N° 181
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 décembre 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
à la suite d'une mission effectuée en
Albanie
du
13 au 16 novembre 1997,
Par MM. André BOYER et André ROUVIÈRE,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Xavier de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean
Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques
Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre
Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André
Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure,
Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry,
Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune,
Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry,
MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait,
Régis Ploton, André Rouvière, André Vallet.
Mesdames, Messieurs,
Du 13 au 16 novembre dernier, une délégation de votre commission
des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces
armées s'est rendue en Albanie, afin de s'informer sur la situation
politique de ce pays quelques mois après les graves
événements qui l'ont secoué, entraînant l'envoi
d'une force internationale, et le changement d'équipe gouvernementale
intervenu à la suite des élections législatives
anticipées.
Composée de MM. André BOYER et André ROUVIERE, cette
délégation a pu rencontrer les principales autorités
politiques du pays, et notamment M. Fatos Nano, Premier Ministre, M. Skander
Gjinushi, Président de l'Assemblée populaire, M. Neritan Ceka,
ministre de l'Intérieur, M. Sabit Brokaj, ministre de la Défense
et M. Maqo Lakrori, secrétaire d'Etat à l'intégration
euro-atlantique, ainsi que plusieurs membres du Parlement et notamment des
commissions des affaires étrangères et de la défense.
La délégation a également participé à
plusieurs manifestations culturelles, et particulièrement aux
cérémonies du 5e anniversaire de l'Alliance française
à Tirana.
Le séjour de la délégation a débuté dans une
atmosphère lourde, car il coïncidait avec le rapatriement des
dépouilles des 52 victimes du naufrage d'un navire albanais qui avait
tenté de rejoindre les côtes italiennes le 28 mars dernier. A
cette occasion, la délégation a pu mesurer le caractère
dramatique de la crise survenue en Albanie aux mois de février et de
mars 1997, ainsi que les tensions politiques et sociales qui s'étaient
alors exacerbées et qui n'ont pas aujourd'hui totalement disparu.
Petit pays de 3 300 000 habitants à l'histoire tourmentée,
longtemps isolé du reste de l'Europe, l'Albanie demeure assez
méconnue en dépit de sa relative proximité
géographique.
L'objet de la mission d'information décidée par votre commission
était de mieux comprendre l'évolution de ce pays depuis son
accession à la démocratie en 1991, d'évaluer la
portée des événements de l'hiver 1997, qui constituaient
par leur ampleur l'une des plus graves crises qu'il ait traversée depuis
la fin de la seconde guerre mondiale, et d'étudier les implications de
la situation albanaise sur la région des Balkans qui demeure, en Europe,
un inquiétant foyer de tensions et de risques. Il s'agissait
également de mesurer le rôle que la France put jouer dans ce pays.
Vos rapporteurs, après avoir effectué une brève
présentation générale de l'Albanie, évoqueront ces
différents points en soulignant les difficultés
rencontrées par l'Albanie dans sa transition démocratique et
économique, en abordant l'évolution du contexte régional,
qui reste dominé par la question des albanais du Kosovo et de
Macédoine, et en insistant sur l'importance du fait francophone en
Albanie, qui devrait inciter notre pays à renforcer sa présence
et les moyens de sa coopération.
Enfin, vos rapporteurs tiennent à exprimer leur plus vive reconnaissance
à Son Excellence M. Patrick Chrismant, Ambassadeur de France à
Tirana, ainsi qu'à l'ensemble de ses collaborateurs, dont la
compétence et la grande disponibilité ont favorisé
l'excellent déroulement des travaux de la délégation.
*
* *
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE L'ALBANIE
Constituée en tant qu'Etat à l'issue des guerres
balkaniques, en 1913, l'Albanie demeure un pays mal connu, en raison de son
isolement tout au long de la seconde moitié du XXe siècle.
Petit pays par sa superficie et sa population, son territoire ne recouvre pas,
loin s'en faut, les zones de peuplement albanophone. Le nombre très
important des Albanais vivant hors des frontières, surtout en
ex-Yougoslavie, a pu faire parler de "peuple partagé" et constitue une
question politique majeure pour l'ensemble des Balkans.
