RAPPORT D'INFORMATION N° 183 SUR LES FORCES EUROPENNES EUROFOR ET EUROMARFOR
MM. Michel CALDAGUES et André BOYER, Sénateurs
COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES - RAPPORT N° 183 - 1997/1998
Table des matières
- I. LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL ET STRATÉGIQUE DES EUROFORCES
- II. EUROFOR ET EUROMARFOR : DES CAPACITÉS EUROPÉENNES EN MÉDITERRANÉE
- LES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS
- EXAMEN EN COMMISSION
-
ANNEXE -
ARTICLE J7 DU TRAITÉ D'AMSTERDAM CONCERNANT LES RAPPORTS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET L'UNION DE L'EUROPE OCCIDENTALE
N° 183
__
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur les forces européennes Eurofor et Euromarfor.
Par MM. Michel CALDAGUÈS et André BOYER,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Xavier de Villepin,
président
; Jean Arthuis, Yvon Bourges, Guy
Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, M.
Jacques Genton,
vice-présidents
; MM. Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon,
Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre,
MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben
Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel
Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert
Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe de Gaulle,
Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de
La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre
Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain
Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, André Rouvière,
André Vallet.
Mesdames, Messieurs,
En mai 1995, deux nouvelles forces européennes multinationales ont
été créées : une force terrestre, Eurofor, une
force aéromaritime, Euromarfor. Regroupant la France, l'Espagne, le
Portugal et l'Italie, elles ont pour théâtre naturel la zone
méditerranéenne et pour missions les opérations
humanitaires, de maintien ou de rétablissement de la paix.
Vos rapporteurs, après un déplacement à Florence,
siège de l'état-major d'Eurofor et des entretiens avec des
représentants de chacune des deux forces, ont souhaité, par le
présent rapport d'information, présenter les principales
caracteristiques de ces euroforces.
Il est apparu opportun de rappeler tout d'abord le contexte institutionnel dans
lequel ces forces trouvent leur place : l'Organisation atlantique se
réforme et s'adapte, encore qu'imparfaitement ; l'UEO devra
établir des relations nouvelles avec l'Union européenne, d'une
part et l'OTAN, d'autre part.
Par ailleurs la Méditerranée, zone naturelle de
déploiement de ces forces, apparaît à beaucoup comme le
cadre de multiples tensions aux traductions diverses qui concentrerait les
germes de crises à venir.
Autre enjeu de ces Euroforces, l'identité européenne de
sécurité et de défense : thème défendu et
prôné par la plupart des pays concernés, elle semble
trouver avec difficulté les moyens de son expression. Il revient
à ces Euroforces, mieux qu'au Corps européen qui les a
précédées, de tenter d'incarner dans les faits une
ambition que les crises européennes récentes, paradoxalement,
n'ont pas permis de mettre en oeuvre.
I. LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL ET STRATÉGIQUE DES EUROFORCES
A. LA RÉFORME DE L'ORGANISATION ATLANTIQUE
L'alliance atlantique, appuyée par son organisation militaire intégrée, a assumé jusqu'à l'avènement, en 1991, du nouveau contexte géostratégique, la sécurité et la défense du monde occidental. Depuis six ans, les 16 pays membres de l'Alliance atlantique ont, par touches successives, redessiné le format, les missions et les structures de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord.
1. L'élargissement à l'Est
La " demande de sécurité " exprimée par les pays d'Europe centrale et orientale dès l'éclatement de l'URSS, associée au souci des " 16 " de projeter vers cette zone " la stabilité atlantique " ont conduit au projet d'élargissement de l'Alliance. Celui-ci, très mal perçu par la Russie, a été compensé par la mise en place en 1997 d'un dialogue spécifique entre l'Alliance et la Russie, puis entre l'Alliance et l'Ukraine, à travers un Acte fondateur conclu avec la première et une Charte de coopération avec la seconde. Cette évolution vers l'Est s'est faite en trois temps : création en 1992 du Conseil de coopération Nord-Atlantique -enceinte de dialogue entre les 16 de l'Alliance et les pays neutres observateurs de l'UEO d'une part, et les pays d'Europe centrale et orientale d'autre part ; mise en place en 1994 du " Partenariat pour la paix ", structure contractuelle conçue comme un processus de consultation politique doublé d'une possibilité de planification, d'entraînement et d'exercices conjoints, afin d'améliorer l'interopérabilité des forces et développer une doctrine de sécurité commune. Un Conseil de Partenariat euro-atlantique (CPEA), créé le 30 mai 1997 a par ailleurs pour objectif d'élargir le domaine des consultations politiques et d'associer progressivement les partenaires de l'Est aux structures militaires de l'OTAN. Enfin, le 8 juillet 1997, décision, au Sommet de Madrid, d' élargir l'Alliance dans un premier temps et avant 1999 à trois pays d'Europe centrale et orientale : la Pologne, la Hongrie et la République tchèque.
2. Des missions et des structures rénovées
Si la mission originelle de l'Alliance -défense de ses
membres contre toute attaque (article 5)- est confirmée, sa
capacité militaire est réorganisée sur la base de quatre
données :
réduction à 100 000 hommes
(soit une
baisse de 65 %) des effectifs américains, portant ainsi à 60 % la
part des troupes européennes dans les forces de l'OTAN ;
création d'unités multinationales
, celle en 1993 de deux
corps d'armée germano-américains après celle, en 1991, du
corps de réaction rapide de commandement allié en Europe (ARRC),
liée à la mise en avant de la polyvalence et de la
flexibilité par le recours aux forces de réaction et de
projection ou encore par le concept de groupes de forces armées
multinationales (GFIM).
Surtout les Conseils atlantiques d'Oslo (4 juin 1992) et de Bruxelles (17
décembre 1992), ont assigné à l'OTAN
des missions
nouvelles
comme la mise en oeuvre d'opérations de gestion de crises
ou de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU ou de la CSCE (devenue
OSCE).
L'allégement des structures militaires intégrées
,
conçues pour des perspectives d'engagement terrestre massif, en
Centre-Europe, était le corollaire nécessaire des adaptations des
missions liées au nouveau concept stratégique. La structure des
commandements a donc été modifiée. Si les deux
commandements stratégiques SACLANT et SACEUR demeurent, les
commandements de second rang, actuellement au nombre de trois, seront
réduits à deux. Seuls demeureront le commandement Sud (AFSOUTH),
basé à Naples, et le commandement Centre-Europe (AFCENT),
basé aux Pays-Bas, le commandement Nord-Ouest Europe, situé en
Grande-Bretagne, étant supprimé. Les commandements de 3e rang
seront fortement réduits, ceux de 4e rang étant supprimés.
3. Une certaine européanisation de l'OTAN
S'il s'agit, par ces différentes réformes,
d'adapter l'Alliance à la nouvelle configuration stratégique
européenne, il faut également y voir l'occasion de
donner une
meilleure place aux acteurs européens en matière de
défense
.
Dès 1991, lors du Sommet de Rome, l'OTAN avait fait mention de la
nécessaire
" complémentarité entre l'Alliance et
l'identité européenne de sécurité et de
défense qui prend forme au sein des Douze et de l'UEO ".
Le soutien de l'Alliance au développement, en son sein, d'une
identité européenne de sécurité et de
défense, a pris une expression plus précise au Sommet de
Bruxelles de janvier 1994 et surtout au Conseil atlantique de Berlin en juin
1996 où des décisions de principe importantes ont
été arrêtées.
"
Depuis cette date il
est acquis que la concrétisation progressive de l'IESD est l'un des
trois objectifs fondamentaux de l'Alliance avec le maintien de la
cohésion transatlantique et l'adaptation de la structure militaire de
l'OTAN au contexte de paix en Europe "
1(
*
)
.
De fait, une partie des réformes internes engagées par l'Alliance
tend à cette fin : institution d'un adjoint européen au SACEUR ;
mise en place du concept des GFIM, déjà évoqué,
dont l'un des objectifs est de permettre à une coalition d'Etats
européens d'engager seule une opération de gestion de crise en
bénéficiant des moyens -logistique, communications,
renseignement- de l'OTAN. Enfin, le débat qui a opposé la France
et certains de ses partenaires européens d'une part aux Etats-Unis
d'autre part sur l'européanisation du Commandement régional Sud
(AFSOUTH) s'inscrivait du point de vue français, dans la logique d'une
nécessaire concrétisation d'une identité européenne
de défense " au sein de l'Alliance ".
Au demeurant, les faits eux-mêmes témoignent de
l'européanisation des crises, laquelle justifie, à elle seule, la
légitimité d'une meilleure européanisation du principal
outil de sécurité pour le continent. Le premier engagement
militaire de l'OTAN depuis sa création aura eu lieu en Europe
-ex-Yougoslavie- et le maintien en Bosnie-Herzégovine d'une situation
pacifiée dépend encore largement de son implication
politico-militaire.
Quelle place l'émergence souhaitée d'une véritable
identité européenne de sécurité et de
défense au sein de l'Alliance laissera-t-elle à l'UEO, seul outil
institutionnel européen de sécurité et de défense ?
B. QUELLE PLACE POUR L'UEO ?
L'UEO est devenue, grâce au traité de Maastricht
et après une longue période d'hibernation interrompue en 1984,
l'instrument militaire
de l'Union européenne. L'article 14 du
traité sur l'Union européenne, relatif à la PESC et
à l'ambition " à terme " d'une défense commune,
précise que
" l'Union (européenne), demande à
l'UEO (...) d'élaborer et de mettre en oeuvre les décisions et
les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la
défense ".
Mais ce même traité subordonnait
déjà, dans le même temps, la marge d'autonomie de l'Union
européenne et de l'UEO en matière de sécurité et de
défense à la
" nécessaire compatibilité
avec les obligations contractées par les Etats dans le cadre de
l'Alliance atlantique "
, ce qui était tout dire...
Au demeurant, la volonté, longtemps affirmée par la France, de
donner une autonomie réelle à l'UEO par rapport à l'OTAN,
s'est heurtée à de multiples obstacles :
- obstacles opérationnels
: les moyens de l'UEO, plus que
limités, étant sans commune mesure avec ceux de l'OTAN ;
-
obstacles politiques
: liés à la volonté des
partenaires européens de la France de poursuivre leur effort de
défense dans le cadre de l'OTAN qui a façonné depuis des
années leurs forces militaires et leurs stratégies ;
-
obstacles économiques
: l'idée d'une structure de
défense faisant double emploi avec l'OTAN, à l'heure des
restrictions budgétaires dans la plupart des Etats membres, a
éloigné ces derniers d'une position favorable à une UEO
forte.
