RAPPORT D'INFORMATION N° 181 - MISSION EFFECTUEE EN ALBANIE DU 13 AU 16 NOVEMBRE 1997
MM. André BOYER et André ROUVIERE, Sénateurs
COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES - RAPPORT D'INFORMATION N° 181 - 1997/1998
Table des matières
-
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE L'ALBANIE
- I. LA JEUNE DÉMOCRATIE ALBANAISE AUX PRISES AVEC UNE TRANSITION DIFFICILE
- II. L'EVOLUTION DU CONTEXTE REGIONAL : OUVERTURE DIPLOMATIQUE ET PERSISTANCE DE FOYERS DE TENSION
- III. LES RELATIONS FRANCO-ALBANAISES : UN TERRAIN FAVORABLE
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
N° 181
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 décembre 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
à la suite d'une mission effectuée en
Albanie
du
13 au 16 novembre 1997,
Par MM. André BOYER et André ROUVIÈRE,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Xavier de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean
Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques
Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre
Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André
Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure,
Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry,
Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune,
Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry,
MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait,
Régis Ploton, André Rouvière, André Vallet.
Mesdames, Messieurs,
Du 13 au 16 novembre dernier, une délégation de votre commission
des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces
armées s'est rendue en Albanie, afin de s'informer sur la situation
politique de ce pays quelques mois après les graves
événements qui l'ont secoué, entraînant l'envoi
d'une force internationale, et le changement d'équipe gouvernementale
intervenu à la suite des élections législatives
anticipées.
Composée de MM. André BOYER et André ROUVIERE, cette
délégation a pu rencontrer les principales autorités
politiques du pays, et notamment M. Fatos Nano, Premier Ministre, M. Skander
Gjinushi, Président de l'Assemblée populaire, M. Neritan Ceka,
ministre de l'Intérieur, M. Sabit Brokaj, ministre de la Défense
et M. Maqo Lakrori, secrétaire d'Etat à l'intégration
euro-atlantique, ainsi que plusieurs membres du Parlement et notamment des
commissions des affaires étrangères et de la défense.
La délégation a également participé à
plusieurs manifestations culturelles, et particulièrement aux
cérémonies du 5e anniversaire de l'Alliance française
à Tirana.
Le séjour de la délégation a débuté dans une
atmosphère lourde, car il coïncidait avec le rapatriement des
dépouilles des 52 victimes du naufrage d'un navire albanais qui avait
tenté de rejoindre les côtes italiennes le 28 mars dernier. A
cette occasion, la délégation a pu mesurer le caractère
dramatique de la crise survenue en Albanie aux mois de février et de
mars 1997, ainsi que les tensions politiques et sociales qui s'étaient
alors exacerbées et qui n'ont pas aujourd'hui totalement disparu.
Petit pays de 3 300 000 habitants à l'histoire tourmentée,
longtemps isolé du reste de l'Europe, l'Albanie demeure assez
méconnue en dépit de sa relative proximité
géographique.
L'objet de la mission d'information décidée par votre commission
était de mieux comprendre l'évolution de ce pays depuis son
accession à la démocratie en 1991, d'évaluer la
portée des événements de l'hiver 1997, qui constituaient
par leur ampleur l'une des plus graves crises qu'il ait traversée depuis
la fin de la seconde guerre mondiale, et d'étudier les implications de
la situation albanaise sur la région des Balkans qui demeure, en Europe,
un inquiétant foyer de tensions et de risques. Il s'agissait
également de mesurer le rôle que la France put jouer dans ce pays.
Vos rapporteurs, après avoir effectué une brève
présentation générale de l'Albanie, évoqueront ces
différents points en soulignant les difficultés
rencontrées par l'Albanie dans sa transition démocratique et
économique, en abordant l'évolution du contexte régional,
qui reste dominé par la question des albanais du Kosovo et de
Macédoine, et en insistant sur l'importance du fait francophone en
Albanie, qui devrait inciter notre pays à renforcer sa présence
et les moyens de sa coopération.
Enfin, vos rapporteurs tiennent à exprimer leur plus vive reconnaissance
à Son Excellence M. Patrick Chrismant, Ambassadeur de France à
Tirana, ainsi qu'à l'ensemble de ses collaborateurs, dont la
compétence et la grande disponibilité ont favorisé
l'excellent déroulement des travaux de la délégation.
*
* *
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE L'ALBANIE
Constituée en tant qu'Etat à l'issue des guerres
balkaniques, en 1913, l'Albanie demeure un pays mal connu, en raison de son
isolement tout au long de la seconde moitié du XXe siècle.
Petit pays par sa superficie et sa population, son territoire ne recouvre pas,
loin s'en faut, les zones de peuplement albanophone. Le nombre très
important des Albanais vivant hors des frontières, surtout en
ex-Yougoslavie, a pu faire parler de "peuple partagé" et constitue une
question politique majeure pour l'ensemble des Balkans.
Malgré des ressources naturelles certaines, l'Albanie est restée
le pays le moins développé d'Europe et a été
profondément marquée par les quarante cinq années du
régime dictatorial et autarcique mis en place par Enver Hoxha et
maintenu jusqu'en 1991.
·
La naissance difficile de l'Etat albanais
Sans entrer dans le détail de l'histoire mouvementée des Balkans,
on peut dire que les Albanais, héritiers des Illyriens, ont tour
à tour subi la domination byzantine puis ottomane, avant de se trouver
au coeur des tensions qui ont accompagné la désagrégation
de l'Empire turc, à la fin du XIXe et au début du XXe
siècle.
Pour accéder à l'indépendance, l'Albanie dut non seulement
se libérer du joug ottoman, mais encore résister aux fortes
prétentions de ses voisins serbes, grecs, monténégrins et
bulgares. Privée de l'appui des grandes puissances, elle n'y parvint que
très imparfaitement. En effet,
la conférence de Londres
,
qui mit fin en
1913
aux guerres balkaniques,
reconnut
l'indépendance de l'Albanie, mais dans un territoire inférieur de
moitié environ aux implantations effectives des populations albanaises.
Le Monténégro et la Serbie conservaient les gains
territoriaux acquis par le traité de San Stefano de 1878 à la
suite de la victoire russe contre les Turcs. La Grèce obtenait le
partage de la Çameria, région de peuplement mixte
gréco-albanais.
Les frontières de l'Albanie actuelle recouvrent pratiquement celles
de 1913.
A aucun moment, au cours du siècle, l'Albanie n'a
réellement été en mesure de s'adjoindre les territoires
albanophones situés chez ses voisins, vis-à-vis desquels elle a
dû au contraire défendre sa souveraineté.
En effet, occupée par les troupes italiennes, austro-hongroises et
françaises, l'Albanie faillit sortir dépecée du premier
conflit mondial, mais finalement, son indépendance, dans les
frontières de 1913, était confirmée par son accession, le
17 décembre 1920, comme Etat souverain à la
Société des Nations.
L'entre-deux guerres fut marqué par les visées
hégémoniques de plus en plus précises de l'Italie, qui
finit par envahir l'Albanie en avril 1939 pour en faire une véritable
colonie.
L'idée de constituer une "Grande Albanie" rassemblant tous ses
territoires ethniques fut utilisée, à des fins politiques, par
les puissances occupantes au cours de la seconde guerre mondiale,
c'est-à-dire l'Italie d'abord, puis l'Allemagne ensuite, mais elle ne
put s'imposer une fois le pays libéré.
De nouveau posée
en 1945
, la question albanaise fut encore
tranchée dans le sens du
maintien des frontières de 1913
.
Malgré l'étroitesse des liens établis entre les deux
partis communistes durant la résistance, la Yougoslavie de Tito exclut
d'emblée l'éventualité d'un rattachement à
l'Albanie des zones albanophones, et notamment du Kosovo. Bien au contraire,
des pressions de plus en plus fortes furent exercées sur l'Albanie pour
qu'elle se range, en matière économique et militaire en
particulier, sous la houlette de la Yougoslavie. Le refus de l'Albanie de
concéder une part de sa souveraineté entraîna la rupture
avec Belgrade en 1948.
Ainsi, chèrement conquise en 1913 au prix du maintien de larges
fractions de la population albanophone dans des pays étrangers,
l'indépendance de l'Albanie a dû depuis lors être
constamment défendue face à des voisins plus puissants.
Avec une superficie de 28 700 km2, le territoire albanais est à peu
près équivalent à celui d'une région
française comme la Bretagne. Etiré du nord au sud sur un peu plus
de 300 km de longueur, sa largeur d'est en ouest se situant en moyenne entre 80
et 120 km, le territoire est essentiellement montagneux, au nord, à
l'est et au sud, alors qu'une étroite plaine alluviale s'ouvre vers la
Mer Adriatique à l'ouest.
·
Un peuple "partagé"
Par rapport aux autres pays balkaniques, l'Albanie présente une double
caractéristique :
- l'homogénéité de son peuplement,
- la présence d'autant d'Albanais, sinon plus, hors du territoire
national qu'en Albanie même.
La
population de l'Albanie
,
3 340 000 habitants
en 1995, se
caractérise tout d'abord par son homogénéité,
puisqu'elle se compose à 98 % d'Albanais, la seule minorité
ethnique conséquente étant la minorité grecque
résidant dans le sud du pays, que les autorités de Tirana
évaluent à 55 000 personnes. Il faut toutefois
préciser que, selon Athènes, le nombre d'hellénophones
serait beaucoup plus important, de l'ordre de 300 000 personnes.
Convertie pour une large part à l'Islam par les Turcs, l'Albanie compte
70 % de Musulmans, répartis sur l'ensemble du pays. Les Orthodoxes,
essentiellement regroupés dans le sud, à proximité de la
Grèce, représentent 18 % de la population alors que les
catholiques, qui représentent les 12 % restants, résident surtout
dans le nord.
Les clivages religieux sont peu perceptibles
et jouent un
faible rôle dans l'Albanie d'aujourd'hui, à la fois en raison de
la tradition très ancienne de coexistence pacifique entre les diverses
religions, mais aussi parce que la politique anti-religieuse du régime
d'Enver Hoxha a atténué les références et les
sentiments religieux dans les générations de
l'après-guerre.
