B. LES CARACTÉRISTIQUES DE L'EUROFOR

L'Eurofor est une force terrestre multinationale du niveau maximum d'une division légère (10.000 hommes) disposant d'une structure de commandement permanente -basée à Florence- et d'un réservoir de forces "rassemblées à la demande". Bien qu'à dominante terrestre, elle sera apte aux actions interarmées.

1. L'état-major permanent

Dès le temps de paix, la Force dispose, à Florence, d'un état-major permanent léger (50 officiers et 40 sous-officiers) capable d'opérer au niveau interarmées avec un haut degré de mobilité et une capacité de projection à distance.

Cet état-major, opérationnel depuis le 28 novembre 1997, doit être à même en cas de besoin de fournir un poste de commandement tactique terrestre (COMTACTER) ou un poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT), déployé sur un théâtre d'opérations. L'état-major est notamment chargé d'élaborer les plans opérationnels, de participer à la définition des objectifs logistiques et d'entraînement, de monter des exercices et de conduire les opérations si nécessaire.

Cet état-major permanent constitue le "noyau dur" à partir duquel, avec les renforts nécessaires, pourra être formé un poste de commandement multinational intégré projetable.

Plusieurs configurations sont théoriquement possibles, en fonction de la nature et de l'ampleur de l'opération :

- commandement tactique terre, au niveau tactique (COMTACTER) requérant un effectif d'environ 150 personnes;

- commandement de la force, au niveau opératif (COMFOR), avec un effectif de quelque 300 personnes.

Dans ces deux configurations l'état-major est projeté, à la différence d'un commandement de l'opération, au niveau stratégique (COPER). L'effectif d'un tel PC nécessitant quelque 450 personnes, une telle configuration se heurterait à Florence à des limites physiques compte tenu de ses implications en termes de capacités d'hébergement, de soutien ou de sécurité.

Dans un tel contexte multinational et éventuellement interarmées, l'interopérabilité est essentielle, qu'elle concerne les concepts d'emploi, les procédures opérationnelles, les moyens logistiques et de communication. De même, l'état-major devra-t-il se doter des moyens de commandement et de contrôle polyvalents -télécommunications et traitement automatisé de l'information- qui permettent des liaisons permanentes dès le temps de paix avec les états-majors nationaux et les instances internationales dont dépendrait la Force. Ces tâches seront très prochainement confiées au 1er régiment italien de transmissions, progressivement professionnalisé. Le système d'information et de communication (SIC) qui fait actuellement défaut à l'état-major de Florence sera le SIACCON italien. Il devrait être disponible lors du prochain exercice majeur " Eole 1998 ".

Cette structure permanente que constitue l'état-major est la base du commandement de la Force. A la différence des forces multinationales ad hoc, constituées pour telle ou telle opération (Albanie, Bosnie-Herzégovine), où la structure de commandement reposait sur une nation-cadre qui en fournissait l'essentiel, la structure de l'Eurofor comporte un équilibre entre les postes attribués définitivement aux Etats participants et d'autres occupés de manière tournante : les postes qui font l'objet d'une rotation sont celui du général commandant, du général chef d'état-major, du sous-chef d'état-major "opérations" et celui du sous-chef d'état-major "logistique" . Les autres postes ont été répartis, à titre définitif, entre les nations participantes. L'ensemble est décrit par l'organigramme ci-après :

La stricte égalité des pays participant dans la rotation des postes de commandement, pourrait, en cas d'engagement, conduire à une situation inédite : tel pays qui, tout en n'impliquant qu'un effectif réduit de troupes accepterait l'engagement de l'Eurocorps et assurerait à ce moment le commandement de l'état-major, pourrait exercer son commandement ou son contrôle opérationnel sur les unités des autres pays. Quelle serait dès lors l'attitude de ces derniers ? En effet, dans des configurations comparables, le commandement de la force est, en effet, toujours exercé par le pays dont les forces sont les plus importantes. En tout état de cause, la France a toujours exercé un rôle prééminent dans les états-majors multinationaux lorsqu'elle y avait affecté la force la plus nombreuse. Une configuration différente constituerait donc une innovation à laquelle il faut se préparer.

Le fonctionnement de l'état-major est assuré par une unité de Quartier général italienne, de la valeur d'un bataillon entièrement professionnalisé dont les missions vont de la sécurité au soutien des activités de l'état-major.

A l'état-major, les langues officielles sont celles des Etats participants (français, espagnol, portugais, italien) ; les langues de travail sont celles des trois Etats fondateurs (France, Espagne, Italie) ; enfin les langues d'opérations sont le français et l'anglais, également langues officielles de l'OTAN et de l'UEO.

2. Des forces rassemblées sur demande

L'une des originalités de l'Eurofor par rapport aux autres forces multinationales existantes repose sur le principe des " capacités " proposées par chaque participant en fonction de la nature de la mission. Ce système constitue un net progrès par rapport à la configuration arrêtée initialement pour le Corps européen. L'un de vos rapporteurs avait en effet relevé le caractère très contraignant du principe d'unités préaffectées, au surplus essentiellement composées d'élements de blindés lourds. Sur ce plan, l'évolution va également dans le bon sens avec la création de groupement de forces plus léger, comprenant une Force immédiate légère (FIL) et une Force immédiate mécanisée (FIM). Ainsi, dans le concept Eurofor, chaque Etat se doit de tenir en réserve des modules de forces à hauteur d'environ 5 000 hommes.

Une configuration-type des unités utilisables reposerait par exemple, pour le niveau d'une brigade, sur :

- un état-major de brigade (avec une unité de quartier général et une unité de transmission)

- un bataillon d'infanterie

- un bataillon du génie

- un bataillon logistique (incluant le service de santé).