Malgré des ressources naturelles certaines, l'Albanie est restée
le pays le moins développé d'Europe et a été
profondément marquée par les quarante cinq années du
régime dictatorial et autarcique mis en place par Enver Hoxha et
maintenu jusqu'en 1991.
·
La naissance difficile de l'Etat albanais
Sans entrer dans le détail de l'histoire mouvementée des Balkans,
on peut dire que les Albanais, héritiers des Illyriens, ont tour
à tour subi la domination byzantine puis ottomane, avant de se trouver
au coeur des tensions qui ont accompagné la désagrégation
de l'Empire turc, à la fin du XIXe et au début du XXe
siècle.
Pour accéder à l'indépendance, l'Albanie dut non seulement
se libérer du joug ottoman, mais encore résister aux fortes
prétentions de ses voisins serbes, grecs, monténégrins et
bulgares. Privée de l'appui des grandes puissances, elle n'y parvint que
très imparfaitement. En effet,
la conférence de Londres
,
qui mit fin en
1913
aux guerres balkaniques,
reconnut
l'indépendance de l'Albanie, mais dans un territoire inférieur de
moitié environ aux implantations effectives des populations albanaises.
Le Monténégro et la Serbie conservaient les gains
territoriaux acquis par le traité de San Stefano de 1878 à la
suite de la victoire russe contre les Turcs. La Grèce obtenait le
partage de la Çameria, région de peuplement mixte
gréco-albanais.
Les frontières de l'Albanie actuelle recouvrent pratiquement celles
de 1913.
A aucun moment, au cours du siècle, l'Albanie n'a
réellement été en mesure de s'adjoindre les territoires
albanophones situés chez ses voisins, vis-à-vis desquels elle a
dû au contraire défendre sa souveraineté.
En effet, occupée par les troupes italiennes, austro-hongroises et
françaises, l'Albanie faillit sortir dépecée du premier
conflit mondial, mais finalement, son indépendance, dans les
frontières de 1913, était confirmée par son accession, le
17 décembre 1920, comme Etat souverain à la
Société des Nations.
L'entre-deux guerres fut marqué par les visées
hégémoniques de plus en plus précises de l'Italie, qui
finit par envahir l'Albanie en avril 1939 pour en faire une véritable
colonie.
L'idée de constituer une "Grande Albanie" rassemblant tous ses
territoires ethniques fut utilisée, à des fins politiques, par
les puissances occupantes au cours de la seconde guerre mondiale,
c'est-à-dire l'Italie d'abord, puis l'Allemagne ensuite, mais elle ne
put s'imposer une fois le pays libéré.
De nouveau posée
en 1945
, la question albanaise fut encore
tranchée dans le sens du
maintien des frontières de 1913
.
Malgré l'étroitesse des liens établis entre les deux
partis communistes durant la résistance, la Yougoslavie de Tito exclut
d'emblée l'éventualité d'un rattachement à
l'Albanie des zones albanophones, et notamment du Kosovo. Bien au contraire,
des pressions de plus en plus fortes furent exercées sur l'Albanie pour
qu'elle se range, en matière économique et militaire en
particulier, sous la houlette de la Yougoslavie. Le refus de l'Albanie de
concéder une part de sa souveraineté entraîna la rupture
avec Belgrade en 1948.
Ainsi, chèrement conquise en 1913 au prix du maintien de larges
fractions de la population albanophone dans des pays étrangers,
l'indépendance de l'Albanie a dû depuis lors être
constamment défendue face à des voisins plus puissants.
Avec une superficie de 28 700 km2, le territoire albanais est à peu
près équivalent à celui d'une région
française comme la Bretagne. Etiré du nord au sud sur un peu plus
de 300 km de longueur, sa largeur d'est en ouest se situant en moyenne entre 80
et 120 km, le territoire est essentiellement montagneux, au nord, à
l'est et au sud, alors qu'une étroite plaine alluviale s'ouvre vers la
Mer Adriatique à l'ouest.