Plus que le clivage religieux, un
clivage géographique
opposant
le Nord, peuplé de Guègues, et le Sud, peuplé de Tosques,
est souvent évoqué. De fait, les vallées des montagnes du
Nord, difficiles d'accès, ont maintenu bien plus que dans le sud
l'organisation en clans et le droit coutumier ou
kanun
, code d'honneur
parfois comparé à la
vendetta
. Le sud du pays s'est
montré quant à lui plus perméable aux influences
étrangères. La plupart des dirigeants communistes de
l'après-guerre étaient issus du centre et du sud du pays, et
c'est encore aujourd'hui dans le sud que s'exerce le plus fortement l'influence
de l'ex-parti communiste, alors que le Président Berisha, élu en
1992 et originaire de l'extrême nord du pays, a disposé dans ces
régions de nombreux soutiens.
Le second trait dominant de la population de l'Albanie tient à sa faible
importance relative par rapport au nombre des Albanais de l'extérieur.
En effet, pour 3 340 000 habitants en Albanie, on compte
1 800 000 Albanais en Serbie
, dans la province du Kosovo,
200 000 au Monténégro et 480 000 en
Macédoine.
Les Albanais représentent 90 % de la population du Kosovo et 23 %
de la population de la Macédoine.
A cela s'ajoutent plusieurs centaines de milliers d'Albanais
émigrés principalement en Grèce et en Italie, mais aussi
aux Etats-Unis.
Enfin, il est important d'ajouter que la population albanaise se
caractérise par un
fort dynamisme démographique
, puisque
le taux d'accroissement naturel avoisinait 20 pour 1000 en 1994. Un tel
dynamisme se retrouve dans les communautés albanaises du Kosovo et de
Macédoine.
·
Une longue période d'isolement
L'Albanie s'est singularisée, durant plus de quarante ans, par son
isolement international et par la recherche d'une autonomie politique et
économique proche de l'autarcie.
Alliée à la Yougoslavie au sortir de la seconde guerre mondiale,
l'Albanie, s'estimant victime de visées hégémoniques,
rompit les relations en 1948 et procéda à l'épuration,
voire à l'élimination, de tous les dirigeants politiques
soupçonnés d'attitude pro-yougoslave. Les relations avec l'URSS,
intenses au début des années 1950, se dégradèrent
elles aussi jusqu'à la rupture en 1961. Enfin, le partenariat avec la
Chine ne résista pas à des désaccords de plus en plus nets
jusqu'à la suspension par Pékin de toute aide économique
en 1978.
Repliée sur elle-même et se sentant menacée de toutes part
au point de construire plusieurs centaines de milliers de bunkers sur
l'ensemble du territoire, l'Albanie a conjugué l'isolement diplomatique
et un régime dictatorial très dur marqué par la
suppression des libertés publiques et la fréquence des purges au
sein même du parti du travail qui a dirigé le pays jusqu'en 1992.
Sur le plan économique, malgré les potentialités de
l'agriculture et le développement industriel qui s'est appuyé sur
de nombreuses ressources en minerais, l'Albanie est resté le pays le
plus pauvre d'Europe.
Après le décès d'Enver Hoxha en avril 1985, son successeur
Ramiz Alia a été confronté à la
détérioration de la situation économique et aux
conséquences de l'effondrement des régime communistes en Europe
centrale et orientale. Dès 1990, des exodes massifs se sont produits
notamment en direction de l'Italie. Face à la pression intérieure
et internationale, le régime a procédé à une
ouverture progressive en reconnaissant le multipartisme à la fin de 1990
et en organisant les premières élections libres en 1991 qui
donnaient la majorité au parti du travail face à une opposition
encore balbutiante et inorganisée. La poursuite de la dégradation
économique et sociale allait entraîner de nouvelles
élections en mars 1992 donnant cette fois ci la victoire au parti
démocratique de M. Sali Berisha et faisant entrer l'Albanie dans une
nouvelle phase de son histoire : l'apprentissage de la démocratie.
I. LA JEUNE DÉMOCRATIE ALBANAISE AUX PRISES AVEC UNE TRANSITION DIFFICILE
La violente crise de l'hiver 1997, qui avait été
précédée d'une détérioration sensible du
climat politique et d'une dangereuse dérive financière, a
montré les
limites de la transition amorcée par l'Albanie en
1992.
En dépit de l'alternance politique provoquée par les
élections anticipées de juin 1997, les priorités des
dirigeants albanais n'ont guère varié et vont à la
stabilisation politique, au développement économique et au
rapprochement avec l'Europe occidentale, mais elles s'inscrivent
désormais dans un contexte très difficile.
A. LES ÉVÉNEMENTS DE L'HIVER 1997 : UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT
Les événements survenus en Albanie au cours des
mois de février et de mars 1997 ont été d'une
gravité à bien des égards sans précédent, en
raison de leur caractère généralisé et de
l'effondrement total de l'autorité de l'Etat.
De ces événements, on peut retenir quatre éléments
principaux :
· la dégradation de la situation politique au cours de
l'année 1996,
· l'effondrement des sociétés dites "pyramidales",
· le développement d'une situation insurrectionnelle justifiant
une intervention internationale,
· la défaite électorale du parti démocratique et
l'alternance politique.
1. Un climat politique détérioré
Il est clair qu'après plus de quarante années de
dictature, l'apprentissage de la démocratie en Albanie n'était
pas des plus faciles. La mise en place du multipartisme, d'élections
libres et de mécanismes parlementaires n'a guère apaisé
les tensions qui caractérisent la vie politique albanaise.
L'échec du référendum constitutionnel de 1994 et les
élections législatives de mai 1996 en ont offert l'illustration.
L'échec du référendum constitutionnel de novembre
1994
est significatif en ce qu'il montre la contestation dont faisait
déjà l'objet le président Berisha et la difficulté
des forces politiques albanaises de s'accorder sur un schéma
institutionnel.
On rappellera tout d'abord que l'Albanie vit toujours sous l'empire de huit
lois constitutionnelles adoptées d'avril 1991 à avril 1993, qui
constituent en fait des amendements à la constitution de 1976. Ces lois
ont reconnu les garanties fondamentales en matière de libertés et
de droits de l'homme. Elles ont organisé un régime parlementaire
dans lequel l'Assemblée du peuple investit le Gouvernement et
élit le Président de la République.
C'est sur la base de ces règles constitutionnelles que se sont
déroulées les
élections législatives de mars
1992
qui ont donné une
large majorité au parti
démocratique
(92 sièges sur 140) et que l'Assemblée du
peuple a élu
M. Sali Berisha Président de la
République
, le gouvernement étant dirigé par
M. Meksi.
Diverses recommandations internationales, notamment des Etats-Unis et de pays
membres du Conseil de l'Europe, auquel l'Albanie posait sa candidature, avaient
conduit le Président Berisha à élaborer un projet de
nouvelle constitution.
Le
rejet de ce projet constitutionnel par 54 % des électeurs
lors
du référendum de novembre 1994 apportait plusieurs enseignements :
· la relative fragilité de l'assise électorale du parti
démocratique, malgré le succès de 1992, et l'audience
encore importante du parti socialiste, ex-communiste,
· le passage à l'opposition de deux petites formations de centre
et de centre-gauche, l'Alliance démocratique et le Parti social
démocrate, jusqu'alors associées à la coalition
gouvernementale,
· au travers de thèmes de campagne axés sur le
déséquilibre du projet en faveur de l'exécutif et de
l'absence de garanties pour l'indépendance du système judiciaire,
une contestation des méthodes de gouvernement de M. Berisha qui
recueillait un certain écho dans l'opinion publique.
La perspective des
élections législatives du printemps 1996
a accentué la
radicalisation du débat entre
majorité et opposition
, notamment autour de trois questions :
- la loi sur le génocide et les crimes contre l'humanité dont le
principal effet fut de rendre inéligibles un grand nombre d'hommes
politiques de l'opposition, en raison des fonctions qu'ils avaient
exercées pendant la période communiste,
- le redécoupage des circonscriptions électorales, accusé
de rompre la continuité géographique et l'équilibre
démographique pour avantager le parti démocratique,
- l'éventuel retour au pouvoir des ex-communistes, facteur de
dramatisation de la vie politique.
C'est donc dans une atmosphère très tendue que se sont
déroulées les élections du 26 mai et du 2 juin
1996.
La très large victoire, dès le 1er tour, du Parti
démocratique fut vivement contestée par l'opposition qui,
évoquant des fraudes, réclamait l'annulation du scrutin et
décidait de boycotter le second tour, tout en organisant de multiples
manifestations de rues.
Les accusations de fraudes et d'irrégularités furent en partie
relayées par les observateurs du Conseil de l'Europe et de
l'Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE), ce qui conduisit le gouvernement à faire revoter dans 17
circonscriptions deux semaines plus tard.
Au total, le Parti démocratique emportait 122 des 140 sièges,
contre 10 sièges au Parti socialiste, 3 sièges au Parti
républicain (centre-droit), 2 sièges au Front national (droite)
et 3 sièges au Parti de l'union pour les droits de l'homme,
représentant la minorité hellénophone du sud du pays.
Le très large succès du parti démocratique aux
élections locales d'octobre 1996, dans des conditions cette fois-ci
moins discutées, n'a pas suffi à disperser les séquelles
de la fracture provoquée par le scrutin législatif
contesté du printemps.
A titre de témoignage sur le
climat politique
qui a
précédé les événements de l'hiver 1997, on
peut citer l'
opinion
de l'écrivain albanais Ismaïl
Kadaré
publiée dans Le Monde du 13 mars dernier :
"Dans
tout pays balkanique, mais plus spécialement chez les Albanais pour qui
l'offense humaine revêt toujours des dimensions tragiques, la violence
verbale risque fort de dégénérer en violence physique. La
classe politique albanaise s'est laissée tout entière emporter
par ce déchaînement passionnel. Se sont trouvés
effacés les principes et les doctrines qui sous-tendent les positions
politiques, pour laisser la première place aux mobiles subjectifs,
privés ou claniques.
