II. QUELLE VALEUR POUR L'EURO ?
Entre le 1er janvier 1996 et le mois d'octobre 1997
(c'est-à-dire avant la crise financière de la fin octobre), les
monnaies européennes se sont nettement dépréciées
par rapport au dollar : entre ces deux dates, le taux de change du dollar
par rapport au franc est en effet passé de 1 dollar pour
5,01 francs à 1 dollar pour 6 francs
12(
*
)
(soit une appréciation du
dollar de 20 %, ou une dépréciation du franc et des monnaies
du Système monétaire européen, de 16,5 %).
La monnaie américaine s'est ainsi rapprochée de ce que les
économistes considèrent comme la "
parité de
pouvoir d'achat
", c'est-à-dire la parité qui assure
l'
égalité des prix
entre les Etats-Unis et l'Europe, et de
ce que les exportateurs européens considèrent être le taux
de change " normal " du dollar.
Néanmoins, la réflexion sur le
taux de change
d'équilibre
du dollar ne peut se limiter à considérer
la
compétitivité relative
des Etats-Unis et de l'Europe.
Elle doit également intégrer les données
fondamentales
des économies, telles que leur capacité (ou
leur besoin) de financement, leur endettement extérieur ou leur taux
d'épargne global.
Dans cette perspective, le taux de change d'équilibre du dollar n'est
pas indifférent à la "
soutenabilité
"
à long terme de l'endettement extérieur des Etats-Unis, et se
situerait, au regard de ces critères, significativement
au-dessous
de la parité de pouvoir d'achat.
C'est pourquoi la projection de l'économie mondiale
réalisée par l'équipe responsable du modèle MIMOSA
au printemps dernier (c'est-à-dire au milieu de la phase
d'appréciation, lorsque le taux de change du dollar par rapport au franc
se situait autour de 5,60) retenait l'hypothèse d'une baisse du dollar,
à partir de 1998, et d'un retour vers un niveau d'équilibre
macroéconomique fondamental de 1 dollar = 5,25 francs.
Le maintien d'un rythme de croissance élevé aux Etats-Unis (qui a
conduit à réévaluer le potentiel de croissance à
moyen terme de l'économie américaine) ainsi que la
réduction du déficit public, incitent à réviser
cette analyse sur le " bon " taux de change du dollar. Un
niveau
d'
équilibre à moyen terme
du dollar proche de son
niveau actuel
serait en effet compatible avec la
" soutenabilité " de l'endettement extérieur
américain
13(
*
)
.
Ainsi la projection de l'économie française
présentée dans le chapitre 1 de ce rapport repose-t-elle sur
l'hypothèse d'un niveau d'équilibre à moyen terme du
dollar de 1 dollar = 5,96 francs.
Les termes du débat ainsi rappelés, votre Rapporteur a
jugé utile de présenter les conclusions d'une
simulation
,
réalisée à l'aide du modèle MIMOSA, de l'impact
d'une dépréciation de 10 % des monnaies européennes
(les résultats détaillés en sont présentés
dans l'
annexe n° 2
à ce rapport). Cet exercice permet
en particulier d'apprécier l'impact d'une modification des
parités des grandes monnaies sur la
répartition de la
croissance mondiale.
· Schématiquement, la dépréciation d'une monnaie se
traduit pour un pays (ou l'ensemble des pays européens dans le cas de
l'euro) par deux types d'effets :
- des gains de
compétitivité
à court terme qui
stimulent les exportations et freinent les importations ;
- une
hausse du prix
des importations, qui entraîne une hausse des
prix à la consommation et des salaires, ce qui tend à
limiter
les gains de compétitivité.
· Ces
effets " purs "
d'une
dépréciation monétaire sont évalués dans une
première variante technique (cf. tableau ci-après).
Le résultat est très favorable à
court terme
pour
la croissance et le chômage en Europe : l'accélération
de la croissance est de l'ordre de
0,9 point
par an les deux
premières années
et le taux de chômage en Europe est
inférieur de 1 point au bout de deux ans (par rapport à un
scénario sans dépréciation monétaire).
A moyen terme
, les effets positifs de la dépréciation sur
les échanges extérieurs sont limités par son incidence
inflationniste : l'inflation est en effet supérieure de
0,8 point par an pendant cinq ans. Au bout de cinq ans, le niveau du PIB
est majoré de 0,4 point seulement (par rapport à un
scénario de référence sans dépréciation) et
le taux de chômage est minoré de 0,4 point.
· Les enchaînements macroéconomiques consécutifs
à une dépréciation monétaire sont, dans la
réalité, plus
complexes
. En effet, la Banque centrale
réagit au choc inflationniste consécutif à la
dépréciation. Par ailleurs, les marchés financiers
anticipent que l'inflation entraînera une nouvelle
dépréciation.
Selon la fonction de réaction des autorités monétaires
incorporée dans le modèle MIMOSA, les taux d'intérêt
en Europe seraient majorés d'un point dès la première
année. Cette hausse des taux d'intérêt atténue
globalement l'impact expansionniste en Europe d'une dépréciation
de l'euro.