1. Quelles capacités pour quelles missions ?
Le 19 juin 1992, lors d'une réunion du Conseil de l'UEO
à Petersberg, les ministres de l'organisation européenne de
sécurité et de défense ont explicitement décrit
les
missions que l'UEO pourrait avoir à remplir
. Ces missions,
dites de Petersberg, sont les suivantes
2(
*
)
:
- des missions humanitaires ou d'évacuation de ressortissants ;
- des missions de maintien de la paix ;
- des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des
opérations de rétablissement de la paix.
Remarquons d'emblée que l'UEO n'a pas l'apanage exclusif de ces
missions, l'Alliance Atlantique ayant, la même année, à
Oslo, revendiqué, pour elle-même, ces missions de gestion de
crise. L'expérience et l'actualité démontrent par ailleurs
que ces nouvelles missions de " gestion de crises " ont
été principalement exécutées par l'OTAN -le cas de
la Bosnie est le plus éclairant- et subsidiairement par l'UEO via la
surveillance des embargos sur le Danube et sur l'Adriatique.
Au demeurant, de quelles capacités opérationnelles l'UEO
dispose-t-elle aujourd'hui ?
Sur le plan technique et pour la préparation des plans d'action, une
cellule de planification
comprenant une cinquantaine d'officiers
élabore les plans de circonstances pour les opérations que l'UEO
pourrait entreprendre, sans cependant que cette cellule soit à
même d'assurer le commandement opérationnel des forces et encore
moins de constituer un véritable état-major permanent.
En matière de reconnaissance et de renseignement, l'UEO ne dispose que
de capacités embryonnaires avec le
Centre satellitaire,
opérationnel depuis juin 1996, situé à Torrejon
près de Madrid, chargé d'interpréter les données
provenant des satellites d'observation ou de renseignement.
Egalement opérationnel depuis juin 1996, un
centre de situation
,
placé sous l'autorité du directeur de la cellule de
planification, a pour mission de surveiller les zones de crises
désignées par le Conseil ainsi que le déroulement des
opérations de l'UEO.
Ces structures, de création récente pour la plupart, ne sont donc
qu'embryonnaires. Au surplus, les Européens, comme le rappelait en juin
1997 le secrétaire général de l'UEO, souffrent encore de
lacunes dans les domaines du commandement, du contrôle, des
transmissions, du renseignement, de la mobilité stratégique et de
l'interopérabilité. Ces lacunes relativisent le caractère
pleinement opérationnel des forces proprement dites affectées par
les Etats-membres à l'UEO, dites
forces relevant de l'UEO
pour
des missions d'ampleur. Ces forces multinationales sont les suivantes :
- le
Corps européen
regroupant des éléments
allemands, français, belges, espagnols et luxembourgeois, lequel, bien
que qualifié d'"opérationnel" dès 1993, n'a jamais
exécuté la moindre mission.
- la
division multinationale centrale
composée d'unités
allemandes, belges, britanniques et néerlandaises ;
- la
force amphibie
britanno-néerlandaise ;
- l'état-major du
Premier Corps germano-néerlandais
;
- la
Force amphibie italo-espagnole.
-
Eurofor
(force opérationnelle rapide) et
Euromarfor
(force maritime européenne) regroupant chacune la France, l'Espagne,
l'Italie et le Portugal et qui font l'objet du présent rapport.
Si l'on voulait schématiser à l'extrême la situation de
l'UEO entre l'organisation atlantique et l'Union européenne, on pourrait
dire que l'organisation européenne de défense relève
d'
une
double dépendance
:
dépendance militaire
à l'égard de l'OTAN, dépendance politique à
l'égard de l'Union européenne
.
Encore cette dernière dépendance est-elle dans la logique de
l'élaboration d'une politique étrangère et de
sécurité commune qui serait décidée, conduite et
mise en oeuvre par l'Union européenne, y compris dans ses implications
militaires éventuelles, ce qui est encore loin d'être le cas.
A ce sujet, la complexité des procédures mises au point pour les
opérations menées par l'Union européenne et l'UEO en
application de l'article J7-3 du traité d'Amsterdam n'est sans doute pas
de nature à permettre à l'Union européenne des prises de
décision commune et des réaction rapides.
La nature du lien entre Union européenne et UEO avait en effet
été l'un des thèmes abordés lors de la
Conférence intergouvernementale qui a conduit au traité
d'Amsterdam. L'option ouverte était triple : le statu quo -défini
par Maastricht-, l'établissement de liens plus étroits entre les
deux organisations, enfin la fusion entre l'UEO et l'Union européenne.
2. Quelle relation entre l'UEO et l'Union européenne ?
Les dispositions du traité de Maastricht relatives
à la
"définition à terme d'une politique de
défense commune (qui puisse) conduire, le moment venu, à une
défense commune",
permettaient que l'Union européenne
reprenne, à terme, les attributions de l'UEO en matière de
défense et de sécurité.
Cela étant, le traité d'Amsterdam n'a pas permis de
véritable avancée sur ce point. L'éventuelle
intégration de l'UEO dans l'Union européenne, qui aurait permis
une cohérence dans le domaine de la PESC et une simplification du
processus décisionnel, sera subordonnée à une
décision du Conseil, en conformité avec les exigences
constitutionnelles respectives des Etats-membres.
Le traité d'Amsterdam a toutefois permis quelques progrès : les
objectifs de la PESC intègrent les missions dites de Petersberg. L'Union
européenne aura recours à l'UEO pour élaborer et mettre en
oeuvre les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications
dans les domaines de la défense. Le Conseil exercera sa
compétence d'orientation générale liée à la
PESC sur l'UEO lorsque l'Union européenne aura recours à l'UEO.
Enfin, chaque fois que l'Union européenne demandera à l'UEO de
mettre en oeuvre ses décisions relatives à des missions
Petersberg, tous les Etats membres de l'Union apportant une contribution
à la mission
"pourront participer pleinement et sur un pied
d'égalité à la planification et à la prise de
décision au sein de l'UEO"
3(
*
)
.
La mise en oeuvre de cette disposition, qui concerne les pays
observateurs
4(
*
)
auprès de l'UEO membres
de l'Union européenne pourrait entraîner juridiquement des
conséquences plus lourdes que les "modalités pratiques"
auxquelles fait référence le Traité.
Dans une de ses recommandations
5(
*
)
, la
commission permanente de l'Assemblée de l'Union de l'Europe Occidentale
a exprimé sa crainte que
"les difficultés rencontrées
jusqu'ici par l'Union européenne pour prendre des décisions
communes et réagir rapidement à une situation de crise
particulière (...) ne soient aggravées par
l'extrême
complexité du projet de procédure mis au point pour les
opérations menées par l'Union européenne et l'UEO
,
conformément à l'article J.7.3 du Traité d'Amsterdam".
Le traité d'Amsterdam mentionne par ailleurs, à plusieurs
reprises, le rôle de l'OTAN comme
cadre privilégié de
défense
commune entre certains Etats-membres. M. Vrettos, rapporteur
à l'assemblée de l'UEO écrivait le 19 novembre 1997 :
" Les décisions qui ont été prises, ou ne l'ont
pas été, par l'Union européenne à Amsterdam et par
l'Alliance atlantique à Madrid ont engendré une situation
laissant planer de graves doutes quant à savoir si le projet de
défense
européenne commune est toujours l'objectif
politique que poursuivent réellement tous les gouvernements des pays
européens concernés. Alors qu'il semblerait que l'Alliance
atlantique et l'OTAN soient parvenues à s'adapter plus efficacement
à la nouvelle situation sécuritaire internationale, on a
l'impression que les Européens sont toujours à la traîne.
Cette impression a été (...) renforcée par les maigres
progrès enregistrés à Amsterdam dans la constitution d'une
identité européenne de sécurité et de
défense dans le cadre de l'Union européenne ".
On ne saurait mieux dire, mais il est permis de souligner que cette analyse
concourt trop visiblement à établir la primauté de l'OTAN.
3. La dépendance militaire assumée
On fait souvent valoir que l'un des principaux acquis de la réforme interne de l'OTAN aura été la prise en compte de l'identité européenne de sécurité et de défense (IESD) au sein de l'Alliance. La désignation d'un adjoint européen au SACEUR, la tenue de sessions conjointes des conseils de l'UEO et de l'OTAN, la conclusion d'un accord de sécurité facilitant l'échange d'informations classifiées, l'utilisation par l'UEO du système de télécommunications intégré de l'OTAN, une meilleure coopération entre les deux secrétariats, illustrent cette tendance. Surtout, le principe des GFIM, associé à la mise à disposition de l'UEO de certains moyens de l'OTAN, ont pour objet de concrétiser tout à la fois la possibilité d'une action militaire purement européenne et le nécessaire recours à des moyens et à des structures de l'OTAN pour la mener à bien. Il est clair néanmoins que cette subordination obligée sera d'autant plus réduite que l'UEO aura réussi à se doter de moyens opérationnels propres. Cela concerne les capacités de renseignement et de projection, mais aussi les unités multinationales. Relevons que la mise à disposition de moyens de l'OTAN (moyens américains pour l'essentiel) pour une opération européenne nécessitera un accord préalable du Conseil atlantique et donc l'aval des Etats-Unis, ce qui n'est pas peu dire. Comme le relève avec franchise le Président de l'Assemblée de l'UEO : " Il ne fait aucun doute que l'offre des moyens de l'OTAN pour les opérations de l'UEO recouvre une volonté d'intervenir dans la prise de décision et il ne saurait en être autrement " . Malgré tout, poursuit le Président de Puig avec optimisme " malgré l'existence d'une certaine volonté d'influencer et même de diriger le cours des événements, la voie ouverte à Madrid est très favorable à l'Europe ".
C. LA MÉDITERRANÉE OBJET DE SOLLICITUDES CONVERGENTES
1. Une zone de crises ?
Les deux euroforces, Eurofor et Euromarfor, ont
été créées par trois Etats
méditerranéens, la France, l'Espagne et l'Italie, auxquels s'est
joint ensuite le Portugal.