Dans cet embrasement des esprits, le gouvernement albanais rêvait de
venir à bout de l'opposition, et l'opposition faisait le rêve
inverse : annihiler le gouvernement. Chacun des deux camps restait sourd
à la voix de la raison, comme aux remarques d'esprits
éclairés soulignant qu'une Albanie responsable ne pouvait
être à cette image, mais devait associer un gouvernement
responsable et une opposition responsable. La mise en cause de cet
équilibre ne pouvait que déstabiliser le pays.
2. L'effondrement des sociétés "pyramidales"
L'effondrement, au début de l'année 1997, des
sociétés financières "pyramidales" qui drainaient une
large part de l'épargne des albanais a incontestablement
été l'élément déclencheur de l'amplification
et de la généralisation de la contestation politique du pouvoir
en place.
Par "pyramides", on entend des sociétés proposant aux
épargnants des taux d'intérêt beaucoup plus
élevés que les organismes bancaires traditionnels, et qui, de
fait, ne peuvent satisfaire au service des intérêts et aux
demandes de remboursement qu'en attirant de nouveaux dépôts.
A l'exemple de ce que l'on a constaté en Russie, en Roumanie, en
Bulgarie ou en Macédoine, de telle sociétés
d'investissement douteuses sont apparues en Albanie, à la faveur de la
libéralisation de l'économie et de l'amorce de
prospérité qui s'en suivit.
La spécificité albanaise tient au
nombre très important
de ces sociétés
dont beaucoup avaient pignon sur rue,
notamment Vefa, Kamberi, les fondations Xhaferri et Populli ou encore Gjallica
et Sude, et à leur
succès auprès des albanais
,
puisque l'on considère que 70 % à 80 % des foyers, de toutes
conditions sociales, y avaient placé des économies.
En l'absence de cadre légal et a fortiori de tout contrôle, la
prolifération des pyramides est allée de pair avec une escalade
vertigineuse des taux d'intérêt proposés allant de 8 %
mensuels à 60 % par mois dans les derniers temps, et ceci afin d'attirer
de nouveaux dépôts, dans une "fuite en avant" censée
repousser l'inévitable faillite du système.
L'impact des pyramides était considérable car elles sont
parvenues non seulement à mobiliser une part très importante de
l'épargne proprement dite, notamment des rentrées provenant des
fonds envoyés par les travailleurs albanais émigrés, mais
aussi à inciter nombre d'albanais à liquider leur patrimoine
personnel ou professionnel (appartement, terres, commerce, bétail) et
à se détourner des activités productives pour vivre
exclusivement des produits financiers de ces investissements.
Il est bien vite apparu aux observateurs, et notamment aux institutions
financières internationales, que ces sociétés
fonctionnaient par des pratiques de cavalerie et ne pouvaient garantir leur
solvabilité. A plusieurs reprises, la Banque mondiale et le Fonds
monétaire international ont mis en garde les autorités albanaises
contre le développement de ces sociétés et leur ont
demandé de prendre des mesures pour mettre fin à leurs
activités.
La réaction du gouvernement albanais a été très
tardive. En effet, en mars 1996, alors que le phénomène des
pyramides prenait déjà une ampleur inquiétante, celles-ci
étaient dispensées de la nouvelle loi bancaire. Ce n'est
qu'à la fin de l'année 1996 que les premières mesures de
contrôle ont été prises, mais le gouvernement devait
également tenir compte des réactions de l'opinion publique,
attachée à la poursuite de l'activité des pyramides et
continuait d'espérer les rendements promis.
En décembre 1996 sont apparues les premières suspensions de
remboursement et le 15 janvier 1997, la pyramide "Sude" était
officiellement déclarée en faillite, donnant le signal de
l'
effondrement général du système.
Face à cette situation, le gouvernement albanais, rappelant le
caractère purement privé de ces activités qui ne
bénéficiaient d'aucune garantie de l'Etat, prenait des
dispositions d'urgence : gel des avoirs bancaires des sociétés
pyramidales, vote d'une loi instaurant des modalités de remboursement
des épargnants, augmentation de la rémunération des
dépôts effectués dans les établissements publics.
Ces mesures n'ont en rien apaisé les épargnants spoliés et
n'ont pas enrayé la montée du mécontentement, qui s'est
généralisé puis a pris la forme d'émeutes violentes
dans l'ensemble du pays.
La crise financière a directement débouché sur une
virulente mise en cause du pouvoir politique accusé tour à tour
d'avoir encouragé le développement des pyramides, d'avoir
bénéficié, pour la campagne électorale du parti
démocratique, de leur soutien financier, puis d'avoir voulu spolier les
épargnants en limitant ou en suspendant les activités de ces
sociétés.
L'opposition, qui n'avait guère dénoncé par le
passé les sociétés pyramidales, et qui n'était pas
dépourvue de lien, elle aussi, avec ces sociétés, a su
habilement jouer de ces ambiguïtés pour attiser le ressentiment de
la population à l'égard des pouvoirs publics.
3. Le développement d'une situation insurrectionnelle et l'intervention de la force internationale ALBA
Amorcés à partir du 15 janvier 1997 par des
manifestations d'épargnants spoliés, des troubles de plus en plus
graves vont gagner l'ensemble de l'Albanie jusqu'à la fin du mois de
mars et plonger le pays dans un chaos sans précédent.
On relèvera tout d'abord que limités dans un premier temps
à certaines villes du sud, et notamment au port de Vlora, les troubles
ont gagné dans le courant du mois de février tout le sud du pays,
réputé peu favorable au président Berisha, avant de
gagner, à la mi-mars, Tirana ainsi que certaines villes du nord.
Il faut souligner ensuite qu'après avoir concentré leurs
revendications sur des aspects financiers -la récupération de
l'épargne placée dans les pyramides-, les manifestants, à
partir du mois de février, ont de plus en plus ouvertement
mis en
cause le pouvoir politique.
Dès le 30 janvier, un "forum pour
la démocratie" regroupant autour du parti socialiste sept autres partis
politiques d'opposition, y compris des formations de centre et du centre droit,
a relayé les doléances des manifestants en réclamant la
démission du gouvernement et l'organisation d'élections
anticipées. La réélection par le Parlement de M. Berisha
au poste de Président de la République le 3 mars, alors que
l'état d'urgence venait d'être instauré, est apparu dans ce
contexte comme une provocation aux yeux des principales forces d'opposition.
Ces événements se caractérisent surtout par leur
caractère violent
, à la suite du pillage de nombreux
dépôts d'armes, de casernes et de bases militaires, et de
l'effondrement de toute autorité de l'Etat
, l'armée comme
la police ayant été impuissantes à enrayer le
développement de l'insurrection malgré l'état d'urgence
décrété le 2 mars. A partir du mois de mars, la
dissémination des armes a entraîné une multiplication des
incidents graves, avec morts ou blessés par balles. Il est difficile,
dans ces émeutes, de faire la part entre l'insurrection
spontanée, l'action d'agents provocateurs de toute sorte et le
rôle de groupes criminels et mafieux dont la présence s'est
développée dans le pays à partir de 1992.
Enfin, ces tensions ont provoqué une
nouvelle vague
d'émigration
vers la Grèce et l'Italie qui ont accueilli
plusieurs milliers de réfugiés, dans des circonstances parfois
tragique. Ainsi, à la suite d'une collision avec une corvette italienne
dans le détroit d'Otrante, 52 personnes ont péri dans le naufrage
d'un bateau albanais.
Dans l'immédiat, les émeutes insurrectionnelles ont eu deux
conséquences :
· l'une politique : la démission, le ler mars, du gouvernement de
M. Meksi et la formation quelques jours plus tard autour d'un nouveau
premier ministre, le socialiste Bashkim Fino, d'un
gouvernement de
réconciliation nationale
associant 10 partis politiques, ainsi que
la
dissolution du Parlement
afin de procéder, à la fin du
mois de juin, à de nouvelles élections générales,
· l'autre internationale : l'appel à une
intervention
multinationale
qui sera finalement décidée fin mars,
après accord de l'OSCE et des Nations unies.
Après avoir confié une mission de médiation à
l'ancien Chancelier autrichien Frank Vranitzky, l'Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
décidait, le 27 mars 1997, de l'envoi d'une mission civile d'assistance
en matière de démocratisation et de préparation des
élections et approuvait l'envoi d'une force multinationale en Albanie,
sous réserve qu'elle soit en conformité avec une action
appropriée du
Conseil de sécurité des Nations
unies
. Ce dernier autorisait l'envoi de la force multinationale afin de
"
faciliter l'acheminement rapide et sûr de l'assistance
humanitaire et d'aider à créer un climat de
sécurité nécessaire aux missions des organisations
internationales en Albanie, y compris celles qui apportent une assistance
humanitaire
". Le mandat initial de trois mois sera prolongé,
l'opération se déroulant jusqu'au 12 août.
Commandé par un général italien, l'opération Alba a
été déclenchée le 8 avril 1997. Onze pays
(Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal,
Roumanie, Slovénie et Turquie) ont participé à cette force
qui a compté jusqu'à 7 200 hommes (dont plus de 3 000 Italiens,
950 Français, 800 Grecs et 770 Turcs).
Cette opération a permis de faciliter la fourniture rapide et dans des
conditions de sécurité de l'aide alimentaire dont l'Albanie avait
absolument besoin. Elle a contribué à créer un
environnement sûr pour les missions des organisations internationales et,
en particulier, celles de l'OSCE et de l'Union européenne. Elle a
favorisé le retour progressif au calme et a permis que se
déroulent dans une atmosphère plus pacifique les élections
générales des 29 juin et 6 juillet.
4. Les élections législatives anticipées et la victoire de l'opposition
Les élections des 29 juin et 6 juillet 1997 se sont
effectuées sous l'empire d'une nouvelle loi électorale. Aux 125
sièges pourvus comme auparavant au scrutin majoritaire, s'ajoutent 40
sièges, et non plus 25, pourvus au scrutin proportionnel, ce qui porte
le nombre de députés de 140 à 155.