·
Un peuple "partagé"
Par rapport aux autres pays balkaniques, l'Albanie présente une double
caractéristique :
- l'homogénéité de son peuplement,
- la présence d'autant d'Albanais, sinon plus, hors du territoire
national qu'en Albanie même.
La
population de l'Albanie
,
3 340 000 habitants
en 1995, se
caractérise tout d'abord par son homogénéité,
puisqu'elle se compose à 98 % d'Albanais, la seule minorité
ethnique conséquente étant la minorité grecque
résidant dans le sud du pays, que les autorités de Tirana
évaluent à 55 000 personnes. Il faut toutefois
préciser que, selon Athènes, le nombre d'hellénophones
serait beaucoup plus important, de l'ordre de 300 000 personnes.
Convertie pour une large part à l'Islam par les Turcs, l'Albanie compte
70 % de Musulmans, répartis sur l'ensemble du pays. Les Orthodoxes,
essentiellement regroupés dans le sud, à proximité de la
Grèce, représentent 18 % de la population alors que les
catholiques, qui représentent les 12 % restants, résident surtout
dans le nord.
Les clivages religieux sont peu perceptibles
et jouent un
faible rôle dans l'Albanie d'aujourd'hui, à la fois en raison de
la tradition très ancienne de coexistence pacifique entre les diverses
religions, mais aussi parce que la politique anti-religieuse du régime
d'Enver Hoxha a atténué les références et les
sentiments religieux dans les générations de
l'après-guerre.
Plus que le clivage religieux, un
clivage géographique
opposant
le Nord, peuplé de Guègues, et le Sud, peuplé de Tosques,
est souvent évoqué. De fait, les vallées des montagnes du
Nord, difficiles d'accès, ont maintenu bien plus que dans le sud
l'organisation en clans et le droit coutumier ou
kanun
, code d'honneur
parfois comparé à la
vendetta
. Le sud du pays s'est
montré quant à lui plus perméable aux influences
étrangères. La plupart des dirigeants communistes de
l'après-guerre étaient issus du centre et du sud du pays, et
c'est encore aujourd'hui dans le sud que s'exerce le plus fortement l'influence
de l'ex-parti communiste, alors que le Président Berisha, élu en
1992 et originaire de l'extrême nord du pays, a disposé dans ces
régions de nombreux soutiens.
Le second trait dominant de la population de l'Albanie tient à sa faible
importance relative par rapport au nombre des Albanais de l'extérieur.
En effet, pour 3 340 000 habitants en Albanie, on compte
1 800 000 Albanais en Serbie
, dans la province du Kosovo,
200 000 au Monténégro et 480 000 en
Macédoine.
Les Albanais représentent 90 % de la population du Kosovo et 23 %
de la population de la Macédoine.
A cela s'ajoutent plusieurs centaines de milliers d'Albanais
émigrés principalement en Grèce et en Italie, mais aussi
aux Etats-Unis.
Enfin, il est important d'ajouter que la population albanaise se
caractérise par un
fort dynamisme démographique
, puisque
le taux d'accroissement naturel avoisinait 20 pour 1000 en 1994. Un tel
dynamisme se retrouve dans les communautés albanaises du Kosovo et de
Macédoine.
·
Une longue période d'isolement
L'Albanie s'est singularisée, durant plus de quarante ans, par son
isolement international et par la recherche d'une autonomie politique et
économique proche de l'autarcie.
Alliée à la Yougoslavie au sortir de la seconde guerre mondiale,
l'Albanie, s'estimant victime de visées hégémoniques,
rompit les relations en 1948 et procéda à l'épuration,
voire à l'élimination, de tous les dirigeants politiques
soupçonnés d'attitude pro-yougoslave. Les relations avec l'URSS,
intenses au début des années 1950, se dégradèrent
elles aussi jusqu'à la rupture en 1961. Enfin, le partenariat avec la
Chine ne résista pas à des désaccords de plus en plus nets
jusqu'à la suspension par Pékin de toute aide économique
en 1978.