Ainsi, ces forces ont-elles clairement reçu d'emblée avec leur
identité méditerranéenne, une vocation régionale
perçue d'ailleurs négativement dans un premier temps par certains
pays de la rive sud de la Méditerranée qui ont vu en elle
l'embryon d'un corps d'intervention dont les missions les concerneraient
directement.
De fait pourtant, la Méditerranée a repris, avec la fin de la
guerre froide, une importance stratégique nouvelle. Chacun s'accorde
à y voir rassemblés les "risques nouveaux" gros de "menaces"
multiformes qui se seraient substitués à l'affrontement Est-Ouest
passé.
La sollicitude à l'égard de la Méditerranée
s'inscrit d'ailleurs dans les stratégies des principaux acteurs
internationaux, même si elle revêt des aspects différents :
l'Union européenne est parvenue à réunir, à la
Conférence de Barcelone de décembre 1995, la totalité des
pays du bassin méditerranéen pour leur proposer, dans le cadre
d'un dialogue euroméditerranéen ambitieux, les voies et moyens
vers la stabilité et le codéveloppement. L'OTAN, pour sa part,
s'oriente depuis plusieurs années en direction du Sud, conjointement
d'ailleurs avec les Etats Unis qui ne manquent pas une occasion de rappeler
l'intérêt stratégique que représente pour eux la
zone méditerranéenne.
Recenser les risques de crises qui pourraient naître en zone
méditerranéenne paraît un exercice a priori assez
aisé, tant sont multiples les lieux et les causes de tension ou de
conflits : tensions greco-turque, difficultés du processus de paix
au Proche-Orient, à quoi s'ajoutent dans plusieurs Etats de la
région, un fondamentalisme radical, une crise de l'Etat, une crise des
sociétés, des revendications sociales qui constituent un "noeud
de crise extrêmement serré"
6(
*
)
.
"Les conséquences sont, entre autres, le succès de
l'intégrisme, la guerre en ex-Yougoslavie, l'apparition de concurrents
de l'Etat (mafias, seigneurs de la guerre...) et le développement de
nouvelles formes économiques (circuits de la drogue, matières
nucléaires ou armes, etc..."
7(
*
)
.
Sur
cette toile de fond, il convient également de prendre en compte
l'ampleur des dépenses militaires effectuées par de nombreux pays
de la zone méditerranéenne.
Le secrétaire général adjoint de l'OTAN pour les questions
politiques, M. Balanzino, avait d'ailleurs résumé, sans ambages,
sa perception de la sécurité en Méditerranée :
"
la sécurité de l'Europe ne peut être dissociée
de celle des pays du Sud-méditerranéen... (et) ensemble, guerre
du Golfe et guerre dans l'ancienne Yougoslavie nous ont rappelé que la
question de la sécurité en Méditerranée
dépasse, de loin, le seul problème de la fin de la guerre
froide".
2. La réponse européenne
La réponse de l'Union européenne à la
situation en Méditerranée n'entendait pas se cantonner à
une analyse exclusivement "militaire". L'ambition de la
conférence
de
Barcelone
, en novembre 1995, certes déçue par les
développements récents du processus qu'elle a initié, a
été d'attaquer le problème à la racine. Les trois
volets couverts par la conférence décrivent assez bien le
défi à relever : le
partenariat politique et de
sécurité
, le
partenariat économique et
financier
, le partenariat enfin dans le domaine
social, culturel et
humain
, sans oublier un engagement financier à hauteur de 4,6
milliards d'écus sur cinq ans. La décision de créer les
euroforces, prise quelques mois avant la tenue de la conférence de
Barcelone, pouvait s'inscrire dans ce souci de stabilité et de
sécurité régionales.
Dans un premier temps cependant, la création des euroforces a
suscité une vive réaction, en Libye, mais aussi en Tunisie et au
Maroc.
En effet, l'activation de l'état-major de l'Eurofor a suscité une
très vive réaction officielle à Tunis, les
réactions négatives au Maroc ayant été plutôt
le fait d'organes de presse. Afin de circonscrire au plus vite cette attitude
de méfiance, voire d'hostilité, les chancelleries des Etats
parties ont engagé une action d'information et d'explication à
l'intention des pays de la rive sud de la Méditerranée : une
déclaration conjointe des ministres des affaires
étrangères des quatre pays participants a décidé
d'un programme de coopération avec les gouvernements des pays qui sont
parties au dialogue avec l'UEO, à savoir l'Algérie, l'Egypte,
Israël, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. "
L'objectif de ce
programme est la promotion de la stabilité dans le bassin
méditerranéen. La mise en place des mécanismes de
transparence et de confiance mutuelle devrait permettre l'instauration
progressive d'un véritable partenariat de sécurité entre
les Etats riverains du Nord et du Sud de la Méditerranée, et dans
ce cadre, de préparer et de faciliter la participation de forces de ces
pays en conjonction avec EUROFOR et EUROMARFOR aux opérations
prévues dans la Déclaration de Petersberg, c'est-à-dire,
aux missions humanitaires de maintien de la paix."
Concrètement, les quatre pays constituant les euroforces ont
proposé à ces Etats de la rive Sud:
- des visites périodiques de leurs autorités militaires aux
quartiers généraux d'Eurofor et d'Euromarfor ;
- des présentations des unités navales d'Euromarfor lors des
visites à des ports de ces pays ;
- des participations à des séminaires mixtes de leurs
autorités militaires et civiles pour étudier des participations
mixtes aux opérations de maintien de la paix dans le cadre d'Eurofor et
d'Euromarfor ;
- la participation de leurs autorités militaires en tant qu'observateurs
aux exercices programmés des euroforces ;
- la participation de leurs officiers d'état-major aux exercices de
poste de commandement ;
- enfin, la participation des unités de ces pays, en conjonction avec
celles d'Eurofor et d'Euromarfor, à des exercices de préparation
d'opérations humanitaires et de maintien de la paix.
On doit toutefois constater que la première tentative de
présentation d'Euromarfor à des pays d'Afrique du Nord, qui
était l'objectif initial de la mission MEDSUD qui s'est
déroulée au mois de juin 1997, s'est soldée par un
échec, les divers pays contactés n'ayant pas donné suite
aux propositions d'escales émises par les pays participant à
Euromarfor.
3. L'OTAN et la Méditerranée
La zone méditerranéenne prend une place
croissante dans la préoccupation sécuritaire de l'organisation
atlantique. Celle-ci y trouve une justification nouvelle à sa fonction
d'instance de sécurité collective et d'outil de gestion de crises
après les bouleversements intervenus en Europe centrale.
Ainsi, l'OTAN avait-elle proposé un partenariat pour la paix à
certains pays de la rive sud, formule réduite depuis à un
dialogue méditerranéen sélectif, puisque ouvert à
certains Etats seulement
8(
*
)
. Surtout,
l'insistance manifestée par les Etats-Unis pour ne pas modifier
l'affectation d'Afsouth à un officier américain, sur laquelle la
France a marqué la fermeté que l'on sait, illustre bien la
volonté des Etats-Unis d'ancrer leur engagement européen à
travers la rive sud du continent. "
La ligne de front de l'engagement des
Etats-Unis pour la sécurité européenne se déplace
vers la Méditerranée et au-delà".
Cette
déclaration de l'amiral Lopez
9(
*
)
ne
saurait mieux illustrer le sens de la démarche suivie.
Le dialogue méditerranéen lancé par chacune des
organisations que sont l'Union européenne, d'une part, et l'OTAN,
d'autre part, est donc fondé sur des critères différents
et non concertés. Il n'est pas sûr que cette concurrence renforce
à terme la stabilité méditerranéenne. En tout
état de cause, l'UEO, dans ce contexte, ne tient qu'un rôle
marginal. La création des euroforces, présentées comme un
moyen de coopération militaire pour la stabilité régionale
devait permettre de développer la place de l'Union de l'Europe
occidentale.
II. EUROFOR ET EUROMARFOR : DES CAPACITÉS EUROPÉENNES EN MÉDITERRANÉE
A. L'AMBITION EUROPÉENNE D'UNE CAPACITÉ TERRESTRE ET AÉROMARITIME
1. Une force régionale adaptée aux nouvelles missions
C'est le 15 mai 1995, à Lisbonne, que les ministres des
affaires étrangères et les ministres de la défense de
l'Espagne, de la France et de l'Italie ont décidé de créer
une
force multinationale du niveau d'une division,
dénommée "Euroforce opérationnelle rapide" (Eurofor).
Parallèlement à cette unité terrestre, fut
simultanément décidée la mise en place d'une
force
maritime multinationale, préstructurée et non permanente
,
avec des capacités aéronavales et amphibies : la Force maritime
européenne (Euromarfor). Un protocole annexe, joint à la
déclaration de Lisbonne, a pris acte du souhait du Portugal de
participer à ces deux forces, qui fut entériné le 7 mai
1996 à Birmingham, lors d'une réunion des ministres -affaires
étrangères et défense-, de ces quatre pays.
La coopération militaire entre l'Italie, l'Espagne et la France est, au
demeurant, antérieure à ces initiatives. Celles-ci sont en
quelque sorte l'aboutissement de plusieurs exercices effectués en commun
depuis de nombreuses années ainsi que de participations communes
à des engagements extérieurs.
La création des euroforces est directement liée à la
volonté exprimée par l'UEO, lors de la réunion
ministérielle de Petersberg en 1992, de pouvoir faire appel à des
unités militaires, dans un ensemble varié de situations, et de
donner ainsi un premier contenu concret à l'identité
européenne de sécurité européenne de
défense.
La déclaration franco-italo-espagnole de Lisbonne relative à la
création des euroforces précise que celles-ci " agissant
indépendamment ou de manière combinée avec d'autres
forces, peuvent être employées pour :
- des missions humanitaires ou d'évacuation de ressortissants,
- des missions de maintien de la paix,
- des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des
opérations de rétablissement de la paix ".
Cette référence explicite aux missions définies dans la
déclaration de Petersberg illustre le lien fort entre les euroforces et
l'UEO, dont elles relèvent en priorité, ce qui n'exclut pas pour
autant la participation aux initiatives d'autres organisations internationales
dans le domaine du maintien de la paix et du développement de la
sécurité.
Toutefois, l'accomplissement de ces missions ne doit pas compromettre la
participation des unités des euroforces au devoir de défense
mutuel en application des traités de l'UEO et de l'Atlantique-Nord.