La campagne électorale s'est déroulée dans des conditions
difficiles, en raison notamment de menaces ou d'attentats qui ont
entravé la campagne du parti démocratique dans le sud du pays.
Toutefois, l'OSCE a estimé que les conditions de préparation et
de déroulement du scrutin étaient
" satisfaisantes et
acceptables ".
La
coalition de gauche
a emporté
120 des 155 sièges.
Le parti socialiste dispose à lui seul de 105 sièges, ce qui
lui assure une large majorité absolue. Quatre autres partis participent
à la coalition : le parti social-démocrate (9 sièges),
affilié à l'Internationale socialiste, l'Alliance
démocratique (2 sièges), formation de centre gauche, le parti
agraire (1 siège) et le parti de l'Union pour les droits de l'homme (3
sièges), qui émane de la communauté hellénophone du
sud de l'Albanie.
L'
opposition
ne réunit que
32 députés
, dont
27 pour le parti démocratique, 2 pour le parti du mouvement pour la
légalité, d'inspiration royaliste, 1 pour le parti de
l'unité nationale, 1 pour le parti républicain et 1 pour le parti
du Front national. Trois députés étaient en outre non
inscrits.
On peut signaler que s'est déroulé, le jour même des
élections législatives, un référendum
réclamé par le prétendant au trône, Leka 1er, fils
de l'ancien roi Zog, au cours duquel les Albanais ont écarté le
retour à la monarchie.
Le gouvernement qui succède à celui de M. Fino est dirigé
par
M. Fatos Nano
, ancien Premier ministre de Ramiz Alia dans le
gouvernement de transition de 1991, emprisonné depuis 1993 à la
suite d'accusations de corruption. Il associe le parti socialiste, dont M. Nano
est membre, le parti social démocrate et l'Alliance démocratique.
A la suite de la démission de M. Berisha le 23 juillet, le Parlement,
après avoir levé l'état d'urgence et le couvre-feu,
élit
M. Meidani
, membre du parti socialiste,
Président de la République le 29 juillet 1997.
B. UNE DIFFICILE RECONSTRUCTION POLITIQUE ET ECONOMIQUE
Votre délégation s'est rendue en Albanie quelque trois mois après la mise en place de nouveau gouvernement et le départ de la force multinationale. Elle en a retenu l'impression d'une vie politique encore très tendue, d'un retour progressif mais fragile à l'ordre public et d'une économie sinistrée dont le rétablissement passe obligatoirement par l'aide internationale.
1. Une vie politique encore très tendue
L'apprentissage du pluralisme et de la démocratie
demeure incontestablement imparfait en Albanie. Vos rapporteurs ont
relevé quatre caractéristiques qui contribuent à alourdir
le climat politique.
Tout d'abord,
le débat politique est extrêmement
radicalisé
. Comme vos rapporteurs l'ont constaté à la
lecture de la presse, il est souvent marqué par l'outrance verbale et
l'invective, voire la violence physique : le président de la commission
de la défense de l'Assemblée populaire a été
atteint en plein Parlement par un coup de pistolet tiré par un
député qui souhaitait "venger" un affront public. De même,
les relations entre autorités politiques relèvent plus souvent du
rapport de force que de la négociation et de la conciliation. Dans ce
contexte, il faut souligner le rôle modérateur qu'entend jouer le
Président de la République, M. Meidani, qui a
démissionné du parti socialiste dès sa prise de fonction
pour marquer son attachement à l'unité nationale.
Deuxièmement, la
régularité des consultations
électorales
, et donc la légitimité du Parlement, sont
contestées de manière récurrente. Pas plus que le parti
socialiste en 1996, le parti démocratique n'a admis sa défaite
électorale du printemps 1997 et il a décidé en
conséquence de
boycotter les travaux du Parlement
. Le parti
démocratique, principale force d'opposition, a laissé vacants les
différents postes, notamment les présidences de commissions, qui
lui étaient attribués au sein de l'Assemblée populaire en
vertu de la répartition proportionnelle. Il s'exprime par voie de presse
ou de manifestations de rues et réclame de nouvelles élections
anticipées. Seuls les petits partis d'opposition, dont l'audience
électorale est beaucoup plus faible, (parti républicain, Front
national, royalistes) participent au fonctionnement du Parlement.
Troisièmement, les
règles du pluralisme et de
l'impartialité de l'Etat
ont du mal à s'imposer, quel que
soit le pouvoir en place. Deux exemples sont particulièrement
significatifs. Le traitement de l'information par la télévision
nationale est un thème de contestation permanent et l'ancien
président du Parlement, M. Arbnori, a conduit l'été
dernier une grève de la faim pour protester contre la censure dont
l'opposition faisait selon lui l'objet. Le Président du Sénat, M.
Monory, avait au demeurant intercédé en sa faveur auprès
des autorités albanaises. D'autre part, l'alternance politique du mois
de juin 1997 s'est traduite par d'importants changements de titulaires dans
l'armée, la magistrature, les administration centrale et territoriale
qui soulèvent, eux aussi, de vives contestations, moins quant à
leur principe qu'en raison de leur ampleur et du sort réservé
à ceux qui quittent leurs fonctions.
Enfin, la mise au point d'un
projet de Constitution
piétine. La
commission parlementaire chargée de proposer un texte est
présidée par un député de l'opposition, membre du
parti républicain, mais elle est boycottée par le parti
démocratique. Certes, l'Albanie ne se trouve pas dans un vide
institutionnel puisque les lois constitutionnelles provisoires permettent
d'assurer le fonctionnement des pouvoirs publics. Mais il est
révélateur que l'élaboration d'un nouveau texte achoppe
sur des questions telles que l'équilibre des pouvoirs entre le
Président de la République, le Premier ministre et le Parlement,
ou encore l'indépendance de la justice.
2. Un retour progressif mais fragile à l'ordre public
Le trait dominant des émeutes de février et mars
1997 a sans doute été
l'effondrement de l'armée et de
la police
, qui sont restées passives devant le développement
des violences quant elles n'ont pas purement et simplement vu leurs effectifs
disparaître dans la nature.
Les destructions infligées aux casernes et aux matériels ont
été considérables, mais c'est surtout le
pillage des
dépôts d'armements
disséminés dans toute
l'Albanie qui entraîne les conséquences les plus graves. Le
ministre de la défense albanais a évoqué la disparition de
plusieurs dizaines de milliards de cartouches, d'un million d'armes
légères, de dizaines de milliers d'armes lourdes, de plusieurs
milliers de mines, d'obus et de tonnes d'explosifs.
Seule une part infime de ces armements a pu être
récupérée, notamment 70 000 fusils-mitrailleurs, soit
environ 7% de la quantité disparue. Pour une part, les armes
volées ont été vendues hors d'Albanie, avec les risques
que cela implique au Kosovo et en Macédoine. Une quantité
importante est conservée par la population, en particulier dans un souci
d'autodéfense. Enfin, une large part reste aux mains de groupes
criminels.
Le bilan humain des événements de l'hiver 1997 est
extrêmement lourd. De février à novembre, on compterait
plus de 2 000 tués et de 10 000 blessés
par
armes à feu dans l'ensemble de l'Albanie. Comme l'ont confirmé
à vos rapporteurs le Premier ministre et le ministre de
l'intérieur, le gouvernement considère avoir
démantelé les plus importantes bandes criminelles, qui
étaient parvenues à faire régner leur loi face à un
Etat impuissant dans certaines régions du pays. Pourtant,
le
banditisme et la criminalité demeurent une réalité
quotidienne
, y compris à Tirana. Chaque journée apporte son
lot de blessés ou de tués par armes à feu, à la
suite de règlements de compte ou d'attaques à main armée,
que ce soit dans le centre des villes, où les banques et les entreprises
sont particulièrement visées, ou le long des routes, où
l'on rançonne les conducteurs.
Le relatif retour au calme depuis le mois de septembre ne permet en rien
d'écarter le risque de nouveaux incidents graves, compte tenu du nombre
d'armes en circulation et du temps nécessaire à la
réorganisation des forces de l'ordre. De plus, les organisations
criminelles et mafieuses restent puissantes et pourvues de moyens d'action
importants.
La
reconstruction de l'armée et de la police
est donc une des
toutes premières priorités du gouvernement albanais.
Sur le plan militaire, l'Albanie a conclu des accords de coopération
avec la Turquie, la Grèce et l'Italie. Sur la base de ces accords, et
à la suite du retrait de la force multinationale ALBA, les grecs ont
maintenu un petit contingent dans le sud-ouest du pays et les italiens en ont
fait de même à Tirana et à Durrës. Par ailleurs,
l'Albanie attend beaucoup du Partenariat pour la paix de l'OTAN, auquel elle
participe depuis février 1994 et qui a été redéfini
pour faire face aux besoins les plus urgents. Pour le moment, plusieurs
missions d'experts de l'OTAN se succèdent à Tirana en vue
d'évaluer les actions à mener.
L'UEO pour sa part s'est vue confier la restructuration et la formation des
forces de police. Un
Elément multinational de conseil en
matière de police
a été mis en place à Tirana
et placé sous le commandement d'un colonel de gendarmerie
français. Ses effectifs se limitaient au mois de novembre à 24
hommes, dont 5 gendarmes français, mais il était envisagé
de les renforcer.
3. Une économie sinistrée qui dépend de l'aide internationale
Bien que considéré comme le pays le plus pauvre
d'Europe, avec un PNB par habitant de 800 dollars en 1996,
l'Albanie se
trouvait à la veille des événements de l'hiver 1997 dans
une phase de forte croissance.
La politique de libéralisation et de privatisation menée par le
parti démocratique à partir de 1992 avait entraîné
un début de développement économique, surtout dans le
secteur agricole et le commerce, le secteur industriel hérité du
régime communiste étant pour sa part en déclin. La
croissance du PIB s'est située, de 1993 à 1996, entre 8% et 10%
par an, ce qui en faisait l'un des plus forts taux d'Europe centrale et
orientale. Au cours de cette période, le revenu par habitant s'est
accru, conforté par l'apport considérable constitué par
les fonds transférés par les émigrés de
Grèce, d'Italie ou des Etats-Unis.