Repliée sur elle-même et se sentant menacée de toutes part
au point de construire plusieurs centaines de milliers de bunkers sur
l'ensemble du territoire, l'Albanie a conjugué l'isolement diplomatique
et un régime dictatorial très dur marqué par la
suppression des libertés publiques et la fréquence des purges au
sein même du parti du travail qui a dirigé le pays jusqu'en 1992.
Sur le plan économique, malgré les potentialités de
l'agriculture et le développement industriel qui s'est appuyé sur
de nombreuses ressources en minerais, l'Albanie est resté le pays le
plus pauvre d'Europe.
Après le décès d'Enver Hoxha en avril 1985, son successeur
Ramiz Alia a été confronté à la
détérioration de la situation économique et aux
conséquences de l'effondrement des régime communistes en Europe
centrale et orientale. Dès 1990, des exodes massifs se sont produits
notamment en direction de l'Italie. Face à la pression intérieure
et internationale, le régime a procédé à une
ouverture progressive en reconnaissant le multipartisme à la fin de 1990
et en organisant les premières élections libres en 1991 qui
donnaient la majorité au parti du travail face à une opposition
encore balbutiante et inorganisée. La poursuite de la dégradation
économique et sociale allait entraîner de nouvelles
élections en mars 1992 donnant cette fois ci la victoire au parti
démocratique de M. Sali Berisha et faisant entrer l'Albanie dans une
nouvelle phase de son histoire : l'apprentissage de la démocratie.
I. LA JEUNE DÉMOCRATIE ALBANAISE AUX PRISES AVEC UNE TRANSITION DIFFICILE
La violente crise de l'hiver 1997, qui avait été
précédée d'une détérioration sensible du
climat politique et d'une dangereuse dérive financière, a
montré les
limites de la transition amorcée par l'Albanie en
1992.
En dépit de l'alternance politique provoquée par les
élections anticipées de juin 1997, les priorités des
dirigeants albanais n'ont guère varié et vont à la
stabilisation politique, au développement économique et au
rapprochement avec l'Europe occidentale, mais elles s'inscrivent
désormais dans un contexte très difficile.
A. LES ÉVÉNEMENTS DE L'HIVER 1997 : UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT
Les événements survenus en Albanie au cours des
mois de février et de mars 1997 ont été d'une
gravité à bien des égards sans précédent, en
raison de leur caractère généralisé et de
l'effondrement total de l'autorité de l'Etat.
De ces événements, on peut retenir quatre éléments
principaux :
· la dégradation de la situation politique au cours de
l'année 1996,
· l'effondrement des sociétés dites "pyramidales",
· le développement d'une situation insurrectionnelle justifiant
une intervention internationale,
· la défaite électorale du parti démocratique et
l'alternance politique.
1. Un climat politique détérioré
Il est clair qu'après plus de quarante années de
dictature, l'apprentissage de la démocratie en Albanie n'était
pas des plus faciles. La mise en place du multipartisme, d'élections
libres et de mécanismes parlementaires n'a guère apaisé
les tensions qui caractérisent la vie politique albanaise.
L'échec du référendum constitutionnel de 1994 et les
élections législatives de mai 1996 en ont offert l'illustration.
L'échec du référendum constitutionnel de novembre
1994
est significatif en ce qu'il montre la contestation dont faisait
déjà l'objet le président Berisha et la difficulté
des forces politiques albanaises de s'accorder sur un schéma
institutionnel.
On rappellera tout d'abord que l'Albanie vit toujours sous l'empire de huit
lois constitutionnelles adoptées d'avril 1991 à avril 1993, qui
constituent en fait des amendements à la constitution de 1976. Ces lois
ont reconnu les garanties fondamentales en matière de libertés et
de droits de l'homme. Elles ont organisé un régime parlementaire
dans lequel l'Assemblée du peuple investit le Gouvernement et
élit le Président de la République.