Ainsi, la création de ces forces ne saurait amoindrir le niveau des
engagements pris par les Etats participants au titre de la défense
commune, afin de ne pas réduire les capacités
opérationnelles de l'OTAN et de l'UEO.
La déclaration n'assigne aucune limite à la zone
géographique d'action des euroforces, celle-ci étant
définie, pour chaque opération, en fonction de l'origine des
crises. De par les préoccupations communes aux trois pays fondateurs,
leur vocation méditerranéenne est évidente mais leur
champ d'intervention ne se limite pas à la
Méditerranée.
2. Un cadre d'emploi souple
L'emploi des euroforces, quel que soit leur cadre ou le type
de mission, ne peut résulter que d'une
décision commune des
Etats participants.
Sous réserve de ce préalable, plusieurs cadres d'emploi sont
envisagés par la déclaration de Lisbonne. Si l'on ne peut exclure
l'emploi de la force dans un cadre purement quadrilatéral, à
l'initiative des seuls Etats participants, telle n'est cependant pas
l'hypothèse privilégiée. Les euroforces ont en effet
principalement vocation à agir au profit d'organisations
internationales, et en premier lieu de l'UEO ainsi que de l'OTAN.
Comme indiqué dans la déclaration de Lisbonne, les euroforces ont
été déclarées
" forces relevant de
l'UEO "
et seront
employées prioritairement dans ce
cadre
.
Ce lien privilégié avec l'UEO implique l'association d'Eurofor et
d'Euromarfor au processus de planification de l'UEO. Des liaisons
étroites sont ainsi établies entre le commandant de chaque force
et la cellule de planification de l'UEO. Elles ont pour but de définir
les capacités susceptibles d'être mises à la disposition de
l'UEO mais aussi d'harmoniser et de coordonner la préparation des
exercices et les structures de commandement.
En cas d'opération conduite sous l'égide de l'UEO, le
commandement opérationnel, ou le contrôle opérationnel des
unités, sera assuré soit par le commandant de chacune des deux
forces si l'UEO en décide ainsi, soit par le commandant de
l'opération désigné par l'UEO.
Les euroforces pourront également être employées
dans le
cadre de l'OTAN
pour renforcer le pilier européen de l'Alliance,
sur décision des Etats participants
. Dans ce cas, les conditions
de la participation des euroforces sont définies par le comité
interministériel de haut niveau (CIMIN), après échange
d'informations avec le Conseil de l'Atlantique Nord. L'évaluation des
capacités militaires, l'élaboration des options militaires
envisageables et la définition de la structure de commandement
adaptée résulteront de contacts au niveau militaire entre les
autorités militaires des Etats participants (incluant
éventuellement les commandants de l'une ou l'autre euroforce) et les
autorités militaires de l'OTAN. Il est prévu que les Etats
participant aux euroforces soient associés dès le départ
à la planification des opérations, la planification
opérationnelle finale étant approuvée d'un commun accord
entre le Conseil de l'Atlantique Nord et le CIMIN. Le
principe
d'unicité de commandement
devant être respecté, le
commandant de l'Euromarfor et/ou celui de l'Eurofor assumera ses
responsabilités opérationnelles définies dans le plan
d'opération et, le cas échéant, il exécutera les
transferts d'autorité opportuns vers les commandants qui auront
été désignés. En tout état de cause, la
définition du volume de la force engagée, la nature de son
articulation avec les forces de l'OTAN et les conditions d'emploi des
euroforces
sont décidées en dernier ressort par les Etats
participants.
La possibilité de participer à une action de l'OTAN implique une
interopérabilité totale des euroforces avec l'ensemble des
unités de l'Alliance
. Celle-ci est d'ores et déjà
garantie pour Euromarfor par l'emploi ancien des procédures et des
standards de l'OTAN par les marines concernées, y compris par la Marine
française.
En dehors de l'UEO et de l'OTAN, les euroforces pourront également
être employées en application des résolutions du Conseil de
sécurité de l'ONU et des décisions de l'OSCE ou,
éventuellement, d'autres organisations internationales.
3. Le Comité interministériel de Haut niveau (CIMIN)
C'est en effet à cette instance, réunissant des
responsables des affaires étrangères et de la Défense de
chacun des Etats participants qu'il revient :
- d'assurer la coordination politico-militaire,
- de fixer les conditions d'emploi de la force,
- de donner les directives à son commandant.
De même, sera-t-il chargé de définir les conditions
d'emploi de la force par l'UEO, l'OTAN et les autres organisations
internationales.
Le Comité interministériel est composé des chefs
d'état-major des armées et des directeurs politiques des
ministères des affaires étrangères des Etats participant
aux forces. Il siège une fois par an, en même temps que se tient
le Conseil des Ministres de l'UEO. Par ailleurs, il peut se réunir
à la demande d'au moins un Etat participant. Sa présidence est
exercée par rotation, d'une durée d'un an, entre les 4 Etats
participants.
Le Comité interministériel dispose pour préparer et
exécuter ses décisions, d'un groupe de travail
politico-militaire, composé de représentants des
ministères des affaires étrangères et de la défense.
Ce groupe de travail est également chargé d'effectuer la
synthèse des activités de trois sous-groupes de mise en oeuvre :
le sous-groupe Eurofor, le sous-groupe Euromarfor et le sous-groupe des experts
juridiques
B. LES CARACTÉRISTIQUES DE L'EUROFOR
L'Eurofor est une force terrestre multinationale du niveau maximum d'une division légère (10.000 hommes) disposant d'une structure de commandement permanente -basée à Florence- et d'un réservoir de forces "rassemblées à la demande". Bien qu'à dominante terrestre, elle sera apte aux actions interarmées.
1. L'état-major permanent
Dès le temps de paix, la Force dispose, à
Florence, d'un état-major permanent léger (50 officiers et 40
sous-officiers) capable d'opérer au niveau interarmées avec un
haut degré de mobilité et une capacité de projection
à distance.
Cet état-major, opérationnel depuis le 28 novembre 1997, doit
être à même en cas de besoin de fournir un poste de
commandement tactique terrestre (COMTACTER) ou un poste de commandement
interarmées de théâtre (PCIAT), déployé sur
un théâtre d'opérations. L'état-major est notamment
chargé d'élaborer les plans opérationnels, de participer
à la définition des objectifs logistiques et
d'entraînement, de monter des exercices et de conduire les
opérations si nécessaire.
Cet état-major permanent constitue le "noyau dur" à partir
duquel, avec les renforts nécessaires, pourra être formé un
poste de commandement multinational intégré projetable.
Plusieurs configurations sont théoriquement possibles, en fonction de la
nature et de l'ampleur de l'opération :
- commandement tactique terre, au niveau tactique (COMTACTER) requérant
un effectif d'environ 150 personnes;
- commandement de la force, au niveau opératif (COMFOR), avec un
effectif de quelque 300 personnes.
Dans ces deux configurations l'état-major est projeté, à
la différence d'un commandement de l'opération, au niveau
stratégique (COPER). L'effectif d'un tel PC nécessitant quelque
450 personnes, une telle configuration se heurterait à Florence à
des limites physiques compte tenu de ses implications en termes de
capacités d'hébergement, de soutien ou de sécurité.
Dans un tel contexte multinational et éventuellement interarmées,
l'interopérabilité est essentielle, qu'elle concerne les concepts
d'emploi, les procédures opérationnelles, les moyens logistiques
et de communication. De même, l'état-major devra-t-il se doter des
moyens de commandement et de contrôle polyvalents
-télécommunications et traitement automatisé de
l'information- qui permettent des liaisons permanentes dès le temps de
paix avec les états-majors nationaux et les instances internationales
dont dépendrait la Force. Ces tâches seront très
prochainement confiées au 1er régiment italien de transmissions,
progressivement professionnalisé. Le système d'information et de
communication (SIC) qui fait actuellement défaut à
l'état-major de Florence sera le SIACCON italien. Il devrait être
disponible lors du prochain exercice majeur " Eole 1998 ".
Cette structure permanente que constitue l'état-major est la base du
commandement de la Force. A la différence des forces multinationales
ad hoc,
constituées pour telle ou telle opération
(Albanie, Bosnie-Herzégovine), où la structure de commandement
reposait sur une nation-cadre qui en fournissait l'essentiel, la structure de
l'Eurofor comporte un équilibre entre les postes attribués
définitivement aux Etats participants et d'autres occupés de
manière tournante : les postes qui font l'objet d'une rotation sont
celui du général
commandant, du général chef
d'état-major, du sous-chef d'état-major "opérations"
et celui du sous-chef d'état-major
"logistique"
. Les autres
postes ont été répartis, à titre définitif,
entre les nations participantes. L'ensemble est décrit par
l'organigramme ci-après :
La stricte égalité des pays participant dans la rotation des
postes de commandement, pourrait, en cas d'engagement, conduire à une
situation inédite : tel pays qui, tout en n'impliquant qu'un effectif
réduit de troupes accepterait l'engagement de l'Eurocorps et assurerait
à ce moment le commandement de l'état-major, pourrait exercer son
commandement ou son contrôle opérationnel sur les unités
des autres pays. Quelle serait dès lors l'attitude de ces derniers ? En
effet, dans des configurations comparables, le commandement de la force est, en
effet, toujours exercé par le pays dont les forces sont les plus
importantes. En tout état de cause, la France a toujours exercé
un rôle prééminent dans les états-majors
multinationaux lorsqu'elle y avait affecté la force la plus nombreuse.
Une configuration différente constituerait donc une innovation à
laquelle il faut se préparer.
Le fonctionnement de l'état-major est assuré par une unité
de Quartier général italienne, de la valeur d'un bataillon
entièrement professionnalisé dont les missions vont de la
sécurité au soutien des activités de l'état-major.
A l'état-major, les langues
officielles
sont celles des Etats
participants (français, espagnol, portugais, italien) ; les langues de
travail
sont celles des trois Etats fondateurs
(France, Espagne,
Italie) ; enfin les langues
d'opérations
sont le français
et l'anglais, également langues officielles de l'OTAN et de l'UEO.