Ces résultats encourageants reposaient toutefois sur des bases fragiles,
le déficit budgétaire et surtout le déficit commercial
restant élevé, et les investissements trop faibles pour assurer
la modernisation de l'économie. En outre, la faiblesse du système
bancaire et l'absence de réglementation des activités
financières allait permettre le développement
incontrôlé puis l'effondrement des sociétés
" pyramidales ".
La crise financière et sociale de 1997 a donné un
brutal coup
d'arrêt à l'expansion de l'économie albanaise
.
Tout d'abord,
la plupart des Albanais ressortent appauvris de la chute des
" pyramides ".
Selon les estimations les plus couramment
citées, 70% à 80% des foyers albanais auraient placé leur
épargne dans ces sociétés, qui auraient absorbé
plus de 1 milliard de dollars, soit le tiers du produit intérieur brut.
Certains, qui avaient vendu leurs biens pour vivre de rentes
financières, ont tout perdu. Les situations de précarité
et de pauvreté se sont multipliées.
Ensuite les émeutes de février et mars dernier ont
entraîné des
dégâts considérables à
l'ensemble des infrastructures du pays
, dégâts qu'il faudra
bien réparer. Nous avons déjà évoqué les
destructions infligées aux bâtiments et aux matériels de
l'armée, mais il en a été de même de beaucoup
d'édifices publics, y compris les écoles, les universités
et des hôpitaux. Les infrastructures routières et portuaires,
ainsi que des installations industrielles, ont également
été touchées. Cette reconstruction représentera
pour l'Albanie un coût très élevé.
Par ailleurs, la situation insurrectionnelle qui s'est maintenue pendant
plusieurs semaines a fait
chuter les
rentrées de recettes
fiscales
, en particulier les droits de douane qui constituent une part
très importante des ressources du budget albanais.
Au total, les indications fournies en octobre dernier à Bruxelles lors
de la conférence des donateurs font état de
prévisions
pessimistes pour l'année 1997
: l'inflation pourrait atteindre
50%, le PIB reculerait de 8% et le déficit budgétaire grimperait
à 17% du PIB.
Dans ces conditions, les nouvelles autorités albanaises se sont
rapidement tournées vers la communauté internationale pour
obtenir à la fois une aide d'urgence permettant de faire face aux
besoins immédiats, et une aide à moyen terme pour aider
l'économie albanaise à se relever.
La situation de l'Albanie a été examinée lors d'une
conférence des donateurs
qui s'est déroulée
à
Bruxelles le 22 octobre dernier
et qui réunissait les
principaux partenaires de l'Albanie ainsi que l'Union européenne et
plusieurs institutions multilatérales dont le Fonds monétaire
international et la Banque mondiale.
Cette conférence a généralement été
considérée comme un succès pour l'Albanie, qui a obtenu le
soutien de principe de la communauté internationale,
l'aide
restant toutefois conditionnée
au respect de plusieurs
conditions,
notamment la normalisation de la situation politique et la mise
en oeuvre d'une politique économique et financière rigoureuse.
Des différentes contributions annoncées lors de cette
conférence, il ressort que l'Albanie devrait bénéficier
d'ici le mois d'avril 1998 d'une
aide d'urgence
d'un montant de 185,5
millions de dollars, dont 100 millions de dollars pour réduire le
déficit budgétaire et rééquilibrer la balance des
paiements, 79 millions de dollars pour la lutte contre la pauvreté, la
stabilisation économique, les réformes structurelles et le
fonctionnement des institutions, et, enfin, 6,5 millions de dollars pour
démanteler les sociétés financières
" pyramidales ".
Au delà de cette aide d'urgence, des
engagements à moyen
terme
ont également été annoncés pour la
réalisation de programmes d'investissement et d'assistance technique.
Ils représentent un total de 520 millions de dollars, comprenant les 79
millions de dollars d'aide d'urgence, les principaux contributeurs étant
l'Italie (171 millions de dollars), la Banque européenne
d'investissement (66,9 millions de dollars), l'Union européenne (61,2
millions de dollars) et la Grèce (59,5 millions de dollars).
Le
soutien du FMI
a été assorti d'un délai de six
mois pour permettre au gouvernement albanais de mettre en oeuvre un programme
d'urgence qui comporte la liquidation de toutes les sociétés
" pyramidales ", la réforme du système bancaire, et
diverses mesures fiscales et budgétaires. Le gouvernement albanais a
d'ores et déjà porté la TVA de 12,5% à 20% et il
entreprend une réduction des postes dans la fonction publique. Au
delà du délai de six mois, le FMI pourrait envisager un programme
triennal soutenu par une facilité d'ajustement structurel
renforcé.
Les premières mesures de redressement mises en oeuvre par le
gouvernement albanais risquent toutefois d'être durement ressenties par
une population déjà très appauvrie, en l'attente d'une
aide plus massive qui n'interviendra au mieux qu'en milieu d'année 1998.
II. L'EVOLUTION DU CONTEXTE REGIONAL : OUVERTURE DIPLOMATIQUE ET PERSISTANCE DE FOYERS DE TENSION
Ayant accédé difficilement au rang de nation
souveraine au début du siècle, l'Albanie a toujours
évolué dans un contexte régional difficile, marqué
par les tensions qui l'opposaient à ses voisins. Après la longue
période d'isolement sous le régime d'Enver Hoxha, on peut
considérer que l'Albanie est parvenue, dans une certaine mesure à
desserrer l'étau qui entravait ses relations avec l'extérieur.
L'Albanie a su développer des relations privilégiées avec
les plus proches pays méditerranéens : l'Italie, la
Grèce et la Turquie. Elle fait de " l'intégration
euro-atlantique " sa première priorité. En revanche, la
permanence de la question albanaise au Kosovo et en Macédoine demeure,
malgré la volonté d'apaisement des autorités de Tirana, un
facteur de risque et d'inquiétude pour l'avenir.
A. DES RELATIONS PRIVILEGIÉES AVEC LES VOISINS MÉDITERRANÉENS
L'Italie, ancienne puissance occupante, la Grèce, pays rival jusqu'à une date récente, et la Turquie sont aujourd'hui des partenaires privilégiés de l'Albanie.
1. L'Italie, principal partenaire de l'Albanie
L'Italie, qui avait envahi l'Albanie en avril 1939 pour en
faire une véritable colonie et l'occuper jusqu'en 1943, fait figure de
premier et de principal partenaire et son influence domine dans tous les
domaines.
L'Italie compte sur son sol plusieurs dizaines de milliers d'albanais, dont une
proportion importante de clandestins. Elle reste, dans les périodes de
crise comme en temps ordinaire , une destination privilégiée pour
les albanais désireux de quitter leur pays.
La situation de la communauté albanaise en Italie et notamment le
rôle que l'on prête parfois à certains de ses membres dans
l'organisation d'activités illicites, constitue un sujet de friction
périodique entre les deux pays, mais globalement, les relations
politiques sont bonnes, comme en témoigne la fréquence des
contacts politiques de haut niveau entre les dirigeants italiens et leurs
homologues albanais. Il est significatif que l'opération ALBA ait
été dirigée par un officier italien et que l'armée
italienne ait fourni pratiquement la moitié des effectifs de la force.
Un accord militaire permet par ailleurs le maintien de certaines unités
italiennes à Tirana et dans le port de Durrës.
L'Italie constitue le premier partenaire économique et commercial de
l'Albanie. Elle s'est placée au premier rang des donateurs lors de la
conférence de Bruxelles en octobre dernier.
Enfin, l'influence italienne s'exerce par le biais des nombreuses chaînes
de télévision captées en Albanie.
2. Des relations désormais confiantes avec la Grèce
Les relations gréco-albanaises sont historiquement
conflictuelles. Lors du démantèlement de l'Empire ottoman, la
Grèce chercha à s'étendre sur des territoires finalement
attribués à l'Albanie. C'est le cas du sud du pays, longtemps
revendiqué par la Grèce qui le considérait comme l'Epire
du Nord. Cette région comporte une importante minorité
hellénophone et orthodoxe qui, selon Athènes,
représenterait 300 000 personnes, soit près du dixième de
la population totale de l'Albanie. Les autorités de Tirana
considèrent quant à elles que la minorité grecque ne
représente pas plus de 55 000 personnes.
Le sort de cette
minorité grecque en Albanie
était un
sujet de tensions et d'accusations d'oppression d'une part, et
d'ingérence d'autre part. On peut observer que cette minorité
participe activement à la vie politique albanaise et l'une des
formations politiques qui la représente, le parti de l'Union des droits
de l'homme, issu de l'association Omonia, dispose de députés au
Parlement albanais.
Inversement, la Grèce constitue une terre d'accueil pour les
émigrés albanais (plusieurs centaines de milliers), mais une
bonne part de cette émigration s'est effectuée clandestinement.
Après plusieurs décennies de confrontation,
les relations
entre la Grèce et l'Albanie se sont très notablement
améliorées
, du fait de la volonté commune des deux
parties. A l'occasion de la première visite en Albanie d'un chef de
l'Etat grec, en mars 1996, un
traité d'amitié et de
coopération
a été signé entre les deux pays.
L'Albanie a sensiblement élargi la place du grec dans le système
éducatif en autorisant l'ouverture de classes d'enseignement en grec.
Elle a permis l'installation de consulats grecs dans les villes du sud du pays.
La Grèce s'est engagée à régulariser la situation
de 200 000 travailleurs albanais clandestins. Elle contribue au programme
d'aide d'urgence et d'assistance technique à l'Albanie. Après
avoir participé à l'opération Alba, elle a prévu de
développer une coopération militaire avec l'Albanie, et sur la
base d'un accord bilatéral, elle a maintenu un petit contingent dans le
sud du pays.
La question des frontières terrestres et du plateau continental doit
également être examinée par une commission
bilatérale.
Enfin, au delà de ces nombreux signes politiques, les relations
économiques entre les deux pays se sont intensifiées, la
Grèce étant devenu le deuxième partenaire
économique et commercial de l'Albanie.