A cette configuration type soumise par chaque Etat, s'ajoutent les modules spécialisés dont la fourniture est répartie entre les Etats participants : blindés, forces spéciales, artillerie, transmissions protégées, moyens de transport, service de santé...

Les unités parmi lesquelles chaque pays puisera les capacités requises sont identifiées pour l'Italie, l'Espagne et le Portugal. La France, dont la structure de forces est déjà largement fondée sur la modularité, et qui ne repose plus sur une structure de brigades, dispose d'un éventail de choix plus vaste. Ainsi l'Espagne a-t-elle potentiellement affecté à l'Eurofor la Brigade de chasseurs de montagne " Aragon " et la Brigade de cavalerie " Castillejos II " ; le Portugal a privilégié sa Brigade aérotransportée indépendante ; l'Italie pour sa part a désigné la Brigade parachutiste " Folgore " et la Brigade de Bersaglieri " Garibaldi ".

Cette structure modulaire doit permettre de constituer une force multinationale du niveau d'une division légère (10 000 hommes) , composée de modules nationaux du niveau brigade (3 000 hommes). Pour un besoin opérationnel moindre, il est possible de former une brigade multinationale sur la base de modules nationaux de l'ordre du bataillon .

Le tableau ci-après illustre des hypothèses de capacités nécessaires et les unités correspondantes.

Missions

Capacités nécessaires

Unités à mettre en oeuvre

Missions humanitaires + évacuation ressortissants (H)

- Assistance sanitaire

- Fonctionnement services publics et communications

- Camps de réfugiés

- Escorte de convois

- Occupation ou évacuation de zones (regroupements populations)

- Etablissement de dépôts logistiques

- Commandement - Transmissions

- Antenne chirurgicale, EMMIR, hôpital de campagne

- Services (poste, trésor, police militaire, médias, juristes, interprètes, Génie travaux) et hélicoptères

- Infanterie légère, police militaire, Santé, transport logistique, Génie

- Blindés légers, hélicoptères

- Infanterie légère, hélicoptères

- transport (solides, liquides), manutentions, stockage

- Transmissions au profit des PC et des organisations humanitaires

Maintien de la paix (MP)

- Itinéraires : reconnaissance

. points de contrôle

. patrouilles

- Zones :

. reconnaissance

. surveillance

. contrôle

. occupation

- Etablir ligne d'interposition ou zone d'exclusion

- Soutien des unités et populations

- Commandement et transmissions

- Blindés légers, Génie (déminage), hélicoptères

- Infanterie, Génie (protection), transmissions

- Blindés légers, hélicoptères

- Infanterie, blindés, hélicoptères

- Blindés légers, hélicoptères

- Chaîne appui aérien

- Unités éclairage

- Infanterie, Génie (protection), transmissions

- Dépôts fixes dispersés sur zone

- Organisation zonale (utilisation infrastructure)

Rétablissement de la paix (RP)

- Combat (s'emparer et tenir points clefs-contraindre belligérants)

- Soutien des unités engagées

- Commandement et transmissions

- Chaîne d'appui aérien et/ou naval

- Blindés, Infanterie mécanisée, Artillerie (sol/sol,sol/air)

- Hélicoptères de combat, Génie combat

- Bases logistiques mobiles utilisées prioritairement pour les forces

- PC et transmissions mobiles et reconfigurables(RITA,SIC...)

Tronc commun (TC)

- Protection : mobile stratégique (aller retour)

- Aménagement du terrain (catastrophes naturelles ou protection forces)

- Fonctionnement des services publics

rétablissement électricité, eau, voies communication...

- Actions dans différents milieux

- Opérations spéciales (libération otages, renseignement, action psychologique)

- Cellules état-major spécialisées, Unités de transit

- Génie (travaux + NEDEX + NBC)

- Unités spécialisées

- Forces spéciales (FS)

L'Eurofor, qu'elle agisse indépendamment ou de manière combinée avec d'autres forces, pourra accomplir les missions définies par le Conseil de l'UEO en juin 1992, dites " missions de Petersberg ". Les tâches de l'Eurofor découlant de ces missions pourraient être les suivantes : l'assistance aux populations, la prévention des crises, l'interposition entre les parties en conflit, la surveillance et le contrôle de zones, enfin la projection de forces pour remplir des missions spécifiques.

La caractéristique commune à toutes ces missions imparties à l'Eurofor, est la disponibilité et donc la capacité à être projetée rapidement. Les délais d'engagement de la force doivent donc être planifiés pour être les plus courts possibles. A titre d'exemple, dans l'hypothèse d'un engagement de faible intensité, impliquant une brigade (3 000 hommes) pour une opération de maintien de la paix, le fractionnement de la force doit permettre un délai d'engagement :

- de 48 heures à 5 jours pour le détachement précurseur de commandement,

- de 10 à 20 jours pour le premier échelon,

- de 20 à 30 jours pour le deuxième échelon,

chaque détachement devant disposer de ses propres moyens de commandement, de manoeuvre, d'appui et de soutien.

L'Eurofor est l'occasion d'innover en matière de concepts d'emploi multinational de certaines capacités. Ainsi en est-il en particulier des capacités logistiques. Plutôt que de garder le principe habituel de maintien de la chaîne logistique dans un cadre exclusivement national, ce qui entraîne des redondances inutiles et coûteuses, l'idée consiste à désigner, sur le théâtre d'opérations, une nation pilote, en charge d'une ou plusieurs capacités logistiques au profit de l'ensemble de la force : carburant, service de santé, transport etc... La mise en oeuvre concrète de cette répartition des tâches interviendrait sur le théâtre au moment du transfert d'autorité.

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