de l'imprimerie de celle du
télégraphe.
Il faut ensuite se placer dans l'ordre des décennies pour mesurer le
temps qui sépare les grandes découvertes ultérieures : (40
ans environ entre le télégraphe et le téléphone,
puis 20 ans, à peu près, pour passer aux liaisons sans fil et de
la TSF à la radio, 15 ans de la radio à la
télévision, et 10, de la télévision à
l'ordinateur).
L'accélération concerne non seulement l'enchaînement des
inventions, mais aussi la vitesse de transmission des informations
correspondantes, puisque l'on quitte l'ère de la communication en
différé
(de l'écrit, de l'image ou du son) pour
entrer dans celle de
l'instantané
.
L'informatique, enfin, et la généralisation du codage
numérique binaire accélèrent ces tendances,
jusque-là partielles et limitées aux regroupements et aux
combinaisons des différents médias.
Cependant, cette vue globale laisse toutefois persister des disparités
bien réelles.
Après le foisonnement de la fin du XIX
e
siècle, un
ralentissement semble s'opérer dans la première moitié du
XX
e
siècle, sans qu'il soit possible de dire s'il
procède des effets des conflits mondiaux ou des difficultés de
mise au point de certaines technologies nouvelles.
Par ailleurs, un certain décalage peut parfois se manifester entre
l'apparition d'un nouveau média et la mise à la disposition du
grand public des moyens d'enregistrement correspondants (les
magnétophones à cassette sont ainsi commercialisés 40 ans
après la radio, et les magnétoscopes 35 ans après la
télévision, peut-être autant en raison
d'appréhensions liées à la perception des droits d'auteurs
que pour des motifs d'ordre technique).
D'autre part, les périodes s'écoulant, entre une invention et son
exploitation à large échelle sont variables. Ainsi peut-on
opposer la mise en application presque immédiate du
télégraphe au développement plus lent des réseaux
téléphoniques faisant appel à des techniques plus
complexes (commutation...).
La TSF démarre en trombe (6 ans seulement séparent, en effet, la
première expérience de Marconi, à Bologne, de la
première liaison transatlantique) mais le passage à la
radiodiffusion se révèle plus lent, de nombreuses
difficultés techniques devant être résolues : la production
d'ondes entretenues, stables et propices aux modulations nécessite, tout
d'abord, des courants de haute fréquence. Puis l'électronique,
sobre en énergie, naît en 1904, de l'idée de Fleming
d'appliquer à la détection des ondes radio la découverte
d'Edison concernant l'émission d'électrons par les métaux
incandescents. Lee de Forest, deux ans plus tard, va ajouter à la
première lampe de radio de Fleming, ou " diode ", une troisième
électrode. Il en résulte une nouvelle lampe
révolutionnaire, ou " triode ", capable non seulement de détecter
des ondes, mais d'amplifier des courants (5(
*
)). De nouveaux montages, facilitant, au
niveau de l'émission comme à celui de la réception, les
oscillations électriques et modulations recherchées, deviennent
possibles.
De façon analogue, on n'obtiendra, par la suite, que de faibles
variations de courant entre l'émetteur et la base d'un transistor
entraînent de fortes variations du courant entre l'émetteur et le
collecteur. Mis au point, en 1948, par trois chercheurs américains des
Bell Labs (Bardeen, Shockley et Brattain), ce nouveau composant à
semi-conducteurs permet donc de réaliser les fonctions essentielles de
l'électronique (génération de signaux, amplification,
modulation-démodulation, commutation, etc.) et cela dans des conditions
plus avantageuses que les tubes précédents, car ils se mettent en
action immédiatement, sans dégager de chaleur. Leur durée
de vie est en outre beaucoup plus longue et leur encombrement des plus
réduits.
Le cas de la télévision se révèle également
intéressant. Son démarrage commercial intervient en effet
relativement longtemps après les premières expériences, en
raison de difficultés techniques (liées à la mise au point
de l'analyse électronique des images, préalable à
l'abandon des procédés électromécaniques), et par
conséquent d'un prix de vente, initialement élevé et du
fait, peut-être aussi, des effets économiques liés à
la Deuxième Guerre mondiale. Par la suite, le lancement aux Etats-Unis
en 1951, par CBS, de la télévision en couleur, mais aussi
incompatible avec le parc existant de récepteurs en noir et blanc, se
solde par un échec.
L'accélération des découvertes ne signifie donc pas que
les nouveaux produits techniques, qui en sont issus, aussi
évolués et maîtrisés soient-ils, rencontrent
nécessairement le succès. Il y faut, le plus souvent, des
conditions économiques, sociales et culturelles propices, mais aussi la
rencontre, grâce à des entrepreneurs motivés et audacieux,
entre une offre technique et commerciale ainsi que l'élaboration
préalable de contenus si nécessaire (notamment dans le cas de
médias de diffusion) pour répondre à l'attente du public.
On notera d'autre part que, même si le rythme des inventions
s'intensifie, l'apparition d'un nouveau média n'en nécessite pas
moins, comme à l'époque de l'imprimerie, la maîtrise non
pas d'une seule mais de plusieurs techniques, lesquelles doivent, dès
lors se trouver disponibles simultanément ; tout cela exigeant en
retour, bien entendu, certains délais.