3. Un allié solide : la Turquie
Bien qu'ancienne puissance occupante au temps de l'Empire
ottoman, la Turquie a noué de bonnes relations avec l'Albanie, peut
être en contrepoint des rapports plus difficiles que celle-ci entretenait
avec la Grèce.
La Turquie a envoyé un contingent à peu près
équivalent à celui de la Grèce pour l'opération
ALBA et elle développe une coopération militaire avec l'Albanie,
sur la base d'un accord signé le 27 juin dernier.
La Turquie fournit également une assistance économique à
l'Albanie et, sur le plan culturel, un collège turc a été
ouvert à Tirana.
Pour Tirana, la Turquie représente un partenaire solide, susceptible de
faire contrepoids en cas de résurgence des tensions avec la Grèce.
B. L'INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE, PRIORITÉ DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ALBANAISE
Alors qu'un important soutien des Etats-Unis lui était
accordé dès 1992, l'Albanie a fait du rapprochement avec
l'ensemble européen une priorité de sa diplomatie. Toutefois,
dans un souci de diversification des partenariats, le Président Berisha
avait décidé de faire adhérer l'Albanie à
l'Organisation de la Conférence islamique. Ainsi que l'a exprimé
le nouveau premier ministre, M. Fatos Nano, à votre
délégation, l'actuel gouvernement a souhaité revenir sur
cette décision qu'il juge par ailleurs inconstitutionnelle, puisqu'elle
résultait d'un simple décret sans ratification parlementaire. Il
est en effet apparu aux yeux des nouveaux dirigeants albanais que la vocation
naturelle de l'Albanie était de se rattacher à l'Europe
occidentale et qu'il y avait en quelque sorte incompatibilité entre cet
objectif et l'appartenance à d'autres organisations politiques non
européennes.
Ainsi a été confirmée et renforcée par le nouveau
gouvernement la politique d'intégration de l'Albanie dans les
principales instances européennes et atlantiques.
1. L'adhésion au Conseil de l'Europe et à l'OSCE : l'ancrage de l'Albanie à l'Europe
L'Albanie a été admise à l'Organisation
sur la sécurité et la coopération en Europe en 1991 puis
le 29 juin 1995 au Conseil de l'Europe, à la suite d'un avis favorable
assorti d'une série d'engagements et de considérations relatifs
à la démocratisation et au renforcement de l'état de droit.
Pour l'Albanie, l'admission à ces deux instances constituait tout
d'abord l'accès à une tribune européenne après des
décennies d'isolement. Elle permettait également d'évoquer
la nécessité de régler la question albanaise, au Kosovo
mais aussi en Macédoine, et de mettre ainsi l'accent sur les principales
préoccupations régionales du pays.
L'OSCE et le Conseil de l'Europe ont quant à eux joué un
rôle important dans la vie politique albanaise, lors des consultations
électorales de 1996 et de 1997, dont ils assuraient la surveillance.
C'est d'ailleurs la décision de l'OSCE d'envoyer une mission
d'assistance en matière de démocratisation et de
préparation des élections qui a en partie déclenché
l'opération ALBA.
Depuis lors, l'OSCE s'est vu assigner une mission de
" coordination "
de l'action de la communauté internationale en Albanie mais ce
rôle n'apparaît pas toujours très clairement au regard de
l'action du Conseil de l'Europe et on éprouve une certaine
difficulté à délimiter les missions respectives des deux
institutions.
2. L'Albanie et l'Union européenne : une aide financière conséquente
Dès 1992, l'Albanie concluait avec l'Union
européenne un accord de commerce et de coopération et, de 1991
à 1996, elle a reçu de l'Union 515 millions d'écus, soit
l'aide par habitant la plus forte de tous les pays en transition.
L'Albanie est éligible au
programme communautaire PHARE
qui a
permis le versement d'une importante aide humanitaire. Une aide de 210 millions
d'écus pour les années 1996-1999 a été
prévue au titre de ce programme avec notamment pour objectif des actions
dans le cadre du crédit agricole, du soutien aux PME, du tourisme et du
développement des collectivités locales.
Cette assistance, partiellement suspendue en avril, à l'exception des
programmes humanitaires, a été réorientée sur trois
actions d'urgence : l'assistance douanière, afin de rétablir
la perception des droits de douane, principale ressource du budget, la
reconstruction des écoles et la réfection des prisons. Des
crédits ont également été débloqués
pour la réhabilitation des bâtiments publics. Enfin, pour mieux
répondre aux besoins de l'Albanie après la sévère
crise de 1997, les priorités du programme PHARE ont été
redéfinies autour de quatre axes : le soutien aux administrations
publiques, aux infrastructures, à l'agriculture et au
développement local.
L'Albanie a également demandé l'ouverture de négociations
sur un accord d'association similaire à ceux conclus avec les autres
pays d'Europe centrale et orientale. La Commission européenne souhaite
plutôt réactiver l'actuel accord de commerce et de
coopération avant d'envisager la conclusion d'un accord transitoire
" renforcé ", l'association à l'Union européenne
demeurant cependant l'objectif à moyen terme.
3. L'Albanie et les organisations européennes de sécurité : la recherche d'appuis pour la reconstruction de l'armée albanaise
L'isolement qu'a connu l'Albanie durant plusieurs
décennies et l'existence de foyers de tension à ses
frontières, l'ont logiquement conduite, dès 1992, à
rechercher les moyens de renforcer sa sécurité en se rapprochant
des organisations de sécurité collective.
D'autre part, l'Albanie est apparue comme un point stratégique dans le
suivi du conflit bosniaque, et les Etats-Unis ont utilisé la base
aérienne de Gjader pour des missions effectuées par des drones de
reconnaissance en Bosnie. Toutefois, cette importance stratégique a
décliné après les accords de paix de Dayton.
L'Albanie figure parmi les premiers signataires du partenariat pour la paix de
l'OTAN et elle souhaite à terme intégrer l'Alliance atlantique.
L'armée albanaise avait participé à plusieurs exercices
militaires dans ce cadre et avait envoyé des stagiaires dans divers pays
de l'Alliance. Le programme individuel arrêté pour l'Albanie en
1996 a du être revu après les événements de 1997 qui
ont considérablement affaibli l'armée albanaise, qu'il faut
désormais entièrement reconstruire. Le nouveau programme est
orienté vers la formation et doit donner lieu à 12 missions
d'expertise de l'OTAN d'ici le début de l'année 1998 afin
d'évaluer les besoins les plus pressants.
La question du rapprochement de l'Albanie et de l'Union de l'Europe
occidentale, à laquelle dans un premier temps elle souhaitait être
associée, est liée à l'évolution des relations avec
l'Union européenne, et n'est pas à ce stade à l'ordre du
jour.
C. LA QUESTION ALBANAISE TOUJOURS EN SUSPENS : UN FACTEUR DE RISQUES POUR LA STABILITÉ RÉGIONALE
Au-delà de l'ouverture diplomatique qui lui a permis, depuis 1992 de diversifier et de conforter ses relations extérieures, la question internationale majeure pour l'Albanie demeure celle de ses relations avec la Serbie et la Macédoine, liée à la situation des populations albanaises qui y résident. Le nouveau gouvernement albanais manifeste une réelle volonté d'apaisement mais pour autant, la situation politique au Kosovo et en Macédoine reste très incertaine et constitue toujours un facteur de risque important pour la stabilité de la région.
1. La question du Kosovo, source d'antagonisme avec la république fédérale de Yougoslavie et principal foyer de tension régionale
Relativement limités au Monténégro, qui
compte dans sa population 200 000 Albanais, mais qui se trouve lui aussi
confronté à des relations difficiles avec la Serbie, son
partenaire dans la république fédérale de Yougoslavie, les
problèmes liés au statut politique et à la situation des
populations albanaises sont beaucoup plus aigus dans la région du
Kosovo, intégrée à la Serbie.
Situé dans la partie méridionale de la Serbie, le Kosovo compte
environ 2 millions d'habitants, dont
1 800 000 Albanais
, soit
90% de
la population
. En dépit de cette réalité
démographique, la Serbie considère le Kosovo comme l'un de ses
territoires historiques, le coeur de la Serbie médiévale
vidé de sa population slave lors de l'invasion ottomane. Les Albanais du
Kosovo aspirent pour leur part à l'indépendance et ont
proclamé en 1990 leur République avec pour Président M.
Ibrahim Rugova. Les autorités de Belgrade sont jusqu'à
présent restées intransigeantes sur les revendications
autonomistes et, depuis l'instauration de l'état d'exception en 1989,
maintiennent au Kosovo un dispositif policier important qui mène une
forte action répressive.
La question du Kosovo occupe une place centrale dans
l'antagonisme
historique qui oppose Albanais et Serbes
. Toutefois, vos rapporteurs ont eu
le sentiment que le thème de la " Grande Albanie " ethnique
n'apparaissait guère dans la vie politique albanaise, même s'il
est clair que l'ensemble des formations politiques conteste l'attitude du
gouvernement serbe et soutient les aspirations des Albanais du Kosovo.
Le nouveau gouvernement albanais adopte sur ce dossier un ton beaucoup plus
modéré que son prédécesseur afin de ne pas attiser
les tensions et il préconise le dialogue et la recherche d'une solution
négociée. La volonté de nouer des relations moins
passionnelles avec Belgrade s'est illustrée de manière
spectaculaire lors du dernier sommet balkanique qui se déroulait en
Crête au début du mois de novembre 1997 et au cours duquel
le
premier ministre albanais, M. Fatos Nano, a rencontré M. Milosevic
.
Ce geste sans précédent dans l'histoire récente des
relations entre les deux pays n'a pas valu à M. Nano que des soutiens
à Tirana et surtout au Kosovo, mais il témoigne du souhait de
Tirana d'obtenir des avancées concrètes, par exemple sur la
question de l'enseignement par la mise en oeuvre des accords Rugova-Milosevic.