2. Des forces rassemblées sur demande
L'une des originalités de l'Eurofor par rapport aux
autres forces multinationales existantes repose sur le
principe des
" capacités "
proposées par chaque participant en
fonction de la nature de la mission. Ce système constitue un net
progrès par rapport à la configuration arrêtée
initialement pour le Corps européen. L'un de vos rapporteurs avait en
effet relevé le caractère très contraignant du principe
d'unités préaffectées, au surplus essentiellement
composées d'élements de blindés lourds. Sur ce plan,
l'évolution va également dans le bon sens avec la création
de groupement de forces plus léger, comprenant une Force
immédiate légère (FIL) et une Force immédiate
mécanisée (FIM). Ainsi, dans le concept Eurofor, chaque Etat se
doit de tenir en réserve des modules de forces à hauteur
d'environ 5 000 hommes.
Une configuration-type des unités utilisables reposerait par exemple,
pour le niveau d'une brigade, sur :
- un état-major de brigade (avec une unité de quartier
général et une unité de transmission)
- un bataillon d'infanterie
- un bataillon du génie
- un bataillon logistique (incluant le service de santé).
A cette configuration type soumise par chaque Etat, s'ajoutent les
modules
spécialisés
dont la fourniture est répartie entre les
Etats participants : blindés, forces spéciales, artillerie,
transmissions protégées, moyens de transport, service de
santé...
Les unités parmi lesquelles chaque pays puisera les capacités
requises sont identifiées pour l'Italie, l'Espagne et le Portugal. La
France, dont la structure de forces est déjà largement
fondée sur la modularité, et qui ne repose plus sur une structure
de brigades, dispose d'un éventail de choix plus vaste. Ainsi l'Espagne
a-t-elle potentiellement affecté à l'Eurofor la Brigade de
chasseurs de montagne " Aragon " et la Brigade de cavalerie
" Castillejos II " ; le Portugal a privilégié sa
Brigade aérotransportée indépendante ; l'Italie pour sa
part a désigné la Brigade parachutiste " Folgore " et
la Brigade de Bersaglieri " Garibaldi ".
Cette structure modulaire doit permettre de constituer une force multinationale
du niveau d'une
division légère (10 000 hommes)
,
composée de
modules nationaux du niveau brigade
(3 000 hommes).
Pour un besoin opérationnel moindre, il est possible de former une
brigade multinationale
sur la
base de modules nationaux de l'ordre du
bataillon
.
Le tableau ci-après illustre des hypothèses de capacités
nécessaires et les unités correspondantes.
Missions |
Capacités nécessaires |
Unités à mettre en oeuvre |
Missions humanitaires + évacuation ressortissants (H) |
- Assistance sanitaire
|
- Antenne chirurgicale, EMMIR,
hôpital de campagne
|
Maintien de la paix (MP) |
-
Itinéraires
:
reconnaissance
|
- Blindés légers,
Génie
(déminage), hélicoptères
|
Rétablissement de la paix (RP) |
-
Combat
(s'emparer
et
tenir points
clefs-contraindre belligérants)
|
- Chaîne d'appui aérien
et/ou naval
|
Tronc commun (TC) |
-
Protection
:
mobile stratégique (aller
retour)
|
- Cellules
état-major spécialisées,
Unités de transit
|
L'Eurofor, qu'elle agisse indépendamment ou de
manière combinée avec d'autres forces, pourra accomplir les
missions définies par le Conseil de l'UEO en juin 1992, dites
" missions de Petersberg ". Les tâches de l'Eurofor
découlant de ces missions pourraient être les suivantes :
l'assistance aux populations, la prévention des crises, l'interposition
entre les parties en conflit, la surveillance et le contrôle de zones,
enfin la projection de forces pour remplir des missions spécifiques.
La caractéristique commune à toutes ces missions imparties
à l'Eurofor, est la disponibilité et donc la capacité
à être projetée rapidement. Les délais d'engagement
de la force doivent donc être planifiés pour être les plus
courts possibles. A titre d'exemple, dans l'hypothèse d'un engagement de
faible intensité, impliquant une brigade (3 000 hommes) pour une
opération de maintien de la paix, le fractionnement de la force doit
permettre un délai d'engagement :
- de 48 heures à 5 jours pour le détachement précurseur de
commandement,
- de 10 à 20 jours pour le premier échelon,
- de 20 à 30 jours pour le deuxième échelon,
chaque détachement devant disposer de ses propres moyens de
commandement, de manoeuvre, d'appui et de soutien.
L'Eurofor est l'occasion d'innover en matière de concepts d'emploi
multinational de certaines capacités. Ainsi en est-il en particulier des
capacités logistiques. Plutôt que de garder le principe habituel
de maintien de la chaîne logistique dans un cadre exclusivement national,
ce qui entraîne des redondances inutiles et coûteuses,
l'idée consiste à désigner, sur le théâtre
d'opérations, une nation pilote, en charge d'une ou plusieurs
capacités logistiques au profit de l'ensemble de la force : carburant,
service de santé, transport etc... La mise en oeuvre concrète de
cette répartition des tâches interviendrait sur le
théâtre au moment du transfert d'autorité.
C. LES CARACTÉRISTIQUES D'EUROMARFOR
1. Le commandement : une structure légère et souple reposant sur un état-major non permanent
Comme vos rapporteurs l'ont indiqué, le
comité interministériel de haut niveau
(CIMIN) assure la
direction politico-militaire des deux Euroforces et leur adresse ses
directives. Son organe exécutif, le groupe politico-militaire, a
autorité sur les trois sous-groupes de mise en oeuvre, dont le
sous-groupe Euromarfor
, composé de représentants des
directions et états-majors des pays participants et chargé de
traiter, pour ce qui concerne Euromarfor, des questions relatives aux
structures, à l'organisation, à l'administration, au
renseignement, à l'instruction et à l'entraînement, aux
procédures opérationnelles, à l'infrastructure, aux
télécommunications et aux aspects financiers.
Le commandement opérationnel d'Euromarfor comporte deux niveaux :
opératif d'une part, et tactique d'autre part.
Le
commandement de la force, Comeuromarfor
, basé à terre,
est
désigné à tour de rôle chaque
année
et il est
confié à une autorité navale
nationale
: pour la première année, c'est-à-dire
à partir d'octobre 1995, il a été assuré par la
plus haute autorité navale espagnole, l'Amiral de la flotte (ALFLOT),
puis le relais a été pris en octobre 1996 par le commandant de la
zone maritime pour la Méditerranée de la marine française
(CECMED) basé à Toulon. Le commandement a été
passé en octobre 1997 au commandant en chef de la marine italienne
(CINCNAV). Le Comeuromarfor exerce ainsi à la fois un commandement
national et le commandement de l'Euromarfor.
Le rôle du Comeuromarfor diffère selon que la force est ou n'est
pas activée.
Lorsque la force n'est pas activée, son rôle consiste à
préparer les conditions d'activation de la force dans les conditions
prévues, dans les délais impartis et selon les directives du
CIMIN. Pour cela, il assure la planification opérationnelle en liaison
avec les organismes de planification nationaux et la cellule de planification
de l'UEO, il participe à la définition des objectifs
d'entraînement et des besoins logistiques, il développe les
procédures concernant les exercices spécifiques de l'Euromarfor,
il tient à jour la liste des unités à la disposition de
l'Euromarfor et il entretient des relations avec le directeur de la cellule de
planification de l'UEO et avec les autres commandants de forces multinationales.
Lorsque la force est activée, le Comeuromarfor en assure le
contrôle opérationnel pour rassembler les unités et assurer
sa mise en condition. Il peut conserver la force sous son contrôle s'il
est également désigné pour assurer la conduite de
l'opération.
Le Comeuromarfor dispose auprès de lui d'une
cellule
d'état-major comprenant un officier de chaque nation
. En pratique,
cette
cellule non permanente
n'est réunie auprès de lui
que moins de 50 % du temps. Les officiers concernés alternent les
périodes de présence à la cellule d'état-major
d'Euromarfor et leur travail dans leurs états-majors nationaux. Cette
formule souple
, qui pourrait être modifiée si besoin en
fonction de l'expérience, assure une bonne liaison entre Euromarfor et
les marines nationales. Il faut souligner que continuant à assurer
l'exercice d'un commandement national, le Comeuromarfor dispose à ce
titre de son propre état-major à partir de son centre
d'opérations habituel.
Second échelon de commandement, le
commandement tactique
embarqué
est assuré par un officier de marine
désigné par le CIMIN lorsque la force est activée pour un
entraînement ou une opération réelle. La fonction de
commandant tactique est alors assurée par un officier de marine de
même nationalité, en règle générale, que le
Comeuromarfor ou qui est considéré comme le plus qualifié
pour exercer le commandement. Son état-major est renforcé par du
personnel des autres Etats participants..
2. L'aboutissement d'une longue expérience en commun
La capacité opérationnelle et le bon
fonctionnement dont peut déjà se prévaloir Euromarfor ont
été favorisé par plusieurs facteurs :
l'expérience d'une coopération ancienne et active entre les
marines française, italienne et espagnole, l'usage de procédures
communes à toutes les marines de l'OTAN en vigueur depuis plusieurs
années, la relative facilité, par rapport aux opérations
terrestres, des opérations maritimes comportant la réunion
d'unités -en l'occurrence des bâtiments- provenant de pays
différents. L'aptitude de la force a remplir ses missions a
déjà été testée en grandeur réelle
lors de plusieurs exercices importants.
Les
trois pays fondateurs
d'Euromarfor, la France, l'Italie et
l'Espagne, possèdent une
expérience déjà
très riche de la coopération entre leurs marines
, qui
contribue grandement à faciliter le bon fonctionnement de la force.
Cette coopération navale a pris une forme active avec de
nombreux
exercices tripartites
tels que CRISEMEDEX, FARFADET, ARDENTE, TRAMONTANA ou
MISTRAL. Elle reposait sur un besoin objectif : diminuer les coûts des
stages de remise en condition opérationnelle en groupant les
entraînements des différentes marines. Ainsi, de même que le
Royaume-Uni coordonne l'entraînement des marines " du
nord ",
la France entendait fédérer celui des marines " du
sud ".
Cette expérience de plusieurs années, ainsi que l'habitude de la
marine française de coopérer avec l'ensemble des marines de
l'OTAN en usant de procédures communes, constituent le gage de
l'efficacité de la force, qui tire un grand bénéfice de la
pratique habituelle d'exercices conjoints.
