Chapitre II
LES PREMIERS ESSAIS FRANÇAIS AU
SAHARA :
1960-1966
En 1957, lorsqu'il est apparu qu'il était désormais indispensable de procéder à des expérimentations en vraie grandeur, le Commandement Interarmées des Armes Spéciales décida de créer un champ de tir à Reggane, au centre du Sahara et à 700 kilomètres au sud de Colomb-Béchar.
1°/ LES ESSAIS AÉRIENS À REGGANE
Le premier essai, Gerboise bleue du 13 février 1960, ainsi que les trois suivants : Gerboise blanche du 1er avril 1960, Gerboise rouge du 27 décembre 1960 et Gerboise verte du 25 avril 1961, ont été effectués à partir d'une tour. Selon certaines indications, et en particulier celles du physicien Yves Rocard qui assistait à ces expériences 36 ( * ) , les explosions "eurent lieu à 100 mètres d'altitude, la moitié supérieure de la boule de feu orientée vers l'air libre et la moitié inférieure vers le sol tout proche" .
S'ils ont bien été réalisés dans ces conditions, les quatre essais aériens de Reggane ont été à l'évidence très polluants.
En effet, de l'aveu même des autorités responsables des essais : "Pour des explosions à faible altitude, la terre, l'eau, des débris divers sont aspirés et forment une colonne verticale entre le sol et la sphère de gaz chauds qui prend l'aspect d'un nuage." 37 ( * )
Les aérosols fortement radioactifs produits par l'explosion restent en suspension dans la troposphère ou dans la stratosphère pendant des années mais "les fractions lourdes, aérosols d'un diamètre supérieur à 50 microns, se déposent assez rapidement..." 37
Le rapport annuel du CEA de 1960 montre d'ailleurs l'existence d'une zone contaminée de 150 km de long environ et les instructions remises aux participants de l'opération Gerboise bleue précisaient bien les conditions dans lesquelles on pouvait entrer et sortir de "la zone contaminée" . 38 ( * ) Cela confirme bien que certaines régions proches du lieu du tir devaient receler une dose significative de radioactivité.
A notre connaissance, l'Algérie, depuis son indépendance, n'a jamais fourni d'information sur une éventuelle pollution radioactive de la région de Reggane. Il est vrai que la puissance des vents sahariens et les phénomènes d'érosion ont dû disperser les éléments radioactifs sur une très grande surface, ce qui rendrait aujourd'hui les contrôles pratiquement inopérants.
2°/ LES ESSAIS EN GALERIE AU HOGGAR
En 1961, on décida d'abandonner les essais aériens à Reggane. La position de la France devenait de plus en difficile car les trois autres puissances nucléaires de l'époque, Etats-Unis, URSS et Grande-Bretagne, avaient, dès 1958, décidé de suspendre leurs essais.
Les tirs aériens français faisaient dès lors l'objet de critiques de plus en plus vives de la part des pays africains situés à la périphérie du Sahara. Ceux-ci ne comprenaient pas en effet qu'on continue à utiliser une technique à l'évidence polluante malgré toutes les précautions prises pour minimiser les retombées.
Les responsables des essais décidèrent donc, à cette époque, de s'orienter vers des tirs souterrains qui devaient permettre de "piéger" dans la roche la plus grande partie des éléments radioactifs produits par les explosions. La solution retenue fut celle de tirs en galerie, celles-ci étant creusées horizontalement dans un massif granitique du Hoggar, le Tan Afella.
Les engins à tester étaient placés au fond de galeries horizontales "longues de 800 à 1 200 mètres à partir de leur entrée au niveau de la plaine" 39 ( * ) . Ces galeries se terminaient en colimaçon pour casser le souffle des explosions et étaient refermées par un bouchon de béton.
La sécurité des explosions était de cette façon notablement améliorée puisqu'une grande partie de la radioactivité restait contenue dans la cavité formée par le tir.
Elle n'était cependant pas totale, les produits de fission volatiles ou gazeux pouvaient en effet s'échapper sous l'effet de la pression, soit par la galerie principale, soit par les conduits annexes utilisés pour le passage des câbles des systèmes de mesure et de contrôle. C'est ce qui devait arriver le 1er mai 1962, où un nuage radioactif s'est échappé de la galerie de tir : "on a vu ainsi sortir de la base même de la montagne un minuscule nuage tout rouge qui grossit rapidement, le nuage s'en vint à passer sur un dépôt de vieux pneus qui prirent feu aussitôt ajoutant une âcre fumée noire à ce qui s'échappait de la montagne" . 40 ( * )
Un certain nombre de personnalités, dont deux ministres, qui assistaient aux essais, ainsi que plusieurs militaires, durent être décontaminés bien que les autorités aient toujours soutenu que le taux maximum de radioactivité n'avait jamais dépassé les limites admises pour les professionnels exposés.
De novembre 1961 à février 1966, treize tirs en galerie ont été effectués. Ce système semblait donner toute satisfaction mais les accords d'Evian ayant prévu que la France devait abandonner ses expériences au Sahara, la France a dû se mettre à la recherche d'un autre site.
Sur la question des déchets qui auraient pu résulter des campagnes d'essais réalisés au Sahara, il n'existe aucune donnée précise. Les installations ont certainement été démantelées mais, comme le regrette Bruno Barillot : "Peu de détails ont été donnés sur la nature de ce démantèlement, sur les éventuelles opérations de décontamination effectuées sur le site, la destination des déchets produits au cours des expériences et par les opérations de démantèlement" . 41 ( * )
Après sept années d'expériences diverses, les deux sites de Reggane et d'In Eker ont été remis à l'Algérie sans qu'aucune modalité de contrôle et de suivi de la radioactivité n'ait été prévue. Les circonstances politiques qui ont conduit à l'abandon de ces deux sites peuvent expliquer l'indifférence avec laquelle on a alors traité ces problèmes. Il n'en demeure pas moins qu'on a fait preuve d'une certaine légèreté, pour ne pas dire plus ; même si les régions en cause sont très peu peuplées, les quelques nomades qui y vivent ou qui y passent auraient pu avoir droit à un peu plus de considération.
* 36 Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Grasset 1988, page 237.
* 37 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, DIRCEN-CEA/DAM, Tome II, page 55.
* 38 Les essais nucléaires français, Op. déjà cité, page 67.
* 39 Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Op. déjà cité, page 243.
* 40 Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Op. déjà cité, page 246.
* 41 Les essais nucléaires français, Conséquences sur l'environnement et la santé. Bruno Barillot, Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits, Lyon 1996, page 57.