C'est sur la base de ces règles constitutionnelles que se sont
déroulées les
élections législatives de mars
1992
qui ont donné une
large majorité au parti
démocratique
(92 sièges sur 140) et que l'Assemblée du
peuple a élu
M. Sali Berisha Président de la
République
, le gouvernement étant dirigé par
M. Meksi.
Diverses recommandations internationales, notamment des Etats-Unis et de pays
membres du Conseil de l'Europe, auquel l'Albanie posait sa candidature, avaient
conduit le Président Berisha à élaborer un projet de
nouvelle constitution.
Le
rejet de ce projet constitutionnel par 54 % des électeurs
lors
du référendum de novembre 1994 apportait plusieurs enseignements :
· la relative fragilité de l'assise électorale du parti
démocratique, malgré le succès de 1992, et l'audience
encore importante du parti socialiste, ex-communiste,
· le passage à l'opposition de deux petites formations de centre
et de centre-gauche, l'Alliance démocratique et le Parti social
démocrate, jusqu'alors associées à la coalition
gouvernementale,
· au travers de thèmes de campagne axés sur le
déséquilibre du projet en faveur de l'exécutif et de
l'absence de garanties pour l'indépendance du système judiciaire,
une contestation des méthodes de gouvernement de M. Berisha qui
recueillait un certain écho dans l'opinion publique.
La perspective des
élections législatives du printemps 1996
a accentué la
radicalisation du débat entre
majorité et opposition
, notamment autour de trois questions :
- la loi sur le génocide et les crimes contre l'humanité dont le
principal effet fut de rendre inéligibles un grand nombre d'hommes
politiques de l'opposition, en raison des fonctions qu'ils avaient
exercées pendant la période communiste,
- le redécoupage des circonscriptions électorales, accusé
de rompre la continuité géographique et l'équilibre
démographique pour avantager le parti démocratique,
- l'éventuel retour au pouvoir des ex-communistes, facteur de
dramatisation de la vie politique.
C'est donc dans une atmosphère très tendue que se sont
déroulées les élections du 26 mai et du 2 juin
1996.
La très large victoire, dès le 1er tour, du Parti
démocratique fut vivement contestée par l'opposition qui,
évoquant des fraudes, réclamait l'annulation du scrutin et
décidait de boycotter le second tour, tout en organisant de multiples
manifestations de rues.
Les accusations de fraudes et d'irrégularités furent en partie
relayées par les observateurs du Conseil de l'Europe et de
l'Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE), ce qui conduisit le gouvernement à faire revoter dans 17
circonscriptions deux semaines plus tard.
Au total, le Parti démocratique emportait 122 des 140 sièges,
contre 10 sièges au Parti socialiste, 3 sièges au Parti
républicain (centre-droit), 2 sièges au Front national (droite)
et 3 sièges au Parti de l'union pour les droits de l'homme,
représentant la minorité hellénophone du sud du pays.
Le très large succès du parti démocratique aux
élections locales d'octobre 1996, dans des conditions cette fois-ci
moins discutées, n'a pas suffi à disperser les séquelles
de la fracture provoquée par le scrutin législatif
contesté du printemps.
A titre de témoignage sur le
climat politique
qui a
précédé les événements de l'hiver 1997, on
peut citer l'
opinion
de l'écrivain albanais Ismaïl
Kadaré
publiée dans Le Monde du 13 mars dernier :
"Dans
tout pays balkanique, mais plus spécialement chez les Albanais pour qui
l'offense humaine revêt toujours des dimensions tragiques, la violence
verbale risque fort de dégénérer en violence physique. La
classe politique albanaise s'est laissée tout entière emporter
par ce déchaînement passionnel. Se sont trouvés
effacés les principes et les doctrines qui sous-tendent les positions
politiques, pour laisser la première place aux mobiles subjectifs,
privés ou claniques.
Dans cet embrasement des esprits, le gouvernement albanais rêvait de
venir à bout de l'opposition, et l'opposition faisait le rêve
inverse : annihiler le gouvernement. Chacun des deux camps restait sourd
à la voix de la raison, comme aux remarques d'esprits
éclairés soulignant qu'une Albanie responsable ne pouvait
être à cette image, mais devait associer un gouvernement
responsable et une opposition responsable. La mise en cause de cet
équilibre ne pouvait que déstabiliser le pays.