Par ailleurs, il faut souligner que la constitution d'une force navale
multinationale pose moins de problèmes pratiques que celle d'une force
terrestre : il s'agit de réunir en mer des bâtiments et l'obstacle
de la langue est inexistant puisque la langue nationale prévaut à
bord alors que de bâtiment à bâtiment, l'anglais est
déjà de facto la langue de travail, toutes les marines
européennes, y compris la marine française, se conformant aux
procédures et aux standards de l'OTAN.
Si l'habitude de travail en commun entre les marines française,
italienne et espagnole, était déjà très forte, il
n'en va pas de même avec la marine portugaise. Il est d'ailleurs
significatif que le Portugal n'ait été associé aux trois
pays fondateurs que lors de la conférence ministérielle de l'UEO
de Lisbonne et n'ait pas participé dès l'origine à la
création d'Euromarfor. Dans ces conditions, il est également
logique que
l'intégration de la marine portugaise dans la force
soit moins naturelle et moins facile que celle des trois autres marines. On
relèvera par exemple qu'il a fallu attendre l'été 1997
pour que la marine portugaise fournisse un bâtiment à
l'Euromarfor, dans le cadre de la mission Medsud alors qu'elle n'avait
participé ni à l'exercice Eole 96, ni à l'exercice Iles
d'or 97 au printemps dernier.
La participation pleine et entière de la marine portugaise à
Euromarfor exige aussi une bonne intégration dans les structures de la
force, qu'il s'agisse du sous-groupe travaillant auprès du CIMIN, de la
cellule d'état-major du Comeuromarfor, ou des états-majors
placés auprès du commandant tactique lors des exercices. A cet
égard, on peut s'étonner de l'absence d'officiers portugais dans
les états majors constitués pour l'exercice Iles d'or 97.
Au travers de ces quelques éléments, on voit bien que la
composition multinationale de la force ne soulève guère de
difficultés dès lors que l'on raisonne sur un nombre
limité de marines, habituées à coopérer. Les
efforts d'adaptation à accomplir sont moins importants pour les trois
marines des pays fondateurs, qui constituent en quelque sorte le
" noyau " d'Euromarfor, que pour le Portugal.
Cet aspect des choses devra nécessairement être pris en compte
lorsque se posera la
question de l'élargissement d'Euromarfor
,
évoqué en raison de la candidature de la Grèce et de la
Turquie. Si l'ouverture aux autres membres de l'UEO figure parmi les principes
affichés dès la création d'Euromarfor, il importe aussi de
préserver le bon fonctionnement actuel de la force
, qui s'appuie
à la fois sur une
organisation légère et souple
, et
sur l'acquis de la coopération entre les trois pays fondateurs.
L'efficacité du commandement de la force pourrait souffrir d'un manque
de continuité, si un nombre trop important de pays étaient
appelés à l'exercer à tour de rôle. Sans doute
faudrait-il alors distinguer la fonction de commandement de la force, qui
gagnerait à ne tourner qu'entre un nombre limité
d'autorités, et la participation d'autres pays à la force, qui
pourrait bien entendu être plus large, dans le cadre d'exercices ou
d'opérations ponctuelles ou de manière plus permanente, les
autorités de ces pays pouvant pour leur part se voir confier un
commandement tactique.
3. Une force d'ores et déjà opérationnelle
Force non permanente mais préstructurée,
l'Euromarfor constitue aujourd'hui pour les quatre pays membres une
force
maritime adaptée aux missions du temps de crise, capable de prendre la
mer sous préavis de cinq jours.
La
composition de la force
repose sur des moyens existants dans les
marines participantes. Désignés à l'avance par chacun des
pays participants, les bâtiments, en dehors des périodes
d'opérations communes, ne sont ni rassemblés, ni retirés
de leurs activités nationales habituelles. Les Etats-membres
communiquent le type et le nombre d'unités qu'ils s'engagent à
maintenir disponibles pour une éventuelle affectation à
l'Euromarfor. Cette liste est renouvelée tous les semestres et permet au
Comeuromarfor d'engager les travaux de planification.
Pour 1997, les forces disponibles se décomposaient comme suit :
- un porte-avions et son groupe aérien,
- trois bâtiments amphibies de type transport de chalands de
débarquement (TCD),
- cinq frégates,
- quatre corvettes,
- deux destroyers,
- deux ravitailleurs,
- trois chasseurs de mines,
- un sous-marin nucléaire d'attaque,
- un soutien d'aviation de patrouille maritime.
Sur cet ensemble, la France fournissait notamment le porte-avions , trois TCD
et un sous-marin nucléaire d'attaque. Deux divisions de l'armée
de terre, la 9e division d'infanterie de marine et la 6e division
légère blindée, étaient par ailleurs susceptibles
de contribuer à une opération. Il est à noter que les
marines italienne et espagnole disposent d'unités d'infanterie de marine
qui leur sont directement rattachées et qui peuvent être
engagées dans les opérations de la force : le bataillon San Marco
en Italie et le Tercero de Armada en Espagne.
La
liste des bâtiments arrêtée chaque semestre
constitue une réserve potentiellement utilisable qui pourrait être
complétée par d'autres bâtiments ou aéronefs si la
mission l'exigeait. A la lecture de cette liste, il apparaît que les
capacités opérationnelles d'Euromarfor sont importantes tant en
matière de contrôle des espaces maritimes que de projection de
forces : elles couvrent pratiquement tous les domaines de l'action
aéronavale et permettent la mise en oeuvre d'actions terrestres à
partir de la mer.
On peut observer que si aucun lien organique n'est établi entre
Euromarfor et Eurofor, si ce n'est qu'elles relèvent du même
CIMIN, une complémentarité étroite apparaît entre
les deux forces, Euromarfor pouvant contribuer à l'appui aérien,
au transport d'une force amphibie ou à des mesures d'embargo ou
d'évacuation de ressortissants. Les deux forces devraient d'ailleurs
participer conjointement à l'exercice EOLE 98 qui se déroulera au
printemps prochain dans le sud de la France.
En ce qui concerne les
capacités de débarquement
, les 3
TCD d'Euromarfor permettent le transport de moyens nécessaires à
l'armée de terre, qu'il s'agisse de troupes,
d'hélicoptères de transport, de véhicules ou de
blindés légers. Ces moyens peuvent être
débarqués dans des installations portuaires existantes ou sur des
rivages non aménagés, grâce à des opérations
d'héliportage et de " plageage ". Une opération de
grande ampleur exigeant par exemple le transport de blindés lourds
nécessiterait en revanche le recours à des moyens
supplémentaires de transport maritime, par l'affrètement de
navires de commerce.
L'Euromarfor est activée pour entraînement, en principe chaque
année avec un thème particulier à l'occasion d'un
exercice. Depuis sa création, elle n'a pas été
engagée dans une opération spécifique bien que sa vocation
et sa capacité opérationnelle la désignaient de
manière assez évidente pour participer à
l'opération ALBA en Albanie.
Les exercices effectués depuis 1996 ont permis d'évaluer le
comportement de la force dans diverses configurations, qu'elle opère
seule avec des objectifs propres ou qu'elle s'intègre dans une coalition
plus vaste au sein de laquelle lui sont confiées des missions
particulières.
Inaugurée le 2 octobre 1995 à Rota, sous le commandement de
l'amiral commandant la flotte espagnole (ALFLOT), l'Euromarfor a
été activée pour la première fois le 23 avril
1996 à Palma de Majorque pour effectuer un entraînement
spécifique puis s'intégrer en tant que telle à
l'
exercice
interarmées européen
Eole 96
. A
cette occasion, la force a rassemblé une vingtaine de bâtiments,
parmi lesquels deux porte-aéronefs, deux transports de chalands de
débarquement et leur escorte.
Le 7 octobre 1996, le commandement de la force était transmis au
commandant de la zone maritime Méditerranée à Toulon
(CECMED). La force a de nouveau été activée en deux
occasions :
- sa participation à l'exercice Iles d'or 97,
- une mission spécifique, la mission Medsud.
Iles d'or
est un
exercice naval majeur
organisé tous les
trois ans par CECMED en Méditerranée occidentale qui s'est
déroulé cette année du 19 au 31 mai et a regroupé
les forces de onze nations : l'Allemagne, la Belgique, le Canada, l'Espagne,
les Etats-Unis, la France, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, le
Royaume-Uni et la Turquie.
A cette occasion, l'Euromarfor a été activée et a
rassemblé autour du porte-avions Clemenceau les frégates
françaises Cassard et Dupleix, la frégate italienne Grecale, la
frégate espagnole Cataluna, ainsi que le pétrolier ravitailleur
français Meuse. En outre, ainsi que le permettent les statuts, la
frégate allemande Augsburg a été associée au titre
de l'UEO.
Pour l'Euromarfor, l'exercice s'est déroulé en deux temps :
- quatre jours d'entraînement ont permis de constater sa capacité
de participer à la sécurité du trafic maritime, à
l'acheminement d'une aide humanitaire par voie maritime, de dissuader un
agresseur potentiel et de conduire si nécessaire un raid aérien
en territoire hostile,
- l'Euromarfor s'est ensuite intégrée dans l'ensemble plus vaste
de l'exercice Iles d'or 97, avec pour mission particulière la conduite
d'opérations aériennes depuis la mer sous menaces multiples en
soutien d'une opération internationale sous mandat de l'ONU.
La participation d'Euromarfor à l'exercice Iles d'or 97 aura
démontré, pour ce qui la concerne,
l'interopérabilité entre ses différentes composantes dans
tous les domaines tactiques, le bon fonctionnement d'un état-major
tactique multinational et la capacité à intégrer
rapidement dans un groupe tactique des unités relevant d'autres pays de
l'UEO. Elle a par ailleurs révélé l'aptitude d'Euromarfor
à agir en entité autonome avec ses propres tâches au sein
d'une force interalliée impliquée dans une opération
multinationale.
La mission Medsud, du 2 au 9 juin 1997 a immédiatement suivi la
participation d'Euromarfor à cet exercice. Cette mission
décidée par le CIMIN devait consister à mieux faire
connaître la force aux pays riverains du sud de la
Méditerranée, à travers des escales et des exercices
communs. Outre les frégates Dupleix, Grecale et Cataluna,
déjà présentes dans l'exercice Iles d'or, la mission
s'adjoignait un bâtiment portugais, la frégate Commandante Joao
Belo, qui représentait la première participation effective du
Portugal à Euromarfor. Toutefois, compte tenu des réticences des
pays d'Afrique du Nord à accueillir une escale, la mission s'est
limitée à un entraînement entre Toulon et Lisbonne
axé sur la lutte antinavire, les transmissions et le renseignement..