En dépit de la modération des nouveaux dirigeants albanais, on ne
constate malheureusement
aucun signe d'apaisement de la situation au
Kosovo
. Les autorités de Belgrade, sans doute confortées par
l'affaiblissement actuel de l'Albanie sur la scène régionale,
demeurent inflexibles alors que les populations albanaises, et en premier lieu
les étudiants, continuent de manifester contre la politique de la
Serbie. On ne peut écarter
le risque d'une radicalisation de certains
mouvements albanais du Kosovo
, tout en soulignant qu'un nombre important
d'armes volées dans les dépôts militaires d'Albanie l'hiver
dernier ayant vraisemblablement franchi la frontière, les
conséquences d'une telle évolution seraient très graves
pour la stabilité régionale.
2. Des relations délicates avec l'ancienne république yougoslave de Macédoine.
La population albanaise représente en Macédoine
une
forte minorité de 480 000 personnes, soit 23% de la
population
, regroupée dans l'ouest du pays.
La question des albanais de Macédoine n'a jamais revêtu la
même acuité que celle du Kosovo. D'une part, les revendications de
la minorité albanaise portent davantage sur la reconnaissance de
l'identité culturelle que sur une réelle autonomie politique.
D'autre part, les autorités de Skopje ont toujours montré une
attitude plus ouverte que celles de Belgrade et n'ont pas employé les
mêmes moyens de coercition.
Ici encore, le nouveau gouvernement albanais a choisi la voie de la
modération et de l'apaisement, rejoignant en cela l'une des deux
formations politiques albanaises de Macédoine.
Dans l'immédiat, deux questions essentielles opposent la minorité
albanaise et le gouvernement de Skopje : le développement de
l'enseignement en albanais, notamment dans le supérieur, et
l'accroissement des pouvoirs des collectivités locales. Ces sujets ne
constituent pas des obstacles insurmontables et devraient pouvoir faire l'objet
d'avancées concrètes de nature à satisfaire les
aspirations albanaises.
Toutefois, l'essor démographique rapide de la communauté
albanaise de Macédoine, renforcé par l'arrivée d'albanais
du Kosovo pourrait, si aucun progrès n'est réalisé,
aggraver les tensions avec la communauté slave.
D'autre part, l'existence de mouvements radicaux albanais en Macédoine
et les liens qu'ils entretiendraient avec des organisations du Kosovo,
accentuent encore le climat d'incertitude et les facteur de risques pour la
sécurité régionale.
III. LES RELATIONS FRANCO-ALBANAISES : UN TERRAIN FAVORABLE
Vos rapporteurs ont été frappés, lors de
leur séjour en Albanie, de la
vivacité de la francophonie
,
que ce soit dans les milieux universitaires et intellectuels ou dans le monde
politique. Incontestablement, la France dispose dans ce pays d'une
influence
culturelle
résultant de relations anciennes et d'une politique
jamais interrompue de formation des élites albanaises dans les
universités françaises.
Dans un contexte d'ouverture de l'Albanie à l'Europe, la
préservation de cette influence française
nécessite
un renforcement de nos moyens de coopération culturelle.
Quant aux relations politiques et économiques, elles semblent encore
modestes alors que la tradition francophone crée pourtant un terrain
très favorable à leur développement.
A. UNE INFLUENCE CULTURELLE QU'IL CONVIENT DE PRÉSERVER
D'après les informations fournies à vos rapporteurs, on évalue à 30 % de la population la proportion d'Albanais comprenant ou parlant le français, ce qui ne manque pas de surprendre dans un pays si longtemps coupé de l'extérieur. Pour autant, ce "capital" francophone ne saurait être immuable, compte tenu de l'ouverture de l'Albanie à d'autres pays, et sa préservation exige une attention prioritaire.
1. Des assises solides pour la francophonie
Il convient de souligner que les
relations culturelles
avec
l'Albanie n'ont jamais été interrompues
, même au plus
fort de l'isolement du pays, notamment en raison du maintien de
bourses de
longue durée
qui permettaient à des étudiants albanais
de se former en France.
Favorisé par le lycée français de Korça, entre 1917
et 1939,
l'enseignement du français
s'est poursuivi sous la
dictature d'Enver Hoxha, lui-même enseignant dans ce lycée. On
estime qu'aujourd'hui,
plus de 30 % de la population parle le
français,
la langue française occupant une place de tout
premier ordre chez les principaux dirigeants politiques du pays. Même
s'il a perdu sa première place au profit de l'anglais, le
français est étudié par le tiers des collégiens et
des lycées, ainsi que par plus de 1 300 jeunes enfants
bénéficiant de l'opération "français
précoce". L'Albanie compte 700 enseignants de français
regroupés dans l'Association des professeurs de français
d'Albanie. L'Albanie vient d'être admise comme observateur dans les
structures des Etats ayant le français en partage.
Une
Alliance française
est installée à Tirana
depuis mars 1992. Elle dispose de deux antennes dans le nord (Shkodra) et le
centre (Elbasan) du pays, une troisième devant être ouverte dans
le sud-est (Korça). L'Alliance française accueille plus de 1 600
étudiants, dont 1 085 à Tirana.
A l'occasion des cérémonies de célébration de son
5e anniversaire, votre délégation a pu juger du dynamisme et de
l'impact de cette jeune Alliance française en dépit de la
modestie de ses moyens. Elle dispose en effet de locaux qui lui sont
prêtés par le lycée des langues étrangères de
Tirana qu'elle a dû rénover et équiper. Elle souhaite
développer ses activités en diversifiant le type des cours
prodigués, notamment en direction de spécialités telles
que le secrétariat commercial et l'hôtellerie, et surtout en
disposant d'un espace multimédia plus accessible.
Il n'existe malheureusement
pas de
centre culturel
français
en Albanie
. Toutefois, il est envisagé de
créer à Tirana un espace culturel réunissant le bureau de
coopération linguistique et éducative, un centre de ressource et
l'Alliance française, dans de nouveaux locaux. On doit souligner que
compte tenu de la possibilité de recruter du personnel local
francophone, le coût de fonctionnement d'un centre culturel ne serait pas
considérable, et paraît même tout à fait à la
portée de notre pays. Il répond à un besoin évident
lié à la fois à la place remarquable du français en
Albanie et à l'absence d'infrastructures culturelles de qualité.
Il y aurait donc tout intérêt à ce que la création
d'un centre culturel français soit désormais une priorité
pour notre coopération.
La
création d'un établissement d'enseignement
franco-albanais
, sous la forme d'une réouverture du lycée
français de Korça, est régulièrement
évoqué par les autorités albanaises, ainsi que vos
rapporteurs l'ont vérifié au cours de plusieurs entretiens.
Compte tenu du coût de réalisation et de fonctionnement d'un tel
établissement, et de l'absence d'une communauté française
expatriée en Albanie, à l'exception du personnel de l'ambassade
et de quelques coopérants, cette création ne semble pas
envisageable à court terme. Il paraît en revanche tout à
fait réaliste de développer des
filières d'enseignement
en français
, avec des enseignants albanais ayant
bénéficié de stages de formation en France. Ces
filières pourraient voir le jour dans un lycée de Tirana et
également à Korça. Aux yeux de vos rapporteurs, la mise en
oeuvre effective, et dans les meilleurs délais, de cette
solution
pragmatique
permettrait d'obtenir des résultats rapides
répondant aux aspirations des autorités albanaises, très
attachées à la présence d'un enseignement en
français en Albanie.
Dans le
domaine audiovisuel,
un programme d'installation de
réémetteurs est en cours afin de favoriser la retransmission de
TV5 par voie hertzienne. Parallèlement, un accord avec la
télévision albanaise permet la diffusion d'émissions de
CFI.
Il faut enfin signaler qu'un nombre important de projets de coopération
scientifique et universitaire ont vu le jour entre des universités
françaises et l'université albanaise dans le domaine des sciences
exactes, de la géologie, de la philosophie et des sciences
économiques, la France offrant par ailleurs des bourses pour chercheurs
albanais post-doctoraux dans le cadre de projets de recherche
d'intérêt commun.
2. Un effort financier insuffisant
En regard de cette permanence remarquable du fait
francophone,
les moyens dévolus à notre coopération culturelle,
scientifique et technique paraissent très modestes pour ne pas dire
très insuffisants
, l'ouverture de l'Albanie à
l'extérieur risquant paradoxalement de réduire la place du
français, préservée durant les années d'isolement.
Les crédits d'intervention
au titre de la coopération
culturelle, scientifique et technique
n'ont cessé de se
réduire
, passant de 8,1 millions de F en 1994 à 5,8
millions de F en 1995, 5,6 millions de F en 1996 puis 4,1 millions de F en
1997.
Cette
évolution très défavorable
résulte
à la fois du contexte budgétaire général mais aussi
de mesures de régulation qui ont affecté de manière plus
sévère les actions de coopération avec l'Albanie. Il est
vrai que dans les années qui ont suivi l'accession de l'Albanie à
la démocratie, celle-ci était relativement
privilégiée, avec une aide par habitant des plus
élevée pour la région. En effet, au financement de bourses
de longue durée qui constituait la totalité de l'enveloppe de
coopération sous le régime communiste et qui a été
maintenu après 1991, s'ajoutait la prise en charge d'actions nouvelles.
L'évolution des crédits depuis 1994 a ramené l'Albanie
à un niveau comparable à celui d'autres pays de la région
dans lesquels, cependant, on ne retrouve pas une aussi forte position du
français Cette orientation ne paraît donc pas opportune dans un
pays où le fait francophone constitue une réalité trop
ignorée.
L'enveloppe spécifiquement consacrée à la
coopération linguistique en 1996 est de l'ordre de 1,4 million de F.
Elle est consacrée à l'octroi de bourses pour des
professeurs-formateurs, à l'opération "français
précoce" dans l'enseignement primaire, à la diffusion de livres
dans les lycées, à la mise en place de cours de français
de spécialité et au soutien aux établissements enseignant
le français
B. DES RELATIONS POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES ENCORE TRÈS MODESTES
La permanence du fait francophone en Albanie a créé des attentes qui ne se trouvent pas satisfaites par la modestie des relations politiques et économiques.