A court terme
, l'effet positif sur l'activité
européenne est nettement moindre : l'accélération de
la croissance les deux premières années est de l'ordre de
0,3 point par an
(contre 0,9 point dans la variante sans
hausse des taux d'intérêt). Le taux de chômage est
réduit de 0,3 point au bout de deux ans.
A moyen terme
, la
dépréciation continue de l'euro en renforce l'impact. Au bout de
cinq ans, le niveau du PIB européen est majoré de 0,7 %
(contre 0,4 % dans la variante avec taux d'intérêt et taux de
change fixes) et le taux de chômage est minoré de 0,3 point.
Impact d'une dépréciation de 10 % de
l'euro
Ecart en %
|
Taux de change et taux d'intérêt fixes |
Taux de change et taux d'intérêt endogènes |
||
Année |
2ème |
5ème |
2ème |
5ème |
PIB |
|
|
|
|
Etats-Unis |
- 0,1 |
- 0,3 |
- 0,1 |
- 0,2 |
Japon |
- 0,6 |
- 0,8 |
- 0,7 |
- 0,9 |
Union européenne |
1,9 |
0,4 |
0,6 |
0,7 |
dont France |
1,6 |
- 0,6 |
0,4 |
0,1 |
Allemagne |
2,6 |
0,9 |
0,9 |
1,1 |
CHÔMAGE (1) |
|
|
|
|
Union européenne |
- 0,8 |
- 0,4 |
- 0,3 |
- 0,4 |
dont France |
- 0,6 |
- 0,1 |
- 0,2 |
- 0,1 |
Allemagne |
- 1,5 |
- 1,1 |
- 0,5 |
- 0,8 |
PRIX DE LA CONSOMMATION |
|
|
|
|
Union européenne |
1,5 |
3,8 |
1,3 |
3,1 |
dont France |
1,0 |
3,7 |
1,1 |
2,5 |
Allemagne |
1,7 |
3,8 |
1,1 |
2,6 |
TAUX D'INTÉRÊT A COURT TERME |
|
|
|
|
TAUX DE CHANGE (2) |
|
|
|
|
Union européenne |
10,0 |
10,0 |
10,3 |
12,1 |
(1) Ecarts en points de pourcentage.
(2) Un signe positif indique une appréciation du dollar.
Source : Modèle MIMOSA (CEPII-OFCE).
Le tableau ci-dessus présente les principaux résultats de
l'impact d'une dépréciation de 10 % de l'euro sous deux
hypothèses extrêmes
: en l'absence d'augmentation des
taux d'intérêt et avec un taux de change fixe après la
dépréciation, d'une part ; avec une hausse des taux
d'intérêt et une dépréciation continue du taux de
change, d'autre part. Compte tenu du bas niveau d'inflation et du fort niveau
de chômage en Europe, l'
effet inflationniste de
la
dépréciation du change, et donc la
réaction
de la
Banque Centrale Européenne, pourrait être
plus faible
que
ce que décrit la seconde variante. L'impact expansionniste d'une
dépréciation de 10 % de l'euro devrait ainsi être
probablement
plus proche des résultats de la variante à taux
d'intérêt fixe
.
Ces travaux appellent ainsi deux observations :
- Contrairement à l'opinion selon laquelle le taux de change de l'euro
aurait finalement peu d'incidence sur la croissance en Europe (compte tenu du
faible degré d'ouverture sur l'extérieur de l'économie
européenne prise dans son ensemble), ces variantes mettent en
évidence des effets sensibles sur l'activité et l'emploi en
Europe, et sur
la répartition de la croissance mondiale
entre les
Etats-Unis, le Japon et l'Europe.
- D'une manière qui ne concorde pas avec la façon dont est
évoquée la question du taux de change respectivement en France et
en Allemagne, ces simulations montrent qu'une dépréciation du
change a un impact
favorable
sur l'activité beaucoup plus fort en
Allemagne qu'en France (en raison d'un commerce extérieur allemand plus
orienté vers les échanges
extra-européens
et d'un
poids du secteur
industriel
dans l'économie plus important, ce
qui entraîne une plus forte sensibilité aux mouvements de
compétitivité).
Ces travaux ont enfin le mérite de rappeler que, comme la politique
économique en général, la politique de change ne saurait
être conduite en fonction d'un seul objectif. Ainsi, la stabilité
des prix à laquelle est vouée, par essence, une Banque centrale
indépendante, ne peut être le critère unique d'optimisation
du taux de change puisque celui-ci a une incidence décisive non
seulement sur les prix, mais aussi sur la croissance et l'emploi et, par voie
de conséquence, sur la situation des finances publiques. C'est pourquoi
les rédacteurs du Traité de Maastricht ont fait de la politique
de change un domaine pour ainsi dire " cogéré " par le
Conseil, la Commission et la Banque Centrale européenne, comme le montre
la rédaction complexe de l'article 109 du Traité relatif à
la Communauté européenne
14(
*
)
. Au
demeurant, la façon de
concilier les différents objectifs à prendre en compte ne peut
pas s'inscrire dans un Traité. Il n'en reste pas moins que cette
question essentielle est à l'arrière-plan des discussions
relatives à la mise en place d'un " Conseil de l'euro ".