Ainsi que l'ont montré les diverses activités menées
depuis le printemps 1996, l'Euromarfor dispose d'ores et déjà de
capacités opérationnelles lui permettant sous faible
préavis d'exécuter des missions variées. On peut regretter
pour l'UEO que celle-ci, faute d'unanimité entre ses membres, n'ait pas
su ou voulu utiliser ces capacités lorsque s'est posée au
début de cette année la question de l'envoi d'une
force
multinationale en Albanie
. En effet, cette mission entrait parfaitement
dans la vocation d'Euromarfor, qui était en mesure de l'assumer
très rapidement, et elle aurait constitué pour la force une
première opération d'envergure de nature à la conforter et
à lui donner une notoriété en rapport avec sa valeur
opérationnelle. Rappelons que le commandement de la Force multinationale
de protection en Albanie agissant sous mandat de l'ONU est revenu à
l'Italie, qui a fourni près de la moitié des effectifs, et que la
France et l'Espagne ont également envoyé un contingent. Pour ce
qui concerne la France, la marine a mis en oeuvre ses moyens amphibies (les
Transports de chalands de débarquement Foudre et Orage ainsi que le
bâtiment de transport léger Champlain) pour projeter les
éléments du bataillon français, issus principalement de la
9ème division d'infanterie de marine. Cette opération
menée dans un cadre multinational pour rétablir le trafic
maritime dans le port de Durrës et sécuriser l'acheminement de
l'assistance humanitaire répondait de manière évidente aux
critères d'emploi de l'Euromarfor.
LES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS
Après cet examen descriptif des principales
caractéristiques des Euroforces, ainsi que du contexte institutionnel et
stratégique dans lequel elles s'inscrivent, vos rapporteurs souhaitent
formuler les observations suivantes :
-
Première observation
:
la constitution de forces
multinationales fait apparaître des difficultés d'ordre pratique,
même si elles ne sont pas insurmontables.
Eurofor est aujourd'hui confrontée à deux problèmes,
d'inégale importance, qui devraient trouver chacun progressivement leur
solution mais qui sont à ce jour autant de difficultés pratiques.
Première difficulté qui n'affecte d'ailleurs qu'Eurofor et non
Euromarfor, celle de la langue : quatre langues officielles, trois langues de
travail, deux langues opérationnelles. Ces deux dernières
catégories, les plus pratiquées au quotidien, totalisent en fait
quatre langues : le français, l'italien, l'espagnol et l'anglais. Dans
les faits, il est tout à la fois d'une part, délicat d'indiquer
aux officiers portugais qu'ils n'ont pas à utiliser leur propre langue
comme langue de travail et d'autre part, difficile d'écarter l'anglais
comme langue la plus communément parlée par tous, au demeurant
incontournable dans toute opération multinationale, surtout si elle est
conduite dans un cadre OTAN. On est donc placé devant un choix difficile
du respect des textes d'un côté et de la recherche de
l'efficacité opérationnelle de l'autre.
Deuxième difficulté, l'absence, aujourd'hui, de cadre juridique
stable pour l'état-major de Florence. Certes les dispositions
pertinentes des " accords de stationnement " conclus en
1951 et
applicables aux forces de l'OTAN sont étendues, à titre
provisoire, à l'Eurofor. Il semble cependant que telle ou telle
administration de l'Etat-hôte fasse parfois des difficulés sur
certains points, notamment sur les problèmes douaniers ou d'assurances.
Une négociation est donc en cours entre les quatre pays, qui devrait
conduire à la conclusion prochaine d'un accord international qui, sans
conférer à l'Eurofor le statut d'organisation internationale, lui
permettrait de bénéficier de la personnalité morale et
d'une pleine capacité juridique.
- Deuxième observation
: les Euroforces -comme d'ailleurs le
Corps européen- mettent en pratique les principes de modularité
et d'interopérabilité qui
s'inscrivent pleinement dans la
nouvelle conception de notre politique de défense
telle que
décrite, notamment, dans le rapport d'orientation de mars 1996, qui a
servi de base à l'actuelle loi de programmation militaire dont on peut
rappeler les éléments suivants :
- la constitution de nos armées autour d'éléments
organiques de forces spécialisées, modulables et articulables
à la demande, pour répondre à un besoin qui peut
être à chaque fois différent ;
- la nécessité d'être dotées de capacités de
commandement interarmées de théâtre, interopérables
avec celles de nos alliés. La France disposera en l'an 2000 d'un poste
de commandement interarmées de théâtre,
interopérable. L'état-major d'Eurofor donne la possibilité
de former dès maintenant des officiers afin de les préparer
à des conditions d'engagement qui se feront de plus en plus souvent dans
un cadre plurinational. D'une manière générale,
l'immersion accrue de nos officiers dans un contexte d'état-major
multinational dès le temps de paix s'inscrit dans la logique des
missions assignées à nos armées et de leur concept
d'emploi. Ces types d'état-major miltinationaux permettent de valoriser
l'acquis obtenu par nos cadres militaires sur le terrain lors des
opérations conduites depuis plusieurs années et de constituer
progressivement un vivier de compétences qui devrait assurer, à
un niveau quantitatif et qualitatif élevé, la participation
éventuelle de militaires français aux structures de GFIM en voie
de constitution.
Il convient de rappeler enfin que les Euroforces en général et
Eurofor en particulier constituent également un laboratoire pour des
innovations opérationnelles. Les travaux menés par
l'état-major de l'Eurofor, qui s'appuient largement sur
l'expérience acquise dans les opérations multinationales
passées permettent de constituer et d'expérimenter les concepts
nouveaux. Ainsi en est-il de la constitution dans un cadre multinational de
" capacités critiques " jusqu'alors traitées
exclusivement à l'échelon national : logistique, renseignement,
opérations spéciales, emploi des appuis (génie,
artillerie, hélicoptères)... En permettant d'élaborer des
concepts d'emplois multinationaux de telles capacités,
l'état-major d'Eurofor joue un rôle de précurseur qui ne
peut qu'être positif pour le renforcement des capacités
opérationnelles des euroforces ou de celles d'états-majors
multinationaux en général.
- Troisième observation
: le risque de décalage entre
la portée symbolique attachée à la création de ce
type de forces et leur efficacité militaire réelle.
Nul ne peut contester la valeur symbolique et politique attachée
à la mise en place de forces multinationales : tel avait
été le cas pour la brigade franco-allemande puis pour le corps
européen, censés traduire sur un registre nouveau la
communauté d'intérêts franco-allemands. Tel est le cas
également pour les Euroforces, cadre privilégié permettant
de concrétiser une solidarité européenne sur la
façade méditerranéenne. Aujourd'hui la France, à
travers sa participation à trois des états-majors multinationaux
européens, est partenaire de tous ses voisins, y compris la
Grande-Bretagne dans le groupe aérien européen franco-britannique.
Ces forces à symbolique politique se développent aussi à
l'est du continent : la récente création d'un corps
d'armée germano-polono-danois, celle d'une unité terrestre
italo-slovéno-hongroise, sont autant à elles seules, des
proclamations politiques de solidarité régionale que des outils
militaires de gestion de crises.
Cette médaille a son revers. A vouloir pousser trop loin la logique du
symbole, on risque d'affecter celle de l'outil opérationnel. Ainsi, dans
le cas des Euroforces, le projet d'ouverture à d'autres partenaires,
grecs et turcs en l'occurrence, n'est pas sans risque : outre que la
participation de ces deux pays aboutirait à faire entrer des litiges
bilatéraux complexes dans une structure militaire, ce qui
entraînerait sa paralysie définitive, le passage de quatre parties
à six et a fortiori à davantage encore, affecterait
sûrement l'efficacité et la crédibilité de
l'ensemble. Vos rapporteurs estiment qu'il serait sage de limiter le nombre des
participants à ce qu'il est actuellement, sachant que rien
n'empêche, en cas d'opérations, d'accueillir les contributions des
pays intéressés à des forces qui sont depuis leur
création, " ouvertes pour l'emploi ".
Symboles politiques de solidarités bi ou multilatérales, ces
forces sont également présentées comme la traduction
concrète de l'ambition européenne en matière de
sécurité et de défense. C'est cette image-là qui,
par l'ambition qu'elle incarne, semble desservir ces forces plus qu'elle ne les
renforce.
- Quatrième observation : la difficile maturation de
l'identité européenne de sécurité et de
défense, dont ces forces seraient l'outil opérationnel.
Un premier constat s'impose en effet : des trois forces relevant de l'UEO
auxquelles la France participe -Corps européen, Eurofor, Euromarfor-
aucune n'a jamais, jusqu'à ce jour, reçu,
ès
qualités
, de missions opérationnelles ni participé
à aucun engagement, à l'exception -marginale-
d'éléments de la Brigade franco-allemande en
Bosnie-Herzégovine. Cela paraît d'autant plus étonnant que
deux crises, d'ampleur inégale certes, mais correspondant exactement aux
missions qui seraient les leurs, ont surgi en Europe. La nature des engagements
en Bosnie-Herzégovine et en Albanie aurait pu légitimer le
recours à ces forces. En Bosnie-Herzégovine, des unités
allemandes, françaises, italiennes, espagnoles et portugaises ont
participé, avec d'autres, à l'IFOR et participent encore à
la SFOR. Onze pays européens, dont l'Italie, la France, l'Espagne et le
Portugal, ont par ailleurs pris part à l'opération Alba. Si
l'inachèvement de la phase de montée en puissance de
l'état-major Eurofor était un obstacle à son engagement en
Albanie, tel n'était pas le cas d'Euromarfor, opérationnelle lors
de la décision de mise en place de la force dans ce pays. Enfin,
l'état-major du Corps d'armée allié de réaction
rapide (ARCC), engagé dès le lancement de l'IFOR, n'a pas de
capacités opérationnelles bien supérieures à celui
de l'Eurocorps. La différence principale entre les deux unités
provient de la participation britannique prééminente dans l'une
d'elles et de sa liaison organique à l'OTAN.