1. Des relations politiques limitées
Les
contacts de haut niveau
entre responsables
politiques français et albanais
ont jusqu'à présent
été limités
.
Après les visites en France du Premier ministre M. Meksi en 1994, du
Président Berisha en 1996 et de plusieurs ministres du
précédent gouvernement, le nouveau Président de la
République, M. Meidani, a rencontré le Président Chirac
à Strasbourg, en marge du sommet du Conseil de l'Europe le 11 octobre
1997. Le nouveau Premier ministre, M. Nano, a également rencontré
le Premier ministre français à l'occasion d'une visite
privée au mois d'octobre.
Parallèlement, la seule visite d'un ministre français en Albanie
est celle du ministre des affaires européennes, en 1993. Plus
récemment,
le Président du Sénat
s'était
rendu à Tirana et avait remis au président Berisha un message du
Chef de l'Etat évoquant notamment l'appui de la France pour le
rapprochement entre l'Albanie et l'Union européenne, l'octroi d'une aide
alimentaire et l'accord de principe des autorités françaises pour
la restitution à l'Albanie du stock d'or, d'une valeur de 150 millions
de F, qui avait été saisi par l'Allemagne durant la seconde
guerre mondiale et dont notre pays assurait la conservation avec le Royaume-Uni
et les Etats-Unis.
En ce qui concerne les contacts techniques, plusieurs commissions mixtes
relatives à la coopération culturelle, scientifique et technique,
à la coopération militaire et à la justice ont
commencé à se réunir.
La
coopération administrative
a essentiellement concerné
l'organisation des pouvoirs locaux, inspirée du modèle
français. En matière de santé, la coopération porte
sur la formation médicale et l'équipement sanitaire. La
coopération agricole
est elle aussi très active, surtout
dans la région de Korça et comporte des actions en direction du
réseau hydraulique, de la formation, de la recherche agronomique et de
l'élevage.
La
coopération en matière de police
concerne la formation
au contrôle de l'immigration et à la détection des faux
documents. Elle est renforcée par la présence française
à la tête de l'Elément multinational du conseil en
matière de police mis en place par l'UEO.
La forte tradition francophone de l'Albanie, notamment au sein des
élites, et l'action particulièrement appréciée du
contingent français lors de l'opération Alba, créent un
terrain très favorable au développement de bonnes relations
bilatérales
, ce que traduit mal la fréquence, encore
très modeste, des visites et contacts entre autorités politiques
des deux pays. Il importe de
ne pas décevoir les attentes
fortes
de l'Albanie à l'égard de notre pays.
2. Des relations économiques et commerciales faiblement développées
Pour le moment, les relations économiques et
financières franco-albanaises sont encore très modestes,
notamment au regard de celles qui se développent entre l'Albanie et ses
deux partenaires principaux : l'Italie et la Grèce. La France n'est que
le 6e partenaire, derrière ces deux pays, mais aussi après
l'Allemagne, la Turquie et l'Autriche.
Les échanges commerciaux sont caractérisés par un fort
excédent en faveur de la France et une
progression rapide des
exportations françaises
. Celles-ci étaient de 63 millions de
F pour 1995 et de 140 millions de F en 1996. Sur cette même
période, les importations en France de produits albanais sont
restées stables (34 millions de francs en 1995, 39 millions de francs en
1996).
Les principaux projets d'investissements suivis par les entreprises
françaises en Albanie concernent l'hôtellerie, les centrales
hydroélectriques, la téléphonie, les aménagements
portuaires et les transports.
Il est clair que les événements récents ne sont pas de
nature à inciter les investisseurs à s'intéresser à
l'Albanie, pays où le risque politique et économique paraît
élevé.
L'Albanie s'engage toutefois, avec l'aide de la communauté
internationale, sur la voie de sa reconstruction économique et à
ce titre, les besoins sont considérables. On peut espérer que les
entreprises françaises pourront profiter des opportunités
offertes par la reprise de l'aide internationale et l'octroi de financements
multilatéraux pour les opérations qui seront
réalisées dans les domaines portuaire, routier,
hydroélectrique ou encore téléphonique.
A cet égard, il est très regrettable que le poste d'expansion
économique ait été pratiquement mis en sommeil, en
l'absence de nomination d'un conseiller financier.
CONCLUSION
A l'issue de son bref séjour en Albanie et des contacts
qu'elle a pu établir à cette occasion, votre
délégation retient un double sentiment d'inquiétude mais
aussi d'espoir pour l'avenir de ce pays.
L'inquiétude demeure incontestablement le sentiment dominant
, au
moment où l'Albanie se trouve confrontée à de
multiples
défis
:
-
maintenir l'ordre public et la paix civile,
aujourd'hui apparemment
rétablis, alors que l'armée et la police sont très
affaiblies et qu'un nombre considérable d'armes restent aux mains de la
population, mais aussi de bandes criminelles et d'organisations mafieuses, si
bien que le risque de nouvelles violences, après celles qui ont
marqué l'année 1997, ne peut être écarté,
-
assurer le bon fonctionnement des institutions dans le cadre des
règles d'une démocratie pluraliste
, ce qui implique tout
à la fois le bon déroulement des élections et
l'acceptation de leur verdict, le respect de l'équilibre des pouvoirs
dans le cadre d'une nouvelle constitution recueillant l'assentiment de
l'ensemble des forces politiques, l'indépendance de la justice,
l'impartialité de l'administration et l'accès de l 'opposition
aux moyens de communication, l'apaisement d'un débat politique
dominé par les passions ; force est de constater que malgré le
relatif détachement dont semble désormais faire preuve une partie
de la population à l'égard des polémiques partisanes, les
conditions d'une normalisation ne sont pas encore réunies,
-
redresser une économie qui dispose d'atouts incontestables
mais qui est durement affaiblie par la crise financière
et les
destructions opérées lors des émeutes,
- enfin,
préserver la stabilité de la région
alors
qu'en dépit de la volonté des dirigeants albanais de ne pas
attiser les tensions, la situation au Kosovo et en Macédoine reste
porteuse de graves risques de conflits.
Aux côtés de ces motifs d'inquiétudes subsistent des
sources d'espoir. Elles tiennent aux réelles potentialités de
l'économie albanaise et à la qualité et aux
capacités de la population, ainsi qu'à la farouche volonté
de s'arrimer à l'ensemble européen, avec l'aide de la
communauté internationale qui a confirmé son assistance
financière.
Vos rapporteurs considèrent que dans la période difficile que
traverse l'Albanie, la France ne peut que souhaiter son retour sur la voie de
la paix civile et du développement économique, tant pour la
région des Balkans, qui n'a pas besoin de facteurs
supplémentaires d'instabilité, que pour le pays lui-même,
auquel de multiples liens nous rattachent.
La France doit avoir conscience du capital remarquable que représente le
fait francophone en Albanie
et doit le préserver. A ce titre,
un renforcement de nos relations culturelles paraît absolument
indispensable
, étant précisé que quelques moyens
supplémentaires permettraient sans doute d'obtenir des résultats
rapides et importants, compte tenu de l'influence déjà forte de
la culture française dans ce pays.
Pour cet ensemble de raisons, vos rapporteurs, à l'issue de cette
mission, concluent à la nécessité de renforcer la prise en
compte de l'Albanie par la politique française dans les Balkans.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des Affaires étrangères, de la
Défense et des Forces armées a examiné le présent
rapport d'information au cours de sa séance du mercredi 17
décembre 1997.
A l'issue de l'exposé des rapporteurs, M. Philippe de Gaulle s'est
interrogé sur le comportement respectif des populations du nord et du
sud de l'Albanie durant les émeutes de 1997, sur les ressources
économiques de l'Albanie, sur les relations de ce pays avec la
Grèce et sur la présence militaire française en Albanie.
M. Claude Estier a confirmé l'importance du fait francophone en Albanie
tout en craignant que la place du français n'y recule dans les
prochaines années, surtout si les moyens de notre coopération
continuaient à diminuer. Il a souhaité connaître la
position de l'Albanie au regard des instances de la francophonie.
M. Christian de La Malène s'est demandé si les conditions du
déroulement des élections de juin 1997 n'avaient pas, dans une
certaine mesure, conduit le parti démocratique à en contester les
résultats et à boycotter les travaux du Parlement.
En réponse à ces différentes interventions, M.
André Rouvière a souligné que, si l'économie
albanaise reposait encore largement sur l'agriculture, le relatif essor
économique des années 1992-1996 avait conduit à une
élévation du niveau de vie, avant que ce dernier ne chute
brutalement cette année, la crise financière ayant ruiné
beaucoup d'Albanais réduits désormais à vivre
d'expédients.
Il a par ailleurs jugé souhaitable le maintien d'une assistance à
l'Albanie dans le domaine militaire, l'armée albanaise sortant
très affaiblie des événements de l'hiver 1997. Il a
précisé que l'Albanie venait d'être admise, comme
observateur, dans la communauté des pays ayant le français en
partage lors du sommet qui s'était réuni à Hanoi en
novembre dernier.
M. André Boyer a précisé que le contingent français
avait quitté l'Albanie au mois d'août 1997 et que, seuls 5
gendarmes français restaient aujourd'hui sur place pour des missions de
conseil en matière de police. Il a précisé que les
relations gréco-albanaises, longtemps difficiles en raison du
problème de la minorité hellénophone dans le sud de
l'Albanie, s'étaient récemment améliorées. Il a
souligné que si les émeutes de février et mars derniers
avaient gagné l'ensemble du pays, elles avaient été
particulièrement violentes dans le sud. Enfin, il a indiqué que
l'OSCE avait qualifié de "satisfaisantes et acceptables" les
opérations électorales de juin dernier, bien que le parti
démocratique ait considéré qu'il avait été
empêché de mener campagne dans le sud du pays.
M. Xavier de Villepin, président, a souligné l'importance de
l'Albanie dans un contexte régional troublé, la question du
Kosovo étant incontestablement, à ses yeux, la plus porteuse de
risques pour l'avenir de la paix dans la région.
La commission a alors autorisé la publication du rapport d'information
établi par MM. André Boyer et André Rouvière.