Tout se passe comme si les forces multinationales européennes
créées pour afficher politiquement la validité de l'IESD,
étaient soigneusement tenues à l'écart dès qu'une
intervention militaire se dessine, où leur implication serait pourtant
parfaitement adaptée. La véritable raison semble être
précisément cette identité européenne que nos
partenaires, depuis toujours impliqués dans les structures de
l'organisation atlantique, n'entendent pas valoriser par une implication
concrète.
En second lieu, le renforcement des liens institutionnels entre l'Union
européenne et l'UEO, décidé dans le cadre du traité
d'Amsterdam, doit également être considéré avec
circonspection : certes l'UEO est consacrée comme " capacité
opérationnelle " à laquelle l'Union européenne a
accès pour les missions de Petersberg. Le Conseil européen
devient par ailleurs compétent pour définir les orientations
générales à l'égard de l'UEO lorsque l'Union
européenne y a recours. Il reste que cette sollicitude nouvelle de
l'Union européenne et du Conseil à l'égard de l'UEO, si
elle valorise formellement celle-ci, risque d'être le meilleur moyen de
la paralyser dans les faits en tant qu'instance de décision autonome. En
outre les rappels nombreux, dans l'article J7 du traité d'Amsterdam, de
la prééminence de la " politique commune de
sécurité et de défense arrêtée dans (le)
cadre (de l'OTAN) ", démontre clairement la
préférence de nos partenaires, au sein même des Euroforces
ou de l'Eurocorps, pour la structure de sécurité atlantique.
En troisième lieu, un partage de fait des tâches entre l'OTAN et
l'UEO semble par ailleurs s'opérer, à l'occasion des
opérations en cours en ex-Yougoslavie d'une part, en Albanie d'autre
part. Il consiste notamment à n'impliquer véritablement l'UEO que
dans les seules missions de police conduites en marge d'opérations
militaires qu'il revient à la seule OTAN de gérer. Les
tâches de police sont certes essentielles dans les opérations de
maintien de la paix : elles contribuent notamment, par la formation
dispensée aux polices locales, à consolider l'état de
droit. Il est clair cependant que les bénéfices politiques
retirés par les Européens dans une telle configuration sont
limités et qu'ils ne sont pas en tout état de cause à la
hauteur de l'enjeu proclamé, qui est de donner à l'IESD non
seulement les outils militaires opérationnels, mais également les
occasions politiques d'intervention, y compris dans des conflits de basse et
moyenne intensité.
Ces différents constats conduisent vos rapporteurs à un certain
pessimisme quant à l'avenir concret de l'UEO et à son implication
ès qualités
dans les gestion de crises, qui ne semblent
pas à la hauteur des ambitions longtemps nourries pour cette
organisation.
Ils ont également le sentiment que l'IESD sera de moins en moins le
résultat d'échafaudages institutionnels, aussi
sophistiqués soient-ils, que d'une approche pragmatique fondée
sur un constat éprouvé : les forces européennes
parviennent à travailler ensemble, la Bosnie-Herzégovine et
l'Albanie en sont la preuve. Il est clair également que des pays
décidés politiquement et capables militairement parviennent
à mettre en oeuvre des forces de gestion de crises dont le principe est
agréé par des organisations internationales. Si le traité
d'Amsterdam apporte un " plus " à l'IESD, c'est bien à
travers le principe des " coopérations renforcées "
qu'il institue ; la mise en oeuvre de forces de circonstances, au cas par cas,
paraît une méthode plus réaliste, plus efficace que les
approches institutionnelles toujours paralysées
in fine
par une
certaine " peur du drapeau ".
Pour vos rapporteurs, la création d'états-majors multinationaux
doit être conçue dans un souci opérationnel : rien n'est
plus négatif à l'égard de l'opinion publique, ni plus
démoralisant pour les militaires qui y travaillent et s'y
entraînent, que des structures militaires dont on devine, même
à regret, qu'elles ne seront que rarement sinon jamais engagées
en tant que telles.
La constitution de la force qui succèdera à la SFOR en
Bosnie-Herzégovine en juin 1998 sera un test important voire
décisif quant à la volonté politique de recourir à
ces forces que sont le Corps européen ou Eurofor.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des Affaires étrangères, de la
défense et des forces armées a examiné le présent
rapport au cours de sa réunion du mercredi 17 décembre 1997.
A l'issue de l'exposé de MM. André Boyer et Michel
Caldaguès, un débat s'est instauré entre les commissaires.
M. Philippe de Gaulle s'est dit navré de retrouver aujourd'hui les
mêmes problèmes que ceux qui existaient il y a quarante ans en
Méditerranée : à l'époque, grâce
à un état-major réduit, à l'existence de
procédures communes et à la définition de zones de
patrouilles spécifiques, la coopération navale entre marines de
l'OTAN était assurée. C'était, a-t-il estimé, de ce
genre d'outils légers dont les Européens devaient se doter.
M. André Boyer a précisé que les personnels de
l'état-major de Florence s'efforçaient de résoudre les
difficultés linguistiques. Beaucoup d'entre-eux avaient fait l'effort
d'apprendre les quatre langues. Il a rappelé que, à la
différence d'Eurofor, Euromarfor n'avait pas d'état-major
permanent et que l'état-major de Florence, pour Eurofor, avait
précisément pour tâche d'élaborer des
procédures communes. Il a enfin fait observer que les missions de
" Petersberg " assignées aux euroforces ne comportaient pas
de
missions de guerre ; tout au plus devaient-elles se préparer à
des conflits de basse intensité.
M. Michel Caldaguès a abondé dans le sens de M. Philippe de
Gaulle, s'interrogeant sur l'opportunité de construire des
systèmes institutionnels complexes quand une approche pragmatique
pouvait conduire à un résultat efficace. Il a par ailleurs
estimé qu'il fallait reconnaître un grand mérite aux
militaires chargés de donner une consistance à des configurations
essentiellement politiques.
Après que M. Michel Alloncle se soit interrogé sur la notion de
" conflits de faible intensité ", M. Xavier de Villepin,
président, répondant au souhait formulé par
M. Christian de La Malène, a demandé à la commission,
qui l'a accepté, d'autoriser la publication de la présente
communication sous la forme d'un rapport d'information.
ANNEXE -
ARTICLE J7 DU TRAITÉ D'AMSTERDAM
CONCERNANT LES RAPPORTS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET L'UNION DE L'EUROPE
OCCIDENTALE
1. La politique étrangère et de
sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives
à la sécurité de l'Union, y compris la définition
progressive d'une politique de défense commune, conformément au
deuxième alinéa, qui pourrait conduire à une
défense commune, si le Conseil européen en décide ainsi.
Il recommande, dans ce cas, aux Etats membres d'adopter une décision
dans ce sens conformément à leurs exigences constitutionnelles
respectives.
L'Union de l'Europe occidentale (UEO) fait partie intégrante du
développement de l'Union en donnant à l'Union l'accès
à une capacité opérationnelle, notamment dans le cadre du
paragraphe 2. Elle assiste l'Union dans la définition des aspects de la
politique étrangère et de sécurité commune ayant
trait à la défense, tels qu'ils sont établis dans le
présent article. En conséquence, l'Union encourage
l'établissement de relations institutionnelles plus étroites avec
l'UEO en vue de l'intégration éventuelle de l'UEO dans l'Union,
si le Conseil européen en décide ainsi. Il recommande, dans ce
cas, aux Etats membres d'adopter une décision dans ce sens
conformément à leurs exigences constitutionnelle respectives.
La politique de l'Union au sens du présent article n'affecte pas le
caractère spécifique de la politique de sécurité et
de défense de certains Etats membres, elle respecte les obligations
découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains Etats
membres qui considèrent que leur défense commune est
réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de
l'Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de
sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre.
La définition progressive d'une politique de défense commune est
étayée, dans la mesure où les Etats membres le jugent
approprié, par une coopération entre eux en matièe
d'armements.
2. Les questisons visées au présent article incluent les missions
humanitaires et d'évacuation, les missions de maintien de la paix et les
missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions
de rétablissement de la paix.
3. L'Union aura recours à l'UEO pour élaborer et mettre en oeuvre
les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications dans le
domaine de la défense.
La compétence du Conseil européen pour définir des
orientations conformément à l'article J3 vaut également
à l'égard de l'UEO en ce qui concerne les questions pour
lesquelles l'Union a recours à l'UEO.
Chaque fois que l'Union a recours à l'UEO pour qu'elle élabore et
mette en oeuvre les décisions de l'Union relatives aux missions
visées au paragraphe 2, tous les Etats membres de l'Union sont en droit
de participer pleinement à ces missions. Le Conseil, en accord avec les
institutions de l'UEO, adopte les modalités pratiques nécessaires
pour permettre à tous les Etats membres apportant une contribution aux
missions en question de participer pleinement et sur un pied
d'égalité à la planification et à la prise de
décision au sein de l'UEO.
Les décisions ayant des implications dans le domaine de la
défense dont il est question au présent paragraphe sont prises
sans préjudice des politiques et des obligations visées au
paragraphe 1, troisième alinéa.
4. Le présent article ne fait pas obstacle au développement d'une
coopération plus étroite entre deux ou plusieurs Etats membres au
niveau bilatéral, dans le cadre de l'UEO et de l'Alliance atlantique,
dans la mesure où cette coopération ne contrevient pas à
celle qui est prévue au présent titre ni ne l'entrave.
5. En vue de promouvoir la réalisation des objectifs définis au
présent article, les dispositisons de celui-ci seront
réexaminées conformément à l'article N.
1
Jacques Walch -
Revue du Marché
commun et de l'Union européenne
, n° 407, avril 1997.
2
" Outre une contribution à la défense commune
dans le cadre de l'article V du Traité de Washington et de l'article 5
du Traité de Bruxelles "
3
Voir en annexe l'article J7 du Traité d'Amsterdam.
4
Autriche, Danemark, Finlande, Irlande et Suède.
5
n° 618 du 16 octobre 1997
6
La Méditerranée, enquête d'une organisation
politico-stratégique, J.F. Daguzan, Défense Nationale. Octobre
1997.
7
Ibid.
8
Israël, Egypte, Tunisie, Maroc, Mauritanie, Jordanie.
9
Amiral américain Joseph Lopez, commandant en chef du
commandement sud de l'OTAN, cité par J.F. Daguzan.